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11/07/2024 | FRANCE | N°21/06543

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, 1ère chambre civile, 11 juillet 2024, 21/06543


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



1ère CHAMBRE CIVILE



--------------------------







ARRÊT DU : 11 JUILLET 2024









N° RG 21/06543 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MOCH









[M] [I]



c/



[U] [D]

[J] [D]

MUTUALITE SOCIALE AGRICOLE DE LA GIRONDE

























Nature de la décision : AU FOND















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Grosse délivrée le :



aux avocats

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 03 novembre 2021 par le Tribunal Judiciaire de BORDEAUX (chambre : 6, RG : 17/07165) suivant déclaration d'appel du 30 novembre 2021





APPELANT :



[M] [I]

de nationalité Française,

demeurant [Adresse 9]



représenté par Maî...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

1ère CHAMBRE CIVILE

--------------------------

ARRÊT DU : 11 JUILLET 2024

N° RG 21/06543 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MOCH

[M] [I]

c/

[U] [D]

[J] [D]

MUTUALITE SOCIALE AGRICOLE DE LA GIRONDE

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 03 novembre 2021 par le Tribunal Judiciaire de BORDEAUX (chambre : 6, RG : 17/07165) suivant déclaration d'appel du 30 novembre 2021

APPELANT :

[M] [I]

de nationalité Française,

demeurant [Adresse 9]

représenté par Maître Eugénie SIX de la SELARL ETCHE AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉS :

[U] [D]

née le [Date naissance 6] 1974 à [Localité 15]

de nationalité Française,

demeurant [Adresse 4]

[J] [D]

né le [Date naissance 8] 1975 à [Localité 15]

de nationalité Française,

demeurant [Adresse 5]

représentés par Maître Michel PUYBARAUD de la SELARL MATHIEU RAFFY - MICHEL PUYBARAUD, avocat postulant au barreau de BORDEAUX, et assistés de Maître Jean-christophe COUBRIS de la SELARL COUBRIS ET ASSOCIES, avocat plaidant au barreau de BORDEAUX

MUTUALITE SOCIALE AGRICOLE DE LA GIRONDE agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 3]

représentée par Maître COULAUD substituant Maître Françoise PILLET de la SELARL COULAUD-PILLET, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 25 mars 2024 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Emmanuel BREARD, Conseiller, qui a fait un rapport oral de l'affaire avant les plaidoiries,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Président : Madame Paule POIREL

Conseiller : Mme Bérengère VALLEE

Conseiller : M. Emmanuel BREARD

Greffier lors des débats : Madame Véronique SAIGE

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

* * *

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE

Mme [U] [D] est atteinte, de sclérose en plaques depuis 1996, maladie diagnostiquée en 2000 avec instauration en 2002 d'un traitement par acétate de glatiramére (COPAXONE) remplacé en 2004 par un traitement par interferon (AVONEX) suite à une réaction cutanée.

Le 2 février 2009, Mme [D] a consulté, pour la première fois, le Dr [M] [I] qui l'a ensuite régulièrement suivie. A Pâques 2009, en octobre 2010 et en février 2011, Mme [D] a présenté de nouvelles poussées de sa maladie. Suite à cette dernière poussée, il a été décidé de changer de traitement de fond pour le natalizumab (TYSABRI) par perfusion mensuelle commencée le 2 mai 2011 dans le service de médecine du centre hospitalier de [16] au site de [13] avec un suivi tous les 6 mois et une IRM par an.

Le 4 mars 2013, il a été pratiqué pour la première fois une sérologie des anticorps du virus JC qui s'est avéré être positive.

Le 10 février 2015, Mme [D] a consulté le Dr [I] pour un déficit moteur du membre supérieur gauche, qu'il a interprété comme une atteinte d'un nerf périphérique.

Le 24 février 2015, lors de l'hospitalisation de Mme [D] pour sa cure mensuelle de natalizumab, il était procédé à une IRM en raison de la présence d'un déficit moteur persistant.

Le 5 mars 2015, Mme [D] a de nouveau consulté le Dr [I] qui, au vu de l'aggravation du déficit de la main et des résultats de l'IRM, a prescrit des bolus de méthylprednisolone qui ont été effectués du 9 au 13 mars 2015 à l'Hôpital de [13].

Le 20 avril 2015, Mme [D] a revu le Dr [I] qui a constaté l'aggravation du déficit et a prescrit un dosage d'anticorps anti-natalizumab et l'a orienté vers un confrère rééducateur pour une réadaptation physique.

Le 19 juin 2015, Mme [D] a consulté le Dr [I] qui a constaté l'aggravation du déficit moteur central du membre supérieur gauche avec une atteinte à la fois distale et proximale et une spasticité se traduisant par des trépidations du membre lors du maintien en altitude.

Le 6 juillet 2015, le Dr [I] a demandé une IRM cérébrale. Mme [D] a poursuivi les perfusions mensuelles de natalizumab jusqu'au 10 juillet 2015.

Le 2 août 2015, Mme [D] s'est rendue aux Urgences du CHU de [Localité 11] pour la survenue de clonies brachui-faciales gauches, a été hospitalisée en service de neurologie où le diagnostic de Leucoencéphalopathie multifocale progressive (LEMP) a été posé. La prise en charge a été poursuivie par le CHU de [Localité 11].

