La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

11/07/2024 | FRANCE | N°21/02724

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, 2ème chambre civile, 11 juillet 2024, 21/02724


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE



--------------------------







ARRÊT DU : 11 JUILLET 2024





N° RG 21/02724 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MDKG







Madame [V] [H] épouse [E]





c/



Monsieur [D] [U]



























Nature de la décision : AU FOND

























<

br>


Grosse délivrée le :



aux avocats





Décision déférée à la cour : jugement rendu le 09 avril 2021 par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de BERGERAC (RG : 19/00620) suivant déclaration d'appel du 10 mai 2021





APPELANTE :



[V] [H] épouse [E]

née le 19 Octobre 1942 à [Localité 12]

de nationalité Française

Retraitée...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE

--------------------------

ARRÊT DU : 11 JUILLET 2024

N° RG 21/02724 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MDKG

Madame [V] [H] épouse [E]

c/

Monsieur [D] [U]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 09 avril 2021 par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de BERGERAC (RG : 19/00620) suivant déclaration d'appel du 10 mai 2021

APPELANTE :

[V] [H] épouse [E]

née le 19 Octobre 1942 à [Localité 12]

de nationalité Française

Retraitée,

demeurant [Adresse 9]

Représentée par Me Alexandre ALJOUBAHI, avocat au barreau de PERIGUEUX

INTIMÉ :

[D] [U]

né le 13 Janvier 1955 à [Localité 10] (24)

de nationalité Française

Retraité

demeurant [Adresse 8]

Représenté par Me Gérald GRAND, avocat au barreau de PERIGUEUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 juin 2024 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Alain DESALBRES, Conseiller qui a fait un rapport oral de l'affaire avant les plaidoiries,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Jacques BOUDY, Président,

Monsieur Alain DESALBRES, Conseiller,

Madame Christine DEFOY, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Audrey COLLIN

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

* * *

FAITS ET PROCÉDURE :

Par acte notarié en date du 18 novembre 1995, Madame [X] [M] a fait donation à Monsieur [D] [U] d'une parcelle de terres cadastrée D n°[Cadastre 5] située au lieu dit [Adresse 11], commune de [Localité 10] (24).

Mme [V] [H] épouse [E] est quant à elle propriétaire de parcelles de terres cadastrées n°[Cadastre 6] et n°[Cadastre 2] également situées dans cette localité.

Par acte du 13 juin 2019, M. [U] a assigné Mme [H] épouse [E] devant le tribunal de grande instance de Bergerac afin notamment de voir reconnaître une servitude de passage pour cause d'enclave sur le fonds cadastré n°[Cadastre 5] lui appartenant.

Le jugement rendu le 9 avril 2021 par le tribunal judiciaire de Bergerac a :

- rejeté les demandes présentées par Mme [H] épouse [E] tendant à la nullité comme à l'irrecevabilité du constat d'huissier établi le 11 avril 2018 par Me [T], huissier de justice,

- jugé que le fonds n°[Cadastre 5] appartenant à M. [U] se trouve dans une situation d'enclave en raison d'une issue insuffisante sur la voie publique pour l'exploitation de son fonds au sens de l'article 682 du code civil,

- jugé que le droit de passage de M. [U] s'exercera désormais par l'usage du chemin rural démarrant entre les parcelles n°[Cadastre 1] et n°[Cadastre 7], cheminant jusqu'à la parcelle n°[Cadastre 2] et que l'accès à la parcelle n°[Cadastre 5] de M. [U] s'effectuera sur une largeur d'au moins 3 mètres en traversant les parcelles n°[Cadastre 2] et n°[Cadastre 6] appartenant à Mme [H] épouse [E],

- condamné (sans astreinte) Mme [H] épouse [E] à démolir totalement et à retirer la clôture et autres ouvrages ou obstacles qui empiètent sur la propriété de M. [U] dans la partie triangulaire en pointe de la parcelle n° [Cadastre 5] lui appartenant,

- condamné Mme [H] épouse [E] à payer à M. [U] la somme de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,

- constaté que M. [U] se désiste de sa demande présentée à l'encontre de Mme [H] épouse [E] d'avoir à retirer sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard la pompe et la canalisation installées dans l'ouvrage maçonné de la source au lieu du bac en ciment tel que résultant du titre bénéficiant à Mme [H] épouse [E],

- débouté Mme [H] épouse [E] de sa demande de dommages et intérêts,

- déclaré irrecevables les demandes reconventionnelles présentées par Mme [H] épouse [E] sur le fondement de l'article 673 du code civil,

- ordonné l'exécution provisoire,

- condamné Mme [H] épouse [E] à payer à M. [U] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de l'instance.

