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11/07/2024 | FRANCE | N°22/05010

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section b, 11 juillet 2024, 22/05010


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION B



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ARRÊT DU : 11 JUILLET 2024







SÉCURITÉ SOCIALE



N° RG 22/05010 - N° Portalis DBVJ-V-B7G-M6QS





















Société [2]



c/

CPAM DE LA GIRONDE

Monsieur [U] [K]





















Nature de la décision : AU FOND




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Notifié par LRAR le :



LRAR non parvenue pour adresse actuelle inconnue à :



La possibilité reste ouverte à la partie intéressée de procéder par voie de signification (acte d'huissier).



Certifié par le Greffier en Chef,



Grosse délivrée le :



à :



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 11 octob...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION B

--------------------------

ARRÊT DU : 11 JUILLET 2024

SÉCURITÉ SOCIALE

N° RG 22/05010 - N° Portalis DBVJ-V-B7G-M6QS

Société [2]

c/

CPAM DE LA GIRONDE

Monsieur [U] [K]

Nature de la décision : AU FOND

Notifié par LRAR le :

LRAR non parvenue pour adresse actuelle inconnue à :

La possibilité reste ouverte à la partie intéressée de procéder par voie de signification (acte d'huissier).

Certifié par le Greffier en Chef,

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 11 octobre 2022 (R.G. n°21/0009) par le pôle social du TJ de BORDEAUX, suivant déclaration d'appel du 28 octobre 2022.

APPELANTE :

Société [2] agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social [Adresse 4]

représentée par Me Julie AUZAS de la SELARL RUFF AUZAS AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉS :

CPAM DE LA GIRONDE prise en la personne de son directeur domicilié en cette qualité au siège social [Adresse 3]

représentée par Me Françoise PILLET de la SELARL COULAUD-PILLET, avocat au barreau de BORDEAUX

Monsieur [U] [K]

de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Magali ETCHEGARAY de la SCP ETCHEVERRY-ETCHEGARAY, avocat au barreau de BAYONNE

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 06 mai 2024 en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Eric Veyssière, président,

Madame Marie-Paule Menu, présidente,

Madame Sophie Lésineau, conseillère,

qui en ont délibéré.

Greffière lors des débats : Mme Sylvaine Déchamps,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

Le délibéré a été prorogé en raison de la charge de travail de la Cour.

EXPOSE DU LITIGE

M. [K], salarié de la société [2] (la société), a été victime d'un accident du travail le 21 juillet 2020.

La société a complété le 22 juillet 2020 une déclaration d'accident du travail mentionnant : « Visite du chantier avec son responsable avant réunion mensuelle avec le client. Une plaque de caillebotis était mal positionnée (un des rebords sur lequel la plaque reposait n'était pas assez large pour supporter le poids d'une personne). Le salarié aurait marché sur la plaque, elle se serait retournée. C'est la chute consécutive au retournement de la plaque qui aurait provoqué la blessure. »

Le certificat médical initial en date du 22 juillet 2020 a fait état de la blessure suivante « rupture tendon d'Achille G ».

Par décision du 05 août 2020, la caisse primaire d'assure maladie de la Gironde (la CPAM) a pris en charge cet accident du travail au titre de la législation professionnelle. L'état de santé de l'assuré n'est pas encore déclaré consolidé.

Le 20 décembre 2020, M. [K] a sollicité devant la juridiction sociale compétente la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.

Par jugement du 11 octobre 2022, le pôle social du tribunal judiciaire de Bordeaux a:

-dit que l'accident du travail de M. [K] est dû à une faute inexcusable de la société,

-sursis à statuer sur la demande de majoration de la rente, retenant qu'à la date dudit jugement, l'état de santé du salarié n'était pas encore consolidé,

Avant dire droit,

-ordonné une expertise médicale judiciaire pour déterminer les éventuels préjudices subis par le salarié,

-octroyé une provision de 3 000 euros à valoir sur les préjudices de M. [K],

-dit que la caisse qui fait l'avance des frais pourra recouvrer le montant des indemnisations à venir et provision accordées à M. [K] à l'encontre de la société qui est condamnée à ce titre ainsi qu'au remboursement du coût de l'expertise,

-réservé les dépens,

-condamné la société à verser à M. [K] la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile

-écarté l'exécution provisoire de ladite décision.

