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11/07/2024 | FRANCE | N°21/07085

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, 1ère chambre civile, 11 juillet 2024, 21/07085


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



1ère CHAMBRE CIVILE



--------------------------







ARRÊT DU : 11 JUILLET 2024









N° RG 21/07085 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MPPT









[I] [F]



c/



[N] [V]

CPAM DE LA GIRONDE

























Nature de la décision : AU FOND























Grosse

délivrée le :



aux avocats

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 08 novembre 2021 par le Tribunal Judiciaire de BORDEAUX (chambre : 6, RG : 20/00145) suivant déclaration d'appel du 24 décembre 2021





APPELANT :



[I] [F]

né le [Date naissance 3] 1967 à [Localité 5]

de nationalité Française

demeurant [Adresse 2]



repré...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

1ère CHAMBRE CIVILE

--------------------------

ARRÊT DU : 11 JUILLET 2024

N° RG 21/07085 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MPPT

[I] [F]

c/

[N] [V]

CPAM DE LA GIRONDE

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 08 novembre 2021 par le Tribunal Judiciaire de BORDEAUX (chambre : 6, RG : 20/00145) suivant déclaration d'appel du 24 décembre 2021

APPELANT :

[I] [F]

né le [Date naissance 3] 1967 à [Localité 5]

de nationalité Française

demeurant [Adresse 2]

représenté par Maître Pierre-olivier BALLADE de la SELARL BALLADE-LARROUY, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉES :

[N] [V]

née le [Date naissance 4] 1946 à [Localité 7]

de nationalité Française,

demeurant [Adresse 1]

représentée par Maître VERNARDAKIS substituant Maître Julie JULES de la SCP DEFFIEUX - GARRAUD - JULES, avocat au barreau de BORDEAUX

CPAM DE LA GIRONDE agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 6]

non représentée, assignée à personne habilitée

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 29 avril 2024 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Emmanuel BREARD, Conseiller, qui a fait un rapport oral de l'affaire avant les plaidoiries,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Président : Madame Paule POIREL

Conseiller : Mme Bérengère VALLEE

Conseiller : M. Emmanuel BREARD

Greffier lors des débats : Madame Véronique SAIGE

ARRÊT :

- réputé contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE.

En juin 2017, le Dr [I] [F], chirurgien-dentiste, a posé deux implants dentaires destinés à stabiliser une prothèse amovible complète à Mme [N] [V]. Elle s'est plaint rapidement de douleurs continues et de l'instabilité de la prothèse mandibulaire.

Après avoir été examinée par le Dr [C] mandaté par son assurance protection juridique, Mme [V] a saisi la Commission régionale de conciliation et d'indemnisation (CCI).

Après expertise du Dr [L], la CCI s'est déclarée incompétente estimant que le préjudice subi n'atteignait pas les seuils de gravité prévus par l'article D. 1142-1 du code de la santé publique.

Par acte d'huissier de justice du 27 décembre 2019, Mme [V] a assigné devant le tribunal judiciaire de Bordeaux le Dr [F] pour voir indemniser son préjudice.

Par actes d'huissier de justice du 29 janvier 2020, Mme [V] a assigné aux fins de mise en cause devant le tribunal judiciaire de Bordeaux la société Allianz Iard en sa qualité d'assureur du Dr [F] ainsi que la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Gironde en sa qualité de tiers payeur.

Par jugement réputé contradictoire du 8 novembre 2021 le tribunal judiciaire de Bordeaux a :

- dit que le droit à indemnisation de Mme [V] est entier,

- fixé le préjudice subi par Mme [V] à la somme totale de 6 000 euros suivant le détail suivant :

* dépenses de santé actuelle : 4 000 euros,

* souffrances endurées : 2 000 euros,

- condamné le Dr [F] à payer à Mme [V] la somme de 6000 euros au titre de la réparation de son préjudice corporel,

- déclaré le jugement commun à la CPAM de la Gironde,

- condamné le Dr [F] à payer à Mme [V] la somme de 1 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que les sommes allouées ci dessus porteront intérêts au taux légal à compter de ce jugement,

- condamné le Dr [F] aux dépens, et dit que les avocats en la cause en ayant fait la demande pourront, chacun en ce qui le concerne, recouvrer sur la partie condamnée ceux des dépens dont ils auraient fait l'avance sans avoir reçu provision en application de l'article 699 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire,

- rejeté les autres demandes des parties.