Mme [H] épouse [E] a relevé appel de cette décision le 10 mai 2021.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 13 décembre 2023, Mme [H] épouse [E] demande à la cour, sur le fondement des articles 249 du code de procédure civile et 673, 683, 684 et 1240 du code civil, de :

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il :

- a rejeté ses demandes tendant à la nullité comme à l'irrecevabilité du constat d'huissier établi le 11 avril 2018 par Me [T], huissier de justice,

- a jugé que le fonds n° [Cadastre 5] appartenant à M. [U] se trouve dans une situation d'enclave en raison d'une issue insuffisante sur la voie publique pour l'exploitation de son fonds au sens de l'article 682 du code civil,

- a jugé que le droit de passage de M. [U] s'exercera désormais par l'usage du chemin rural démarrant entre les parcelles n° [Cadastre 1] et n° [Cadastre 7], cheminant jusqu'à la parcelle n° [Cadastre 2] et que l'accès à la parcelle n° [Cadastre 5] de M. [U] s'effectuera sur une largeur d'au moins 3 mètres en traversant les parcelles n° [Cadastre 2] et n° [Cadastre 6] lui appartenant,

- l'a condamnée :

- sans astreinte, à démolir totalement et à retirer la clôture et autres ouvrages ou obstacles qui empiètent sur la propriété de M. [U] dans la partie triangulaire en pointe de la parcelle n° [Cadastre 5] lui appartenant,

- à payer à M. [U] la somme de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,

- l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts,

- a déclaré irrecevables ses demandes reconventionnelles présentées sur le fondement de l'article 673 du code civil,

- a ordonné l'exécution provisoire,

- l'a condamnée à payer à M. [U] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de l'instance,

statuant à nouveau :

- juger que le procès-verbal du 11 avril 2018 de Me [T] est nul et irrecevable et l'écarter des débats,

- débouter M. [U] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions particulièrement mal fondées,

- juger que la parcelle cadastrée D [Cadastre 5] située au lieudit [Adresse 11] sur la commune de [Localité 10] et appartenant à M. [U] n'est pas enclavée en ce qu'un chemin rural est déjà existant, d'une largeur suffisante qui la relie à la route départementale 31,

- rejeter l'ensemble des demandes d'astreinte relatives à l'enlèvement de clôtures et obstacles dont il n'est pas démontré qu'ils aient été mis en place par ses soins et encore moins qu'ils soient installés sur la propriété de M. [U],

- débouter M. [U] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

sur les demandes reconventionnelles :

- condamner M. [U] à procéder à la coupe des arbres situés à moins de 50 cm de la clôture séparative entre les parcelles n°[Cadastre 5] (M. [U]) et n°[Cadastre 3] (elle-même) et à étêter ceux mesurant plus de deux mètres placés entre 50 cm et 2 mètres de ladite clôture, et ce sous astreinte de 300 euros par jours de retard à compter de la signification de l'arrêt à venir,

- juger que l'astreinte courra pendant une période de six mois à compter du prononcé de l'arrêt à intervenir, période au terme de laquelle il pourra être procédé à sa liquidation par la juridiction et à la fixation d'une astreinte définitive,

- condamner M. [U] :

- à la somme de 5 000 euros de dommages-intérêts en réparation de son préjudice,

- à la somme de 5 000 euros (quatre mille euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- juger qu'il succombera en tous les dépens intégrant notamment le coût du procès-verbal de constat du 29 octobre 2019 (340,01 euros) et les frais éventuels d'exécution,

- le débouter de la totalité de ses demandes.

Suivant ses dernières conclusions notifiées le 17 septembre 2021, M. [U] demande à la cour, sur le fondement des articles 682 et suivants, 545 et suivants, 1240 et 1241 du code civil, et 700 du code de procédure civile, de :

- déclarer recevable mais mal fondé l'appel de Mme [H] épouse [E],

- débouté l'appelante de l'intégralité de ses demandes formulées devant la cour,

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a :

- rejeté les demandes présentées par Mme [H] tendant à la nullité comme à l'irrecevabilité du constat d'huissier établi le 11 avril 2018 par Me [T], huissier de justice,

