COUR D'APPEL DE BORDEAUX
CHAMBRE SOCIALE - SECTION A
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ARRÊT DU : 03 JUILLET 2024
PRUD'HOMMES
N° RG 21/04088 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MG56
Monsieur [T] [P]
c/
Association COMPAGNIE [8]
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
à :
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 28 juin 2021 (R.G. n°F 20/00128) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PÉRIGUEUX, Section Activités Diverses, suivant déclaration d'appel du 15 juillet 2021,
APPELANT :
Monsieur [T] [P]
né le 16 Mars 1982 à [Localité 6] de nationalité Française
Profession : Administrateur(trice), demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Arnaud LE GUAY de la SCP SCP D'AVOCAT ARNAUD LE GUAY, avocat au barreau de PERIGUEUX
INTIMÉE :
Association Compagnie [8], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 2]
N° SIRET : 449 148 905 00035
représentée par Me Pierre DANIEL LAMAZIERE, avocat au barreau de PERIGUEUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 mai 2024 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente et Madame Bénédicte Lamarque, conseillère chargée d'instruire l'affaire,
Ces magistrat ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente
Madame Sylvie Tronche, conseillère
Madame Bénédicte Lamarque, conseillère
Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
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EXPOSÉ DU LITIGE
Le 24 août 2020, Monsieur [T] [P] a saisi le conseil de prud'hommes de Périgueux, sollicitant la requalification à durée indéterminée des contrats de travail à durée déterminée qui le liaient à l'association [8] de septembre 2011 à octobre 2019 et réclamant des arriérés de salaire, des dommages et intérêts pour procédure irrégulière et pour licenciement abusif, diverses indemnités et que l'association [8] soit condamnée, sous astreinte, à ne plus faire usage des photographies lui appartenant.
Par jugement rendu le 28 juin 2021, le conseil de prud'hommes a :
- débouté M. [P] de l'intégralité de ses demandes,
- débouté l'association [8] de ses demandes reconventionnelles,
- condamné M. [P] aux dépens.
Par déclaration du 15 juillet 2021, M. [P] a relevé appel de cette décision.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 8 avril 2022, M. [P] demande à la cour de :
- dire son appel recevable et bien fondé,
- réformer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes le 28 juin 2021 en ce qu'il l'a débouté de l'intégralité de ses demandes et l'a condamné aux entiers dépens,
Statuant à nouveau,
- requalifier son contrat de travail en contrat de travail à durée indéterminée,
En conséquence,
- condamner l'association [8], prise en la personne de son représentant légal, pour la période du mois d'août 2016 au mois de septembre 2019, aux sommes suivantes :
* arriérés de salaires : 25.174,07 euros,
* congés payés sur arriérés de salaires : 2.517,41 euros,
* dommages-intérêts pour procédure irrégulière (un mois de salaire) : 2.305,36 euros,
* indemnité de licenciement (article 7,8) : 2.925,01 euros,
* préavis (article 7.7 : 3 mois) : 4.387,51 euros,
* congés payés sur préavis : 438,75 euros,
* Conges payés dus au moment du licenciement :1.755 euros,
* indemnité de requalification :1.462,50 euros,
* dommages-intérêts pour licenciement abusif : 11.700,03 euros,
* article 700 du code de procédure civile : 6.000 euros,
- débouter l'association [8] de la totalité de ses demandes ;
- ainsi qu'aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 6 janvier 2022, l'association [8] demande à la cour de :
À titre principal, confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Périgueux en ce qu'il a débouté M. [P] de l'ensemble de ses demandes, insusceptibles de revêtir la qualification de contrat de travail mais de gestion de fait, fins et conclusions,
Subsidiairement,
- réformer le jugement en ce qu'il l'a déboutée,
- ordonner, si besoin sous astreinte provisoire, la cour d'appel se réservant la possibilité de liquider l'astreinte, la communication des versements effectués par Pôle emploi au bénéfice de M. [P] de 2011 à décembre 2019,
- condamner M. [P] à lui payer la somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts sur les fondements des articles L.1221'1, L.1222-1 du code du travail, des articles 1100 et suivants, 1128 et suivants, 1130 et suivants du code civil,
- condamner M. [P] à payer la somme de 8.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Subsidiairement,
- ordonner la compensation entre les condamnations éventuelles de l'association compagnie [8] avec les sommes perçues par M. [P] au titre du régime d'intermittents du spectacle représentant la somme totale de 24.295,70 euros 2 février 2018 à octobre 2019 en application des articles L.1471'1 du code du travail et des articles 1347 et suivants du code civil.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 avril 2024 et l'affaire a été fixée à l'audience du 7 mai 2024.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'à la décision déférée.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la requalification des contrats de travail
Soutenant avoir travaillé pour l'association Compagnie [8] sous un statut juridique en inadéquation avec la nature de son travail, par 125 contrats à durée déterminée d'usage entre septembre 2011 et le 16 septembre 2019, M. [P] sollicite la requalification de sa relation de travail en contrat à durée indéterminée.