M. [F] a relevé appel de ce jugement par déclaration du 24 décembre 2021, en ce qu'il a :

- dit que le droit à indemnisation de Mme [V] est entier,

- fixé le préjudice subi par Mme [V] à la somme totale de 6 000 euros suivant le détail suivant :

* dépenses de santé actuelle : 4 000 euros,

* souffrances endurées : 2 000 euros,

- condamné le Dr [F] à payer à Mme [V] la somme de 6000 euros au titre de la réparation de son préjudice corporel,

- déclaré le jugement commun à la CPAM de la Gironde,

- condamné le Dr [F] à payer à Mme [V] la somme de 1 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que les sommes allouées ci dessus porteront intérêts au taux légal à compter de ce jugement,

- condamné le Dr [F] aux dépens, et dit que les avocats en la cause en ayant fait la demande pourront, chacun en ce qui le concerne, recouvrer sur la partie condamnée ceux des dépens dont ils auraient fait l'avance sans avoir reçu provision en application de l'article 699 du code de procédure civile.

Par conclusions déposées le 23 mars 2022, M. [F] demande à la cour de :

- déclarer recevable et bien fondé l'appel de M. [F],

En conséquence,

- infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau et faisant ce que le premier juge aurait dû faire,

Au principal,

- prononcer la nullité de l'acte introductif d'instance pour signification irrégulière,

Au subsidiaire,

- écarter des débats les rapports d'expertises "officieuses" produits par Mme [V],

- juger que le Docteur [F] n'a commis aucune faute,

- juger que Mme [V] a commis une faute qui a contribué à son dommage,

- juger que les professionnels du cabinet du Dr [B] [Z] ont également contribué à la réalisation du dommage de Mme [V],

- infirmer le jugement du 8 novembre 2021 en ce qu'il a condamné M. [F],

Et statuant de nouveau :

- débouter Mme [V] de l'ensemble de ses demandes comme étant infondées,

En tout état de cause :

- condamner Mme [V] à payer à M. [F] la somme de 3 000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire,

- condamner Mme [V] à payer à M. [F] une somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mme [V] en outre aux dépens en application de l'alinéa 1er de l'article 696 du code de procédure civile,

- déclarer le jugement commun à la CPAM de la Gironde

Par dernières conclusions déposées le 20 juin 2022, Mme [V], demande à la cour de :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal judiciaire de Bordeaux du 8 novembre 2021,

Y ajoutant

- condamner le Dr [F] au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens

La CPAM de la Gironde n'a pas constitué avocat. Elle a été régulièrement assignée.

Par message RPVA du 15 avril 2024, l'avocat de Mme [V] demande le rejet des conclusions du 12 avril 2024 pour défaut du respect du contradictoire.

L'affaire a été fixée à l'audience rapporteur du 29 avril 2024.

L'instruction a été clôturée par ordonnance du 15 avril 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION.

I Sur les conclusions déposées le 12 avril 2024 par M. [F].

La partie intimée sollicite le rejet de ces conclusions soulevant une demande nouvelle d'expertise au motif que celles-ci sont intervenues le vendredi 12 avril 2024, soit trois jours avant la date de clôture. Elle rappelle que les conclusions précédentes dataient du 20 juin 2022, que la fixation est intervenue le 13 décembre 2023 et qu'elle n'a pas été en mesure de répondre à la question de l'expertise.

La partie appelante indique pour sa part qu'il ne s'agit que d'une mise à jour, estimant en outre la demande d'expertise importante. Elle ne s'oppose pas à un rabat de l'ordonnance de clôture afin de permettre à son adversaire de répliquer.