Par déclaration du 28 octobre 2022, la société a relevé appel de ce jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 23 mai 2023, la société demande à la cour de :

-déclarer recevable son appel,

A titre principal,

-réformer le jugement entrepris en l'intégralité de ses dispositions

Statuant à nouveau :

-juger que M. [K] ne rapporte pas la preuve qu'elle a commis une faute inexcusable susceptible d'engager sa responsabilité,

-juger qu'elle a pris les mesures nécessaires pour préserver la santé et la sécurité de M. [K],

-juger qu'elle ne pouvait avoir conscience du danger auquel a été exposé M. [K],

-juger qu'elle n'a commis aucune faute inexcusable,

-débouter M. [K] de l'intégralité de ses demandes,

-condamner M. [K] à lui verser une somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens,

A titre subsidiaire, si le jugement dont appel était confirmé sur le principe de la faute inexcusable,

-confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a sursis à statuer sur la demande d'expertise médicale judiciaire formulée par M. [K], et en tout état de cause, limiter strictement la mission de l'expert judiciaire aux postes de préjudices visés par l'article L. 452-3 du Code de la sécurité sociale et à ceux non déjà inclus en tout ou partie dans le livre IV du code de la sécurité sociale,

-infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a octroyé à M. [K] une provision de 3 000 euros et statuant à nouveau le débouter de toute demande à ce titre, et à tout le moins, la réduire à de plus justes proportions.

La société fait valoir que M. [K] jouissait d'une grande ancienneté d'environ 40 ans, d'une large autonomie et d'une réelle technicité et que ce dernier effectuait le jour de l'accident une tâche habituelle - une visite de chantier- entrant dans le cadre de ses attributions et de sa qualification. Elle précise qu'elle avait pris toutes les mesures nécessaires pour préserver la santé et la sécurité de M. [K] puisqu'elle disposait d'un document unique identifiant les risques en cas de visite de chantier et qu'elle avait établi en concertation avec le maître d'ouvrage du site un plan particulier de sécurité et de protection de la santé. Elle ne pouvait donc pas avoir conscience du danger et le fait qu'elle ait pris des dispositions après l'accident ne démontre pas qu'elle ait commis un manquement auparavant. Elle conteste aussi le versement d'une provision, M. [K] ne justifiant pas sa demande à ce titre.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 26 février 2024, M. [K] demande à la cour de :

-confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

-condamner la société aux dépens et à verser à M. [K] la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

M. [K] fait valoir que les mesures préventives prises par l'employeur ont été insuffisantes voire inexistantes permettant la survenance de l'accident. Il précise qu'aucun dispositif matériel signifiant le danger n'était installé sur cette partie du chantier.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 27 mars 2024, la CPAM demande à la cour de :

-la recevoir en ses demandes,

-statuer ce que de droit sur la reconnaissance de la faute inexcusable et si la cour confirmait le jugement sur ce point le confirmer, également en ce qu'il a condamné la société à lui rembourser les sommes dont elle aura fait l'avance et ce y compris les frais d'expertises, et a ordonné le sursis à statuer sur la demande de majoration de rente,

-condamner la société aux dépens et à lui verser la somme de 1000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle s'en remet à l'appréciation de la cour concernant l'existence d'une faute inexcusable de la société mais fait valoir qu'elle demande à exercer à l'égard de la société son action récursoire conformément à la législation actuelle.

L'affaire a été fixée à l'audience du 06 mai 2024, pour être plaidée.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère aux conclusions écrites soutenues oralement à l'audience conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'au jugement déféré.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la reconnaissance d'une faute inexcusable de l'employeur

En vertu des dispositions de l'article L 452-1 du Code de la sécurité sociale, lorsque la maladie est dûe à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qui se sont substitués à lui dans le pouvoir de direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire dans les conditions définies aux articles suivants.

Il résulte de ce dernier texte ainsi que de l'article L 4121-1 du Code du travail, que le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

La faute inexcusable doit seulement être une cause nécessaire de la maladie pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée ; il suffit donc qu'elle ait concouru à la réalisation du dommage.

Pour que l'employeur puisse s'exonérer de la faute inexcusable, il ne suffit pas qu'il invoque les mesures prises pour protéger le salarié, encore faut-il qu'il ait pris les mesures nécessaires à la protection de l'intéressé.

Il appartient au salarié demandeur de rapporter la preuve, d'une part, de la conscience du danger qu'avait ou aurait dû avoir l'employeur, d'autre part, de l'absence de mesures de prévention ou de protection.

En l'espèce, la cour relève que la prise en charge de l'accident de M. [K] en date du 21 juillet 2020 au titre de la législation professionnelle n'est pas contestée ni les circonstances de l'accident telles que décrites dans la déclaration d'accident du travail.

Il ressort de la lecture du document unique d'évaluation des risques en vigueur au sein de la société au moment de l'accident que le risque de chute de plain pieds était identifié pour le personnel de chantier ou itinérant dans les situations suivantes :

- en cas de présence de trémies, trous, regards, réservations,

- en cas d'ouverture du plancher technique pour accéder aux câbles.