- jugé que le fonds n°[Cadastre 5] lui appartenant se trouve dans une situation d'enclave en raison d'une issue insuffisante sur la voie publique pour l'exploitation de son fonds au sens de l'article 682 du code civil,

- jugé que son droit de passage s'exercera désormais par l'usage du chemin rural démarrant entre les parcelles n°[Cadastre 1] et n°[Cadastre 7], cheminant jusqu'à la parcelle n° [Cadastre 2] et que l'accès à sa parcelle n°[Cadastre 5] s'effectuera sur une largeur d'au moins 3 mètres en traversant les parcelles n°[Cadastre 2] et n°[Cadastre 6] appartenant à Mme [H],

- constaté qu'il se désiste de sa demande présentée à l'encontre de Mme [H] d'avoir à retirer sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard la pompe et la canalisation installées dans l'ouvrage maçonné de la source au lieu du bac en ciment tel que résultant du titre bénéficiant à Mme [H],

- débouté Mme [H] de sa demande de dommages et intérêts,

- déclaré irrecevables les demandes reconventionnelles présentées par Mme [H] sur le fondement de l'article 673 du code civil,

- ordonné l'exécution provisoire,

- condamné Mme [H] au paiement de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et des entiers dépens de l'instance,

faisant droit son appel incident en ce que le tribunal a :

- condamné (sans astreinte) Mme [H] épouse [E] à démolir totalement et à retirer la clôture et autres ouvrages ou obstacles qui empiètent sur sa propriété dans la partie triangulaire en pointe de la parcelle n° [Cadastre 5] lui appartenant,

- condamné Mme [H] épouse [E] au paiement de la somme de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,

- réformer le jugement sur ces points et statuant à nouveau :

- condamner sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard Mme [H] épouse [E] à démolir totalement et à retirer la clôture et autres ouvrages ou obstacles qui empiètent sur sa propriété dans la partie triangulaire en pointe de la parcelle n° [Cadastre 5] lui appartenant,

- la condamner au paiement de la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en indemnisation du préjudice subi,

subsidiairement, si d'aventure la cour s'estimait insuffisamment informée :

- désigner tel expert qu'il plaira aux fins de procéder à l'examen des lieux, de décrire l'état actuel des conditions et possibilités d'accès depuis le chemin rural et au travers des parcelles [Cadastre 2] et [Cadastre 6] d'un engin agricole d'au moins 3 mètres dans la parcelle [Cadastre 5], décrire et préciser la nature des obstacles audit passage et les largeurs de passage existant actuellement,

- décrire et chiffrer la nature et le coût des travaux devant être réalisés pour permettre l'accès d'un engin agricole et d'un passage d'au moins 3 mètres de large dans la parcelle [Cadastre 5], au travers des parcelles [Cadastre 2] et [Cadastre 6],

- surseoir à statuer dans l'attente du rapport de l'expert,

à titre infiniment subsidiaire, si d'aventure la cour estimait devoir le condamner à procéder auxdites coupes d'arbres :

- dire et juger qu'en ce cas, il se verra accorder un droit de passage d'une largeur d'au moins 3 mètres en traversant la parcelle [Cadastre 2] d'une part et [Cadastre 6], d'autre part et qu'un délai de 6 mois lui sera en ce cas accordé pour y procéder,

- débouter en tout état de cause l'appelante de sa demande en organisation d'astreinte et paiement de dommages et intérêts,

- la condamner en tout état de cause au paiement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de la procédure de première instance et d'appel.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 mai 2024.

MOTIVATION

Sur la nullité et l'irrecevabilité du constat d'huissier (commissaire de justice)

L'appelante reproche au commissaire de justice :

- un manque d'objectivité et de neutralité dans ses constatations ;

- d'avoir pénétré sans son autorisation sur sa propriété.

Les mentions intrinsèques du constat, propres à l'ensemble des actes des commissaires de justice (date, lieu, identité du commissaire de justice) font foi jusqu'à inscription de faux.

N'ayant pas mis en oeuvre la procédure prévue aux articles 303 et suivants du Code de procédure civile, l'appelante fonde sa demande en nullité sur les dispositions de l'article 249 du même Code qui ne se rapportent cependant qu'aux mesures d'instruction exécutées par un technicien. En conséquence, le constat de Me [T] du 11 avril 2018, commissaire de justice mandaté par une des partie, ne peut être déclaré irrecevable en application de ce texte.