Par actes du 18 décembre 2015 et du 7 janvier 2016, Mme [D] a fait assigner en référé le Dr [I] et l'ONIAM aux fins de voir désigner un Expert.

Par ordonnance du 15 février 2016, le juge des référés a fait droit à la demande de Mme [D] et a désigné le Dr [N] [O], neurologue.

Par ordonnance de remplacement d'expert du 7 mars 2016, le tribunal a désigné le Dr [E] [Y], neurologue qui a déposé son rapport le 21 novembre 2016 concluant à l'absence de consolidation.

Par actes d'huissier de justice des 30 juin et 6 juillet 2017, Mme [D] et son époux M. [D] ont assigné le Dr [I] et la MSA de la Gironde devant le tribunal judiciaire de Bordeaux aux fins notamment de voir déclarer le Dr [I] responsable du préjudice de Mme [D], le voir condamner au paiement d'une provision de 4 000 000 euros, voir ordonner un complément d'expertise confié au Dr [Y] et voir désigner un expert architecte pour l'aménagement du domicile.

Par ordonnance du 23 janvier 2018, le juge de la mis en état a :

- condamné le Dr [I] à payer à Mme [D] une provision d'un montant de 250 000 euros,

- débouté Mme [D] de sa demande d'expertise,

- invité Mme [D] à ressaisir le juge de la mise en état dans le délai minimum de 6 mois et en tout hypothèse, avec un certificat du Dr [W] ou d'un médecin spécialiste du service de neurologie du CHU de [Localité 11] attestant d'une consolidation définitive :

* condamné le Dr [I] à payer aux époux [D] une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile :

* joint les dépens de l'incident à ceux du fond.

Par actes d'huissier de justice des 17 et 19 février 2021, le Dr [I] a fait assigner le CHU de [Localité 11] et le Centre hospitalier [13] pour leur voir déclarer commune l'expertise qui pourrait être ordonnée par le tribunal. La procédure a été enregistrée sous le n° RG 21/1398.

Par ordonnance du 1er juin 2021, le juge de la mise en état a :

- rejeté la demande de jonction du dossier n° RG 21/1398 au dossier enrôlé suite à l'assignation du Dr [I] par Mme [D] et son époux.

- ordonné la clôture de l'instruction de l'affaire et fixé l'affaire pour être plaidée à l'audience collégiale du 1er septembre 2021.

Par jugement contradictoire du 3 novembre 2021 le tribunal judiciaire de Bordeaux a :

- rejeté les demandes du Dr [I] tendant à la révocation de la clôture des débats et au renvoi de l'affaire à une audience de mise en état,

- déclaré le Dr [I] responsable des conséquences de la survenue de la maladie de LEMP chez sa patiente Mme [D] et de ses conséquences,

- dit que le Dr [I] est tenu de réparer l'intégralité des préjudices de Mme [D] correspondant à son état actuel, lequel est consécutif au développement de la maladie de LEMP, aucun état antérieur lié à la sclérose en plaques qui était stabilisée ne pouvant être isolé,

- ordonné une nouvelle mesure d'expertise de Mme [D],

- commis pour y procéder conjointement :

* le Dr [Y] [E], Service de Neurologie [12] [Adresse 7], avec faculté de s'adjoindre tout sapiteur de son choix, notamment spécialisé en neuropsychologique,

* le Dr M. [R] [G] Diplôme d'architecte (DPLG) [Adresse 2] : [XXXXXXXX01] Mèl : [Courriel 10] avec faculté de s'adjoindre un sapiteur ergothérapeute qui auront pour mission de :

1) et 2) Se faire communiquer par les parties ou leurs conseils :

° les renseignements d'identité de la victime tous les éléments relatifs aux circonstances tant factuelles que psychologiques et affectives de l'accident,

° tous les éléments relatifs au mode de vie du blessé, antérieur à l'accident :

* degré d'autonomie fonctionnelle et intellectuelle par rapports aux actes élémentaires et élaborés de la vie quotidienne,

* conditions d'exercice des activités professionnelles,

* niveau d'études pour un étudiant,

* statut exact et / ou formation s'il s'agit d'un Mme [D] d'emploi et carrière professionnelle antérieure à l'acquisition de ce statut,

* activités familiales et sociales s'il s'agit d'une personne restant au foyer sans activité

professionnelle rémunérée,

° tous les éléments relatifs au mode de vie du blessé contemporain de l'expertise (degré

d'autonomie, statut professionnel..., lieu habituel de vie...).

* degré d'autonomie fonctionnelle et intellectuelle par rapports aux actes élémentaires et élaborés de la vie quotidienne, en rapport avec l'âge,

° ces mêmes éléments contemporains de l'expertise.

3) Après recueil de l'avis des parties, déduire de ces éléments d'information, le lieu ou les lieux, de l'expertise et prendre toutes les dispositions pour sa réalisation en présence le cas échéant d'un membre de l'entourage ou à défaut du représentant légal.

