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11/07/2024 | FRANCE | N°21/02766

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section b, 11 juillet 2024, 21/02766


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION B



--------------------------









ARRÊT DU : 11 juillet 2024







PRUD'HOMMES



N° RG 21/02766 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MDNZ













S.A. LA POSTE



c/

Madame [K] [Y]





















Nature de la décision : AU FOND











Grosse délivrée aux avocats le :

à :

Me Christophe MORETTO de la SELARL ARCANTHE, avocat au barreau de TOULOUSE

Me Frédérique POHU PANIER, avocat au barreau de PERIGUEUX



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 28 avril 2021 (R.G. n°F 20/00009) par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PÉRIGUEUX, Section Commerce, ...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION B

--------------------------

ARRÊT DU : 11 juillet 2024

PRUD'HOMMES

N° RG 21/02766 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MDNZ

S.A. LA POSTE

c/

Madame [K] [Y]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée aux avocats le :

à :

Me Christophe MORETTO de la SELARL ARCANTHE, avocat au barreau de TOULOUSE

Me Frédérique POHU PANIER, avocat au barreau de PERIGUEUX

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 28 avril 2021 (R.G. n°F 20/00009) par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PÉRIGUEUX, Section Commerce, suivant déclaration d'appel du 12 mai 2021,

APPELANTE :

SA La Poste, agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 2]

Représentée par Me Christophe MORETTO de la SELARL ARCANTHE, avocat au barreau de TOULOUSE

Assistée par Me VEIGA de la SELARL ARCANTHE

INTIMÉE :

[K] [Y]

née le 19 Décembre 1986 à [Localité 13]

de nationalité Française

Profession : Agent courrier, demeurant [Adresse 1]

Représentée et assistée par Me Frédérique POHU PANIER, avocat au barreau de PERIGUEUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 907 et 805 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 08 avril 2024 en audience publique, devant Monsieur Eric Veyssière, président chargé d'instruire l'affaire, et madame Valérie Collet, conseillère, qui ont entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés,.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Eric Veyssière, président,

Madame Sophie Lésineau, conseillère,

Madame Valérie Collet, conseillère,

greffière lors des débats : Sylvaine Déchamps,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

Le délibéré a été prorogé en raison de la charge de travail de la Cour.

Exposé du litige

Selon un contrat de travail à durée indéterminée conclu le 01 septembre 2006, la société La poste a engagé Mme [Y] en qualité de facteur, classification I.2 au sein de la plate-forme de distribution de [Localité 7].

A partir du mois de février 2014, Mme [Y] a développé une maladie d'origine non professionnelle.

Mme [Y] a saisi le conseil de prud'hommes de Périgueux le 22 janvier 2020 aux fins d'obtenir des dommages-intérêts pour harcèlement moral ainsi que son affectation sur un poste fixe de grade II.1.

Par un jugement de départage en date du 28 avril 2021, le conseil de prud'hommes a :

-condamné la société La poste à payer à Mme [Y] la somme de 20.000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral assortis des intérêts légaux à compter de la présente décision,

-débouté Mme [Y] du surplus de ses demandes,

-condamné la société La poste aux dépens et à verser à Mme [Y] la somme de 1000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

-dit n'y avoir lieu à l'exécution provisoire du jugement.

Par déclaration enregistrée au greffe de la cour d'appel de Bordeaux le 12 mai 2021, la société La poste a relevé appel de ce jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions remises le 06 juin 2023, la société La Poste demande à la cour de:

-réformer le jugement attaqué,

Statuant à nouveau,

A titre principal,

-donner acte à Mme [Y] de ce qu'elle ne maintient pas ses demandes autres que sa demande d'indemnisation pour harcèlement moral et renonce notamment à sa demande d'attribution d'un poste fixe à un grade plus élevé,

-débouter Mme [Y] de ses demandes,

A titre subsidiaire,

-ramener l'éventuelle indemnisation de Mme [Y] à de plus justes proportions,

En toute hypothèse,

-condamner Mme [Y] à verser à la société La poste la somme de 2500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

-condamner Mme [Y] aux entiers dépens, dont distraction au profit de la société Arcanthe en application de l'article 699 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions remises le 19 janvier 2023, Mme [Y] demande à la cour de :

-confirmer le jugement entrepris sauf s'agissant du quantum des dommages-intérêts alloués en réparation du harcèlement moral subi,

-condamner la société La poste à lui verser la somme de 50.000 euros à titre de dommages-intérêt pour harcèlement moral,

-assortir cette somme des intérêts légaux à compter du jugement du 28 avril 2021, avec capitalisation des intérêts,

-condamner la société La poste aux dépens et à régler à Mme [Y] la somme de 3000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 mars 2024.