Alors que les contrats à durée déterminée d'usage font mention de l'emploi de comédien ou de chargé de production, M. [P] soutient qu'il exerçait en réalité les fonctions d'administrateur qui ne pouvaient pas faire l'objet d'un tel type de contrat, même s'il a pu intervenir à de rares occasions comme comédien. A ce titre, il avait en charge la gestion administrative et financière et le pilotage des dossiers de financement. Cette fonction n'était au demeurant pas, par nature, temporaire.
Par la production de lettre du président de l'association du 15 octobre 2019 lui confirmant la fin de sa collaboration et demandant de remettre le matériel consistant en archives, chéquiers, tampons clefs et codes d'accès aux différentes plateformes, il soutient qu'il exerçait bien des fonctions administratives et non celle de comédien.
M. [P] indique par ailleurs qu'il suivait les directives du conseil d'administration de l'association, en assurait la gestion courante et quotidienne et rendait compte de cette gestion en informant le bureau des détails.
Subsidiairement, il relève que les contrats à durée déterminée ne reprenaient pas toutes les mentions obligatoires prévues par la convention collective, certains contrats ne mentionnant aucune fonction et la diversité des tâches confiées illustrant leur caractère fictif.
L'association conteste la réalité des contrats à durée déterminée signés, ayant été rédigés par M. [P], pour lui permettre de bénéficier du régime d'intermittent du spectacle et des indemnités Pôle Emploi.
Les contrats à durée déterminée d'usage sont signés par M. [P] en qualité de salarié mais également en qualité d'employeur. Elle soutient que la signature de M. [Z] a été contrefaite de 2011 à 2019.
L'association dénonce l'élaboration de faux contrats par M. [P] entre novembre 2014 et janvier 2015, alors qu'il se trouvait en voyage en Amérique du Sud. Elle produit un courriel de M. [P] du 15 octobre 2014 qui dit être injoignable pendant quatre jours.
Elle soutient que M. [P], membre fondateur de l'association, a continué à se considérer comme administrateur de la compagnie et à assister au conseil d'administration et qu'il a sollicité du conseil d'administration la reconnaissance de son engagement à l'origine bénévole.
Elle conteste tout lien de subordination et soutient que M. [P] était gérant de fait de l'association, s'étant fixé unilatéralement sa propre rémunération pendant neuf ans et rappelle qu'il a perçu des indemnités de Pôle Emploi au titre des contrats intermittents, représentant sur 2018 et 2019 l'équivalent d'un salaire de 1.205,65 euros auquel il convient d'ajouter les salaires versés par l'association.
Subsidiairement, la compagnie soutient que les fonctions d'administration dévolues au conseil d'administration ont été déléguées pour des missions ponctuelles pour des spectacles précis, limitées dans le temps et que les fonctions de M. [P] étaient ainsi circonscrites à chaque spectacle. Dès lors que les fonctions avaient un caractère temporaire, l'usage des contrats à durée déterminée dérogatoire dits d'usage était licite.