L'article 1er de l'ordonnance du 2 novembre 1945, également invoqué par l'appelante, disposait que les huissiers de justice pouvaient être commis en justice pour effectuer des constatations purement matérielles, exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter. Cependant, ce texte a été abrogé et remplacé par l'article 1er, II, 2° de l'ordonnance n° 2016-728 du 2 juin 2016.

Le commissaire de justice doit respecter les règles induites par la déontologie de sa profession et la connaissance des droits constitutionnellement protégés. Il ne peut prêter son concours à l'établissement de procès-verbaux contraires à la loi, portant atteinte à l'intimité de la vie privée, au domicile ou à la propriété. Il doit aussi, et cela fait partie de son obligation de conseil, veiller à l'opportunité et la pertinence de ses constatations afin de permettre à son client de bénéficier au mieux de son droit à la preuve, principe expressément reconnu par la Cour de cassation le 5 avril 2012 (Civ. 1re, 5 avril 2012, n° 11-14.177).

S'il la lecture du procès-verbal de constat dressé par Me [T] le 11 avril 2018 démontre que l'officier ministériel formule parfois des considérations subjectives, en indiquant que les consorts [H]-[E] se sont illégalement accaparés la parcelle n°[Cadastre 5] (p4), celles-ci ne seront tout simplement pas retenues par la cour sans pour autant que ses autres constatations dobjectives doivent également être écartées.

Il n'est par ailleurs pas démontré par l'appelante que le commissaire de justice a pénétré sans son autorisation sur sa propriété.

En l'état, le jugement entrepris ayant rejeté la demande présentée par Mme [H] épouse [E] sera donc confirmé sur ce point.

Sur la servitude de passage au profit de M. [D] [U]

M. [D] [U] soutient que son fonds cadastré n°[Cadastre 5] ne dispose pas, notamment pour permettre le passage d'engins agricoles, d'un accès suffisant à la voie publique de sorte qu'il est enclavé. Il réclame pour y accéder le bénéfice d'une servitude de passage grevant le fonds n°[Cadastre 2] de Mme [H] épouse [E].

En réponse, cette dernière conteste la solution retenue par le tribunal qui a fait droit à l'argumentation développée par son voisin.

Aux termes des dispositions de l'article 682 du Code civil, le propriétaire dont les fonds sont enclavés et qui n'a sur la voie publique aucune issue, ou qu'une issue insuffisante, soit pour l'exploitation agricole, industrielle ou commerciale de sa propriété, soit pour la réalisation d'opérations de construction ou de lotissement, est fondé à réclamer sur les fonds de ses voisins un passage suffisant pour assurer la desserte complète de ses fonds, à charge d'une indemnité proportionnée au dommage qu'il peut occasionner.

En cause d'appel, l'intimé ne conteste plus désormais que sa parcelle n°[Cadastre 5] provient d'une division résultant d'un acte de donation-partage dressé le 18 novembre 2015.

En effet, la parcelle n°[Cadastre 4], qui appartenait à la mère de M. [D] [U], a été divisée entre ses héritiers.

L'appelante invoque les dispositions de l'article 684 du Code civil qui dispose que si l'enclave résulte de la division d'un fonds par suite d'une vente, d'un échange, d'un partage ou de tout autre contrat, le passage ne peut être demandé que les terrains qui ont fait l'objet de ces actes, sauf si un passage suffisant ne pourrait être établi sur ces parcelles.

Un chemin rural offrait au propriétaire de la parcelle [Cadastre 4] un accès à la voie publique, en l'occurrence la route départementale 31.

Or, une partie de cette voie d'accès se trouvant sur la propriété de Mme [H] épouse [E] a été acquise par usucapion par celle-ci comme l'a reconnu le tribunal de grande instance de Bergerac dans sa décision du 9 janvier 2001. Ce fonds est désormais cadastré n°[Cadastre 6].

Il demeure néanmoins une partie triangulaire permettant de relier le chemin rural subsistant à la parcelle n°[Cadastre 5]. Sa largeur est de 1,25 m selon les mesures prises par Me [T].

M. [D] [U] souhaite bénéficier d'une servitude de passage grevant une partie de l'ancien chemin rural acquis par usucapion par sa voisine afin d'élargir le passage pour lui permettre d'accéder à l'aide d'un engin agricole à la RD31.

Cependant, l'intimé, dont ses conclusions font apparaître qu'il est né en 1955, ne fournit aucun document qui démontre l'exercice d'une activité professionnelle requérant l'utilisation de tracteurs ou d'autres machines imposantes et nécessitant dès lors une largeur de passage suffisante.

