COUR D'APPEL DE BORDEAUX
3ème CHAMBRE FAMILLE
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ARRÊT DU : 11 JUILLET 2024
N° RG 21/02148 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MBTU
[P] [H] [VA] [F] épouse [E]
c/
[J] [O] [W] [F] épouse [T]
[D] [Y] [I] [F]
[R] [X] [B] [F] épouse [SB]
Nature de la décision : AU FOND
28A
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 23 février 2021 par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de BORDEAUX (RG n° 16/08373) suivant déclaration d'appel du 12 avril 2021
APPELANTE :
[P] [H] [VA] [F] épouse [E]
née le [Date naissance 1] 1962 à [Localité 19]
de nationalité Française
demeurant [Adresse 6]
Représentée par Me Sylvie ROBERT, avocat au barreau de BORDEAUX substitué par Me Michel ASTIER
INTIMÉS :
[J] [O] [W] [F] épouse [T]
née le [Date naissance 4] 1970 à [Localité 19]
de nationalité Française
demeurant [Adresse 8]
Non comparant, non représenté (DA signifiée le 02/06/2021, conclusions signifiées le 24/07/2021)
[D] [Y] [I] [F]
né le [Date naissance 7] 1956 à [Localité 19]
de nationalité Française
demeurant [Adresse 10]
Représenté par Me Laeticia CADY de la SELAS GAUTHIER-DELMAS, avocat au barreau de BORDEAUX
[R] [X] [B] [F] épouse [SB]
née le [Date naissance 9] 1960 à [Localité 19]
de nationalité Française
demeurant [Adresse 5]
Représentée par Me Laeticia CADY de la SELAS GAUTHIER-DELMAS, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 14 mai 2024 en audience publique, devant la Cour composée de :
Présidente : Hélène MORNET
Conseillère : Danièle PUYDEBAT
Conseillère : Isabelle DELAQUYS
qui en ont délibéré.
Greffière lors des débats : Véronique DUPHIL
Greffière lors du prononcé : Florence CHANVRIT
Le rapport oral de l'affaire a été fait à l'audience avant les plaidoiries.
ARRÊT :
- réputé contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
* * *
EXPOSE DU LITIGE
M. [I] [F] et Mme [N] [A] se sont mariés le [Date mariage 12] 1956 sous le régime de la séparation de biens et ont eu quatre enfants :
- M. [D] [F],
- Mme [R] [F], épouse [SB],
- Mme [P] [F], épouse [E],
- Mme [J] [F], épouse [T].
Depuis 1997, le couple vivait séparément, M. [I] [F] dans une maison située [Adresse 15] et Mme [N] [A] dans une maison située [Adresse 16].
Mme [A] a été placée sous curatelle renforcée le 22 février 2013 puis sous tutelle en décembre 2014.
M. [I] [F] a, de son vivant, souscrit trois contrats d'assurance-vie :
- un contrat nuances plus n° 859039372 souscrit le 8 avril 2005 auprès de [22] avec primes versées après 70 ans d'un montant de 100.503 euros,
- un livret assurance-vie n° 419195498 souscrit le 8 juin 2012 auprès de [22] avec primes versées après 70 ans d'un montant de 15.300 euros,
- un contrat Mutavie n° 105940224 souscrit le 5 juillet 2000 auprès de la [24] d'un montant de 287.900,09 euros.
M. [I] [F] est décédé le [Date décès 14] 2014 et a laissé pour lui succéder son épouse Mme [N] [A] ainsi que leurs quatre enfants.
Maître [V] [U], notaire du défunt, a été chargé des opérations de liquidation et partage de la succession le 6 novembre 2014 qui ont révélé l'existence d'un testament olographe, daté du 19 avril 2013 par lequel il a révoqué toutes dispositions antérieures, légué la quotité disponible de ses biens à M. [D] [F] et Mme [R] [F] et les a désignés bénéficiaires de la totalité de ses contrats d'assurance.
Des contestations s'étant élevées à l'occasion de la reconstitution des masses active et passive de la succession, Mme [J] [T], représentée dans le cadre des opérations successorales de M. [I] [F] par Maître [C] [Z], notaire à [Localité 18], a, par actes d'huissier distincts en date des 16, 22 et 27 juin 2016, assigné devant le tribunal de grande instance de Bordeaux, M. [D] [F], Mme [R] [F] , Mme [P] [F] et Mme [N] [A], représentée par sa tutrice Mme [TN] [S], aux fins de voir ordonner les opérations de liquidation et partage de la succession de M. [I] [F] et au préalable une expertise patrimoniale.