***

Il résulte de l'article 15 du code de procédure civile que les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacune soit à même d'organiser sa défense.

L'article 16 du même code prévoit que ' Le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.

Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement.

Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations.'

La cour observe que le délai laissé par la partie appelante aux fins de répondre à ses conclusions du 12 avril 2024, alors qu'elle avait la possibilité de prendre de telles écritures dans un délai raisonnable en connaissance de la date de fixation de la clôture, ne saurait être suffisant pour permettre à la partie intimée de faire valoir ses observations.

D'ailleurs, au vu de l'importance pour les parties de la question d'une expertise judiciaire au vu des contestations émises, il sera souligné la nécessité du respect strict du principe contradictoire sur ce point.

C'est pourquoi les conclusions déposées au greffe le 12 avril 2024 seront déclarées irrecevables et la cour se référera uniquement à celles transmises le 23 mars 2022.

II Sur la nullité de l'assignation en date du 27 décembre 2019.

M. [F] soutient que la signification de l'assignation du 27 décembre 2019 est nulle pour défaut de tentative de signification à personne ou à domicile.

Arguant des articles 114, 654, 655, 656 et 693 du code de procédure civile, il avance que l'huissier de justice ayant procédé à la signification de l'acte litigieux ne justifie pas avoir effectué les vérifications nécessaires pour une remise à personne, s'étant uniquement assuré de la présence du nom du destinataire sur une plaque. Il estime que cet élément permet de vérifier seulement si l'intéressé exerce une profession à l'endroit où il est posé, pas à caractériser une impossibilité de signifier à personne ou à domicile. Il souligne que le lieu concerné est celui où il exerce son activité professionnelle et non celui où il demeure. Il en déduit une insuffisance des démarches intentées à son égard et une nullité de l'acte.

Mme [V] relève pour sa part que M. [F] n'a pas à ce jour communiqué d'autre adresse dans le cadre de la présente instance et qu'elle ne dispose d'aucune autre adresse, alors que son adversaire s'est présenté à une réunion d'expertise suite à des convocations à cette même adresse.

Elle remarque par ailleurs que la signification à personne a également été empêchée par l'absence de réponse aux appels de l'huissier de justice instrumentaire, donc de son absence physique et qu'il ne saurait être opposé de grief à ce titre.

Elle insiste sur le fait que M. [F] a reçu un acte de passage déposé dans son cabinet dentaire, lieu où il exerce et qu'il a mentionné comme étant son domicile et alors qu'il s'est présenté aux convocations remises à cette adresse suite aux procédures intentées devant la CCI, le conseil de l'ordre et a interjeté appel de la décision signifié à ce même endroit.

Elle conteste toute irrégularité et que cet élément cause grief à l'appelant.

***

L'article 654 du code de procédure civile énonce que 'La signification doit être faite à personne.

La signification à une personne morale est faite à personne lorsque l'acte est délivré à son représentant légal, à un fondé de pouvoir de ce dernier ou à toute autre personne habilitée à cet effet'.

L'article 655 du même code précise que 'Si la signification à personne s'avère impossible, l'acte peut être délivré soit à domicile, soit, à défaut de domicile connu, à résidence.

L'huissier de justice doit relater dans l'acte les diligences qu'il a accomplies pour effectuer la signification à la personne de son destinataire et les circonstances caractérisant l'impossibilité d'une telle signification.

La copie peut être remise à toute personne présente au domicile ou à la résidence du destinataire.

La copie ne peut être laissée qu'à condition que la personne présente l'accepte et déclare ses nom, prénoms et qualité.

L'huissier de justice doit laisser, dans tous ces cas, au domicile ou à la résidence du destinataire, un avis de passage daté l'avertissant de la remise de la copie et mentionnant la nature de l'acte, le nom du requérant ainsi que les indications relatives à la personne à laquelle la copie a été remise.'

