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10/07/2024 | FRANCE | N°21/05174

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 10 juillet 2024, 21/05174


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



--------------------------







ARRÊT DU : 10 JUILLET 2024







PRUD'HOMMES



N° RG 21/05174 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MJ6Z









S.A. GMF ASSURANCES



c/



Madame [L] [I] [H]

















Nature de la décision : AU FOND



















Grosse délivrée le :

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à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 06 septembre 2021 (R.G. n°F 20/00526) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section Commerce, suivant déclaration d'appel du 15 septembre 2021,





APPELANTE :

SA GMF Assurances, agissant en la personne de son représentant légal d...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 10 JUILLET 2024

PRUD'HOMMES

N° RG 21/05174 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MJ6Z

S.A. GMF ASSURANCES

c/

Madame [L] [I] [H]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 06 septembre 2021 (R.G. n°F 20/00526) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section Commerce, suivant déclaration d'appel du 15 septembre 2021,

APPELANTE :

SA GMF Assurances, agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 2]

N° SIRET : 398 972 901

représentée par Me Frédéric DANNEKER, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE :

Madame [L] [I] [H]

née le 13 Mai 1973 à [Localité 3] de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Emilie VAGNAT de la SELARL EV AVOCAT, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 28 mai 2024 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Sylvie Tronche, Conseiller, chargée d'instruire l'affaire,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère

Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

Greffier lors des débats : Evelyne Gombaud,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

Madame [L] [I] [H], née en 1973, a été engagée en qualité de téléconseillère débutante par la société Téléassurances, par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 16 mai 2000. A partir du 1er décembre 2006, les relations contractuelles se sont poursuivies dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée pour la SA GMF Assurances au poste de conseillère commerciale.

Le 1er juin 2018, une classification associée à un nouveau référentiel métiers est entrée en vigueur. Mme [I] [H] a été informée que les activités exercées en sa qualité de conseillère commerciale se rattachaient dorénavant au métier de conseillère développement relation client.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des sociétés d'assurance du 27 mai 1992.

Par lettre datée du 20 février 2020, Mme [I] [H] a été convoquée à un entretien préalable fixé au 2 mars 2020 avec mise à pied à titre conservatoire, l'employeur lui reprochant d'avoir, le 6 décembre 2019, enfreint le règlement intérieur de l'entreprise, les règles et procédures relatives à l'application du Coefficient de Réduction Majoration ainsi que les règles concernant la désignation des conducteurs.

L'employeur a, par la suite, convoqué un conseil paritaire constitué de trois représentants de l'employeur et de trois représentants du personnel de l'établissement. A l'issue de la réunion qui s'est tenue le 24 mars 2020, les trois représentants de l'employeur se sont prononcés en faveur du licenciement de la salariée tandis que les trois représentants de la salariée se sont opposés à cette mesure.

Mme [I] [H] a ensuite été licenciée pour faute par lettre datée du 10 avril 2020.

A la date du licenciement, Mme [I] [H] avait une ancienneté de près de 20 ans et la société occupait à titre habituel plus de dix salariés.

Après avoir contesté en vain la décision de l'employeur, Mme [I] [H] a saisi le conseil de prud'hommes de Bordeaux le 18 mai 2020 pour contester la légitimité de son licenciement, soutenir que la société GMF Assurances a gravement manqué à son obligation d'exécuter le contrat de travail de bonne foi et réclamer diverses indemnités, des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour manquement de l'employeur à son obligation d'exécuter le contrat de travail de bonne foi.

Par jugement rendu le 6 septembre 2021, le conseil de prud'hommes a :

- condamné la société GMF Assurances à payer à Mme [I] [H],

* 53.330 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 1.200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire en application de l'article 514 du code de procédure civile,

- débouté l'ensemble des parties de toutes autres demandes,

- condamné la société GMF Asusrances aux dépens.