Il doit être observé que le commissaire de justice mandaté par l'appelante établit dans son constat du 29 octobre 2019 que l'accès triangulaire dont il bénéficie présente de nombreuses traces de roues de véhicules, l'officier ministériel ayant pour sa part mesuré un espace de 2,35 m et non d'1,25 m. Il ajoute que le passage s'élargit très rapidement, après le portail apposé par Mme [H] épouse [E] sur sa parcelle n° [Cadastre 2], pour atteindre plus de 3m (p10 et s.). L'insuffisance de ce passage n'est donc pas démontrée.

Comme l'a rappelé la cour de cassation, un simple souci de commodité et de convenance ne permet pas de caractériser l'insuffisance de l'issue sur la voie publique (Civ. 3e, 24 juin 2008, n°07-15.944).

En conséquence, et sans qu'une mesure d'expertise soit nécessaire pour parvenir la solution du litige, M. [D] [U] sera débouté de sa demande tendant à obtenir une servitude de passage sur les fonds n°[Cadastre 2] et n°[Cadastre 6] appartenant à sa voisine. Le jugement déféré sera donc infirmé sur ce point.

Sur la condamnation au retrait des ouvrages

Mme [H] épouse [E] conteste la décision déférée qui l'a condamnée à démolir totalement et à retirer la clôture et autres ouvrages ou obstacles qui empiètent sur la propriété de M. [U] dans la partie triangulaire en pointe de la parcelle n° [Cadastre 5] lui appartenant.

En réponse, l'intimé sollicite la confirmation du jugement sur ce point tout en réclamant que la condamnation soit assortie d'une mesure d'astreinte.

L'article 545 du code civil dispose que nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n'est pour cause d'utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité.

Il est établit qu'une clôture grillagée séparent la partie de la parcelles n°[Cadastre 6] (ancien chemin rural acquis par usucapion par Mme [H] épouse [E]) jouxtant celle de M. [D] [U] (n°[Cadastre 5]).

Dans son constat du 11 avril 2018 (p3 et 4), Me [T] conlut, sans cependant étayer suffisamment sa démonstration, que la clôture 'en mauvais état et affaissée, constituée de fils de fer non tendus, dangereux et non entretenue' se trouve implantée sur le fonds de l'intimé.

L'absence de bornes ou d'autres objets séparant les deux propriétés ainsi que d'un mesurage précis des parcelles des deux parties, éléments à partir desquels il était possible de constater un état d'empiétement, ne permet donc pas de valider l'affirmation quelque peu péremptoire de l'officier ministériel.

Il doit être ajouté que les nombreuses photographies figurant au procès-verbal de constat dressé le 29 octobre 2019 par Me [C], mandaté par Mme [H] épouse [E], démontrent que la parcelle n°[Cadastre 5] était recouverte d'une végétation très épaisse de sorte qu'il n'est pas possible de visualiser avec suffisamment de précisions les limites divisoires des parcelles respectives des deux parties.

En conséquence, il n'est pas établi que les ouvrages critiqués soient implantés sur la parcelle n°[Cadastre 5] en violation du droit de propriété de M. [D] [U].

Dès lors, sans qu'il soit nécessaire d'ordonner une expertise dans la mesure où il n'appartient pas à la cour de suppléer la carence de la preuve de l'une des parties, il convient d'infirmer le jugement entrepris et de rejeter la demande présentée à l'encontre de Mme [H] épouse [E] tendant à obtenir sa condamnation sous astreinte à démolir et retirer la clôture et des autres ouvrages.

Sur les demandes indemnitaires

En conséquence du rejet des prétentions de l'intimé, l'appelante ne saurait être condamnée au paiement à celui-ci de dommages et intérêts. La décision attaquée sera donc réformée sur ce point.

Sur les demandes reconventionnelles de Mme [H] épouse [E]

Sur la coupe et l'étêtage des arbres

Contrairement à ce qu'a indiqué le tribunal, il existe un lien suffisant entre la demande reconventionnelle présentée par Mme [H] épouse [E] à l'encontre de M. [D] [U] et celles présentées à titre principal par ce dernier.

En effet, sa demande tendant à obtenir, sous peine d'astreinte, la condamnation du propriétaire de la parcelle n° [Cadastre 5] à procéder à la coupe des arbres empiétant sa propriété cadastrée n°[Cadastre 3] s'inscrit dans le conflit de voisinage les opposant, l'entier litige portant sur les mêmes fonds.