L'affaire a été fixée à l'audience du 08 avril 2024, pour être plaidée.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère aux conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'au jugement déféré.

Motifs de la décision

Sur la demande de reclassement

Mme [Y] n'a pas formé d'appel principal ou incident à l'encontre de la disposition du jugement l'ayant déboutée de sa demande de reclassement sur un poste de grade supérieur. De ce chef, le jugement sera donc confirmé.

Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l'article L.1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

L'article L.1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné présente des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement

Mme [Y] soutient avoir vécu à partir de l'année 2013 une dégradation de ses conditions de travail compte tenu de la restructuration de la plateforme de [Localité 8]; elle expose les faits suivants constitutifs, selon elle, de harcèlement moral dont il convient de vérifier la matérialité.

1- Cette réorganisation a conduit à la suppression de sa tournée et sur les 9 salariés concernés, elle a été la seule à ne pas obtenir une affectation fixe,

Ce point n'est pas discuté par l'employeur.

2- A son retour d'arrêts de travail en mars 2014 et juin 2015, elle a été affectée dans un centre de tri et assuré des remplacements en violation des prescriptions du médecin du travail ,

Selon l'avis du médecin du travail en date du 17 mars 2014, Mme [Y] a été déclarée apte à reprendre son poste de travail de facteur rouleur sous la réserve de remplacement d'un vélo électrique par un vélo normal et d'une interdiction de port de charges lourdes d'un poids supérieur à 10 kg.

La salariée ne justifie pas que les tournées effectuées à pied, en vélo ou en voiture impliquaient le port de charges lourdes, la simple mention sur un compte rendu qu'elle ait été affectée ponctuellement sur une tournée colis ne permet pas de démontrer un non-respect des restrictions émises par le médecin du travail dans son avis du 17 mars 2014.

Placée de nouveau en arrêt de travail du 20 au 27 février 2015 puis du 14 mars au 30 juin 2015, Mme [Y] a été déclarée apte à la reprise par un avis du médecin du travail du 12 juin 2015 pour un poste à [Localité 7] suivant des horaires de travail de 4 à 10h ou de 5h à 11h.

De fait, l'intéressée a été affectée dans le centre de tri de [Localité 7] suivant les horaires fixés par le médecin du travail. Ainsi, cette affectation ne contrevient pas aux préconisations du travail ; aucun manquement ne peut donc être imputé à l'employeur à cet égard.

Mme [Y] soutient, par ailleurs, qu'elle a été dans l'obligation de pallier jusqu'en décembre 2016, les absences de salariés au carré professionnel de [Localité 8] et au guichet du bureau de poste de [Localité 5] qui sont des postes de catégorie supérieure à sa qualification et dont les horaires (4-17h) ne respectaient pas ceux fixés par le médecin du travail et impliquaient, de surcroît, des heures supplémentaires.

L'employeur reconnaît ces affectations mais il prétend sans en rapporter la preuve (les documents produits sous forme de tableaux ne sont ni datés, ni signés) que Mme [Y] n'a effectué sur ces postes que des stages d'immersion en doublure sur de courtes périodes en juillet 2015, janvier et mars 2016.

Sur ce point, la matérialité du grief est donc établie.

3- Son responsable, M.[U], n'a pas tenu son engagement de l'affecter sur un poste de facteur guichetier à [Localité 5]

Mme [Y] expose qu'en décembre 2016, M. [U] l'a informée qu'un poste de facteur guichetier à [Localité 5] allait se libérer en 2017 et que pour y accéder, elle devait suivre une formation d'une durée de trois mois à [Localité 4], ce qu'elle a fait. Or, soutient-elle, la direction des ressources humaines lui a indiqué, à l'issue de la formation, que le poste n'était pas vacant et n'avait pas fait l'objet d'un appel à candidature.