Par ordonnance en date du 16 octobre 2017, le juge de la mise en état a notamment :
- ordonné la communication par M. [D] [F] dans le délai de deux mois à compter de la signification de l'ordonnance, des relevés du compte bancaire joint à [21] ayant existé entre lui-même et M. [I] [F], depuis l'ouverture du compte, sous astreinte de 50 euros par jour de retard pendant un mois,
- ordonné une expertise des biens immobiliers dépendant de la succession de M. [I] [F] situés à [Localité 19] et à [Localité 25], désigné Maître [D] [ZO] pour y procéder et a mis à la charge de Mme [J] [T] l'avance des frais d'expertise.
Mme [N] [A] est décédée le [Date décès 13] 2017 et a laissé pour lui succéder ses quatre enfants issus de son union avec M. [I] [F].
Mme [J] [T] n'ayant pas consigné dans le délai imparti la somme mise à sa charge à titre de provision à valoir sur la rémunération de l'expert judiciaire, le juge chargé du contrôle des expertises a, par ordonnance du 27 avril 2018, constaté la caducité de la désignation de Maître [D] [ZO].
Par jugement en date du 23 février 2021, le tribunal judiciaire de Bordeaux a :
- ordonné l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage des intérêts matrimoniaux ayant existé entre M. [I] [F] et Mme [N] [A] épouse [F] et de leurs successions,
- désigné pour procéder aux opérations de compte, liquidation et partage de l'indivision le président de la Chambre des notaires de [Localité 23] avec faculté de délégation à tout notaire de cette chambre, à l'exception de Me [V] [U], notaire à [Localité 25], comme de Me [C] [Z], notaire à [Localité 17] ou de tout membre de leur office,
- dit qu'en cas d'empêchement du notaire délégué, le président de la chambre des notaires de [Localité 23] procédera lui-même à son remplacement par ordonnance rendue à la requête de la partie la plus diligente,
- rappelé qu'il appartient au notaire en cas de carence d'un indivisaire de lui faire désigner un représentant légal en application des articles 841-1 du code civil et 1367 du code de procédure civile,
- rappelé que le notaire désigné devra accomplir sa mission en ce compris les démarches nécessaires à l'évaluation des biens immobiliers d'après les documents et renseignements communiqués par les parties, d'après les informations qu'il peut recueillir lui-même et si nécessaires selon les modalités prévues par l'article 1365 du code de procédure civile,
- rappelé que le notaire pourra si nécessaire s'adresser aux centres des services informatiques cellules FICOBA et FICOVIE qui seront tenus de lui communiquer l'ensemble des informations qu'il réclame,
- rappelé que le notaire devra achever ses opérations dans le délai d'un an suivant sa désignation par le président de la Chambre des notaires de [Localité 23], sauf suspension prévue par l'article 1369 du code de procédure civile vu délai supplémentaire sollicité dans les conditions de l'article 1370 du code de procédure civile,
- désigné pour surveiller les opérations le juge de la mise en état de la première chambre civile du tribunal judiciaire de Bordeaux en qualité de juge commis,
- rappelé qu'il appartiendra au notaire désigné, en cas de désaccord des copartageants sur le projet d'état liquidatif dressé par lui, de transmettre au juge commis un procès-verbal reprenant les dires respectifs des parties ainsi que le projet d'état liquidatif,
- dit que le véhicule BMW cédé le 16 octobre 2014 par M. [I] [F] avant son décès à M. [D] [F] devra être fictivement rapporté à la masse successorale pour sa valeur argus à la date de sa cession,
- liquidé l'astreinte prononcée par le juge de la mise en état dans son ordonnance du 16 octobre 2017 à la somme de 350 euros,
- condamné M. [D] [F] à payer à Mme [J] [F] la somme de 350 euros au titre de l'astreinte,
- dit qu'il convient d'inscrire à l'actif de la succession de M. [I] [F] le compte CCP n° [XXXXXXXXXX03] à hauteur de 35.669,02 euros, solde créditeur au jour de son décès,
- dit qu'il incombera au notaire de faire les comptes et de déterminer le solde du compte à partager après déduction des libéralités non rapportables faites aux petits enfants, et imputation à l'indivision les frais réglés pour le compte de l'indivision consécutifs au décès (frais d'obsèques) et d'indivision (notamment d'entretien des biens indivis) au vue des justificatifs qui lui seront remis par M. [D] [F],
- dit que le bateau dépendant de la succession de M.[I] [F] devra être pris en compte dans l'actif de la succession à sa valeur à la date la plus proche du partage,
- dit que M. [D] [F] est redevable envers l'indivision successorale d'une indemnité mensuelle d'occupation au titre du bien immobilier [Adresse 15] du 4 novembre 2014 au 1er juin 2017 qui sera calculée sur la base de la valeur locative de la maison de ce bien telle qu'elle sera fixée par le notaire au vu de l'accord des parties et à défaut selon les modalités de l'article 1365 du code de procédure civile,
- débouté Mme [J] [F] et Mme [P] [F] du surplus de leurs demandes au titre du recel et du rapport à la succession, tant des liquidités, que du véhicule CITROEN, des objets et mobiliers, que des capitaux perçus au titre des assurances vie contrat nuances plus n° 85 9039372, livret assurance vie n° 41 91 95 498 et MUTAVIE n° 10 59 40 224,
- débouté les parties de leurs plus amples et contraires demandes y compris sur de le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit que les dépens seront frais privilégiés de liquidation et partage de la succession,
- ordonné l'exécution provisoire de la décision.
