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10/07/2024 | FRANCE | N°21/03665

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 10 juillet 2024, 21/03665


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



--------------------------







ARRÊT DU : 10 JUILLET 2024







PRUD'HOMMES



N° RG 21/03665 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MFXX











S.E.L.A.R.L. LGA mandataire liquidateur de la S.A.S.U. les Carrieres de Bontemps



c/



Monsieur [V] [C]



UNEDIC AGS-C.G.E.A DE [Localité 2]















Nature de la décision : AU FONDr>


















Grosse délivrée le :



à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 23 juin 2021 (R.G. n°F 19/00126) par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PÉRIGUEUX, Section Industrie, suivant déclaration d'appel du 28 juin 20...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 10 JUILLET 2024

PRUD'HOMMES

N° RG 21/03665 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MFXX

S.E.L.A.R.L. LGA mandataire liquidateur de la S.A.S.U. les Carrieres de Bontemps

c/

Monsieur [V] [C]

UNEDIC AGS-C.G.E.A DE [Localité 2]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 23 juin 2021 (R.G. n°F 19/00126) par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PÉRIGUEUX, Section Industrie, suivant déclaration d'appel du 28 juin 2021,

APPELANTES :

S.E.L.A.R.L. LGA, es qualité de mandataire liquidateur, agissant en la personne de Me [I] [E], mandataire liquidateur des [Adresse 3]

représentée par Me Alexandre LEMERCIER de la SELARL LEMERCIER AVOCAT, avocat au barreau de PERIGUEUX

INTIMÉ :

Monsieur [V] [C]

né le 28 Mars 1974 à [Localité 4] (ROUMANIE) de nationalité Roumaine demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Frédérique POHU PANIER, avocat au barreau de PERIGUEUX

INTERVENANT :

UNEDIC AGS-C.G.E.A DE [Localité 2] prise en la personne de son

représentant légal domicilié en cette qualité au siège social [Adresse 5]

assignée en intervention forçée le 20 septembre 2022 selon acte d'huissier

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 28 mai 2024 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Sylvie Tronche, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère

Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

Greffier lors des débats : Evelyne Gombaud,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur [V] [C], né en 1974, a été engagé en qualité d'opérateur sur taille blocs par la SASU Les Carrières de Bontemps, par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 2 juillet 2007 puis il a été promu au poste de pilote d'installation automatisée OHQ avant d'occuper le poste de chef d'atelier ETAM au dernier état des relations contractuelles, soumises à la convention collective nationale des industries de carrières et de matériaux.

Le 19 juillet 2017, M. [C] s'est vu notifier un avertissement, l'employeur lui reprochant d'en être venu aux mains lors d'une altercation avec un autre salarié.

A compter du 8 septembre 2017, le salarié a été placé en arrêt maladie.

Le 21 décembre 2017, le salarié a adressé un courrier à l'employeur afin de dénoncer son comportement harcelant à son égard.

Le 13 février 2018, M. [C] a déposé plainte à l'encontre de son employeur pour harcèlement moral, actuellement en cours d'instruction.

Par une lettre du 26 février 2018, l'employeur a répondu au courrier du 21 décembre 2017 afin d'en contester les termes.

Le 2 mars 2018, le salarié a été déclaré inapte par le médecin du travail avec dispense pour l'employeur d'obligation de reclassement, considérant que 'l'état du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi'.

Par lettre datée du 16 mars 2018, M. [C] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 27 mars 2018 et a ensuite été licencié pour inaptitude par lettre datée du 30 mars 2018.

A la date de son licenciement, M. [C] avait une ancienneté de10 ans et 8 mois et la société occupait à titre habituel plus de dix salariés.

Le 1er juillet 2019, M. [C] a saisi le conseil de prud'hommes de Périgueux réclamant que soient écartées les écritures de l'employeur, le rejet des moyens de prescription soulevés par l'employeur, des dommages et intérêts pour harcèlement moral, des dommages et intérêts pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse, diverses indemnités ainsi qu'un rappel de prime d'ancienneté.

Par jugement du 10 mars 2020, le tribunal de commerce de Périgueux a placé la société Les Carrières de Bontemps sous sauvegarde convertie en redressement judiciaire puis en liquidation judiciaire le 13 décembre 2022, la SCP LGA ayant été désignée en qualité de liquidateur, prise en la personne de Maître [I] [E].

