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05/07/2024 | FRANCE | N°21/04618

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 05 juillet 2024, 21/04618


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



--------------------------







ARRÊT DU : 05 JUILLET 2024







PRUD'HOMMES



N° RG 21/04618 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MIUP













Madame [W] [E]



c/



S.A.S.U. DREAMJET

















Nature de la décision : AU FOND























Grosse

délivrée le :



à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 12 juillet 2021 (R.G. n°F20/01186) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section Commerce, suivant déclaration d'appel du 09 août 2021,





APPELANTE :

Madame [W] [E]

née le 04 juillet 1997 à [Localité 3] de nationalité françai...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 05 JUILLET 2024

PRUD'HOMMES

N° RG 21/04618 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MIUP

Madame [W] [E]

c/

S.A.S.U. DREAMJET

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 12 juillet 2021 (R.G. n°F20/01186) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section Commerce, suivant déclaration d'appel du 09 août 2021,

APPELANTE :

Madame [W] [E]

née le 04 juillet 1997 à [Localité 3] de nationalité française, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Magali BISIAU, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE :

SASU Dreamjet, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social sise [Adresse 2]

N° SIRET : 798 090 627

représentée par Me Frédéric GODARD-AUGUSTE de la SELAS DS AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX, et Me Gaid PERROT de la SELARL MAZE-CALVEZ & ASSOCIES, avocat au barreau de BREST

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 03 juin 2024 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Sylvie Hylaire, présidente chargée d'instruire l'affaire, et Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Sylvie Hylaire, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère

Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

Greffier lors des débats : Nora YOUSFI

Greffier lors de la mise à disposition : A.-Marie Lacour-Rivière,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

Madame [W] [E], née en 1997, a été engagée en qualité de personnel navigant commercial par la SAS Dreamjet selon contrat de travail à durée déterminée de six mois à compter du 18 février 2019, motivé par un accroissement temporaire d'activité de la société.

Par avenants des 26 juillet 2019 et 12 février 2020, le contrat a été renouvelé jusqu'au 17 février 2020 puis jusqu'au 17 août 2020.

A compter du 16 mars 2020, en raison de la crise sanitaire, Mme [E] a été placée en activité partielle.

Le 31 mai 2020, la société lui a notifié la rupture anticipée de son contrat pour force majeure par lettre ainsi rédigée :

« [...]

Vous avez été engagée par DREAMJET SAS en qualité de Personnel Navigant Commercial (PNC) - Hôtesse navigante, par contrat de travail à durée déterminée ayant pris effet le 18 février 2019, renouvelé à deux reprises, et ce, jusqu'au 17 août 2020.

Nous sommes au regret de vous informer que votre contrat de travail se trouve rompu en raison du cas de force majeure suivant :

Le 31 décembre 2019, l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) était informée par les autorités chinoises de cas groupés de pneumonies. La majorité des cas avait un lien avec un marché d'animaux vivants dans la ville de [Localité 6] (région [Localité 4]) en Chine : le Huanan South China Seafood Market.

Le 7 janvier 2020, un nouveau coronavirus (SARS-CoV-2) était identifié comme étant la cause de cette maladie COVID-19.

L'importation de cas de COVID-19 depuis la Chine dans d'autres pays a été observée dès le début de l'épidémie à [Localité 6], mais s'est intensifiée depuis mi-février.

En conséquence, les décisions des gouvernements américains, dans un premier temps, et français, dans un second temps, de fermeture des frontières et de confinement des populations (total puis partiel) ont mis un point d'arrêt au transport de passagers européens vers les Etats-Unis et vice versa, pour une durée indéterminée.

Compte tenu des éléments précités, votre contrat de travail sera rompu à la date du 31 mai 2020.

[...] ».

A cette date, Mme [E] avait une ancienneté d'un an et trois mois et la société occupait à titre habituel plus de dix salariés.

Le 20 août 2020, Mme [E] a saisi le conseil de prud'hommes de Bordeaux, demandant la requalification de son contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée et diverses indemnités consécutives à la rupture du contrat à titre principal, et des dommages et intérêts pour rupture anticipée abusive du contrat à durée déterminée à titre subsidiaire.

Par jugement rendu le 12 juillet 2021, le conseil de prud'hommes a :

- débouté Mme [E] de l'intégralité de ses demandes, à titre principal comme à titre subsidiaire,

- débouté la société Dreamjet de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Mme [E] aux dépens de l'instance.