Il résulte, cependant, du bilan de la formation établi en mars 2017 que Mme [Y] n'avait pas encore acquis les compétences nécessaires pour occuper le poste ; la formatrice, Mme [Z], atteste que l'intéressée a refusé de participer à des exercices de la formation et aux échanges avec les autres membres de l'équipe alors qu'elle était mal à l'aise au guichet face aux usagers et que ces échanges lui auraient permis d'améliorer sa prestation. Sont pointés également un manque de motivation et une tendance à exprimer au cours du stage son ressentiment envers l'encadrement.

Le rapport de la mission chargée de la mise en oeuvre du dispositif sur le harcèlement moral confirme que Mme [Y] n'a pas été sélectionnée, à l'issue de la formation, pour intégrer le réseau des facteurs guichetiers. Il indique, cependant, qu'aucun débriefing n'a été réalisé à l'issue de la formation.

Sur le point précis d'une promesse non tenue, la matérialité du grief n'est pas établie.

4- M. [U] l'a maltraitée lors d'un entretien du 10 mars 2017

Mme [Y] soutient que M. [U] l'a agressée verbalement au cours de cet entretien en l'accusant de ne pas savoir ce qu'elle voulait faire, de ne pas être en capacité de valider la formation et de mettre en danger ses collègues ; profondément traumatisée par l'attitude de son supérieur hiérarchique qui a été dénoncée par l'organisation syndicale CGT dont un représentant l'assistait pendant l'entretien, elle a quitté le bureau en état de choc, lésion psychique que son médecin traitant a constatée le jour même et qui a donné lieu à une déclaration d'accident du travail.

Par courrier du 16 mars 2017, la CGT a critiqué le comportement de M. [U] qui n'a cessé, au cours de l'entretien, de s'attaquer à la personne de Mme [Y] l'accusant, notamment, de mettre en danger ses collègues sans donner plus de motivation, ce pour éviter de s'expliquer sur le fait qu'il souhaite positionner Mme [Y] ainsi que deux autres agents sur des postes de travail qui officiellement n'existent pas et n'ont fait l'objet d'aucune concertation.....M. [U], écrit encore le syndicat, 'souhaite avoir à sa disposition des agents qui iront où il voudra, quand il le voudra au fil des besoins de remplacement...'

L'employeur estime que M. [U] a tenu, sans agressivité aucune, un langage de vérité à Mme [Y] en lui disant qu'il était probable que sa formation ne soit pas validée et que la réaction disproportionnée de la salariée s'explique par son état de fragilité psychologique. Il ajoute que l'assurance maladie a refusé de prendre en charge les suites médicales de cet entretien au titre d'un accident du travail.

Il convient, toutefois, de relever que, par arrêt du 24 novembre 2022, la Cour d'appel a reconnu l'origine professionnelle de la lésion consécutive à l'entretien et a ordonné sa prise en charge au titre de la législation professionnelle.

En outre, l'employeur ne justifie pas avoir répondu au courrier cité plus haut de la CGT, ni, d'ailleurs, aux courriers de Mme [Y] se plaignant auprès de l'employeur des circonstances et du contenu de l'entretien conduit par M. [U].

Enfin, le 30 mars 2017, les représentants du personnel, membres du CHSCT, ont écrit au président du CHSCT de [Localité 8] pour dénoncer le fait que la délibération du CHSCT, prise lors de sa séance du 17 mars, actant la convocation d'un CHSCT exceptionnel sur la situation de Mme [Y] et les conditions de travail des agents du back office, nétait pas respectée.

Il s'ensuit que la matérialité du grief est établie.

5- L'employeur l'a maintenue à domicile et l'a 'placardisée' en lui opposant des refus injustifiés à ses candidatures sur des emplois

A l'issue du dit entretien, Mme [Y] a été placée en arrêt de travail pour stress professionnel du 18 mars au 17 octobre 2017. A son retour, elle a effectué, avec l'accord du médecin du travail, un stage d'immersion au sein de la filiale de la Poste Phil@Poste jusqu'au 2 mars 2018.