4) Recueillir de façon précise, au besoin séparément, les déclarations de la victime et du membre de son entourage :

° sur le mode de vie antérieure à l'accident,

° sur les doléances actuelles en interrogeant sur les conditions d'apparition des douleurs et de la gêne fonctionnelle, sur leur importance et sur leurs conséquences sur les actes élémentaires et élaborés de la vie quotidienne ;

5) Après discussion contradictoire en cas de divergence entre les déclarations ainsi recueillies et les documents produits,

° indiquer précisément le mode de vie du blessé antérieur à l'accident retenu pour déterminer l'incidence séquellaire :

* degré d'autonomie, d'insertion sociale et / ou professionnelle pour un adulte,

* degré d'autonomie en rapport avec l'âge, niveau d'apprentissage scolaire, soutien

pédagogique ... pour un enfant ou un adolescent,

° restituer le cas échéant, l'accident dans son contexte psycho-affectif, puis,

° avec retranscription intégrale du certificat médical initial, et totale ou partielle du ou des autres éléments médicaux permettant de connaître les principales étapes de l'évolution, décrire de façon la plus précise que possible les lésions initiales, les modalités du ou des traitements, les durées d'hospitalisation (périodes, nature, nom de l'établissement, service concerné), les divers retours à domicile (dates et modalités), la nature et la durée des autres soins et traitements prescrits imputables à l'accident,

° décrire précisément le déroulement et les modalités des 24 heures quotidiennes de la vie de la victime, au moment de l'expertise, et ce, sur une semaine, en cas d'alternance de vie entre structure spécialisée et domicile, en précisant, la répercussion sur la vie des autres membres de la famille.

6) Procéder à un examen clinique détaillé permettant :

° de décrire les déficits neuro-moteurs, sensoriels, orthopédiques et leur répercussion sur les actes et gestes de la vie quotidienne,

° d'analyser en détail les troubles des fonctions intellectuelles, affectives et du comportement, et leur incidence sur les facultés de gestion de la vie et d'insertion ou de réinsertion socio-économique s'agissant d'un adulte,

Si l'évaluation neuro-psychologique est indispensable : annexer un examen neuro-psychologique récent appréciant les fonctions intellectuelles et du comportement doit être réalisé.

7) Évaluer les séquelles aux fins de :

° fixer la durée du déficit fonctionnel temporaire total et du déficit fonctionnel temporaire partiel périodes pendant lesquelles pour des raisons médicales en relation directe, certaine et exclusive, avec l'accident, la victime a dû interrompre totalement ou partiellement ses activités habituelles,

° fixer la date de consolidation en établissant que les différents bilans et examens pratiqués prouvent la stagnation de la récupération des séquelles neurologiques et neuro-psychologiques,

° fixer le taux du déficit fonctionnel imputable à l'accident résultant de l'atteinte permanente d'une ou plusieurs fonctions persistant au moment de la consolidation. Préciser, en outre le taux de déficit fonctionnel actuel résultant à la fois de l'accident et d'un éventuel état antérieur,

° en cas de vie à domicile, se prononcer sur la nécessité pour le blessé d'être assisté par une tierce personne (cette évaluation ne devant pas être réduite en cas d'assistance familiale), nécessaire pour pallier l'impossibilité ou la difficulté d'effectuer les actes élémentaires mais aussi les actes élaborés de la vie quotidienne, et les conséquences des séquelles neuro-psychologiques quand elles sont à l'origine d'un déficit majeur d'initiative et / ou de troubles du comportement.

Dans l'affirmative, préciser si cette tierce personne doit, ou non, être spécialisée, ses attributions exactes ainsi que les durées respectives d'intervention de l'assistant spécialisé et de l'assistant non spécialisé. Donner à cet égard toutes précisions utiles. Se prononcer, le cas échéant, sur les modalités des aides techniques.

° Se prononcer sur l'aménagement éventuel du logement : décrire précisément l'ensemble des aménagements immobiliers et mobiliers ainsi que l'ensemble des équipements nécessaires et en chiffrer précisément le coût,

° après s'être entouré, au besoin, d'avis spécialisés, dire :

* si la victime est ou sera capable de poursuivre, dans les mêmes conditions, son activité professionnelle antérieure à l'accident,

* dans la négative, ou à défaut d'activité professionnelle antérieure à l'accident, si elle est ou sera capable d'exercer une activité professionnelle. Dans ce cas, en préciser les conditions d'exercice et les éventuelles restrictions ou contre-indications.

° dire si les frais médicaux, pharmaceutiques, para-médicaux, d'hospitalisation, d'appareillage et de transports postérieurs à la consolidation directement imputables à l'accident sont actuellement prévisibles et certains. Dans l'affirmative préciser lesquels et pour l'appareillage, le véhicule automobile et son aménagement, préciser la fréquence de leur renouvellement et leur surcoût.

° décrire les souffrances physiques et psychiques endurées du fait des blessures subies et les évaluer sur l'échelle habituelle de 7 degrés.

° décrire la nature et l'importance du dommage esthétique et l'évaluer sur l'échelle habituelle de 7 degrés.

° indiquer s'il existe ou existera un préjudice sexuel, de procréation, d'établissement.

° décrire le préjudice d'agrément, défini comme la perte de la qualité de vie de la victime.

8) Indiquer si l'état de la victime nécessite une mesure de protection judiciaire et notamment si elle est apte à gérer seule les fonds provenant de l'indemnisation.

9) Établir un récapitulatif de l'évaluation de l'ensemble des postes énumérés dans la mission.