Par déclaration du 9 août 2021, Mme [E] a relevé appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 6 mai 2024, Mme [E] demande à la cour d'infirmer le jugement dont appel et, statuant à nouveau, de :

A titre principal,

Sur l'exécution du contrat de travail :

- requalifier le contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée,

- condamner la société Dreamjet à lui payer la somme de 1.961,59 euros au titre de l'indemnité de requalification du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée,

Sur la rupture du contrat :

- requalifier la rupture du contrat de travail en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et irrégulière,

- condamner la société Dreamjet à lui payer les sommes suivantes :

* 1.961,59 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

* 196,16 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés afférente à l'indemnité compensatrice de préavis,

* 612,99 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

Sur les dommages et intérêts :

A titre principal,

- dire que le barème fixé dans l'article L. 1235-3 du code du travail est inopposable,

- condamner la société Dreamjet à lui payer la somme de 6.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et irrégulière,

A titre subsidiaire,

- la condamner à lui payer 3.923,12 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et irrégulière,

A titre infiniment subsidiaire, si la cour ne considérait pas la rupture du contrat abusive,la condamner à lui payer 2.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure irrégulière,

En tout état de cause,

- ordonner la remise, sous astreinte de 100 euros par jours de retard à compter de la notification de la décision à intervenir :

* un bulletin de paie afférent aux indemnités de rupture,

* une attestation d'employeur Pôle Emploi rectifiée,

* un certificat de travail rectifié,

incluant les condamnations à intervenir,

A titre subsidiaire,

- juger que la rupture anticipée du contrat à durée déterminée était abusive,

- condamner la société Dreamjet à lui payer 5.034,67 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture anticipée abusive du contrat à durée déterminée,

En tout état de cause,

Sur les heures non payées et le travail dissimulé :

- condamner la société Dreamjet à lui payer les sommes suivantes :

* 2.519,71 euros bruts au titre des heures non réglées,

* 251,97 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés afférente aux heures non payées,

* 11.769,36 euros au titre de l'indemnité pour travail dissimulé (1.961,56 euros X 6 mois),

Sur les autres demandes :

- condamner la société Dreamjet à lui payer 2.500 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens,

- juger que les condamnations porteront intérêts au taux légal en application des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil à compter de :

* la réception par l'employeur de la convocation devant le conseil de prud'hommes pour les créances salariales,

* du prononcé de la décision pour les créances indemnitaires prononcées par la cour,

la capitalisation des intérêts étant ordonnée conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 30 avril 2024, la société Dreamjet demande à la cour de :

- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Bordeaux,

- débouter Mme [E] de l'intégralité de ses demandes,

Pour le surplus,

- la condamner à lui payer une somme de 1.800 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- la condamner aux éventuels dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 10 mai 2024 et l'affaire a été fixée à l'audience du 3 juin 2024.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'à la décision déférée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande de requalification de la relation contractuelle en contrat de travail à durée indéterminée

Pour voir infirmer le jugement déféré qui l'a déboutée de sa demande de requalification de son contrat en contrat de travail à durée indéterminée, Mme [E], après avoir rappelé les dispositions légales applicables et l'obligation pour l'employeur de justifier du motif allégué, à savoir l'accroissement temporaire de son activité sur la période du 18 février 2019 au 17 août 2020, soutient que cette preuve n'est pas rapportée :

- la société invoque certes un changement de stratégie de sa flotte d'avions décidée à la fin de l'année 2017 avec l'abandon programmé des 2 avions Boeing 757 exploités au profit d'Airbus A321 ;

- mais ce changement n'établit pas l'accroissement d'activité invoqué ;

- en effet, d'une part, la livraison d'un premier A321, prétendument prévue en avril 2019, n'est intervenue qu'en juin 2019 et le second n'était livrable qu'en septembre 2019, soit plusieurs mois après son embauche ;

- d'autre part, même si l'on retient la note confidentielle qui aurait été établie en vue de la réunion du CSE d'août 2019 dans laquelle il était annoncé l'abandon des Boeing en septembre 2019 pour le premier et fin octobre, début novembre 2019, pour le second, le procès verbal de la réunion ne fait pas état de ces décisions ni de la consultation du CSE à ce sujet ;

- enfin, si la société invoque la nécessité de former les salariés, qu'il s'agisse des personnels navigants techniques (PNT) et des personnels navigants commerciaux,

elle ne produit aucune pièce justifiant ces formations, Mme [E] rappelant qu'elle n'a pas été engagée en remplacement de salariés absents pour ce motif.