Par jugement rendu en formation de départage le 23 juin 2021, le conseil de prud'hommes a :

- déclaré recevable l'action pour harcèlement moral de M. [C],

- déclaré recevables les pièces 10,11, 12 et 34 versées par le requérant,

- dit que le licenciement de M. [C] est nul,

- fixé le salaire de référence de M. [C] à la somme de 2.248 euros bruts,

- déclaré recevable l'action en rappel de salaire de M. [C],

- condamner la société Les Carrières de Bontemps à payer à M. [C] les sommes suivantes :

* 10.000 euros de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

* 4.896 euros à titre d'indemnités compensatrices de préavis outre 489,60 euros de congés payés afférents,

* 17.136 euros à titre d'indemnités pour licenciement nul,

* 181,20 euros au titre de la prime d'ancienneté outre 18,12 euros de congés payés afférents, lesdites sommes avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement,

- ordonné la capitalisation des intérêts dans les conditions prévues à l'article 1343-2 du code civil,

- ordonné à la société Les Carrières de Bontemps de remettre à M. [C] des bulletins de salaire, une attestation Pôle Emploi et un certificat de travail conformes au présent,

- débouté la société Les Carrières de Bontemps de sa demande d'indemnités pour procédure abusive,

- débouté la société Les Carrières de Bontemps de sa demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Les Carrières de Bontemps à la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Les Carrières de Bontemps aux dépens,

- rappelé que le jugement est exécutoire de droit à titre provisoire en application des dispositions de l'article R.1454-14 du code du travail, dans la limite de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois qui est de 2.248 euros.

Par déclaration du 28 juin 2021, la société Les Carrières du Bontemps, alors in bonis, a relevé appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 12 avril 2024, la SELARL LGA en qualité de mandataire liquidateur de la société Les Carrières de Bontemps, demande à la cour de :

- donner acte à Maître [E] de son intervention en qualité de liquidateur de la société les Carrières de Bontemps,

- réformer le jugement rendu par le conseil des prud'hommes de Périgueux le 23 juin 2021,

Statuant à nouveau,

- juger que les demandes au titre de la rupture du contrat de travail présentées par M. [C] sont prescrites,

- juger que les demandes présentées au titre du harcèlement moral sont infondées,

- débouter M. [C] de l'ensemble de ses demandes,

Reconventionnellement,

- condamner M. [C] à lui payer la somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait du caractère abusif de la procédure,

- condamner M. [C] à lui payer la somme de 4.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [C] aux dépens.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 16 janvier 2024, M. [C] demande à la cour de :

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions sauf s'agissant du quantum des sommes allouées au titre des dommages et intérêts pour harcèlement moral, pour licenciement nul, préavis, congés payés sur préavis, primes d'ancienneté et congés payés sur primes,

Subsidiairement,

- dire le licenciement sans cause réelle ni sérieuse au regard du comportement fautif de l'employeur à l'origine de l'inaptitude du salarié et du défaut de consultation préalable du CSE,

Statuant à nouveau,

- fixer sa créance à la liquidation judiciaire de la société Les Carrières de Bontemps aux sommes suivantes :

* dommages et intérêts pour harcèlement moral : 50.000 euros,

* dommages et intérêts pour licenciement nul ou sans cause réelle ni sérieuse : 50.000 euros,

* indemnité compensatrice de préavis :5.531,64 euros bruts,

* congés payés sur préavis : 553,16 euros bruts,

* rappel de prime d'ancienneté : 217,44 euros bruts,

* congés payés afférents : 21,74 euros bruts,

- ordonner la remise sous astreinte de 150 euros par jour de retard d'une attestation Pôle Emploi et d'un certificat de travail rectifiés sur le motif du licenciement et la durée de l'emploi, - débouter la société Les Carrières de Bontemps de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- débouter la société Les Carrières de Bontemps du surplus de ses demandes

- fixer sa créance à la liquidation judiciaire de la société Les Carrières de Bontemps à la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- juger que toutes les sommes allouées porteront intérêts au taux légal à compter de la demande en justice avec anatocisme,

- fixer sa créance à la liquidation judiciaire de la société Les Carrières de Bontemps aux entiers dépens en ce compris les frais éventuels d'exécution,

- déclarer l'arrêt à intervenir commun et opposable à l'AGS-CGEA.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 3 mai 2024 et l'affaire a été fixée à l'audience du 28 mai 2024.