- dit que l'expert prendra en considération les observations des parties ou de leurs conseils, dans les conditions de l'article 276 du code de procédure civile ;

- dit que Mme [D] devra consigner au régisseur d'avances et de recettes du tribunal judiciaire de Bordeaux avant le 1er janvier 2022 la somme de 4 000 euros, soit 2 000 euros pour chacun des 2 experts, à valoir sur leurs honoraires,

- dit que dans les deux mois, à compter de sa saisine, l'expert indiquera le montant de sa rémunération définitive prévisible afin que soit éventuellement ordonnée une provision complémentaire dans les conditions de l'article 280 du code de procédure civile et qu'à défaut d'une telle indication le montant de la consignation initiale constituera la rémunération définitive de l'expert,

- dit que l'expert sera saisi et effectuera sa mission conformément aux dispositions des articles 263 et suivants du code de procédure civile, et qu'il déposera son rapport au secrétariat de la Mise en État dans les 6 mois du jour où il aura été saisi de sa mission

- condamné le Dr [I] à payer à Mme [D] une provision complémentaire de 83 541,88 euros à valoir sur la liquidation de son préjudice corporel

- dit que pour vérification des diligences l'affaire sera appelée à l'audience de mise en état du 27 septembre 2022,

- condamné le Dr [I] à payer 2 000 euros à Mme [D] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- réservé les autres demandes des parties ainsi que les dépens,

- ordonné l'exécution provisoire de la décision.

M. [I] a relevé appel de ce jugement par déclaration du 30 novembre 2021, en ce qu'il a :

- rejeté les demandes du Dr [I] tendant à la révocation de la clôture des débats et au renvoi de l'affaire à une audience de mise en état,

- déclaré le Dr [I] responsable des conséquences de la survenue de la maladie de LEMP chez sa patiente Mme [D] et de ses conséquences,

- dit que le Dr [I] est tenu de réparer l'intégralité des préjudices de Mme [D] correspondant à son état actuel, lequel est consécutif au développement de la maladie de LEMP, aucun état antérieur lié à la sclérose en plaques qui était stabilisée ne pouvant être isolé,

- ordonné une nouvelle mesure d'expertise de Mme [D],

- commis pour y procéder conjointement :

* le Dr [Y] [E], Service de Neurologie [12] [Adresse 7], avec faculté de s'adjoindre tout sapiteur de son choix, notamment spécialisé en neuropsychologique,

* le Dr M. [R] [G] Diplôme d'architecte (DPLG) [Adresse 2] : [XXXXXXXX01] Mèl : [Courriel 10] avec faculté de s'adjoindre un sapiteur ergothérapeute qui auront pour mission de :

1) et 2) Se faire communiquer par les parties ou leurs conseils :

° les renseignements d'identité de la victime tous les éléments relatifs aux circonstances tant factuelles que psychologiques et affectives de l'accident,

° tous les éléments relatifs au mode de vie du blessé, antérieur à l'accident :

* degré d'autonomie fonctionnelle et intellectuelle par rapports aux actes élémentaires et élaborés de la vie quotidienne,

* conditions d'exercice des activités professionnelles,

* niveau d'études pour un étudiant,

* statut exact et / ou formation s'il s'agit d'un Mme [D] d'emploi et carrière professionnelle antérieure à l'acquisition de ce statut,

* activités familiales et sociales s'il s'agit d'une personne restant au foyer sans activité professionnelle rémunérée,

° tous les éléments relatifs au mode de vie du blessé contemporain de l'expertise (degré

d'autonomie, statut professionnel..., lieu habituel de vie...).

* degré d'autonomie fonctionnelle et intellectuelle par rapports aux actes élémentaires et élaborés de la vie quotidienne, en rapport avec l'âge,

° ces mêmes éléments contemporains de l'expertise.

3) Après recueil de l'avis des parties, déduire de ces éléments d'information, le lieu ou les lieux, de l'expertise et prendre toutes les dispositions pour sa réalisation en présence le cas échéant d'un membre de l'entourage ou à défaut du représentant légal.

4) Recueillir de façon précise, au besoin séparément, les déclarations de la victime et du membre de son entourage :

° sur le mode de vie antérieure à l'accident,

° sur les doléances actuelles en interrogeant sur les conditions d'apparition des douleurs et de la gêne fonctionnelle, sur leur importance et sur leurs conséquences sur les actes élémentaires et élaborés de la vie quotidienne ;

5) Après discussion contradictoire en cas de divergence entre les déclarations ainsi recueillies et les documents produits,

° indiquer précisément le mode de vie du blessé antérieur à l'accident retenu pour déterminer l'incidence séquellaire :

* degré d'autonomie, d'insertion sociale et / ou professionnelle pour un adulte,

* degré d'autonomie en rapport avec l'âge, niveau d'apprentissage scolaire, soutien

pédagogique ... pour un enfant ou un adolescent,

° restituer le cas échéant, l'accident dans son contexte psycho-affectif, puis,

° avec retranscription intégrale du certificat médical initial, et totale ou partielle du ou des autres éléments médicaux permettant de connaître les principales étapes de l'évolution, décrire de façon la plus précise que possible les lésions initiales, les modalités du ou des traitements, les durées d'hospitalisation (périodes, nature, nom de l'établissement, service concerné), les divers retours à domicile (dates et modalités), la nature et la durée des autres soins et traitements prescrits imputables à l'accident,

° décrire précisément le déroulement et les modalités des 24 heures quotidiennes de la vie de la victime, au moment de l'expertise, et ce, sur une semaine, en cas d'alternance de vie entre structure spécialisée et domicile, en précisant, la répercussion sur la vie des autres membres de la famille.