Par déclaration du 15 septembre 2021, la société GMF Assurances a relevé appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 13 mars 2024, la société GMF Assurances demande à la cour de :

- confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a débouté Mme [I] [H] de sa demande relative à l'inexécution de bonne foi du contrat de travail,

- débouter en conséquence Mme [I] [H] de sa demande indemnitaire à ce titre,

- infirmer partiellement le jugement de première instance en ce qu'il a dit et jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse et l'a condamnée en conséquence à payer à Mme [I] [H] les sommes de 53.330 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que celle de 1.200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Et, statuant à nouveau,

- dire que le licenciement de Mme [I] [H] repose sur une cause réelle et sérieuse,

Et en conséquence,

- condamner Mme [I] [H] à lui restituer les sommes qui lui ont été versées en application de l'exécution provisoire, soit au total 53.530 euros,

- condamner Mme [I] [H] aux dépens d'appel.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 9 juin 2022, Mme [I] [H] demande à la cour de :

- confirmer le jugement du 06 septembre 2021, en ce qu'il a dit et jugé que son licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- infirmer le jugement du 06 septembre 2021, en ce qu'il l'a déboutée de sa demande fondée sur l'article L.1222-1 du code du travail,

Par conséquent,

- dire que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- dire que la société GMF Assurances a gravement manqué à son obligation d'exécuter le contrat de travail de bonne foi,

- condamner la société GMF Assurances à lui payer les sommes suivantes :

* 52.330 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (15,5 mois de salaire),

* 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation d'exécuter le contrat de travail de bonne foi (article L.1222-1 du code du travail),

- confirmer le jugement du 06 septembre 2021en ce qu'il a condamné la société GMF Assurances à lui payer la somme de 1.200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Y ajoutant,

- condamner la société GMF Assurances à lui payer la somme totale de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société GMF Assurances aux entiers dépens, en ce compris les frais d'exécution.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 3 mai 2024 et l'affaire a été fixée à l'audience du 28 mai 2024.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'à la décision déférée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le bien-fondé du licenciement pour faute

Pour voir infirmer la décision entreprise qui l'a condamnée à verser à Mme [I] [H] la somme de 53.330 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'employeur soutient que la matérialité des faits en cause n'est pas contestée par la salariée et invoque au soutien de son licenciement pour faute des manquements aux règles de procédures internes, le non-respect des règles et procédures relatives à la désignation des conducteurs dans les contrats auto, le non-respect des règles et procédures relatives au CRM (Coefficient Réduction Majoration) et l'absence de probité de la salariée.

En réplique, Mme [I] [H] fait valoir que la sanction est disproportionnée au regard de son ancienneté, de ses entretiens d'évaluation, de l'absence de caractère intentionnel, ainsi que des circonstances de la souscription du contrat litigieux, la veille d'un départ en congés.

* * *

Aux termes de l'article L.1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel doit être motivé et justifié par une cause réelle et sérieuse. Il appartient au juge, en vertu de l'article L.1235-1 du même code, d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur.

* * *

En l'espèce, la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige est ainsi rédigée :

[']

Dans le cadre d'un contrôle de lots fin janvier 2020, votre hiérarchie a constaté des irrégularités.

Le 06 décembre 2019, vous avez souscrit un contrat d'assurance automobile (contrat auto) pour votre famille, pour un véhicule CITROEN C3. Dans ce contrat, vous avez désigné votre mari, Monsieur [F] [I], conducteur principal, votre fille, Madame [K] [J] et vous-même, conducteurs secondaires. Vous avez appliqué un Coefficient de Réduction Majoration (CRM) à 0,50.

Ce faisant, vous avez enfreint le règlement intérieur de l'entreprise qui prévoit dans son article 2.5 :

« [..) Il est à ce titre, interdit au salarié d'user de sa qualité de salarié de l'entreprise afin d'intervenir sous quelque forme que ce soit dans la gestion d'un dossier dans lequel il a intérêt personnel ou au profit d'une relation, de manière directe ou indirecte ».

Le même jour, vous avez fait un avenant à ce contrat.

Par cet avenant, vous avez supprimé le véhicule CITROEN C3 et avez ajouté le véhicule de votre fille, une SEAT LEON. Vous avez supprimé deux conducteurs : Monsieur [F] [I] et vous-même. De plus, vous avez maintenu votre fille, conducteur secondaire (Usage 7 « Tournées-tous déplacements », incluant l'usage professionnel) et avez adjoint au contrat le concubin de votre fille, Monsieur [E] [M], en le désignant conducteur principal, tout en conservant le CRM à 0,50 du contrat initial.

Ce montage n'a pas été effectué conformément aux règles en vigueur. Or, le règlement intérieur de l'entreprise (article 2.5) dispose que : « les salariés sont tenus de respecter les procédures en vigueur et applicables à l'exercice de leurs missions ».