Bien que régulièrement assignée en intervention forcée par acte d'huissier de justice délivré le 18 janvier 2024 à personne habilitée, L'UNEDIC AGS CGEA de [Localité 2] n'a pas constitué avocat.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'à la décision déférée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'intervention volontaire de Maître [E]

En l'état de la procédure, il convient de donner acte à Maître [E] de son intervention en qualité de liquidateur de la société les Carrières de Bontemps.

Sur la prescription de l'action en contestation du licenciement pour inaptitude fondée sur le harcèlement moral

Pour infirmation de la décision entreprise et au visa des dispositions de l'article L.1471-1 du code du travail, le liquidateur considère que l'action du salarié tendant à voir requalifier son licenciement, notifié le 30 mars 2018, en licenciement nul ou dépourvu de cause réelle ou sérieuse est prescrite.

M. [C] réplique qu'en matière de harcèlement moral, la prescription applicable est de cinq ans de sorte que les faits de harcèlement moral invoqués au soutien de la nullité du licenciement étant intervenus en 2016 et 2017, son action n'encourait aucune prescription.

En application des dispositions de l'article L.1471-1 du code du travail, dans sa version applicable au cas d'espèce, toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit. Le premier alinéa n'est toutefois pas applicable aux actions en réparation d'un dommage corporel causé à l'occasion de l'exécution du contrat de travail, aux actions en paiement ou en répétition du salaire et aux actions exercées en application des articles L. 1132-1, L. 1152-1 et L. 1153-1 du code du travail.

En matière de harcèlement moral, la prescription est de cinq ans par application des dispositions de l'article L.1471-1 alinéa 2 du code du travail. En visant les actions exercées en application des articles L.1132-1, L.1152-1 et L.1153-1 du code du travail, l'article L.1471-1 alinéa 2 fait dépendre la règle de prescription applicable du fondement de la demande. Par

voie de conséquence, la demande de nullité du licenciement fondée sur le harcèlement est soumise au délai de prescription de cinq ans de l'article 2224 du code civil.

Ainsi, la relation de travail ayant pris fin le 30 mars 2018 et l'action ayant été engagée le 1er juillet 2019, les demandes du salarié en raison d'un licenciement ne sont pas prescrites.

En conséquence, la décision de première instance sera confirmée sur ce point.

Sur la recevabilité des attestations n° 10, 11, 12 et 34

Pour voir infirmer la décision qui a déclarées recevables ces pièces, le liquidateur fait valoir que :

- la pièce n°10 n'est ni signée ni datée,

- la pièce n°11 n'est pas manuscrite et ne comporte pas la mention relative à la production en justice tout comme les pièces 12 et 34.

En réplique, le salarié affirme que les mentions prévues par l'article 202 du code civil ne sont pas prescrites à peine de nullité et qu'il n'existe aucun doute quant à leur authenticité dans la mesure où sont jointes les pièces d'identité de leurs auteurs.

Les premiers juges ont retenu à juste titre, dans le cadre de leur appréciation souveraine, que les pièces critiquées présentaient des garanties suffisantes en ce que leurs auteurs étaient parfaitement identifiés et ne pouvaient ignorer qu'elles seraient produites en justice.

Par voie de conséquence, ces pièces seront retenues.

Sur la demande au titre du harcèlement moral

Au soutien de l'infirmation de la décision entreprise, le liquidateur conteste les faits de harcèlement allégués.

De son côté, le salarié sollicite la confirmation de la décision entreprise qui lui a alloué une somme en réparation du préjudice résultant du harcèlement moral qu'il dit avoir subi mais demande son infirmation quant au quantum alloué qu'il souhaite voir porter à la somme de 50.000 euros.

* * *

Selon les dispositions de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L. 1154-1 prévoit, qu'en cas de litige, si le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement, au vu de ces éléments, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Au soutien de ses prétentions, M. [C] invoque les éléments suivants -non prescrits au regard des dispositions de l'article 2224 du code civil- survenus en 2016 et 2017:

- des propos humiliants et injurieux à connotation raciste tant à son égard qu'à l'égard d'autres salariés,

- des pressions régulières quant aux objectifs à atteindre,

- des passages de son employeur à son domicile pendant le temps de ses arrêts de travail pour l'inciter à reprendre son poste,

- le refus de lui délivrer une attestation employeur malgré ses demandes.