L'article 656 du code de procédure civile dispose ' Si personne ne peut ou ne veut recevoir la copie de l'acte et s'il résulte des vérifications faites par l'huissier de justice, dont il sera fait mention dans l'acte de signification, que le destinataire demeure bien à l'adresse indiquée, la signification est faite à domicile. Dans ce cas, l'huissier de justice laisse au domicile ou à la résidence de celui-ci un avis de passage conforme aux prescriptions du dernier alinéa de l'article 655. Cet avis mentionne, en outre, que la copie de l'acte doit être retirée dans le plus bref délai à l'étude de l'huissier de justice, contre récépissé ou émargement, par l'intéressé ou par toute personne spécialement mandatée.

La copie de l'acte est conservée à l'étude pendant trois mois. Passé ce délai, l'huissier de justice en est déchargé.

L'huissier de justice peut, à la demande du destinataire, transmettre la copie de l'acte à une autre étude où celui-ci pourra le retirer dans les mêmes conditions'.

L'article 114 du code de procédure civile mentionne que 'Aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n'en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d'inobservation d'une formalité substantielle ou d'ordre public.

La nullité ne peut être prononcée qu'à charge pour l'adversaire qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité, même lorsqu'il s'agit d'une formalité substantielle ou d'ordre public'.

Il ressort des pièces versées aux débats que la signification de l'assignation ayant initié le présent litige a été remise à étude d'huissier le 27 décembre 2019.

Il résulte de cet acte que l'huissier de justice s'est présenté à la seule adresse connue du docteur [F], qui ne justifie pas en avoir d'autre en l'état, et qu'en l'absence de personne répondant à ses appels, il a effectué une remise à étude d'huissier.

Il n'est pas établi par M. [F] que l'huissier de justice n'a pas tenté de le rencontrer et donc que les dispositions de l'article 654 du code de procédure civile n'ont pas été respectées, l'officier ministériel n'ayant aucune obligation à se présenter à nouveau.

En revanche, il est exact qu'il n'est pas justifié que l'adresse litigieuse ait fait l'objet d'autres vérifications de la part de l'huissier instrumentaire en dehors du nom du destinataire sur une plaque professionnelle.

Cette seule formalité n'est en effet pas suffisante et se devait d'être confirmée par d'autres éléments (en ce sens en particulier 2ème chambre civile de la Cour de Cassation le 4 mars 2021 n°19-25.291).

Néanmoins, cette absence de remise régulière de l'assignation n'a pas causé de grief à M. [F] au sens de l'article 114 du code de procédure civile en ce que ce dernier ne conteste pas avoir reçu le courrier prévu à l'article 659 du même code dans les jours qui ont suivi, qu'il verse d'ailleurs aux débats (pièce 3 de l'appelant). Cet élément démontre d'ailleurs que l'argument tiré du fait qu'il s'agit uniquement du lieu de travail de l'intéressé ne saurait lui aussi être retenu en ce que M. [F] a été avisé très rapidement de la présente procédure et donc que ce mode de délivrance était parfaitement adapté. Mieux, il ressort de la procédure que son assureur, la société Allianz Iard, a fait l'objet d'une assignation régulière par voie séparée le 29 janvier 2020, lui permettant encore une fois d'être informé de la présente procédure. Enfin, la décision attaquée ayant été rendue le 8 novembre 2021, M. [F] a eu le temps nécessaire afin d'assurer sa défense.

Il s'ensuit que l'assignation précitée sera déclarée régulière et que ce moyen sera rejeté.

III Sur la régularité des expertises versées aux débats.

M. [F] reproche, au visa des articles 6 § 1 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 16 du code de procédure civile, aux expertises communiquées par Mme [V], à savoir celles du docteur [C] du 20 novembre 2017 sollicitée par l'assureur juridique de l'intimée et du docteur [L] du 7 février 2019 sollicitée par son adversaire et la CCI de ne pas être contradictoires.

Il note en ce sens que la première a été réalisée hors de sa présence, qu'il n'a pas pu faire d'observations et que la seconde ne lui a permis que de répondre aux questions du tiers désigné, mais non de faire valoir ses explications.