Elle s'appuie sur la directive européenne du 28 juin 1999 sur le travail à durée déterminée et la jurisprudence de la cour de justice de l'Union européenne, du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation, l'accord national interprofessionnel du 24 mars 1990 et la convention collective applicable pour soutenir que le caractère permanent des besoins en personnel sur des projets et spectacles ponctuels pouvait être comblé par la signature de contrats à durée déterminée, en raison des raisons objectives ne dérivant pas en abus, les tâches administratives n'étant que résiduelles.
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En vertu de l'article L1242-1 du code du travail, 'un contrat à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise'.
Aux termes des dispositions de l'article L. 1242-2.3° du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, un contrat de travail à durée déterminée peut être conclu pour pourvoir des emplois à caractère saisonnier ou pour lesquels, dans certains secteurs d'activité définis par décret ou par convention ou accord collectif de travail étendu, il est d'usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l'activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois.
Dans le domaine des spectacles, action culturelle, audiovisuel, production cinématographique, l'usage est reconnu par l'article D. 1242-1 du même code.
L'accord collectif inter branche du 12 octobre 1998 limite les secteurs de recours à un contrat à durée déterminée d'usage en fixant la liste des fonctions pour lesquelles il est autorisé. La convention collective applicable en l'espèce énumère les tâches pouvant faire l'objet d'un contrat à durée déterminée d'usage en son article 7-3.
En cas de contestation sur la catégorie professionnelle dont relève le salarié, le juge doit rechercher la nature de l'emploi effectivement occupé par ce dernier et la qualification qu'il requiert. La classification d'un salarié ne dépend pas des termes de son contrat de travail mais des fonctions réellement exercées. La charge de la preuve repose sur le salarié.
La preuve du caractère par nature temporaire de l'emploi occupé incombe à l'employeur.
L'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donné à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs, le contrat de travail étant caractérisé par l'existence d'une prestation de travail, d'une rémunération et d'un lien de subordination juridique entre l'employeur et le salarié, ce dernier étant de ce fait soumis au pouvoir disciplinaire de celui pour lequel il travaille.
En présence d'un contrat de travail apparent, il appartient à celui qui invoque son caractère fictif d'en apporter la preuve.
M. [P] produit 125 contrats d'usage à durée déterminée pour des fonctions de régisseur entre le 30 septembre 2011 et le 1er février 2012, pour des fonctions de régisseur lumière entre le 20 mars 2012 et le 3 février 2015, des fonctions de régisseur lumière et chargé de production ou comédien à partir du 23 mars 2015 jusqu'au 16 septembre 2019. Ces contrats étaient conclus sur des durées allant de 1 à 8 jours.
Il résulte de la production par M. [P] des contrats à durée déterminée, des bulletins de salaire, la preuve de l'existence d'un contrat de travail apparent s'agissant de différentes fonctions de régisseur, chargé de production et comédien.
La société ne démontre pas que M. [P] aurait usurpé la signature du président de l'association pour signer les différents contrats d'usage, le conseil d'administration y ayant mis un terme par courrier du 15 octobre 2019 et lui ayant proposé une indemnisation par courrier du 29 novembre suivant, reconnaissant ainsi la connaissance et la réalité de la succession de ces missions.
En revanche, s'agissant des fonctions d'administrateur, en l'absence d'un contrat de travail apparent, il appartient à celui qui s'en prévaut de rapporter la
preuve qu'il a fourni un travail moyennant rémunération et dans le cadre d'un lien de subordination avec celui qu'il désigne comme son employeur.
Les statuts de l'association du 17 juin 2020 stipulent en leur article 2 que l'objet de l'association de 'promouvoir, développer, former, rechercher, créer dans tous les domaines de l'art du théâtre et du spectacle vivant en général.
Pour cela, elle organise des stages, ateliers, cours de théâtre pour le tout public et le jeune public (elle intervient en milieu scolaire).
L'association est aussi productrice de création de spectacle vivant dont elle gère la diffusion'.
L'association a été créée par M. [F], M. [O] et M. [P] en 2001. Arrivé en 2005 au sein de l'association qui ne disposait pas d'organe représentatif, M. [P] a exercé le rôle d'administrateur s'agissant de développer la structure, la gestion de la paie, le suivi administratif.