6) Procéder à un examen clinique détaillé permettant :

° de décrire les déficits neuro-moteurs, sensoriels, orthopédiques et leur répercussion sur les actes et gestes de la vie quotidienne,

° d'analyser en détail les troubles des fonctions intellectuelles, affectives et du comportement, et leur incidence sur les facultés de gestion de la vie et d'insertion ou de réinsertion socio-économique s'agissant d'un adulte,

Si l'évaluation neuro-psychologique est indispensable : annexer un examen neuro-psychologique récent appréciant les fonctions intellectuelles et du comportement doit être réalisé.

7) Évaluer les séquelles aux fins de :

° fixer la durée du déficit fonctionnel temporaire total et du déficit fonctionnel temporaire partiel périodes pendant lesquelles pour des raisons médicales en relation directe, certaine et exclusive, avec l'accident, la victime a dû interrompre totalement ou partiellement ses activités habituelles,

° fixer la date de consolidation en établissant que les différents bilans et examens pratiqués prouvent la stagnation de la récupération des séquelles neurologiques et neuro-psychologiques,

° fixer le taux du déficit fonctionnel imputable à l'accident résultant de l'atteinte permanente d'une ou plusieurs fonctions persistant au moment de la consolidation. Préciser, en outre le taux de déficit fonctionnel actuel résultant à la fois de l'accident et d'un éventuel état antérieur,

° en cas de vie à domicile, se prononcer sur la nécessité pour le blessé d'être assisté par une tierce personne (cette évaluation ne devant pas être réduite en cas d'assistance familiale), nécessaire pour pallier l'impossibilité ou la difficulté d'effectuer les actes élémentaires mais aussi les actes élaborés de la vie quotidienne, et les conséquences des séquelles neuro-psychologiques quand elles sont à l'origine d'un déficit majeur d'initiative et / ou de troubles du comportement.

Dans l'affirmative, préciser si cette tierce personne doit, ou non, être spécialisée, ses attributions exactes ainsi que les durées respectives d'intervention de l'assistant spécialisé et de l'assistant non spécialisé. Donner à cet égard toutes précisions utiles. Se prononcer, le cas échéant, sur les modalités des aides techniques.

° Se prononcer sur l'aménagement éventuel du logement : décrire précisément l'ensemble des aménagements immobiliers et mobiliers ainsi que l'ensemble des équipements nécessaires et en chiffrer précisément le coût,

° après s'être entouré, au besoin, d'avis spécialisés, dire :

* si la victime est ou sera capable de poursuivre, dans les mêmes conditions, son activité professionnelle antérieure à l'accident,

* dans la négative, ou à défaut d'activité professionnelle antérieure à l'accident, si elle est ou sera capable d'exercer une activité professionnelle. Dans ce cas, en préciser les conditions d'exercice et les éventuelles restrictions ou contre-indications.

° dire si les frais médicaux, pharmaceutiques, para-médicaux, d'hospitalisation, d'appareillage et de transports postérieurs à la consolidation directement imputables à l'accident sont actuellement prévisibles et certains. Dans l'affirmative préciser lesquels et pour l'appareillage, le véhicule automobile et son aménagement, préciser la fréquence de leur renouvellement et leur surcoût.

° décrire les souffrances physiques et psychiques endurées du fait des blessures subies et les évaluer sur l'échelle habituelle de 7 degrés.

° décrire la nature et l'importance du dommage esthétique et l'évaluer sur l'échelle habituelle de 7 degrés.

° indiquer s'il existe ou existera un préjudice sexuel, de procréation, d'établissement.

° décrire le préjudice d'agrément, défini comme la perte de la qualité de vie de la victime.

8) Indiquer si l'état de la victime nécessite une mesure de protection judiciaire et notamment si elle est apte à gérer seule les fonds provenant de l'indemnisation.

9) Établir un récapitulatif de l'évaluation de l'ensemble des postes énumérés dans la mission.

- dit que l'expert prendra en considération les observations des parties ou de leurs conseils, dans les conditions de l'article 276 du code de procédure civile ;

- dit que Mme [D] devra consigner au régisseur d'avances et de recettes du tribunal judiciaire de Bordeaux avant le 1er janvier 2022 la somme de 4 000 euros, soit 2 000 euros pour chacun des 2 experts, à valoir sur leurs honoraires,

- dit que dans les deux mois, à compter de sa saisine, l'expert indiquera le montant de sa rémunération définitive prévisible afin que soit éventuellement ordonnée une provision complémentaire dans les conditions de l'article 280 du code de procédure civile et qu'à défaut d'une telle indication le montant de la consignation initiale constituera la rémunération définitive de l'expert,

- dit que l'expert sera saisi et effectuera sa mission conformément aux dispositions des articles 263 et suivants du code de procédure civile, et qu'il déposera son rapport au secrétariat de la Mise en État dans les 6 mois du jour où il aura été saisi de sa mission

- condamné le Dr [I] à payer à Mme [D] une provision complémentaire de 83 541,88 euros à valoir sur la liquidation de son préjudice corporel,

- dit que pour vérification des diligences l'affaire sera appelée à l'audience de mise en état du 27 septembre 2022,

- condamné le Dr [I] à payer 2 000 euros à Mme [D] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- réservé les autres demandes des parties ainsi que les dépens,

- ordonné l'exécution provisoire de la décision.