Il indique en particulier qu'il n'a pas pu faire valoir qu'il n'a pas réalisé la totalité du suivi post-opératoire lors de ces opérations techniques, ni devant le premier juge, alors que ces documents ont permis sa condamnation, raison pour laquelle il entend que la décision attaquée soit infirmée.

Mme [V] affirme que la communication d'un rapport d'expertise judiciaire est un élément de preuve recevable et que si un juge du fond ne peut se fonder exclusivement sur une expertise amiable, ce dernier peut être corroboré par tout autre élément de preuve versé aux débats.

Elle note que non seulement deux rapports ont été communiqués par ses soins, mais en outre qu'il appartient à son adversaire de solliciter une expertise judiciaire s'il estime ces éléments insuffisants et que l'intéressé était présent devant la CCI.

***

Vu l'article 16 du code de procédure civile précité.

En vertu de l'article 9 du même code, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.

Il apparaît au vu des éléments précités que les deux expertises amiables, en ce qu'elles ont pu faire l'objet d'un débat devant le premier juge, sont recevables comme élément de preuve devant la cour. En revanche, il appartiendra lors de l'examen de la responsabilité du Dr [F] d'examiner leur caractère probatoire, notamment au vu de l'analyse opérée et des reproches quant à la méthodologie retenue par les hommes de l'art.

Cet argument sera donc rejeté.

IV Sur l'infirmation de la décision attaquée en ce qu'elle repose sur l'autorité de la chose jugée attachée à la décision de la chambre disciplinaire de première instance du 20 avril 2018.

L'appelant conteste la motivation du jugement attaqué en ce que, selon ses dires, celui-ci s'en est remis à l'appréciation développée par la décision de la chambre disciplinaire de première instance Aquitaine.

Il admet que cette juridiction l'a condamné à un mois d'interdiction d'exercice de la profession de chirurgien dentiste, dont 15 jours avec sursis à titre disciplinaire.

Il met en avant, à la lecture de l'article L.4122-3 I et VI du code de la santé publique, que le jugement attaqué ne peut se voir imposer l'autorité de la chose jugée par une décision d'une instance disciplinaire.

Il considère que le premier juge, en ce qu'il a fait reposer sa décision sur cet élément, ne pourra être qu'infirmé.

Mme [V] oppose à cet argumentaire le fait que la décision objet du présent appel n'évoque qu'à une occasion l'instance disciplinaire pour la rapprocher de l'engagement de la responsabilité civile de l'appelant. Elle note que cette dernière responsabilité résulte d'une motivation détaillée à laquelle il n'a pas été opposé d'élément par son adversaire qui était défaillant.

***

La cour relève que le premier juge a mentionné en page 5 de sa décision que 'Enfin, il n'est rapporté aucun élément justifiant d'une surveillance de la patiente par un contrôle radiographique et biologique. Ce manquement vient notamment motiver la décision du 20 avril 2018 de la chambre disciplinaire de première instance d'Aquitaine qui condamne le docteur [F] à une interdiction d'exercer la profession de chirurgien dentiste pendant un mois dont quinze jours avec sursis.

En conséquence, il convient de retenir que le docteur [F] a eu un comportement fautif puisque celui-ci a manqué aux règles de l'art tant au moment de l'indication thérapeutique que dans la mise en place et le suivi du traitement'.

S'il ne peut exister d'autorité de la chose jugée au disciplinaire sur le civil, cela n'interdit pas au juge de faire référence à des éléments de la sanction disciplinaire dès lors que sa décision ne repose pas sur ces seuls éléments de sorte que c'est sans encourir la critique que le tribunal après avoir retenu la responsabilité de M. [F] a relevé que le juge disciplinaire avait également sanctionné ce manquement.

Dès lors, aucun reproche ne saurait être retenu et la décision attaquée sera confirmée de ce chef.

V Sur la faute de M. [F].