Dans ces différentes hypothèses, le document unique d'évaluation des risques préconise différentes mesures, à savoir :

- dans la première situation, 'protéger les regards avec une protection suffisante aux poids des personnes, balisage chantier, refermer les trappes d'accès derrière soi',

- dans la seconde situation, 'vérifier le montage du plancher technique et limiter l'ouverture au strict nécessaire.'

Lors de la visite du chantier par M. [K], ce dernier s'est blessé alors qu'il se situait sur un plancher technique recouvrant des câbles avec un espace d'environ 40 cm entre le plancher technique et le sol.

Le risque de chute de plain pieds dans cette situation avait bien été identifié par la société puisqu'elle figure expressément dans le document unique, ce que reconnaît d'ailleurs la société qui communique une nouvelle version du document unique en date du 7 octobre 2020 actualisée suite à l'accident de M. [K] rajoutant une nouvelle mesure à mettre en oeuvre dans une telle situation, à savoir 'vérifier que le plancher est stable et non sujet à provoquer une chute après remise en place'.

A la lecture du document unique d'évaluation des risques, la société a donc bien conscience du danger de chute de plain pieds pour ses salariés lorsqu'ils travaillent sur un plancher technique.

Il n'est pas contesté par l'employeur que la chute de M. [K] est liée au mauvais positionnement d'une plaque de caillebotis, un des rebords sur lequel la plaque reposait n'était pas assez large pour supporter le poids d'une personne, et à la bascule de cette plaque.

M. [K] met en exergue l'absence de vérification du montage du plancher technique puisqu'une plaque a basculé sous son poids et l'absence de balisage de la zone en communiquant des photos du site.

La société communique à la cour un plan de balisage du site mais ne démontre pas que ce balisage était bien effectif. Elle critique en outre la réalité des photos communiquées sans pour autant adresser à la cour d'autres photos permettant de contredire celles communiquées par M. [K]. Enfin, la société ne justifie pas avoir bien vérifié le montage du plancher technique ou avoir pris les mesures nécessaires pour stabiliser ce dernier ou avoir alerté les salariés d'une vigilance concernant ce plancher technique.

Par ailleurs, il est établi par le mail du 23 juillet 2020 du cabinet d'ingénierie conception et réalisation qu'aussitôt après l'accident, la société a modifié le plancher technique et a créé de nouveaux cheminements pour accéder au poste de travail.

Il est donc démontré que la société n'avait pas mis en oeuvre au moment de l'accident les mesures de protection nécessaires pour éviter toute mise en danger de ses salariés sur ce plancher technique pourtant prévues dans le document unique d'évaluation des risques, la longue expérience de M. [K] ne dispensant pas l'employeur de mettre concrètement en oeuvre ces mesures de sécurité.

Le jugement déféré qui a retenue la faute inexcusable de la société sera confirmé de ce chef.

Sur les conséquences de la faute inexcusable

C'est à bon droit que les premiers juges ont sursis à statuer sur la demande de majoration de la rente dans l'attente de la consolidation ou la guérison de M. [K], ce dernier n'étant toujours pas consolidé à l'audience devant la cour de céans.

Le prononcé d'une expertise afin d'évaluer les préjudices de M. [K] sera aussi confirmé dont la mise en oeuvre et le suivi relève des premiers juges.

Au regard de la blessure de M. [K] qui n'est toujours pas consolidé ou guéri ce jour soit plus de 4 ans après l'accident, c'est à bon droit que les premiers juges ont accordé à l'assuré une provision de 3 000 euros à valoir sur l'indemnisation à venir de ses préjudices. Le jugement déféré sera confirmé de ce chef.

Il sera en outre confirmé que la caisse est fondée à recouvrer à l'encontre de la société le montant de la provision accordée et qu'elle aura avancée outre les indemnisations complémentaires qui seront éventuellement accordées postérieurement ainsi que les frais d'expertise.

Sur les frais du procès

Le jugement qui a réservé les dépens et condamné la société à verser la somme de 1 500 euros à M. [K] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile sera confirmé.

La société, qui succombe, est tenue aux dépens d'appel.

Il est contraire à l'équité de laisser à M. [K] et à la caisse la charge des frais non compris dans les dépens, restés à leurs charges. La société devra payer à M. [K] la somme de 1 500 euros et à la caisse la somme de 500 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour

CONFIRME la décision déférée en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

CONDAMNE la société [2] aux dépens d'appel,

CONDAMNE la société [2] à payer à M. [U] [K] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société [2] à payer à la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Signé par monsieur Eric Veyssière, président, et par madame Sylvaine Déchamps, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

S. Déchamps E. Veyssière


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section b
Numéro d'arrêt : 22/05010
Date de la décision : 11/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-11;22.05010 ?
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