Par dernières conclusions déposées le 24 mai 2022, M. [I] demande à la cour de :

- infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Bordeaux le 3 novembre 2021 en toutes ses dispositions

Statuant à nouveau,

A titre principal,

- débouter M. et Mme [D] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions

- condamner M. et Mme [D] à rembourser au Dr [I] les sommes provisionnelles allouées pour un montant total de 333 541,88 euros,

- condamner M. et Mme [D] au paiement de la somme 3 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

A titre subsidiaire

- ordonner, avant-dire droit, une contre-expertise médicale à tel expert qu'il plaira spécialisé en neurologie, avec outre la mission habituelle, celle d'examiner les clichés de l'IRM du 24 février 2015 puis de se prononcer sur l'imputabilité de l'IRIS et l'éventuelle perte de chance,

- fixer la somme à valoir sur les frais d'expertise que devra consignée le Dr [I],

- surseoir à statuer sur la responsabilité du Dr [I] dans l'attente du rapport de contre-expertise médicale.

Par dernières conclusions déposées le 25 mai 2022, les époux [D] demandent à la cour de :

- recevoir les consorts [D] en leurs présentes écritures et les y déclarer bien fondés, Y étant fait droit :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Bordeaux le 3 novembre 2021,

- déclarer le jugement opposable aux organismes sociaux,

- condamner les défendeurs au paiement de la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,

- débouter les défendeurs de toutes demandes contraires.

Par dernières conclusions déposées le 5 mai 2022, la caisse mutualiste sociale agricole de la Gironde (ci-après la MSA de la Gironde) demande à la cour de :

- déclarer la MSA de la Gironde recevable et bien fondée en ses écritures, demandes, fins, et prétentions,

En conséquence,

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 3 novembre 2021 par le tribunal judiciaire de Bordeaux,

- débouter M. [M] [I] de toutes ses demandes,

- condamner le Dr [M] [I] a verser à la MSA de la Gironde la somme de 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ainsi qu'aux entiers dépens d'appel.

L'affaire a été fixée à l'audience rapporteur du 25 mars 2024.

L'instruction a été clôturée par ordonnance du 11 mars 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la responsabilité médicale du docteur [I]

Il résulte des dispositions de l'article L.1142-1 I du code de la santé publique que, hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute.

Il est ainsi constant que la responsabilité du médecin, qui n'est tenu qu'à une obligation de moyens dans la réalisation des actes de prévention, de diagnostic ou de soins, ne peut être engagée qu'en cas de faute, dont il résulte pour le patient un préjudice et un lien de causalité directe et certaine.

En outre, aux termes de l'article R.4127-32 du même code, dès lors qu'il a accepté de répondre à une demande, le médecin s'engage à assurer personnellement au patient des soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science, en faisant appel, s'il y a lieu, à l'aide de tiers compétents.

En l'espèce, le Dr [I] reproche au jugement de s'être fondé sur le rapport expertal pour retenir sa responsabilité, alors que selon lui, la seule positivité du virus JC n'impliquait pas un arrêt obligatoire et immédiat du traitement par TYSABRI, d'autant que la forme de sclérose en plaques de Mme [D] était importante et que la substitution par un autre produit comportait elle-même des risques. Il soutient également que le virus JC est détecté chez 48% à 70% des patients souffrant d'une sclérose en plaques et qu'il ne permet pas de poser un diagnostic de Lemp, mais constitue uniquement un indicateur supplémentaire. Il fait en outre valoir que le traitement par Tysabri a permis à Mme [D] de reprendre une activité professionnelle, sportive et sociale et que la proposition de poursuite du traitement a été validée conjointement avec la patiente. Le Dr [I] soutient que le diagnostic de Lemp chez Mme [D], pour qui l'évolution de la maladie était très progressive, n'aurait pas pu être envisagé, quand bien même il aurait sollicité d'autres avis et un dosage du virus JC, ce dernier n'étant selon lui qu'un indicateur faible de la présence d'une Lemp. Le médecin soutient en outre que l'évolution de la sclérose en plaques en l'absence de Lemp et après arrêt du traitement au Natalizumab n'étant pas connue et n'ayant pas pu être évaluée par l'expert, seul un retard de diagnostic pourrait être retenu et ouvrir droit à une indemnisation au titre de la perte de chance d'éviter l'aggravation de l'état de la patiente. L'appelant demande l'infirmation du jugement en toutes ses dispositions et conclut au débouté des consorts [D] et à leur condamnation à lui rembourser les sommes provisionnelles allouées. À titre subsidiaire, il demande l'organisation d'une contre-expertise médicale.