Le 6 mars 2018, le médecin du travail a émis l'avis suivant sur la reprise du travail :

' Mme [Y] peut reprendre le travail en dehors de la PPDC de [Localité 7]. Elle peut travailler en équipe, faire le tri des LR et des OS, trier colis jusquà 10kg, trier en position debout jusqu'à 2 heures et trier en position assise, réaliser des flashages, tracée, les recours distribution, les opérations financières Escale, travailler sur écran ou limitera la conduite de véhicule à une heure par jour'.

Le 15 mars 2018, la salariée a été dispensée de se présenter à son poste de travail dans l'attente de recherche de poste compatible avec ses aptitudes constatées par le médecin du travail.

Le 19 mars 2018, elle a été convoquée à un entretien au service des ressources humaines pour faire le point sur sa situation professionnelle ; selon le compte-rendu, il a lui été indiqué que, au regard des préconisations du médecin du travail, aucun poste n'était disponible pour le moment et qu'elle pouvait s'inscrire dans le dispositif Fongecif en vue, notamment, d'une reconversion sur un poste administratif. Mme [Y] a précisé, lors de l'entretien, qu'elle envisageait de changer de métier pour devenir mandataire immobilier indépendant.

Par courrier du 20 mars 2018, elle a souhaité compléter le compte rendu dans le but d'être reconnue comme ' la seule victime dans cette affaire' et de voir que tous les efforts sont mis en oeuvre pour lui faire réintégrer un emploi stable quitte à ce que le médecin du travail revoit ses conclusions.

Le 9 mai 2018, Mme [Y] a été reçue au service des ressources humaines pour un nouveau point sur sa situation ; le compte-rendu note que Mme [Y] n'a pas débuté de formations en ligne, n'a pas effectué de recherches, ni pris de rendez-vous en vue d'une inscription au Fongecif, qu'aucun poste n'est disponible sur l'établissement [Localité 8]-[Localité 7] et que l'intéressée exprime ses difficultés financières si elle doit postuler sur les postes de [Localité 3] ou de [Localité 9] comme cela lui est proposé.

Par courrier du 28 mai 2018, Mme [Y] a critiqué le contenu du compte-rendu l'argant de faux sur ses recherches de formation et d'offres d'emploi et accusant l'employeur et exigeant qu'on lui explique pourquoi on lui refuse de lui proposer des postes comme le carré pro de [Localité 8], le COS ou autre alors que jamais ses compétences professionnelles n'ont été remises en cause.

Le directeur des ressources humaines a répondu le 19 juin 2018 à ce courrier en retraçant l'ensemble des démarches accomplies, en lui rappelant que la conseillère mobilité restait à sa disposition et en lui proposant un nouvel entretien le 22 juin auquel la salarié ne s'est pas rendu au motif qu'il lui a été refusé d'être assistée par un représentant syndical.

Pour le même motif, elle ne s'est pas présentée à un nouveau rendez-vous fixé au 6 juillet.

Le 9 juillet 2018, il lui a été proposé de reprendre le travail à compter du 16 juillet 2018 sur le site de [Localité 14] en Dordogne avec des attributions détaillées dans une lettre de mission.

Mme [Y] a occupé ce poste du 16 juillet au 5 octobre 2018, date à laquelle elle a été placée en arrêt de travail. Elle a repris le travail le 18 mai 2021 après avoir accepté un poste d'agent de courrier à [Localité 7]/[Localité 6].

S'agissant de l'allégation selon laquelle La Poste lui aurait opposé des refus injustifiés à des candidatures sur des emplois, celles-ci se présentent ainsi :

- une candidature spontanée, le 22 mai 2018, sur tout poste disponible à Philaposte ; l'entreprise a répondu le 4 juin 2018 qu'aucun poste n'était disponible pour le moment,

- une candidature sur un poste de secrétaire au comité des oeuvres sociales qui est restée sans réponse, étant observé que le comité est autonome dans ses recrutements,

- une candidature, le 5 septembre 2018, sur un poste de guichetier au carré pro de [Localité 8], pour laquelle il lui a été indiqué qu'il entrait dans le périmètre des restrictions fixées par le médecin du travail,

- une candidature, le 2 juillet 2019, sur deux emplois à Philaposte qui étaient pourvus.