Il verse aux débats notamment les éléments suivants :

- son courrier daté du 21 décembre 2017 adressé à son employeur, M. [K], dans lequel il dénonce du travail dissimulé et le non-paiement des heures supplémentaires accomplies les samedis au même titre que d'autres salariés d'origine étrangère, l'absence de délivrance de l'attestation employeur sollicitée à plusieurs reprises, la venue intempestive de M. [K] à son domicile pendant son arrêt maladie, l'installation d'un climat hostile et sous tension, le stress quotidien et la pression constante, des ordres contradictoires, des faits d'humiliation, son employeur imitant son accent « des pays de l'est »ainsi que les menaces de mettre un terme à sa carrière professionnelle s'il venait à dénoncer les faits ainsi décrits,

- les attestations de M. [O], M. [A] et de Mme [R], anciens collègues sur la période comprise entre 2015 et 2017, qui confirment le climat hostile décrit par le salarié, la pression constante qui était exercée à son encontre ainsi que les ordres contradictoires qu'il recevait « les commandes étaient affectées à la production en fonction du bon vouloir de la direction et non en fonction du planning pré défini », les « propos dégradants de la part des deux dirigeants de l'entreprise » (M. et Mme [K]), de « plusieurs passages de M. [K] et de M. [Z] au domicile de M. [C] alors que cette personne était en arrêt maladie », des samedis travaillés non déclarés et rémunérés en numéraire, le travail de M.[C] pendant son arrêt maladie malgré le port d'une attelle à l'épaule, les moqueries régulières de la part de Mme [K] concernant son accent,

- l'attestation de M. [J], son collègue, qui a accepté de récupérer l'attestation employeur que ce dernier a fini par établir à la suite de l'intervention de l'inspection du travail (pièce 20),

-son courrier du 17 juillet 2017 dénonçant à son employeur les propos racistes dont il avait été victime de la part de M. [S], salarié de l'entreprise, en ces termes : « roumain de merde, rentre dans ton pays »et pour lesquels aucune sanction n'avait été prise,

- son dépôt de plainte auprès de la COB de [Localité 6] le 13 février 2018 à l'encontre de son employeur pour des faits de harcèlement moral, reprenant les termes de son courrier adressé à la société,

- des éléments médicaux dont le certificat du docteur [M] [X], du pôle psychiatrie de l'hôpital de [Localité 6] faisant état d'un syndrome dépressif réactionnel en lien avec un conflit professionnel et le certificat d'inaptitude délivré par le médecin du travail le 2 mars 2018 .

Ces éléments, pris dans leur ensemble permettent ainsi de supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail.

En réplique le liquidateur considère que les faits de harcèlement moral ne sont ni établis ni avérés, en ce qu'ils reposent sur la seule lettre de M. [C]. Il expose à juste titre que les certificats médicaux produits ne font que reprendre les propos tenus par le salarié sans pouvoir faire de lien avec ses conditions de travail. Il ajoute qu'en sa qualité de chef d'atelier, le salarié recevait des consignes en termes de respect des règles, de respect des cadences et des délais imposés par la clientèle mais ne verse aucun élément en ce sens. Selon le liquidateur, si M. [C] a été rappelé à l'ordre, c'est parce qu'il abusait du pouvoir que lui conférait sa fonction, sans toutefois étayer cette affirmation. Il explique l'avertissement à l'encontre de M. [C] par les violences qu'il aurait exercé envers M. [S] mais cependant ne justifie pas d'une quelconque enquête diligentée ou sanction prononcée ensuite des accusations de propos racistes tenus par ce dernier, dénoncés par M.[C]. Sans contester la matérialité des visites au domicile du salarié pendant son arrêt maladie, le liquidateur assure qu'il ne s'agissait pas de pressions exercées sur le salarié pour le contraindre à reprendre son emploi mais uniquement pour prendre de ses nouvelles ce que contredit l'attestation de M. [J]. Il affirme que l'employeur a instauré une relation de confiance avec M. [C], ce que démontreraient les différentes promotions dont ce dernier avait bénéficié et conteste le retard pris dans la délivrance de l'attestation employeur, faisant valoir la confidentialité des informations qui y sont contenues. Cependant, il résulte des pièces versées à la procédure que c'est à la suite de l'intervention de l'inspectrice du travail, Mme [Y] que l'employeur a finalement obtempérer non sans avoir au préalable écrit au salarié : « pour faire suite à votre demande d'attestation par mail et par l'intermédiaire de M. [J], mon emploi du temps de ce jour ne m'a pas permis de la signer. Aussi, si demain je suis présent à mon bureau, je consentirai à la parapher. De plus, vous pouvez écrire à Mme [Y] si cela vous chante, je me tiendrai à sa disposition pour lui répondre ». Il évoque enfin le comportement déplorable de M. [C] à l'égard des salariés placés sous son autorité malgré les injonctions de l'employeur et produit un courrier de l'inspection du travail du 14 octobre 2016 attirant l'attention de l'employeur sur des propos et le comportement de M. [C] à l'égard d'autres salariés, M.[L], M. [P] et M. [N] sans qu'il soit établi que l'employeur l'aurait sanctionné pour ces faits et aurait « procéder à l'évaluation des RPS au sein de votre entreprise et à la mise à jour de votre DUER afin de pourvoir définir les dispositions à prendre pour régler ce type de problème lorsqu'il se présente » ainsi qu'il y avait été invité par l'inspectrice du travail.