Mme [U] [D] se fonde sur le rapport d'expertise du Dr [Y], qui retient plusieurs fautes du Dr [M] [I]. Elle fait premièrement valoir que le médecin était informé dès le mois d'avril 2013 de l'existence du facteur de risque lié à la présence du virus JC et qu'il a pour autant décidé de la poursuite du traitement par Natalizumab, majorant ainsi les risques de survenance de la maladie de Lemp. Mme [D] ajoute que, selon l'expert, la décision du Dr [I] de poursuivre le traitement par Natalizumab en février 2015, après pratiquement 4 ans de traitement et face au tableau clinique évocateur de la Lemp constitue une deuxième faute et que le Dr [I] aurait dû envisager un diagnostic de Lemp. Enfin, l'intimée fait valoir que l'expert a retenu une troisième faute de l'appelant, qui a omis de diagnostiquer la Lemp, alors que l'imagerie de février 2015 imposait une interruption du traitement et un diagnostic de maladie de Lemp. Mme [D] demande en conséquence la confirmation du jugement en toutes ses dispositions.

Il ressort premièrement du rapport d'expertise du docteur [Y], expert judiciaire, produit en pièce n°1 par l'intimée, que la survenue de la maladie de Lemp chez Mme [D] est en rapport direct avec le traitement par Natalizumab. L'expert indique en effet, en page 40, paragraphe 11, que :

- La Lemp survenue chez Mme [D] est la conséquence du traitement par le Natalizumab chez un patient porteur du virus JC.

- L'état de santé de Mme [D] était excellent avant la survenue des premières manifestations de la Lemp.

- Mme [D] n'avait pas d'autre facteur de risque de Lemp que la prise de Natalizumab (elle n'a pas reçu avant ce traitement de traitement immunosuppresseur).

L'expert indique également en paragraphes 9 et 10 de la page 40, que :

- La sclérose en plaques n'est pas un facteur de risque de Lemp.

- Dès lors que Mme [D] était séropositive pour le virus JC, la poursuite du Natalizumab au-delà de 2 ans augmentait le risque de Lemp.

En outre, l'expert indique dans ses conclusions que les autorités sanitaires avaient alerté les professionnels de longue date sur les risques d'un traitement prolongé au Natalizumab, l'AFFSAPS (devenue depuis l'ANSM) ayant notamment adressé en février 2010 une lettre aux professionnels de santé, préconisant une surveillance à intervalles réguliers afin de détecter l'apparition ou l'aggravation de tout symptôme ou signe neurologique pouvant évoquer une Lemp et indiquant, en cas de suspicion de Lemp, une suspension du traitement tant que le diagnostic de Lemp n'aura pas été exclu.

Ainsi, l'expert met en évidence que, lors de la survenue de l'atteinte sensitivo-motrice du membre supérieur gauche de Mme [D] (avec de possibles myoclonies, ce qui est évocateur d'une Lemp) en février 2012, le Dr [I] aurait dû se poser la question d'une éventuelle Lemp, interrompre le traitement par Natalizumab et pratiquer une ponction lombaire pour chercher la présence d'ADN du virus JC ; à défaut, il aurait dû l'interrompre après l'IRM encéphalique du 24 février 2016, révélant une lésion cortico-sous-corticale non réhaussée par le gadolinium ; et encore à défaut, devant la persistance et l'aggravation du déficit moteur.

Par ailleurs, il résulte des termes de la discussion et de l'analyse expertale, que le Dr [I] aurait dû, dès que la sérologie du virus JC pratiquée le 4 mars 2013 (après deux ans de traitement au Natalizumab) est revenue positive, suspendre par précaution le traitement en cause ou solliciter l'avis d'autres neurologues spécialisés. Selon l'expert, l'identification précoce de la Lemp aurait permis de diminuer le risque de séquelles.

S'agissant des moyens mis en oeuvre pour effectuer un diagnostic lors de l'apparition des premiers symptômes de Lemp, le Dr [I] ne démontre pas l'impossibilité matérielle de procéder à un dosage des anticorps du virus JC en 2013 ou à défaut en 2015, puisqu'il affirme lui-même dans ses écritures, qu'à cette époque, le dosage de cette valeur nécessitait une demande spéciale auprès du laboratoire compétent. Dès lors, le Dr [I] ne saurait présumer le taux d'anticorps du virus JC chez Mme [D] à cette époque comme il le fait dans ses écritures et en tout état de cause, la persistance des symptômes de la patiente en 2015, la présence de deux des trois facteurs de risques évoqués par l'AFFSAPS (présence d'anti-corps anti-virus JC et traitement supérieur à 2 ans), auraient nécessairement dû conduire le Dr [I] à affiner son diagnostic avec un dosage du virus JC dans le liquide céphalo-rachidien, comme préconisé par l'AFFSAPS dès 2012, étant au surplus précisé que le Natalizumab, qui a pour seule indication en France le traitement de la sclérose en plaques, a été retiré du marché en février 2005, du fait de la survenue de cas de Lemp, puis réintroduit 2007.

S'agissant du diagnostic lui-même, l'expert judiciaire retient qu'au vu de l'IRM pratiquée le 24 février 2015, en raison de l'aggravation du déficit du membre supérieur, le Dr [I] a conclu à une poussée de la sclérose en plaques, alors que la lésion présente sur l'IRM est fortement évocatrice de Lemp, par sa localisation (cortico sous-corticale au niveau du lobe frontal) et par l'absence de réhaussement par le gadolinium. L'expert indique sur ce point, que l'absence d'amélioration après les bolus de méthylprednisolone et au contraire, la poursuite de l'aggravation, devaient conduire à suspecter une Lemp et en conséquence, à arrêter le Natalizumab, à répéter l'IRM et à rechercher le virus JC dans le liquide céphalo-rachidien, conformément aux recommandations de l'AFFSAPS.