Il ne résulte pas des suites données à ces candidatures une opposition injustifiée de l'employeur illustrant une volonté de ' placardisée' la salariée.

Il découle de ce qui précède que Mme [Y] a été dispensée d'activité pendant 4 mois avec maintien intégral de sa rémunération et que durant cette période la direction des ressources humaines l'a accompagnée en vue d'un reclassement qui a, en définitive, abouti en dépit de son caractère provisoire. Il ne peut être déduit de ces circonstances, ni du fait qu'elle n'a pas été retenue sur des postes sur lesquels elle avait postulé, qu'elle a été 'placardisée', étant observé que l'employeur justifie que le poste du carré pro à [Localité 8] était, depuis la réorganisation, inclus dans le périmètre de la plate-forme de [Localité 7], service pour lequel le médecin du travail l'avait déclarée inapte. A l'occasion de sa candidature sur ce poste, le 5 septembre 2018, Mme [Y] avait, certes, demandé à l'employeur de vérifier que ce poste était compatible avec son état de santé, ce qu'il n'a pas fait et qu'il n'avait pas l'obligation de faire.

Il n'en demeure pas moins que si le maintien du grief de maintien à domicile est établi, celui de la 'placardisation' ne l'est pas au regard des multiples démarches d'accompagnement mises en place.

6- la direction des ressources humaines lui a refusé d'être assistée par un représentant du personnel

Il est constant que le service des ressources humaines a refusé que Mme [Y] soit assistée par un représentant du personnel durant un entretien prévu le 22 juin 2018 et qu'elle a reçu une lettre lui demandant de justifier son absence.

L'employeur explique avoir opposé ce refus car la doctrine de la Poste ne prévoit pas, conformément aux dispositions du code du travail, une assistance syndicale dans les situations d'entretien d'orientation professionnelle.

La matérialité du grief est établie.

7 - l'employeur l'a affectée sur le poste de [Localité 14] en juillet 2018 où il n'existait aucun poste disponible excepté des remplacements ponctuels

Mme [Y] ajoute qu'elle était régulièrement contrainte de travailler sur deux sites avec des déplacements d'au moins 50 km par jour alors que le médecin du travail avait limité la conduite de véhicule à 1 heure par jour. Elle prétend que cette fausse affectation avait pour but de la pousser vers la sortie.

L'employeur produit la lettre de mission notifiée le 16 juillet 2018 à Mme [Y] lui précisant les activités qui lui sont confiées (flashage OS et colis, tri LR, préparation de tournées, collecte), les lieux d'exercice de l'activité ([Localité 11], [Localité 12], [Localité 14], [Localité 10]) avec la possibilité d'effectuer des vacations sur deux sites durant la même journée et la durée du travail (cycle de travail de 35h sur 2 semaines avec un samedi sur deux.

Les conditions de travail décrites par Mme [Y] sont conformes à celles énoncées dans la lettre de mission et ne sont pas contraires aux préconisations du médecin du travail.

Il est exact, cependant, que le poste avait un caractère provisoire.

La matérialité du grief est donc établi.

8 - Elle a fait l'objet d'un chantage pour obtenir le règlement des indemnités kilométriques

La salariée soutient avoir été victime d'un chantage de la part de l'employeur qui aurait retenu le règlement des indemnités kilométriques de la période juillet-septembre 2018 tant qu'elle ne signait pas un avenant à son contrat de travail l'affectant à [Localité 14].

S'il résulte des pièces du dossier que les indemnités n'ont été réglées qu'en octobre 2018, pour des questions administratives, la preuve d'un chantage, en lien avec la signature d'un avenant, n'est nullement rapportée. L'employeur justifie, au contraire, par un courriel du 23 août 2018, émanant de Mme [F], conseillère en évolution professionnelle, que Mme [Y] avait refusé de signer les avenants qui lui étaient proposés aux motifs que la mention facteur était indiquée alors qu'elle exerçait la fonction de cabine et qu'elle était inquiète pour ces frais kilométriques. A cette date, il ne peut valablement être soutenu que l'employeur avait décidé de retenir le paiement de ces frais.