D'une part, en désignant Monsieur [M] conducteur principal, vous avez enfreint les règles et « process » relatifs à la désignation des conducteurs dans les contrats auto. En effet, Monsieur [M] étant déjà déclaré conducteur principal sur un autre contrat auto, il ne pouvait pas être désigné comme tel sur un second contrat auto.

D'autre part, vous avez enfreint les règles et « process » relatifs à l'application du CRM. En effet, Monsieur [M], qui a obtenu son permis de conduire le 17/01/2014, ne pouvait prétendre qu'à un CRM à 0,76. Pour autant, vous avez maintenu le CRM à 0,50.

Vous ne pouviez ignorer le CRM à 0,76 applicable à Monsieur [M]. Il s'avère que vous aviez fait un premier contrat, désignant Monsieur [M] conducteur principal, dans lequel vous avez appliqué le bon CRM à 0,76. Vous avez finalement annulé ce premier contrat.

Par ce montage, vous avez fait bénéficier à votre fille d'un avantage tarifaire indu d'un montant de 1043,88 €.

Compte tenu de votre expérience professionnelle et de votre ancienneté, vous ne pouviez ignorer les règles et « process » en vigueur au sein de l'entreprise et propres à votre activité, très réglementée. D 'autant plus que les conseillers sont régulièrement informés, par des réunions hebdomadaires, des règles et « process » en vigueur (évolution de la réglementation, évolution des contrats et de la doctrine etc.).

Vous ne pouviez ignorer que ce montage, qui nécessite une bonne maîtrise des outils, des règles et « process », allait procurer à votre fille cet avantage tarifaire indu.

Les différentes manipulations dans le système de souscription de contrat et les modifications réalisées sur ce contrat tendent à démontrer le caractère intentionnel des actes que vous avez effectués.

En procédant ainsi, vous avez intentionnellement fait bénéficier à votre fille d'un avantage tarifaire indu au détriment des intérêts de l'entreprise, et avez utilisé vos connaissances et les moyens de l'entreprise mis à votre disposition pour le faire.

Il s'agit d'une atteinte grave à votre obligation de loyauté et de probité, obligations essentielles et fondamentales de votre contrat de travail.

Cela est d'autant plus intolérable, que l'activité concernée est très réglementée.

De telles man'uvres sont inacceptables, altérant de manière indélébile la confiance nécessaire à la relation de travail et rendant impossible le maintien de votre contrat de travail.

Lors de l'entretien préalable et du conseil paritaire, vous avez indiqué avoir agi dans la précipitation, avoir malencontreusement commis un oubli lors de vos manipulations informatiques et avoir été négligente. Vous avez contesté le caractère intentionnel des faits reprochés. Vous avez toutefois expliqué durant l'entretien préalable avoir fait un pré-contrat sur la CITROEN C3, bien avant la souscription du contrat du 06 décembre 2019, dans l'optique de faire bénéficier à votre fille des deux mois offerts prévus par la campagne commerciale du moment.

Vos explications ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation des faits qui vous sont reprochés.

En conséquence, nous ne sommes plus en mesure de prolonger notre collaboration et vous notifions par la présente votre licenciement pour faute.

[...] ».

Il sera tout d'abord constaté que la lettre de licenciement litigieuse énonce des motifs précis et matériellement vérifiables.

Ainsi, les griefs formulés à l'encontre de la salariée dans la lettre de licenciement sont les suivants :

La société soutient que Mme [I] [H] a souscrit un contrat d'assurance auto le 6 décembre 2019 pour un véhicule « Seat Leon » basé en Martinique, avec mention de sa fille et son gendre- M. [M]-, en qualité de conducteurs en appliquant un CRM de 0,76 correspondant effectivement à la situation de son gendre puis a annulé le même jour ce contrat pour réaliser une seconde souscription pour l'assurance d'un véhicule « Citroen C3 » en désignant dans un premier temps, en qualité de conducteur principal, son mari, puis sa fille et elle-même en qualité de conducteurs secondaires, en appliquant un CRM de 0,50 . L'employeur expose ensuite que dans un second temps, elle a ajouté son gendre en tant que conducteur principal et sa fille en qualité de conducteur secondaire mais en laissant le CRM à 0,50 alors que M. [M], qui a obtenu son permis en 2014, ne pouvait prétendre qu'à un CRM de 0,76, lui octroyant ainsi un avantage tarifaire. La société ajoute que le gendre de la salariée ne pouvait au surplus, être déclaré conducteur principal car il apparaissait dans cette catégorie pour un autre contrat auto, de sorte qu'il s'agissait d'une fausse déclaration. 