Ce faisant, le liquidateur échoue à démontrer que les faits invoqués par M. [C], pris dans leur ensemble, sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral.

C'est par une juste appréciation des éléments de la cause que les juges de première instance ont alloué à M. [C] la somme de 10.000 euros en réparation du préjudice subi.

Sur la nullité du licenciement

En vertu de l'article L.1152-3 du code du travail, le licenciement intervenu en méconnaissance de ces dispositions est nul.

Ensuite, il est suffisamment établi que les agissements de harcèlement moral sont en partie à l'origine de l'inaptitude de M. [C] regard de sa situation médicale. En effet, l'arrêt de travail continu à compter du mois de septembre 2017 jusqu'à la fin de la relation contractuelle témoigne de ce que le salarié, soumis au harcèlement moral de l'employeur, a subi une dégradation incontestable de ses conditions de travail ayant conduit à la déclaration d'inaptitude.

L'inaptitude de M. [C] résulte donc d'un harcèlement moral et son licenciement pour inaptitude, est nul.

Sur les conséquences indemnitaires du licenciement nul

M. [C] a droit non seulement aux indemnités de rupture mais également à une indemnité relevant des dispositions de l'article L.1235-3-1 du code du travail et prévoyant l'allocation d'une somme qui ne peut être inférieure à six mois de salaire.

Le salaire de référence tel qu'il résulte des pièces produites est de 2 745,59 euros bruts.

- Sur l'indemnité compensatrice de préavis

Il résulte de la convention collective applicable que la durée du préavis est de deux mois après deux ans d'ancienneté de sorte qu'il sera alloué à M. [C] la somme de 5.491,18 euros bruts à ce titre outre celle de 549,12 au titre des congés payés afférents.

- Sur l'indemnité pour licenciement nul

Il résulte des pièces fournies par M. [C] qui justifie ainsi de sa situation postérieure au licenciement, qu'il a subi une diminution de salaire de près de 500 euros mensuels.

Au regard de son âge, de son ancienneté, de la période de chômage, de l'effectif de l'entreprise et des conséquences du licenciement pour ce salarié, les premiers juges lui ont alloué à juste titre la somme de 17 136 euros à ce titre.

Le jugement déféré sera confirmée sur ce point.

Le licenciement étant déclaré nul, la demande de le voir dit dépourvu de cause réelle et sérieuse est sans objet.

Sur la demande de rappel de prime d'ancienneté

Le salarié sollicite l'allocation d'une somme de 217,44 euros bruts outre celle de 21,74 euros bruts au titre des congés payés afférents sur le fondement de la convention collective applicable qui prévoit une prime d'ancienneté dont il n'aurait perçu qu'une partie.

Le liquidateur ne conclut pas sur ce point.