Le Dr [I] ne saurait dès lors soutenir que les autres médecins et services qui avaient vu Mme [D] n'auraient pas identifié la Lemp, alors qu'il était lui-même le neurologue qui suivait la patiente pour sa sclérose en plaques et qui lui faisait suivre, depuis plus de deux ans, un traitement constituant l'un des facteurs de risques de développement de la Lemp.

Le Dr [I] ne saurait pas davantage invoquer le courrier du 24 février 2015, adressé par un interne du CH de [13] pour une demande d'avis au Dr [S] du CHU de [Localité 11], et qui mentionne 'en l'absence du Dr [I] et devant l'inquiétude de la patiente, je vous remercie de ce que vous pourrez faire pour elle', dès lors que ce courrier n'émane pas du Dr [I] lui-même et qu'en outre il n'a été suivi d'aucune prise en charge particulière, Mme [D] ayant été rassuré par le Dr [S] téléphoniquement.

Enfin, le Dr [I] ne peut soutenir être exempté de critique au motif que Mme [D] ne présentait que deux des trois facteurs de risque majeur de la maladie de Lemp, à savoir un traitement au Natalizumab depuis plus de 2 ans et la présence positive du virus JC, mais sans prise antérieure d'un traitement immunosuppresseur, alors qu'il résulte de la lettre de l'AFFSAPS aux professionnels de février 2012 reproduite en pages 31 et 32 de l'expertise judiciaire, que 'les patients présentant de façon cumulée ces 3 facteurs de risque présentent le plus haut risque de survenue de Lemp', de sorte que la présence de deux seulement de ces facteurs de risque justifiait une surveillance accrue, ainsi que la mise en place de vérifications pour affiner le diagnostic en cas de survenue d'un déficit moteur comme celui présenté par Mme [D], la Lemp étant une pathologie grave pouvant être fatale ou entraîner un handicap.

S'agissant par ailleurs de la survenue d'un IRIS, syndrome inflammatoire de reconstitution immunitaire, après élimination du Tysabri (correspondant à l'arrêt du Natalizumab), il résulte de la réponse de l'expert judiciaire à un dire du Dr [I], lequel produit une note du Dr [P] exerçant à [Localité 14], que la survenue d'un IRIS chez Mme [D] fin août 2015, dont les manifestations ont aussi été sources de complications neurologiques, ne peut être que la conséquence d'un arrêt du traitement au Tysabri, qui s'est imposé en urgence face à l'extension majeure de la Lemp finalement diagnostiquée au CHU de [Localité 11]. Le Dr [P] indique en effet dans sa note que l'IRIS concerne presque tous les patients traités au Tysabri, ayant développé une Lemp et ayant ensuite procédé à un arrêt du traitement. L'IRIS n'est donc pas la conséquence du seul arrêt du traitement, mais celle de l'élimination du Tysabri chez un patient ayant développé une Lemp.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que c'est à bon droit que le tribunal a retenu que la principale faute du Dr [I] étant de ne pas avoir arrêté le traitement au Natalizumab (Tysabri) dès le mois d'avril 2013 ou à défaut en février 2015, alors même que la patiente présentait des facteurs de risques et des symptômes évocateurs d'une maladie de Lemp, laquelle a continué de se développer jusqu'en août 2015, de sorte que la responsabilité de l'appelant doit être retenue pour l'ensemble des conséquences de cette maladie.

Après avoir rappelé que l'état antérieur de Mme [D] était très bon et qu'elle était bien stabilisée par les traitements entrepris, le Dr [E] [Y] n'a retenu dans son expertise aucune part des préjudices subis par Mme [D] comme imputable à la sclérose en plaques, indiquant que la Lemp est la conséquence pour la patiente du traitement prolongé par Natalizumab.

En conséquence et sans qu'il soit nécessaire d'ordonner une contre-expertise médicale, le jugement qui a déclaré le Dr [I] responsable de l'ensemble des préjudices de Mme [D], ordonné une nouvelle expertise médicale de la patiente et condamné le médecin au paiement d'une provision, sera confirmé en toutes ses dispositions.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

En application de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. En l'espèce, le Dr [I] sera équitablement condamné à payer à M. et Mme [D], ensemble, la somme de 2 000 euros et celle de 500 euros à la MSA de la Gironde au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de l'article 696, alinéa premier, du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. Sur ce fondement, le Dr [I] supportera la charge de la totalité des dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour,

- Confirme le jugement rendu le 3 novembre 2021 par le tribunal judiciaire de Bordeaux en toutes ses dispositions ;

- Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

Y ajoutant,

- Condamne le Docteur [M] [I] à payer à Mme [U] [D] et M. [J] [D], ensemble, la somme de 2 000 euros et à la MSA de la Gironde la somme de 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamne le Docteur [M] [I] aux entiers dépens d'appel.

Le présent arrêt a été signé par Madame Paule POIREL, président, et par Madame Véronique SAIGE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre civile
Numéro d'arrêt : 21/06543
Date de la décision : 11/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 19/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-11;21.06543 ?
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