La société intimée conclut à la confirmation du jugement déféré soutenant que le projet d'abandon des avions Boeing, en raison de leur manque de fiabilité, au profit des Airbus A321 Néo, initié fin 2017 'signature des LOI en septembre 2017 et des contrats en décembre 2017", constituait une 'petite révolution' car il était envisagé l'exploitation simultanée de 3 avions : le premier A321 devait être livré en avril 2019, le second en juillet 2019, bien que finalement ces livraisons aient été différées en mai et septembre 2019 ; or, l'un des deux Boeing devait être restitué en septembre 2019 mais le second ne l'était initialement qu'en avril 2021, même s'il a dans les faits été restitué de façon anticipée en novembre [2019 '].

Les personnels devaient donc être formés et il y avait des 'incertitudes quant aux besoins à venir (nombre de rotations, disponibilité du personnel ...)'.

Selon la société, 'la procédure à mener sur le plan social était d'envergure puisque ce changement était susceptible d'entraîner le licenciement économique éventuel des PNT qui refuseraient la modification de leur secteur'.

D'ailleurs, le CSE a été consulté en ce sens le 8 août 2019 sur la base d'une note confidentielle adressée par l'employeur à ses membres et le personnel a été informé de ce changement de secteur par un courriel du directeur de la compagnie du 9 août 2019.

C'est donc, dans ce contexte, que plusieurs contrats de travail à durée déterminée auraient été conclus dans les corps de métiers impactés par ce changement (PNT et PNC).

*

Aux termes de l'article L. 1242-2 du code du travail, sous réserve des dispositions de l'article L. 1242-3, un contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire, et seulement dans les cas suivants :

« 1° Remplacement d'un salarié en cas :

a) D'absence ;

b) De passage provisoire à temps partiel, conclu par avenant à son contrat de travail ou par échange écrit entre ce salarié et son employeur ;

c) De suspension de son contrat de travail ;

d) De départ définitif précédant la suppression de son poste de travail après consultation du comité social et économique, s'il existe ;

e) D'attente de l'entrée en service effective du salarié recruté par contrat à durée indéterminée appelé à le remplacer ;

2° Accroissement temporaire de l'activité de l'entreprise ; [...] ».

Mme [E] a été engagée selon contrat de travail à durée déterminée signé le 6 février 2019, à effet au 18 février 2019 ayant pour terme le 17 août 2019, au motif d'un accroissement temporaire d'activité.

Il ne peut qu'être constaté que le changement de stratégie dans le choix des avions de la flotte de la compagnie, prétendument décidé à la fin de l'année 2017, n'est étayé par aucune pièce et ne repose que sur l'affirmation de la société, les contrats de location des Airbus A 321 Néo n'étant notamment pas versés aux débats.

Les affirmations de la société intimée selon laquelle ces nouveaux avions devaient être pour l'un, livré en avril 2019, pour l'autre en juillet 2019, ne reposent également que sur ses seules allégations, de même d'ailleurs que celles relatives au différé de ces livraisons.

Il en est également ainsi pour les dates auxquelles l'abandon des Boeing était programmé et qui auraient finalement été avancées, le procès verbal de la réunion du CSE du 8 août 2019 étant taisant sur ce point.

L'exploitation simultanée de trois avions, susceptible de générer un accroissement d'activité, n'est donc pas établie, d'autant que la société a finalement décidé de stopper l'exploitation des avions Boeing en septembre 2019 pour le 1er et en novembre 2019, pour le second.

Aucune pièce ne permet ainsi de retenir l'existence d'un accroissement temporaire d'activité de la société ni à la date de conclusion du contrat de travail à durée déterminée entre les parties, le 6 février 2019, et encore moins, aux dates de renouvellement de ce contrat, le 26 juillet 2019 puis le 12 février 2020.

La relation contractuelle sera en conséquence requalifiée en contrat de travail à durée indéterminée à compter du 18 février 2019.

***

Mme [E] sollicite le paiement de la somme de 1.961,59 euros au titre de l'indemnité de requalification prévue par l'article L. 1245-2 du code du travail, correspondant à son salaire moyen de septembre 2019 à février 2020.

La société ne conclut pas spécialement sur cette demande.

*

Aux termes des dispositions de l'article L. 1245-2 du code du travail, lorsque le conseil de prud'hommes fait droit à la demande de requalification du salarié de la relation contractuelle en contrat de travail à durée indéterminée, il lui accorde une indemnité, à la charge de l'employeur, ne pouvant être inférieure à un mois de salaire.