Comme l'exige l'article 70 du Code de procédure civile, il existe donc un lien suffisant entre la demande reconventionnelle et les prétentions originaires de M. [D] [U].

Aux termes de l'article 673 du code civil, celui sur la propriété duquel avancent les branches des arbres, arbustes et arbrisseaux du voisin peut contraindre celui-ci à les couper. Les fruits tombés naturellement de ces branches lui appartiennent. Si ce sont les racines, ronces ou brindilles qui avancent sur son héritage, il a le droit de les couper lui-même à la limite de la ligne séparative. Le droit de couper les racines, ronces et brindilles ou de faire couper les branches des arbres,arbustes ou arbrisseaux est imprescriptible.

Ce droit est imprescriptible mais n'est pas d'ordre public.

Sur le fond, le constat d'huissier produit par l'intimé demeure imprécis quant à la localisation des parcelles et les limites divisoires des fonds n°[Cadastre 3] et [Cadastre 5].

Si l'existence d'une végétation luxuriante n'apparaît pas anormale en forêt, il n'est pas possible de déterminer, en l'absence de mesurage précis et de détention par l'officier ministériel de plans dressé par un géomètre-expert, si les branches d'arbres et arbustes des végétaux situés sur la propriété de l'appelant débordent effectivement et envahissent celle de Mme [H] épouse [E].

Il convient en outre de noter une certaine contradiction dans l'argumentation développée par l'appelante qui soutient tout à la fois que son voisin bénéficie d'une largeur suffisante pour emprunter sa parcelle n°[Cadastre 5] tout en indiquant que l'importante végétation qui s'y trouverait constituerait un obstacle empêchant tout déplacement.

En conséquence, cette prétention ne peut qu'être rejetée.

Sur les dommages et intérêts

Ne justifiant d'aucun préjudice indemnisable au regard du rejet de ses prétentions, Mme [H] épouse [E] sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts.

Sur l'article 700 du code de procédure civile

Il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'une ou l'autre des parties, tant au stade de la première instance qu'en cause d'appel, le versement d'une somme sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Succombant en l'ensemble de ses demandes principales, M. [U] sera condamné au paiement des dépens de première instance et d'appel qui ne comprendront pas le coût du procès-verbal de constat du 29 octobre 2019.

PAR CES MOTIFS

- Confirme, dans les limites de l'appel, le jugement rendu le 9 avril 2021 par le tribunal judiciaire de Bergerac en ce qu'il a rejeté les demandes présentées par Mme [V] [H] épouse [E] tendant à obtenir :

- la nullité comme à l'irrecevabilité du constat d'huissier établi le 11 avril 2018 par maître [T], huissier de justice ;

- la condamnation de M. [D] [U] au paiement de dommages et intérêts ;

- la condamnation de M. [D] [U] au paiement d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- L'infirme pour le surplus et, statuant à nouveau :

- Dit que le fonds n°[Cadastre 5] appartenant à M. [D] [U] ne présente pas un état d'enclave ;

- Rejette la demande présentée par M. [D] [U] tendant à obtenir une servitude de passage sur les fonds cadastrés n°[Cadastre 2] et [Cadastre 6] appartenant à Mme [V] [H] épouse [E] ;

- Rejette la demande présentée par M. [D] [U] tendant à obtenir la condamnation sous astreinte de Mme [V] [H] épouse [E] à démolir totalement et à retirer la clôture, autres ouvrages ou obstacles qui empiètent sa propriété dans la partie triangulaire en pointe de la parcelle n°[Cadastre 5] ;

- Rejette la demande présentée par M. [D] [U] tendant à obtenir la condamnation de Mme [V] [H] épouse [E] au paiement de la somme de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts et d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Déclare recevable la demande reconventionnelle présentée par Mme [V] [H] épouse [E] tendant à obtenir la condamnation sous astreinte de M. [D] [U] à procéder à la coupe des arbres situés à moins de 50 centimètre de la clôture séparative des parcelles n°[Cadastre 5] et [Cadastre 3] et à étêter ceux mesurant plus de 2 mètres placés entre 50 centimètres et deux mètres ;

- Condamne M. [D] [U] au paiement des dépens de première instance ;

Y ajoutant ;

- Rejette les demandes présentées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamne M. [D] [U] au paiement des dépens d'appel.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jacques BOUDY, président, et par Madame Audrey COLLIN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre civile
Numéro d'arrêt : 21/02724
Date de la décision : 11/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-11;21.02724 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award