L'appelant se prévaut en premier lieu à ce propos d'une faute de la victime, soutenant que sa patiente a rempli et signé un engagement de soins intitulé 'Reconnaissance de traitement' lors duquel l'intéressée a déclaré avoir pris connaissance des conditions imposées par le docteur [I] [F], quant à l'hygiène et aux multiples contrôles auxquels elle devrait se soumettre auprès le traitement.

Or, il remarque que l'intimée ne s'est pas rendue à tous ses rendez-vous, préférant se faire suivre par d'autres professionnels, l'empêchant de procéder au contrôle post opérateur nécessaire au traitement, destiné à détecter d'éventuelles complications et à les prendre en charge.

Il considère que ces manquements à ce suivi sont constitutifs d'une faute de la part de Mme [V] et qu'ils sont à l'origine de son préjudice, ce qui l'exonère de toute responsabilité.

Il argue également que l'intimée a été suivie par le cabinet du docteur [B] [Z], dans le cadre de cinq rendez-vous pendant tout le premier trimestre 2015, puis jusqu'au mois de janvier 2018. Il en déduit que le suivi post opératoire a été effectué en dehors de son contrôle et souligne qu'un chirurgien dentiste de ce cabinet a admis une erreur médicale en posant deux prothèses en décembre 2015 par-dessus un foyer inflammé.

Il estime que ces faits ont contribué au dommage de Mme [V] et l'exonèrent de toute responsabilité.

Surtout, il considère qu'il n'a commis aucune faute, en l'absence de facteur de risque incompatible avec la pose des implants ressortant du bilan pré opératoire effectué, le diabète de sa patiente étant stabilisé et ayant respecté le protocole médical relatif au produit devant être implanté.

***

Il résulte des dispositions combinées des articles L.1142-1 I et R.4127-32 du code de la santé publique que, hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute.

Il est ainsi admis que la responsabilité du médecin, qui n'est tenu qu'à une obligation de moyens dans la réalisation des actes médicaux susvisés, ne peut être engagée qu'en cas de faute dont il résulte pour le patient un préjudice en relation de causalité directe et certaine.

Le docteur [C], lors de ses conclusions du 20 novembre 2017, mentionne 'De plus la situation actuelle est très préjudiciable pour la santé générale de la patiente. En effet, l'infection péri implantaire chronique peut aggraver fortement le diabète de type 1 comportant des complications de type neuropathiques. Cette situation évolutive depuis 2014 doit cesser dans un tel contexte médical et nécessite dans les meilleurs délais la dépose des deux implants.

La responsabilité du docteur [I] [F] peut être engagée sur deux plans :

- l'absence de traitement des infections péri implantaires dans un contexte médical fragile,

- le défaut de conception des attachements supra implantaires.' (Pièce 7 de l'intimée).

Le docteur [L] relève quant à lui l'absence de questionnaire médicale de la patiente, de preuve d'un contact avec le médecin traitant de l'intimée de la part de l'appelant. Il reconnaît qu'un scanner a été présenté par le docteur [F] à titre d'étude préalable et met en évidence un risque lié à la faible épaisseur osseuse vestibulaire. Il met également en avant lors de la discussion effectuée par ses soins que le praticien a également ignoré lors de la pose des implants que les normes biologiques de Mme [V] en matière de diabète dépassaient les seuils supérieurs acceptables, ce qui exposait celle-ci à un danger. Il indique encore qu'il ne semble pas y avoir eu de surveillance appropriée en l'absence de scanner post opératoire ou de panoramique dentaire, ce qui lui semblait nécessaire du fait du fait de la fragilité de la patiente. Il rappelle que les soins supportés sont pénibles et qu'ils ont dû être refaits et retient un score de 1,5/7 au titre des souffrances endurées (pièce 8 de l'intimée).

Ces éléments, qui constituent des indices concordants, sont en outre corroborés par les éléments médicaux retenus par la chambre disciplinaire de première instance d'Aquitaine de l'ordre des chirurgiens dentistes du 10 mars 2018 concernant M. [F] (pièce 6 de l'intimée). En effet, cette décision retient à la charge de l'appelant une absence de traitement d'infections péri-implantaires dans un contexte médical fragile, un défaut de conception des attachements supra-implantaires.