Le grief n'est donc pas établi.

9 - Sur la mise en oeuvre du dispositif interne de harcèlement moral

Par courrier du 6 décembre 2018, Mme [Y] a saisi la direction régionale d'une demande d'ouverture du dispositif interne de harcèlement moral en invoquant une dégradation de ses conditions de travail depuis l'arrivée de M. [U] qui a pris avec ses adjointes des engagements mensongers à son égard depuis la suppression de sa tournée, l'a maltraitée au cours d'un entretien et a refusé de l'affecter sur le poste du carré pro à [Localité 8].

Elle avait déjà alerté la direction régionale sur ces faits par un courrier du 28 mai 2018 auquel il n'avait pas été répondu.

La Poste a mis en place le dispositif interne prévu par les accords d'entreprise qui s'est traduit par des entretiens pluridisciplinaires menés, à partir de janvier 2019, par le responsable de la qualité au travail, l'assistante sociale et le médecin du travail. La mission a établi un compte rendu des entretiens avec Mme [Y], M. [U] et ses deux adjointes. Elle conclut à des relations de travail dégradées et conflictuelles depuis un certain temps malgré de nombreuses actions mises en place, un état de souffrance de Mme [Y] avec un focalisation qui paraît démesurée sur la personne de son DE, des managers affectés par cette situation et inquiets en cas d'un éventuel dépôt de plainte. Elle recommande pour Mme [Y] une orientation vers un médecin spécialisé et une possibilité d'out-placement avec bilan de compétence, formation externe et offre d'emploi proposée à l'agent et pour M. [U] et ses adjointes un soutien psychologique et, le cas échéant, juridique.

Le 19 juin 2019, l'employeur a notifié à Mme [Y] ces conclusions en lui indiquant que les faits allégués ne relevaient pas de la qualification de harcèlement moral et que les mesures suivantes seraient mises en oeuvre :

- maintien d'un suivi médical avec le médecin du travail,

- maintien de l'accompagnement avec la conseillère en évolution professionnelle,

- orientation vers l'espace mobilité groupe et identification d'un interlocuteur dédié.

Mme [Y] conteste le bien fondé des conclusions de la mission qui illustrent, selon elle, le déni de l'employeur sur son vécu et souligne qu'un rapport du CHSCT du 8 mars 2019 confirme le mal être ressenti par les agents appartenant à cette plate-forme.

Il ressort notamment de ce rapport que ' la multiplication des signaux et des alertes formelles (depuis 2016) montre que l'ordre des priorités au sein du modèle de management conduit une partie de l'encadrement à banaliser la maltraitance managériale. A ce titre, le courrier du 8 janvier 2019 adressé à la direction par l'inspection du travail démontre que les risques psycho-sociaux ne sont pas inscrits dans le programme de prévention des risques professionnels...Cette maltraitance managériale s'exerce dans le cadre d'une maltraitance organisationnelle, c'est à dire une succession de réorganisation anxiogènes....'

Ces éléments montrent l'existence de risques psycho-sociaux au sein de la plate-forme de [Localité 7] et d'une dégradation des relations de travail de Mme [Y].

Le grief sera donc retenu.

10- Sur l'absence d'évolution de sa carrière professionnelle

Mme [Y] fait valoir que, malgré une ancienneté de 15 ans et des remplacements assurés sans difficultés sur des postes ayant une qualification supérieure à la sienne, sa carrière professionnelle n'a pas évolué.

La matérialité du grief n'est pas discutée.

11- sur l'altération de l'état de santé de Mme [Y]

La salariée a été placée en arrêts de travail pour des syndromes d'anxiété réactionnelle aux entretiens professionnels et de stress professionnel :

- 3 mois de mars à juin 2015,

- 7 mois de mars à octobre 2017,

- du 5 octobre 2018 au 17 mai 2021.