Au vu des bulletins de salaire produits par Mme [E], il sera fait droit à sa demande.

Sur les demandes au titre des heures supplémentaires effectuées

Pour voir infirmer le jugement déféré qui l'a déboutée de ses demandes à ce titre, Mme [E] fait valoir que la société n'a pas pris en compte, dans le temps de travail rémunéré, les temps de préparation, avant et après vol, qui ne figurent pas sur les plannings, retenant seulement l'heure de début de ses activités et de temps de vol, sans prendre en considération la durée des temps de debriefing et de check-in, avant et après les vols, qui ne sont pas compris dans les éléments de la rémunération contractuellement convenue et sont donc exclus du salaire fixe.

A l'appui de la demande en paiement d'heures supplémentaires, Mme [E] fait ainsi valoir que doivent être rajoutées 3 heures avant chaque vol et 30 à 40 minutes après chaque vol, soit 3,75 heures de travail pour chacun de ces vols.

La société intimée conclut à la confirmation du jugement déféré, soutenant que :

- les salaires réglés l'ont été sur la base du logiciel de planification, Cyberjet, accessible aux personnels navigants ;

- le salaire fixe convenu intégrait un forfait annuel de 5 journées dédiées aux activités au sol rémunérées que sont les briefings, transports ou autres.

***

Aux termes des articles L. 3171-2 alinéa 1er du code du travail, L. 3173-3 et L. 3171-4 lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande et au regard des exigences rappelées aux dispositions légales précitées, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Le contrat de travail conclu entre les parties prévoyait la prise en compte des temps passés au sol, hors vol.

Aucune des pièces produites par Mme [E] ne permet de retenir que les temps passés au sol ont été supérieurs à ceux contractuellement intégrés dans le temps de travail rémunéré.

Mme [E] a donc été à juste titre déboutée de ses demandes en paiement au titre des heures supplémentaires et de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé.

Sur la rupture du contrat de travail

Pour voir infirmer le jugement déféré qui l'a déboutée de ses demandes au titre de son licenciement, Mme [E], invoquant les dispositions relatives au dispositif gouvernemental mis en place autorisant l'activité partielle jusqu'au 15 septembre 2020, soutient que la rupture de son contrat de travail est dépourvue de cause réelle et sérieuse dès lors que rien n'empêchait la société de la maintenir en activité partielle.

La société, invoquant les dispositions des articles L. 1243-1 à L. 1243-4 du code du travail, soutient qu'en cas de force majeure, l'employeur peut mettre fin immédiatement à un contrat de travail à durée déterminée dès lors que les conditions de la force majeure sont, comme en l'espèce, réunies ainsi que le conseil de prud'hommes l'a retenu.

La société indique notamment que le nombre d'heures maximum, qui lui avait été autorisé, soit 71.781 heures, avait été consommé très rapidement, était insuffisant pour maintenir son activité et notamment celle de Mme [E] d'autant que le trafic avec [Localité 5] n'a pu reprendre que le 8 novembre 2021.

***

La relation entre les parties étant requalifiée en contrat de travail à durée indéterminée, les dispositions invoquées par la société relatives à la rupture anticipée d'un contrat de travail à durée déterminée ne sont pas applicables.

L'inexécution par l'employeur des obligations résultant du contrat de travail engage sa responsabilité mais celle-ci peut être écartée en cas de force majeure.

Aux termes des dispositions de l'article 1218 du code civil : « Il y a force majeure en matière contractuelle orsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur.

Si l'empêchement est temporaire, l'exécution de l'obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat.

Si l'empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1 ».

Les parties s'accordent sur le caractère d'événement 'échappant au contrôle de l'employeur' de la crise sanitaire ayant résulté de la pandémie liée à la Covid19, notamment quant à ses conséquences sur le trafic aérien ainsi que sur son caractère imprévisible à la date de l'avenant de renouvellement du contrat, soit le 12 février 2020.