M. [Z] en est à la date du 17 juin 2020 le président, Mme [H] trésorière et M. [K] secrétaire.
M. [U] atteste être devenu trésorier, ce qui n'est pas contesté, sans que soient précisées les dates auxquelles il a exercé ces fonctions.
Pour soutenir qu'il exerçait en réalité les fonctions d'administrateur, il produit les attestations de :
- M. [Y], artiste musicien qui atteste qu'il s'occupait de toute la partie administrative liée aux contrats de travail, fiche de paie (etc...), M. [R] qui déclare avoir été contacté par M. [P] pour un travail comptable de l'association, à sa place,
- M. [J], trésorier de l'association CRAC diffusion de Spectacle, M. [V], écrivain, M. [W], président de Musiques de [Localité 7] en Périgord, M. [M], responsable du centre culturel à [Localité 3], Mme [A], directrice d'une association culturelle sur la Dordogne lesquels attestent avoir entendu ou identifié M. [P] comme administrateur de la compagnie [8]. Mme [E] , chargée de mission au sein de la ligue de l'enseignement de la Dordogne confirme qu'il était chargé d'accueillir les jeunes pour effectuer un service civique au sein de la compagnie, étant leur tuteur et leur donnant des instructions,
- Mme [C], administratrice du Théâtre [5] à [Localité 9], Mme [G] [BC], présidente de l'association [4], M. [D], attestent avoir eu à faire avec M. [P] pour le traitement des subventions, la recherche de partenariat, gestion logistique, financière et administratives et représentation des intérêts de la compagnie,
- M. [BL], salarié de l'association Initiative Périgord, Mme [X], directrice de l'agence Triblos attestent du rôle joué par M. [P] dans l'élaboration du Dispositif Local d'accompagnement pour le département de la Dordogne, le reconnaissant comme un des fondateurs et porteurs du projet au même titre que M. [F],
- Mme [I], médiatrice culturelle et conjointe de M. [P], atteste du caractère administratif du travail effectué par ce dernir , représentant un mi-temps sur son activité professionnelle globale.
M. [P] verse également le rapport d'activité 2016 de la compagnie ainsi qu'un compte rendu d'une réunion du 2 août 2016 pour un projet extérieur, sur lequel il est indiqué qu'il exerce les fonctions d'administrateur chargé de production. Ce rapport indique 'la direction artistique est assurée par [N] [F], metteur en scène et par [T] [P], administrateur chargé de production' (...) les activités artistiques de la compagnie sont confiées à [N] [F] et [T] [P]. Ils rendent compte régulièrement des activités et des travaux de recherches.'
Dans la description de ses tâches entre 2005 et 2019, M. [P] reconnaît avoir pris en charge l'ensemble du pilotage administratif et financier de l'association.
Il ressort de l'ensemble de ces attestations que M. [P] était reconnu en interne pour gérer les paies, mais aussi à l'extérieur pour porter l'association, y compris d'un point de vue administratif et financier et pouvait être perçu dans les relations externes comme le représentant de la société.
Il n'est pas contesté que M. [P] n'avait pas la qualité de gestionnaire ni d'administrateur, les statuts de l'association ne l'ayant pas désigné ni président, ni trésorier, ni secrétaire.
La société produit toutefois le témoignage de M. [U], recruté en qualité de trésorier par M. [P], ce dernier l'ayant toutefois rassuré sur le fait qu'il s'occuperait lui-même en réalité de la partie financière mais que M. [U] aurait d'autres missions dans l'élaboration des dossiers pédagogiques. La secrétaire était alors Mme [B]. Elle confirme que M. [P] et M. [F] administraient la compagnie, que M. [P] gérait de 'manière unilatérale le porte-monnaie de la compagnie', refusant de déléguer et qu'il a supprimé l'accès aux comptes du président et de M. [F]. Elle atteste de ce que M. [P] souhaitait un poste de directeur de programmation, en évinçant M. [F].'Il se faisait ses propres contrats, filtrait les informations qu'il dispensait au CA [conseil d'administration] pour mieux le manipuler et faire valider les choix budgétaires qu'il faisait'.