A sa demande, elle s'est soumise à un examen psychiatrique réalisé le 18 octobre 2018 par un médecin psychiatre et dont les conclusions sont les suivantes : ' Mme [Y] était indemne jusque là de pathologies psychiatriques. Elle a évolué au sein d'un milieu familial équilibré. Elle connaît des conflits au sein de l'entreprise dans laquelle elle travaille depuis 13 ans. Elle rapporte une attitude très négative de la part de sa hiérarchie avec des promesses non tenues, des accusations non fondées, un défaut total de reconnaissance du travail qu'elle a pu accomplir, mais néanmoins, s'est vue confier des missions pour lesquelles elle était assez peu formée dés lors que la hiérarchie en avait besoin. Il existe un syndrome de stress réactionnel avec des manifestations anxieuses et dépressives et un retentissement somatique se traduisant par des troubles du sommeil et une asthénie et une perte de l'estime de soi.

Il s'agit de manifestations d'une intensité préoccupante surtout si cela devait durer, car cela pourrait déboucher sur l'installation d'un syndrome plus sévère avec les risques inhérents à cette dépression. Au regard de l'examen de ce jour, il y a un lien direct entre le vécu professionnel de Mme [Y] et sa situation professionnelle...'

La matérialité du grief n'est pas discutée.

Parmi les éléments présentés au soutien de la demande de Mme [Y] en reconnaissance d'une situation de harcèlement moral, la Cour a retenu comme étant caractérisés les faits suivants :

- une absence de reclassement à la suite de la réorganisation de la plate-forme de [Localité 7] avec des affectations sur des postes provisoires pendant deux ans,

- une dégradation des relations avec la hiérarchie à l'origine d'un accident du travail,

- un refus de l'employeur à la demande de la salariée d'être assistée par un représentant du personnel au cours des entretiens d'orientation professionnelle,

- une absence d'évolution de la carrière professionnelle de l'intéressée,

- la non prise en compte des risques psycho-sociaux d'une manière générale au sein de l'entreprise et dans le cas précis de Mme [Y],

- l'altération de son état de santé en lien avec la dégradation de ses conditions de travail.

Pris ensemble, ces éléments laissent présumer l'existence d'un harcèlement moral subi par Mme [Y].

Sur le premier grief, l'employeur justifie avoir engagé un accompagnement personnalisé en vue du reclassement de la salariée en tenant compte de l'avis du médecin du travail.

Ont, notamment, été organisés en ce sens une formation de guichetier en mars 2017, des stages d'immersion à Philaposte en octobre et novembre 2017, des entretiens d'orientation professionnelle avec le service des ressources humaines lequel avait reçu la salariée dès le 11 juin 2013 ; ces entretiens se sont poursuivis jusqu'en 2018. Mme [Y] a, entre-temps, été affectée à des postes compatibles avec les avis du médecin du travail,hormis une période d'inactivité pendant 4 mois. Il ressort, en outre, des nombreux échanges avec le service des ressources humaines que La Poste ne disposait pas de postes permanents compatibles avec l'état de santé ou les qualifications de la salariée.

Il doit être précisé, également, que Mme [Y] a mis en échec le stage d'immersion au service commercial de Philaposte faute, selon le bilan de stage, de démontrer des aptitudes d'adaptation et d'intégration dans de petites équipes de travail.

Au regard de l'échec de l'intéressée à la formation de guichetier ou au stage dans le service commercial à Philaposte, des restrictions médicales qui s'imposaient à l'employeur et de l'absence de postes stables disponibles, les décisions prises par l'employeur apparaissent étrangères à tout harcèlement moral.

Sur le deuxième grief, l'employeur admet que l'entretien du 10 mars 2017 avec M. [T] a été mal ressenti par Mme [Y] mais que le directeur a seulement exprimé un langage de vérité sans aucune agression verbale et qu'en tout état de cause, il s'agit d'un incident isolé qui ne peut à lui seul constituer un harcèlement moral dont l'existence suppose la preuve d'agissements répétés.

Selon le compte rendu de cet entretien établi par le représentant syndical qui assistait Mme [Y], M. [U] n'a cessé de s'attaquer à la personne de Mme [Y] en l'accusant, notamment, de mettre en danger les autres salariés sans étayer cette allégation.