Elles sont en revanche en désaccord sur le caractère irrésistible des effets de cette crise quant à l'impossibilité de poursuivre le contrat :

- la société fait valoir qu'à la date de notification de la rupture, soit le 31 mai 2020, elle était dans l'incertitude de la prolongation du dispositif d'activité partielle et des quantum d'indemnisation et d'allocation ; à cette date, le volume d'heures accordé en activité partielle ne pouvait suffire à couvrir la période, faute de reprise d'activité ; elle souligne que les dispositifs d'activité partielle longue durée n'ont été mis en place que par ordonnance du 24 juin 2020 ; elle ajoute que, spécialisée dans les vols vers [Localité 5], elle n'a pu reprendre cette activité que le 8 novembre 2021, produisant un tableau faisnt état de 23 vols seulement effectués entre la France et les Etats-Unis entre le 23 août 2020 et le 27 février 2021, au lieu, selon son affirmation, des 1360 vols réalisées sur la priode précédente de mars 2019 à février 2020 ;

- Mme [E] fait quant à elle valoir que la société disposait d'une autorisation d'activité partielle jusqu'au 15 septembre 2020 lui permettant de ne pas verser à ses employés leur salaire intégral, qu'elle avait en outre bénéficié d'un prêt garanti par l'Etat ; en conséquence, la rupture de son contrat ne repose pas sur une force majeure et doit donc s'analyser en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Etant rappelé qu'il incombe à l'employeur d'établir la force majeure alléguée à l'appui de sa décision de rompre le contrat, la cour relève les éléments suivants :

- ainsi que le fait valoir Mme [E], l'autorisation donnée par le ministère du travail à la société Dreamjet de recourir au dispositif d'activité partielle le 26 mars 2020 (pièce 2 société) portait sur une période n'expirant que le 15 septembre 2020 ;

- cette autorisation validait 71.781 heures de travail autorisées sur la période du 16/03/2020 au 15/09/2020 dont, en l'état des pièces produites, le caractère insuffisant allégué par la société n'est pas établi ;

- dès le 28 mars 2020, le gouvernement avait annoncé des mesures d'aides financières au soutien des entreprises impactées par le virus (pièce 10 société) dont, au vu de la pièce 11 de Mme [E] la société a effectivement bénéficiées, ayant obtenu un prêt du gouvernement en juin 2020.

Il résulte de ces éléments que la société échoue à démontrer qu'elle était dans l'impossibilité de maintenir le contrat de travail de Mme [E] à la date de la notification de la rupture de celui-ci, rupture qui doit donc s'analyser en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur les demandes financières au titre de la rupture du contrat de travail

La rupture du contrat de travail liant Mme [E] à la société Dreamjet s'analysant en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, la salariée est en droit de prétendre au paiement de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés y afférents, de l'indemnité de licenciement et de dommages et intérêts pour licenciement abusif.

***

Mme [E] sollicite le paiement de la somme de 1.961,59 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et de celle de 196,16 euros bruts pour les congés payés afférents.

La société n'a pas conclu spécialement de ce chef.

*

Au regard de l'ancienneté de Mme [E] et du salaire perçu, il sera fait droit à ses demandes à ce titre.

***

Mme [E] sollicite le paiement de la somme de 612,99 euros au titre de l'indemnité de licenciement.

La société n'a pas conclu spécialement de ce chef.

*

Au regard de son ancienneté à la date de l'expiration du préavis et du salaire perçu par Mme [E] ainsi que des dispositions des articles L. 1234-9 et R. 1234-2 du code du travail, il sera fait droit à sa demande.

***

Mme [E] sollicite à titre principal la somme de 6.000 euros en réparation du préjudice résultant du caractère abusif de la rupture de son contrat de travail, demandant à la cour d'écarter le barème 'Macron' au motif de son inconventionalité au regard des dispositions de l'article 24 de la Charte sociale européenne et de l'article 10 de la convention n° 158 de l'OIT ainsi que du rapport de la commission d'experts par celle-ci demandant au gouvernement français des informations sur la révision du barème.

A titre subsidiaire, elle chiffre sa demande à la somme de 3.923,12 euros.

La société n'a pas conclu spécialement de ce chef.

*

D'une part, les dispositions de la Charte sociale européenne selon lesquelles les Etats contractants ont entendu reconnaître des principes et des objectifs poursuivis par tous les moyens utiles, dont la mise en oeuvre nécessite qu'ils prennent des actes complémentaires d'application et dont ils ont réservé le contrôle au seul système spécifique visé par la partie IV, ne sont pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.

L'invocation de son article 24 ne peut dès lors pas conduire à écarter l'application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017.

D'autre part, les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail, qui octroient au salarié, en cas de licenciement injustifié, une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l'ancienneté du salarié permettent raisonnablement l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi, étant observé que celles de l'article L 1235-3-1 du même code prévoient que, dans des cas limitativement énumérés entraînant la nullité du licenciement, le barème ainsi institué n'est pas applicable.