Procédure d'appel :
Par déclaration d'appel en date du 12 avril 2021, Mme [P] [F], épouse [E] (Mme [E]), a formé appel du jugement de première instance en toutes ses dispositions.
Selon dernières conclusions en date du 5 janvier 2022, Mme [E] demande à la cour de :
- déclarer Mme [P] [E] recevable et bien fondée en son appel,
- débouter M. [D] [F] et Mme [R] [F] de leur appel incident en ce qu'il tend à voir réformer le jugement sur le principe de l'indemnité d'occupation, sur la liquidation de l'astreinte et la condamnation de M. [D] [F] à payer à Mme [P] [F] la somme de 350 euros à ce titre,
- en conséquence, faisant droit à l'appel de Mme [P] [E], réformer le jugement en ce qu'il a :
* arrêté l'indemnité d'occupation due par M. [D] [F] au 1er juin 2017,
* débouté Mme [P] [E] de ses demandes tendant à voir :
* rapporter à l'actif successoral le capital des trois contrats d'assurance-vie souscrits par feu M. [I] [F],
* rapporter à l'actif successoral la somme de 20.000 euros prélevée par M. [D] [F] et répartie à parts égales entre Mme [G] [SB], Mme [M] [SB], M. [PO] [F], Mme [BX] [F],
Statuant à nouveau,
- ordonner le rapport par M. [D] [F] et Mme [R] [F] à la succession des capitaux au jour du décès des trois contrats d'assurance vie requalifiés en legs, à savoir deux contrats auprès de [22] :
* contrat nuances plus numéro 859039372 souscrit le 8 avril 2005 avec primes versées après 70 ans de 100.503 euros (Pièces 25 adverse),
* contrat livret assurance-vie numéro 41 91 95 498 souscrit le 8 juin 2012, avec primes versées après 70 ans de 15.300 euros (Pièce 26 adverse),
* et un contrat MUTAVIE livret vie numéro 10 59 40 224 souscrit le 5 juillet 2000 187.900,09 euros (pièce 26 adverse),
M. [I] [F] ayant entendu inclure les capitaux de ces 3 contrats d'assurance vie dans sa succession en désignant les bénéficiaires de ces contrats dans son testament olographe du 10 avril 2013,
- annuler l'acte dactylographié daté du 15 octobre 2014 et signé le 16 octobre 2014 par M. [I] [F], objet des pièces 23 et 24 de la communication adverse,
- en conséquence, condamner M. [D] [F] à restituer à la succession la somme de 20.000 euros prélevée sur le solde du compte CCP n° [XXXXXXXXXX03] et qu'il a répartie à hauteur de 5.000 euros chacun à ses deux enfants et ses deux nièces,
- fixer la durée de l'indemnité d'occupation due par M. [D] [F] à compter du [Date décès 14] 2014 date du décès de M. [I] [F] jusqu'à la date du partage à intervenir,
- confirmer le jugement pour le surplus,
- condamner solidairement Mme [R] [F] et M. [D] [F] au paiement d'une indemnité de 4.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- les condamner solidairement aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Selon dernières conclusions en date du 7 février 2023, M. [D] [F] et Mme [R] [F] demandent à la cour de :
- déclarer M. [D] [F] recevable et bien fondé en son appel incident,
- confirmer le jugement rendu le 23 février 2021 par le tribunal judiciaire de Bordeaux dans toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a :
* liquidé l'astreinte prononcée par le Juge la mise en état dans son ordonnance du 16 octobre 2017 à la somme de 350 euros,
* condamné M. [I] [F] à payer à Mme [J] [T] la somme de 350 euros au titre de l'astreinte,
* dit que M. [D] [F] est redevable envers l'indivision d'une indemnité mensuelle d'occupation au titre du bien immobilier situé [Adresse 15], du [Date décès 14] 2014 au 1er juin 2017,
* réformer le jugement rendu le 23 février 2021 par le tribunal judiciaire de Bordeaux des chefs de jugement susvisés ;
En conséquence, statuant à nouveau,