La société considère ainsi que ces faits constituent des manquements aux règles de procédures internes en gérant un dossier pour un membre de sa famille, un non-respect des règles et procédures relatives à la désignation des conducteurs dans les contrats auto ainsi qu'un non-respect des règles et procédures relatives au CRM, qui correspond au bonus/malus.

Selon la société, en agissant de la sorte, Mme [I] [H] n'a pas fait preuve de la probité exemplaire nécessaire à son activité, ce qui a justifié son licenciement pour faute.

Au soutien de ces affirmations, la société verse à la procédure :

- la fiche de poste de Mme [I] [H] aux termes de laquelle cette dernière recueille et analyse les besoins des clients, vérifie les conditions d'acceptation de la demande

notamment quant aux garanties mises en 'uvre, actualise le dossier du client en fonction de sa situation et réalise les opérations de vente dans le respect des règles techniques,

- le code de conduite, annexé au règlement intérieur selon lequel les collaborateurs doivent privilégier les intérêts de l'entreprise en s'abstenant de mettre en avant tout intérêt personnel, financier ou familial, ainsi que la charte d'éthique du groupe et le règlement intérieur qui fait interdiction au salarié : « d'user de sa qualité de salarié de l'entreprise afin d'intervenir sous quelque forme que ce soit dans la gestion d'un dossier dans lequel il a un intérêt personnel ou au profit d'une relation de manière directe ou indirecte », les formations suivies par la salariée portant notamment sur la qualité technique assurance ainsi que sur les notions de fraude et de conflits d'intérêts,

- les courriers que la salariée a adressés les 24 mars et 15 avril 2020 tant au conseil paritaire qu'au président du groupe, reconnaissant la matérialité des faits reprochés, qu'elle ne conteste pas aux termes de ses écritures,

-le contrat en cause et les modifications successives apportées par la salariée qui confirment la relation des faits par l'employeur,

- un document intitulé Auto-pass reprenant les règles de gestion et d'attribution du CRM ainsi qu'un document relatif à la clause de réduction/majoration comprenant quatorze articles.

Sans contester la matérialité des faits reprochés, Mme [I] [H] fait toutefois valoir les circonstances dans lesquelles la souscription du contrat litigieux est intervenue, la veille d'un départ en congés avec la volonté de clôturer l'ensemble de ses dossiers avant son départ et la nécessité de ramener « la carte verte » à sa fille et son gendre, en Martinique, auprès desquels elle se rendait. Elle considère qu'il s'agit d'une erreur commise dans le contexte décrit alors qu'elle avait été sollicitée par son gendre pour assurer un véhicule mis à sa disposition par sa famille dans le cadre d'un usage privé, sa fille ne devant en réalité pas figurer sur ce contrat. Elle explique que son erreur n'est pas intentionnelle dans la mesure où après chaque modification, les manipulations informatiques imposent de revenir sur l'écran des conducteurs, ce qu'elle avait omis de faire pour voir supprimer le nom de sa fille au titre de conducteur.

Dans le courrier qu'elle a adressé au membre de la commission paritaires chargés de statuer sur son sort, Mme [I]-[H] évoque les différents contrôles qualités opérés de nature à la dissuader de procéder ainsi, si telle avait été son intention, au risque de perdre son emploi.

Si elle reconnait que sa seule faute est d'avoir géré un contrat en lien direct avec un membre de sa famille, elle rappelle à juste titre, avoir géré et fait souscrire, au bénéfice de l'entreprise, des contrats à des sapeurs-pompiers avec lesquels son mari travaille sans que cela ne lui soit reproché malgré le règlement intérieur cité supra. Elle verse en ce sens l'attestation de M. [B], pompier professionnel.

Elle précise encore que l'erreur relative au taux du CRM n'aurait jamais pu faire bénéficier sa fille d'un avantage tarifaire indu à hauteur de la somme de 1.043,88 euros ainsi que le prétend l'employeur et produit des simulations tarifaires dans les mêmes circonstances. L'écart relevé est à hauteur de 100 euros à l'année.