Après sa démission en juin 2019, la nouvelle trésorière, Mme [L] confirme les dissensions entre M. [P] et M. [F], le rôle d'administrateur que M. [P] revendiquait, souhaitant gérer seul la compagnie. Elle indique qu'il n'a jamais demandé à être embauché en contrat à durée indéterminée, pour ses tâches administratives, en plus des contrats qui lui étaient consentis pour les autres fonctions accomplies en tant que régisseur, comédien, chargé de production notamment.
M. [P] n'a jamais sollicité de rémunération pour ce travail, agissant en qualité de bénévole au même titre que les membres du bureau. Il est établi par les différentes attestations que cette fonction représentait environ 20 heures de travail par semaine.
Dans un courriel du 15 novembre 2014, la trésorière, Mme [B], lui demande son avis pour finaliser la demande de subventions qui sera signée par le président et dans un courriel du 15 octobre 2014, il explique aux trois membres du bureau, dont la trésorière et la secrétaire ce qu'est un rescrit fiscal, adoptant un ton d'autorité qui ne laisse pas de place à la discussion.
Mme [S], chargée de diffusion en 2018 et 2019, confirme que M. [P] concevait ses fonctions administratives comme un soutien bénévole à la compagnie. Elle confirme l'absence de délégation de sa part sur les sujets qui relevaient pourtant de sa compétence.
Il n'est donc pas établi que M. [P] était placé sous l'autorité du président de l'association quand il exerçait les fonctions administratives.
S'agissant des attestations produites par l'employeur, il convient de rappeler que les dispositions de l'article 202 du code de procédure civile ne sont pas prescrites à peine de nullité. Dès lors, rien ne s'oppose à ce que soit examinée une attestation établie par une personne représentant l'employeur ou travaillant à son service, la valeur et la portée de cet élément devant en conséquence être examinée.
Aucun document n'est produit permettant d'établir que M. [P] recevait des ordres et des directives de la part du bureau, qu'il était contrôlé dans l'exécution de ses tâches administratives.
Au surplus, par courrier du 15 octobre 2019, le président de l'association sollicite auprès de M. [P] la restitution des archives papiers, documents numériques, chéquiers, tampons, clefs et codes d'accès aux différentes plateformes utilisées par la compagnie établissant que ce dernier disposait de la signature bancaire, du pouvoir de signer les contrats d'embauche et des actes essentiels et pouvait traiter avec les partenaires extérieurs.
Par ailleurs, M. [F], Mme [H] et M. [U] attestent qu'ils étaient impuissants face à la détermination de M. [P], qui avait une vision différente de l'association, n'ayant exercé leur pouvoir de sanction pour mettre fin à sa collaboration qu'en octobre 2019.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, M. [P] échoue à démontrer qu'il a été engagé comme administrateur de la société aux termes des 125 contrats d'usage à durée déterminée, ayant exercé les fonctions de gérant de fait en complément des fonctions techniques de comédien, producteur et régisseur qui ont fait l'objet de différents contras de travail pour lesquels il a été rémunéré.
La demande en requalification pour recours abusif à un contrat à durée déterminée d'usage pour des fonctions d'administrateur de la société sera rejetée ainsi que la demande en paiement des arriérés de salaires y afférentes.
Le jugement déféré sera confirmé de ce chef.
Sur la régularité des contrats à durée déterminée
Aux termes de l'article L.1242-12 du code du travail, le contrat de travail à durée déterminée est établi par écrit et comporte la définition précise de son motif, et notamment les mentions énumérées par ce texte; à défaut, il est réputé être conclu pour une durée indéterminée.
Le recours au contrat de travail à durée déterminée d'usage ne dispense pas l'employeur d'établir un contrat écrit comportant la définition précise de son motif.