- juger que les contrats d'assurance-vie souscrits par M. [I] [F] n'ont pas été légués à M. [D] [F] et Mme [R] [F] ,
- juger que les contrats d'assurance-vie souscrits par M. [I] [F] ne sont pas des donations déguisées au profit de M. [D] [F] et de Mme [R] [F],
- juger que M. [D] [F] et Mme [R] [F] n'ont pas à rapporter à la succession de leur père les capitaux au jour du décès des trois contrats d'assurance-vie souscrits par ce dernier,
- juger que le bien immobilier de [Localité 25] n'est pas occupé privativement par M. [D] [F],
- juger que M. [D] [F] n'est pas redevable d'une indemnité d'occupation pour la maison de [Localité 25],
- débouter Mme [P] [E] de sa demande de fixation d'une indemnité d'occupation formulées à l'encontre de M. [D] [F],
- juger que M. [D] [F] ne doit pas rapporter les sommes qui figuraient sur le compte ouvert à [21] sous le n° [XXXXXXXXXX02] et dont il n'a pas bénéficié,
- débouter Mme [P] [E] de l'ensemble de ses demandes formulées à l'encontre de leurs cohéritiers,
- condamner Mme [J] [T] et Mme [P] [E] à verser à M. [D] [F] et Mme [R] [F] la somme de 5.000 euros chacun sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Pour un plus ample exposé des moyens et de l'argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures déposées.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 30 avril 2024.
L'affaire a été fixée à l'audience collégiale du 14 mai 2024. Le délibéré fixé au 25 juin 2024, a été prorogé au 11 jullet 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur l'appel principal :
Sur la qualification des contrats assurance vie :
Aux termes de l'article L. 131-12 du code des assurances, ni le capital, ni les primes versées ne sont rapportables à la succession.
Toutefois, l'article L. 131-13 du code des assurances dispose que les primes manifestement excessives par rapport à la fortune et aux revenus du souscripteur font l'objet d'un rapport. Le caractère manifestement excessif des primes s'apprécie au moment du versement, au regard de l'âge, des situations patrimoniale et familiale du souscripteur, et de l'utilité du contrat pour celui-ci.
En l'espèce, le tribunal, au vu des pièces dont il disposait quant aux revenus et au patrimoine dont disposait M. [I] [F] à la date de souscription des contrats, a estimé que Mmes [T] et [E] ne démontraient pas le caractère manifestement exagéré des primes d'assurance vie litigieuses et qu'il convenait, en conséquence, de les débouter de leur demande de rapport à la succession.
Mme [E] conclut en appel à l'infirmation de ce débouté, sans toutefois apporter de nouveaux éléments permettant de caractériser le caractère exagéré des primes versées par le défunt.
La cour ne peut dès lors que confirmer le jugement déféré de ce chef.
Sur la requalification des contrats d'assurance vie en legs :
Aux termes des articles L 132-8 et L 132-12 du code des assurances, la désignation du bénéficiaire d'un contrat assurance vie peut résulter d'un testament ; il est toutefois constant que cette seule désignation du bénéficiaire dans le testament est insuffisante pour qualifier le bénéfice de libéralité.
Mme [E] conclut à l'infirmation du jugement, en ce qu'il a débouté Mmes [T] et [E] de leur demande de requalification des trois contrats d'assurance vie en legs rapportables à la succession ; elle estime que si le testateur a souhaité gratifier deux enfants de la quotité disponible, leur désignation en qualité de bénéficiaires traduit le souhait de voir rapporter à la succession ces contrats pour déterminer la part réservataire et la quotité disponible.