Le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l'employeur est en outre assuré par l'application, d'office par le juge, des dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail, aux termes desquelles le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé.

Les dispositions des articles L. 1235-3, L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du code du travail sont ainsi de nature à permettre le versement d'une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'OIT.

Il en résulte que les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l'article 10 de la convention précitée.

Lors de la 111ème session de 2023, la commission des experts de l'Organisation Internationale du Travail a examiné, dans le cadre de son rapport sur l'application des conventions et recommandations de l'OIT, les observations relatives à l'article L. 1235-3 des syndicats CFDT et CFE-CGC, du gouvernement français, les arrêts rendus le 11 mai 2022 par la Cour de cassation ainsi que la décision émanant du comité européen des droits sociaux du Conseil de l'Europe publiée le 26 septembre 2022 (concluant à la violation de l'article 24 de la Charte sociale européenne).

Au vu de ces éléments, elle a prié 'le gouvernement [français] de communiquer des informations sur l'examen, en concertation avec les partenaires sociaux, des modalités du dispositif d'indemnisation prévu à l'article L. 1235-3 de façon à assurer que les paramètres d'indemnisation prévus par le barème permettent, dans tous les cas, une réparation adéquate du préjudice subi pour le licenciement abusif'.

Les recommandations de la commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations de l'OIT n'ont pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers en ce qu'elles s'adressent directement au pouvoir politique d'un Etat membre.

Cette invitation, qui pourrait, le cas échéant, mettre le gouvernement français en défaut vis- à-vis des recommandations de l'OIT ne remet pas en cause la légalité du barème ni sa conventionnalité.

En conséquence, l'invocation de la dernière recommandation adressée au gouvernement pour donner suite à des informations demandées, ne peut pas non plus conduire à écarter l'application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017.

*

En application du barème résultant de l'article L. 1235-3 du code du travail, Mme [E] peut prétendre, compte tenu de son ancienneté de plus d'un an et de l'effectif de l'entreprise, à une indemnité comprise entre 1 et 2 mois de salaire.

Elle a retrouvé un emploi en août 2022.

Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à Mme [E], de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, la cour est en mesure de lui allouer la somme de 3.923,12 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en application de l'article L.1235-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige.

Sur les autres demandes

Il n'y a pas lieu de déroger aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil en application desquelles les créances salariales produisent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le conseil de prud'hommes et les créances indemnitaires produisent intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant, la capitalisation des intérêts étant ordonnée conformément aux dispositions de l'article 1343-2.

La société Dreamjet devra délivrer à Mme [E] un bulletin de paie, une attestation France Travail (anciennement Pôle Emploi) et un certificat de travail, rectifiés en considération des condamnations prononcées par le présent arrêt, et ce, dans le délai de deux mois à compter de la signification de celui-ci, sans que la mesure d'astreinte ne soit en l'état justfifiée.

La société Dreamjet, partie perdante à l'instance, sera condamnée aux dépens ainsi qu'à payer à Mme [E] la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté Mme [E] de ses demandes au titre des heures supplémentaires effectuées ainsi qu'au titre de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,

L'infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau,

Dit que le contrat de travail de Mme [E] doit être requalifié en contrat de travail à durée indéterminée à compter du 18 février 2019,

Condamne la société Dreamjet à payer à Mme [E] les sommes suivantes :

- 1.961,59 euros au titre de l'indemnité de requalification,

- 1.961,59 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 196, 16 euros bruts pour les congés payés afférents,

- 612,99 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

- 3.923,12 euros bruts à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Rappelle que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le conseil de prud'hommes tandis que les créances indemnitaires portent intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant, la capitalisation des intérêts étant ordonnée conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil,

Dit que la société Dreamjet devra délivrer un bulletin de salaire récapitulatif des sommes allouées, un certificat de travail, un reçu pour solde de tout compte ainsi qu'une attestation France Travail rectifiés en considération des condamnations prononcées et ce, dans le délai de deux mois à compter de la signification de la présente décision, la mesure d'astreinte sollicitée n'étant pas en l'état justifiée,

Condamne la société Dreamjet aux dépens ainsi qu'à verser à Mme [E] la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Signé par Sylvie Hylaire, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Sylvie Hylaire


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 21/04618
Date de la décision : 05/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 13/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-05;21.04618 ?
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