L'employeur n'a pas répondu à la lettre de dénonciation du comportement de M. [T] que lui a adressée le syndicat CGT le 16 mars 2017 ; il n'a pas non plus convoqué un CHSCT exceptionnel sur la situation de Mme [Y], décision qui avait été actée lors de la réunion du CHSCT du 17 mars 2017 alors que la salariée avait quitté le bureau de M. [U] en pleurs et qu'elle a été placée le jour même en arrêt de travail et a déclaré sa lésion en accident du travail reconnue comme telle devant la Cour d'appel.

Ce n'est qu'en juin 2018, que l'employeur a donné une suite au courrier de Mme [Y] du 28 mai 2018 par lequel elle estimait être victime de harcèlement moral et lui a proposé de souscrire au dispositif de prévention du harcèlement moral.

Les conclusions de la mission mandatée dans le cadre de ce dispositif corroborent les tensions existantes et non résolues entre M. [U] et Mme [Y]. Force est de constater que le refus opposé par le service des ressources humaines à sa demande d'être assistée par un représentant du personnel lors des entretiens avec ce service n'a pu qu'aggraver la perception de l'intéressée de ne pas être entendue. La justification de son refus par l'employeur qui campe sur une position de principe n'est nullement étayée par des directives générales et n'est pas adaptée à la situation de Mme [Y] qui avait contesté la teneur des précédents entretiens.

Sur le troisième grief, il est justifié que la salariée a échoué à la formation destinée à occuper un emploi de facteur guichetier et au stage d'immersion dans le service commercial de Philaposte, a limité ses candidatures à des postes proches de son domicile et a transmis hors délai son dossier d'inscription au dispositif RAP en mars 2017 propre à lui faire obtenir un avancement. Il ne peut, dés lors, être imputé un manquement à l'employeur susceptible d'avoir entravé sa carrière professionnelle.

Sur le quatrième et cinquième griefs, l'employeur n'apporte pas d'éléments de nature à contredire les conclusions de l'examen psychiatrique de Mme [Y] citées plus haut, ni celles du rapport réalisé à la demande du CHSCT mettant en évidence la maltraitance organisationnelle et managériale de la plate-forme de [Localité 7] sur une période comparable qui relevait une multitude d'alertes décrivant la dégradation des conditions de travail entre 2008 et 2017 dans leur dimension organisationnelle, managériale et relationnelle et une incapacité de la direction à répondre à cette situation, les solutions envisagées consistant principalement à accompagner dans l'inaptitude les agents dont la santé est abîmée.

Il apparaît, ainsi, qu'entre le mois de mars 2017 et de juin 2018, l'employeur n'a pas pris en compte les alertes qui lui avaient été adressées par les représentants du personnel sur l'altération de l'état de santé de Mme [Y] et la nécessité d'une prise en charge personnalisée dans un contexte de relations de travail dégradées résultant d'une part, de la précarité de sa situation professionnelle suite à une réorganisation de la plate-forme de [Localité 7] qui a été mise en oeuvre dans des conditions préjudiciables à la sécurité et à la santé des salariés et d'autre part, des attaques personnelles formulées par M. [U] à son encontre.

Il résulte de ces développements que l'employeur ne parvient pas à renverser la présomption de harcèlement moral que la Cour a retenue.

Le jugement sera, en conséquence, confirmé sur ce point.

La Cour dispose des éléments suffisants pour évaluer le préjudice résultant du harcèlement moral à la somme de 8.000 euros. De ce chef, le jugement sera réformé.

Sur les autres demandes

La Poste, partie perdante, supportera la charge des dépens et sera condamnée au paiement d'une somme de 2500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ces motifs

Confirme le jugement entrepris sauf en ce qui concerne le montant des dommages et intérêts alloués en réparation du préjudice résultant du harcèlement moral,

statuant à nouveau sur ce point,

condamne la société La Poste à payer à Mme [Y] la somme de 8.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant du harcèlement moral,

y ajoutant

Condamne la société La Poste aux dépens et à payer à Mme [Y] la somme de 2500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Signé par Eric Veyssière, président et par Sylvaine Déchamps, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

S. Déchamps E. Veyssière


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section b
Numéro d'arrêt : 21/02766
Date de la décision : 11/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-11;21.02766 ?
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