Le testament olographe rédigé par M. [I] [F] en date du 19 avril 2013 énonce précisément :
"Ceci est mon testament.
Je révoque toutes dispositions antérieures.
Je lègue la quotité disponible de mes biens à mes deux enfants:
[D] [Y] [F]
[R] [K] [B] [F]
Je désigne mes deux enfants susnommés bénéficiaire de la totalité de mes contrats d'assurance vie."
Il revient au juge du fond de rechercher la volonté du testateur aux fins de déterminer, par une appréciation souveraine, si le testateur a entendu inclure ou non le contrat d'assurance vie dans l'actif successoral.
En l'espèce, c'est par une juste analyse de la volonté du testateur que la cour fait sienne que les premiers juges, après avoir rappelé que le testament est intervenu postérieurement à la souscription des trois contrats d'assurance vie, ont estimé que l'intention manifeste du testateur, résultant de la rédaction même du testament, a été de gratifier ses deux enfants [D] et [R] à deux titre différents, d'une part en leur léguant la quotité disponible, d'autre part en les faisant bénéficier d'un capital hors succession.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement en ce qu'il déboute Mme [T] et Mme [E] de leur demande de requalification des contrats en legs rapportable à la succession.
Sur le rapport de la somme de 20 000 euros :
Il résulte de l'article 847 du code civil que les dons et legs faits au fils de celui qui se trouve successible à l'époque de l'ouverture de la succession sont toujours réputés faits avec dispense de rapport.
L'article 848 du même code ajoute que le fils qui vient de son chef à la succession du donateur n'est pas tenu du rapport du don fait à son père ; en revanche, s'il vient en représentation de son père, il en doit le rapport, quand bien même il aurait renoncé à la succession de ce dernier.
En cause d'appel, pour voir infirmer le jugement déféré de ce chef et ordonner le rapport de cette somme, Mme [E] conclut:
- à la nullité de l'écrit dactylographié signé le 16 octobre 2014 par M. [I] [F], en ce qu'il ne respectait ni le formalisme d'une donation, imposé par l'article 931 du code civil, ni celui de l'article 967 si s'agisait d'un testament,
- au fait que la somme de 20 000 euros, retirée par M [D] [F] postérieurement au décès de son père, a transité par son compte personnel ; qu'il a donc bénéficié de ces sommes avant de les répartir entre ses enfants et neveux en avril 2015.
Il résulte toutefois des dispositions de l'article 843 du code civil que le rapport n'est dû que par l'héritier et s'entend de tout ce qu'il a reçu du défunt, pour donations entre vifs, directement ou indirectement.
S'il n'est pas discuté en l'espèce que le courrier, daté et signé le 16 octobre 2014 par M. [I] [F], en ce qu'il mentionne:
"Je soussigné, [I] [F], né le [Date naissance 11] 1931 à [Localité 20], demeurat [Adresse 15], en possesion de toutes mes facultés mentales, autorise mon fils [D] [F] à partager en quatre parts égales le solde de mon compte CCP n°[XXXXXXXXXX03] entre [G] [SB], [M] [SB], [PO] [F] et [BX] [F]", révèle explicitement l'intention de M. [F] de faire un don manuel en faveur de ses quatre petits-enfants.
Il est par ailleurs établi par les éléments de la cause que M. [D] [F] a prélevé la somme de 20 000 euros dudit compte le lendemain du décès de son père et a réparti cette somme entre les quatre petits-enfants désignés le 16 avril 2015.
Dès lors, cette libéralité, qui peut être considérée comme faite à un héritier, est réputée avoir été faite avec dispense de tout rapport.
La cour confirme le jugement déféré de ce chef également.
Sur l'appel incident :
Sur la liquidation de l'astreinte
Aux termes de l'article L313-3 du code des procédures civiles d'exécution, l'astreinte, même définitive, est liquidée par le juge de l'exécution, sauf si le juge qui l'a ordonnée reste saisi de l'affaire ou s'en est expressément réservé le pouvoir.
En l'espèce, le juge de la mise en état, par ordonnance du 16 octobre 2017, a notamment :
- "ordonné la communication par M. [D] [F], dans le délai de deux mois à compter de la signification de la présente ordonnance, des relevés du compte bancaire joint à [21] ayant existé entre lui-même et M. [I] [F], depuis l'ouverture du compte, jusqu'au jour du décès, sous astreinte de 50 euros par jour de retard pendant un mois,
- s'est réservé la liquidation de la présente astreinte"
Les premiers juges ont liquidé l'astreinte, rectifiant l'erreur de formulation de l'ordonnance, en ce que le compte joint ayant été créé le 5 novembre 2014, soit le lendemain du décès, c'est à partir de cette date et non jusqu'au décès que la communication des relevés du compte était exigée.