La convention collective prévoir une prime d'ancienneté de 3% au bout de trois ans d'ancienneté, de 6% au bout de 6 ans et de 9% au bout de 9 ans. Compte tenu du sal aire minimum de 1 752 euros, il aurait dû percevoir la somme de 157,68 euros par mois (9%de 1 752 euros) comptant 9 ans d'ancienneté à compter du 15 octobre 2016. il est justifié qu'il n'a perçu que 145,60 euros par mois de sorte qu'il convient de fixer à la créance de la société la somme de 217,44 euros bruts au titre de 18 mois de rappel de salaire outre celle de 21,74 euros bruts au titre des congés payés y afférents.

Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive 

Le liquidateur sollicite l'allocation de la somme de 3 000 euros considérant les demandes du salarié abusives au regard tant de ses propres agissements que des prescriptions encourues.

M.[C] s'oppose à cette demande en expliquant qu'il n'est pas justifié des fautes alléguées et que par ailleurs le harcèlement moral dont il a été victime est avéré.

Le droit d'agir en justice et d'exercer une voie de recours ne dégénère en abus qu'en cas de faute caractérisée par l'intention de nuire de son auteur, sa mauvaise foi ou sa légèreté blâmable qui ne résultent pas du seul caractère infondé des prétentions formulées.

En conséquence, la demande du liquidateur sera rejetée et le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur les autres demandes

- Sur les intérêts

Il n'y a pas lieu de déroger aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil en application desquelles les créances salariales produisent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le conseil de prud'hommes et les créances indemnitaires produisent intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant, tout en précisant que l'ouverture de la procédure collective a suspendu le cours des intérêts.

- Sur la remise de documents

Le liquidateur devra délivrer à M.[C] un bulletin de salaire récapitulatif des sommes allouées, un certificat de travail, un reçu pour solde de tout compte ainsi qu'une attestation France Travail rectifiés en considération des condamnations prononcées et ce, dans le délai de deux mois à compter de la signification de la présente décision, la mesure d'astreinte sollicitée n'étant pas en l'état justifiée.

-Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Les dépens seront employés en frais privilégiés de la liquidation judiciaire mais il n'apparaît pas justifié de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, compte tenu de la situation de la société.

L'arrêt à intervenir sera déclaré opposable à l'UNEDIC délégation AGS CGEA de [Localité 2], dans la limite légale de sa garantie.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Donne acte à la SELARL LGA, prise en la personne de Maître [E], de son intervention en qualité de liquidateur de la société les Carrières de Bontemps,

Infirme la décision entreprise en toutes ses dispositions sauf en ce qu'elle a :

- déclaré non prescrites les demandes de M. [C] au titre du licenciement nul,

- déclaré recevables les pièces n° 10, 11, 12 et 34 produites par M. [C],

- débouté la SELARL LGA de sa demande indemnitaire pour procédure abusive,

Statuant des chefs infirmés et y ajoutant,

Fixe les créances de M. [C] au passif de la liquidation judiciaire de la société Les Carrières de Bontemps représentée par son liquidateur, la SELARL LGA, aux sommes suivantes :

- 10 000 euros au titre du harcèlement moral,

- 5.491,18 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 549,12 au titre des congés payés afférents,

- 17 136 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul,

- 217,44 euros bruts à titre de rappel de salaire correspondant à un reliquat de primes d'ancienneté,

- 21,74 euros bruts au titre des congés payés y afférents,

Rappelle que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le conseil de prud'hommes tandis que les créances indemnitaires portent intérêts au taux légal à compter de la notification de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant, tout en précisant que l'ouverture de la procédure collective a suspendu le cours des intérêts,

Dit que la SELARL LGA, liquidateur judiciaire de la société Les Carrières de Bontemps, devra délivrer à M. [C] un bulletin de salaire récapitulatif des sommes allouées, un certificat de travail, un reçu pour solde de tout compte ainsi qu'une attestation France Travail rectifiés en considération des condamnations prononcées et ce, dans le délai de deux mois à compter de la signification de la présente décision, la mesure d'astreinte sollicitée n'étant pas en l'état justifiée,

Dit l'arrêt à intervenir opposable à l'UNEDIC Délégation AGS-CGEA de [Localité 2], dans la limite légale de sa garantie et du plafond applicable, à l'exception des dépens,

Dit n'y avoir lieu à l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de la liquidation judiciaire.

Signé par Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Catherine Rouaud-Folliard


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 21/03665
Date de la décision : 10/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 20/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-10;21.03665 ?
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