Enfin, selon la salariée, la sanction est disproportionnée au regard de son ancienneté, de ses entretiens d'évaluation vantant ses mérites professionnels, de l'absence de caractère intentionnel des faits reprochés et des circonstances de la souscription du contrat litigieux.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que si les griefs retenus à l'encontre de Mme [I] [H] sont fondés, en revanche ils ne justifient pas, s'agissant d'un fait isolé commis par une salariée disposant de près de vingt ans d'ancienneté dans l'entreprise et sans antécédent disciplinaire, la rupture du contrat de travail. Le licenciement de Mme [I] [H] est à l'évidence disproportionné car il était loisible pour l'employeur de prendre une autre mesure disciplinaire, alternative, avant de choisir la voie radicale du licenciement, en conséquence, sans cause réelle et sérieuse ainsi que les premiers juges l'ont retenu. Leur décision sera confirmée.

Sur les conséquences indemnitaires du licenciement abusif

La salariée sollicite la confirmation de la décision lui ayant alloué la somme de 52 330 euros à ce titre.

La société ne conclut pas sur ce point.

* * *

Il appartient au juge d'indemniser le préjudice conformément au barème de l'article 1235-3 du code du travail qui prévoit, compte tenu de l'ancienneté de plus de 19 ans de Mme [I]-[H], une indemnité comprise entre trois et quinze mois de salaire.

Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à Mme [I] [H], de son âge, de son ancienneté, des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, la société sera condamnée à lui verser la somme de 50.600 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. La décision entreprise sera infirmée sur ce point.

Sur la demande au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail

Au soutien de sa demande tendant à l'allocation d'une somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour l'exécution déloyale du contrat de travail, Mme [I] [H] invoque une mise à pied conservatoire longue et douloureuse ainsi que le traitement calamiteux de son solde de tout compte comportant de nombreuses erreurs.

En réplique, l'employeur soutient que la circonstance que la mise à pied conservatoire de la salariée n'ait pas été suivie d'un licenciement pour faute grave ne permet pas de caractériser un comportement fautif de sa part, d'autant que la salariée a été remplie de ses droits relatifs aux salaires correspondant à cette mesure. Il ajoute que Mme [I] [H] a reçu le paiement de son solde de tout compte le 24 juin 2020 avant l'expiration de son préavis fixé au 29 juin 2020 et ses documents de fin de contrat lui ont été remis fin juillet 2020. Il conclut que la salariée ne justifie d'aucun préjudice.

* * *

L'exécution déloyale du contrat de travail se définit comme tout manquement commis à l'obligation d'exécuter de bonne foi le contrat de travail selon les dispositions de l'article L.1222-1 du code du travail. La charge de la preuve de l'exécution déloyale du contrat de travail par l'employeur incombe au salarié.

En l'espèce, le seul fait d'une mise à pied conservatoire pour un licenciement ultérieurement notifié pour faute simple est insuffisant à constituer une mesure vexatoire.

S'agissant des erreurs du solde de tout compte, Mme [I] [H] produit un échange de courriels avec l'entreprise à compter du mois d'avril et jusqu'au mois d'août 2020 aux termes desquels elle se plaint des erreurs affectant ses bulletins de salaire et l'absence de prise en compte de certains jours de congés payés (10) ainsi que de l'absence de son attestation Pôle Emploi. Il lui est répondu et justifié du décompte des jours de congés attribués en fonction de son temps de présence dans l'entreprise sur l'année en cours. Cependant, il ressort des pièces produites que l'attestation Pole Emploi n'a été établie que le 28 juillet 2020, soit plus de trois mois après son licenciement ce qui lui a incontestablement causé un préjudice pour faire valoir ses droits dans les plus brefs délais.

En conséquence, l'employeur sera condamné à lui verser la somme de 1 000 euros au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail.

Sur les autres demandes

La société, partie perdante en son recours et à l'instance, sera condamnée aux dépens en cause d'appel ainsi qu'à payer à Mme [I] [H] la somme complémentaire de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme la décision entreprise en ce qu'elle a :

- condamné la société GMF Assurances à verser à Mme [I] [H] la somme de 53 330 euros en réparation de son licenciement dénué de cause réelle et sérieuse,

- débouté Mme [I] [H] de sa demande au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail,

Statuant de nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Condamne la société GMF Assurances à verser à Mme [I] [H] les sommes suivantes :

- 50 600 euros au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 1 000 euros au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail,

- la somme complémentaire de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société GMF Assurances aux dépens de la procédure d'appel.

Signé par Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Catherine Rouaud-Folliard


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 21/05174
Date de la décision : 10/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 21/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-10;21.05174 ?
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