M. [D] l'a bien compris mais n'a versé aux débats les relevés de compte demandés que le 6 février 2019, soit 7 jours après la fin du délai dont il disposait pour les communiquer après signification de l'ordonnance le 30 novembre 2018, soit jusqu'au 30 janvier 2019.
Il s'en suit que c'est à raison que le tribunal, par suite du dessaisissement du juge de la mise en état, a liquidé l'astreinte et mis à la charge de M. [D] [F] son montant, liquidé à la somme de 350 euros, due à Mme [T].
Sur l'indemnité d'occupation :
Sur le fondement des dispositions de l'article 815-9 du code civil, M. [D] [F] a été déclaré redevable envers l'indivision successorale d'une indemnité mensuelle d'occupation au titre du bien immobilier sis [Adresse 15], entre le jour du décès, [Date décès 14] 2014 et le 1er juin 2017, date à laquelle Maître [U] atteste être en possession du double des clés de la maison de [Localité 25].
M.[D] [F] conteste être redevable de toute indemnité d'occupation pour ce bien, dès lors :
- que la seule détention des clés n'est pas suffisante pour démontrer la jouissance privative du bien indivis,
- qu'il n'a jamais empêché les autres indivisaires d'accéder au bien indivis, lequels ne justifient pas avoir jamais effectué une demande de remise des clés.
Mme [E] sollicite la confirmation du jugement quant au principe d'une indemnité d'occupation à a charge de M. [D] [F], mais demande à ce que l'indemnité soit due au-delà du 1er juin 2017 et jusqu'au partage, dès lors qu'il ne peut être déduit de la lettre de Maître [U] que les coindivisaires ont depuis la libre jouissance de l'immeuble.
Il est constant qu'il revient aux indivisaires qui demandent le bénéfice d'une indemnité d'occupation de démontrer que l'indivisaire redevable en avait la jouisance privative et exclusive.
En l'espèce, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, il n'est pas discuté que M. [D] [F] n'occupait pas l'immeuble de [Localité 25], mais s'y rendait pour en assurer l'entretien.
Toutefois, celui-ci ne s'explique pas plus qu'en première instance, pour quelle raison il n'a pas donné suite au courrier, valant mise en demeure qui lui a été adressé par maître [L], conseil de Mme [T], le 17 décembre 2015, sollicitant, parmi d'autres éléments, la remise d'un double de clés de l'immeuble, afin de pouvoir faire procéder à des évaluations par d'autres agences immobilières ; le fait qu'il refuse ensuite qu'une personne étrangère à la famille pénètre seule dans la propriété illustre également l'usage exclusif du bien par M. [D] [F].
Ce dernier affirme par ailleurs, sans toutefois le démontrer, que la remise des clés est intervenue en 2016, soit avant le courrier du 1er juin 2017, retenu comme étant la première date certaine à laquelle le double des clés était à disposition des coindivisaires.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement déféré de ce chef, et de débouter Mme [E] de sa demande d'étendre le bénéfice de l'indemnité d'occupation jusqu'au partage, dès lors qu'elle ne rapporte pas la preuve que la jouissance privative et exclusive du bien a perduré au-delà de la date du 1er juin 2017, le courrier du notaire à cette date permettant aux coindivisaires d'accéder librement au bien.
Sur les autres demandes :
Chacune des parties succombant en ses prétentions d'appel, il convient de dire que les dépens d'appel seront partagés par moitié entre les parties.
L'issue du litige conduit à ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, chacune des parties conservant la charge de ses frais, non compris dans les dépens.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
CONFIRME le jugement déféré, en toutes ses dispositions soumises à la cour ;
Y ajoutant,
DIT que les dépens de l'appel seront partagés par moitié entre l'appelante, Mme [P] [E], et les intimés, M. [D] [F] et Mme [R] [F], épouse [SB] ;
DEBOUTE les parties de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Les DEBOUTE de toutes autres demandes, plus amples ou contraires ;
Le présent arrêt a été signé par Hélène MORNET, présidente, et par Florence CHANVRIT, Adjointe Administrative Principale faisant fonction de greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Président,