Il ressort de l'ensemble de ces éléments que le docteur [F] a commis des manquements lors de la pose des implants, faute d'avoir pris en compte les éléments relatifs à l'état de santé de sa patiente qui étaient pourtant connus et qu'il pouvait retrouver. Ainsi, faute d'avoir eu les renseignements quant au diabète de Mme [V], il n'a pu réaliser un traitement adapté, seul responsable des douleurs mise en avant par la patiente et à l'origine des frais médicaux de pose d'implants selon les avis médicaux donnés.

A ce propos, sans même qu'il soit nécessaire de se référer au suivi du traitement, il existe des comportements fautifs de la part du professionnel de santé qui n'a pas rempli l'ensemble des obligations à sa charge.

De même, M. [F] ne saurait opposer à ce titre une faute de la part de sa patiente, celle-ci n'étant alléguée qu'au titre du suivi de la pose d'implant.

Surtout, s'il se prévaut d'une faute d'un autre chirurgien dentiste, il lui appartient non seulement de caractériser celle-ci, mais également d'établir un lien de causalité entre celle-ci et les préjudices mis en avant par sa patiente.

Or, outre que les deux consultations versées aux débats établissent un lien avec uniquement son intervention et non celle d'un tiers, il met en avant le mail du docteur [S] [J] qui déclare 'Suite à la demande de notre patiente, j'ai réalisé deux prothèses amovibles complètes (HDLD035) en décembre qui ont été par la suite stabilisée par mon collaborateur en octobre 2016" (pièce 9 de l'appelant), mais qui ne saurait établir un quelconque lien de causalité avec les faits objets du présent litige.

Par conséquent, il convient de retenir qu'aucune des contestations élevées par M. [F] à l'encontre du jugement attaqué n'est fondée, qu'il sera donc débouté de ses prétentions et que le jugement du 8 novembre 2021 sera confirmé à propos de sa responsabilité.

VI Sur la demande en dommages et intérêts de M. [F] pour procédure abusive.

L'appelant estime que la présente procédure est vexatoire, n'a que pour but de battre monnaie, ce qui la rend abusive et fonde sa demande d'indemnisation.

La cour constate, que ce soit sur le fondement de l'article 1240 du code civil ou 32-1 du code de procédure civile, qu'il est exigé une faute de la part d'une partie pour qu'une procédure soit déclarée abusive. Néanmoins, en ce qu'il a été fait droit aux prétentions de Mme [V] à propos de la responsabilité de M. [F] et que la décision attaquée a été confirmée, il n'existe aucune faute de la part de la requérante.

Aussi cette demande sera-t-elle rejetée.

VII Sur les demandes annexes.

En application de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

Au vu de ce qui précède, l'équité exige que M. [F] soit condamné à verser à Mme [V] une somme de 2.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la présente procédure d'appel.

Aux termes de l'article 696 alinéa premier du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. Sur ce fondement, M. [F], qui succombe au principal, supportera la charge des entiers dépens.

LA COUR, PAR CES MOTIFS,

Déclare irrecevables les conclusions de M. [F] déposées au greffe le 12 avril 2024 ;

Rejette la demande de M. [F] tendant à déclarer nulle l'assignation en date du 27 décembre 2019 ;

Confirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Bordeaux le 8 novembre 2021 ;

Y ajoutant,

Rejette la demande de M. [F] en dommages et intérêts pour procédure abusive ;

Condamne M. [F] à régler à Mme [V] une somme de 2.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la présente procédure d'appel ;

Condamne M. [F] aux entiers dépens de la présente instance.

Le présent arrêt a été signé par Madame Paule POIREL, président, et par Madame Véronique SAIGE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre civile
Numéro d'arrêt : 21/07085
Date de la décision : 11/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-11;21.07085 ?
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