La convention collective applicable, en son article 7.2 précise les mentions obligatoires devant figurer dans les contrats à durée déterminée d'usage :
' Conformément à l'article 3.3.1 de l'accord du 24 juin 2008 sur la politique contractuelle dans 1e spectacle vivant public et privé et conformément aux dispositions de la présente annexe, le contrat de travail à durée déterminée d'usage des artistes devra comporter les mentions suivantes:-la nature du contrat : 'contrat à durée déterminée d'usage, en application de l'article L. 1242-2,3° du code du travail';
- l'identité des parties;
- l'objet du recours au CDD dit d'usage :
- le nom du spectacle ;
- pour les artistes dramatiques, le rôle et le nom du metteur en scène ;
- les éléments précis et concrets établissant le caractère par nature temporaire de l'emploi
- la date de début du contrat et sa durée minimale dès lors que celui-ci prend fin à la réalisation de son objet, ou la date de fin de contrat s'il s'agit d'un contrat à durée déterminée à terme certain ;
- l'existence et la durée de la période d'essai s'il y a lieu;
- le titre de la fonction, la qualité ou la catégorie d'emploi pour lesquelles le salarié est embauché ainsi que sa position dans la classification de la convention collective applicable;
- le lieu de travail, lieu d'embauche du salarié
- le planning des représentations et répétitions ;
- la durée de travail applicable et, le cas échéant, la convention de forfait de temps de travail éventuellement
applicable au salarié;
-s'il y a lieu, le contrat de travail ou un avenant préciseront les modalités de fonctionnement de la modulation du temps de travail ;
- le salaire de base applicable;
-la mention de la convention collective applicable, d'un accord de groupe ou d'entreprise, d'un règlement intérieur régissant les conditions de travail du salarié
- les références d'affiliation aux caisses de retraite complémentaire et à la caisse des congés spectacles
- les références des organismes de protection sociale ;
- le lieu de dépôt de la déclaration préalable à l'embauche rénovée.'
Le contrat de travail à durée déterminée est rédigé conformément à l'article L. 1242-1 du code du travail. '
L'article 7.3 liste les emplois permettant le recours à des contrats à durée déterminée d'usage dont régisseur lumière (ligne 22), régisseur (ligne 32), administrateur de production (ligne 47).
Entre le 30 septembre 2011 et le 1er février 2012, M. [P] a été engagé en qualité de régisseur pour des représentations à des dates précises et en référence à un spectacle portant un numéro d'objet clairement identifiable, la totalité des journées de présence ayant fait l'objet d'un cumul d'heures pour un salaire de référence.
Entre le 20 mars 2012 et le 3 février 2015, il a été engagé en sa qualité de régisseur lumière suivant les mêmes précisions de date, d'objet, d'horaire et de rémunération.
A partir du 23 mars 2015 jusqu'au 16 septembre 2019, il a été engagé par différents contrats à durée déterminée d'usage en sa qualité de régisseur lumière, chargé de production ou comédien suivant les mêmes précisions contractuelles.
Tous les contrats sont signés et datés, la signature de M. [P] étant différente de celle de l'employeur.
La durée très courte de chacun des contrats pour des spectacles temporaires et la multiplicité des fonctions exercées permettent d'établir le caractère temporaire des emplois pourvus par chacun des contrats. Toutefois, la détermination par accord collectif de la liste précise des emplois pour lesquels il peut être recouru au contrat de travail à durée déterminée d'usage ne dispense de vérifier concrètement l'existence de raisons objectives établissant le caractère par nature temporaire de l'emploi concerné. L'association ne produit aucun élément permettant cette vérification.
M. [P] produit les relevés de Pôle Emploi établissant qu'il a perçu en complément des rémunérations de l'association pour ces différentes prestations des indemnités de 24.295,70 euros entre février 2018 et octobre 2019.
Toutefois, aucun contrat ne mentionne la convention collective applicable, ni le lieu d'exécution. Lorsqu'il a exercé en qualité de comédien, le contrat ne mentionne pas non plus le nom du metteur en scène. Aucun contrat signé ne mentionne le motif précis du recours à un tel contrat d'usage.
En l'absence de définition précise de son motif et de la réalité du caractère temporaire des missions exercées, les contrats à durée déterminée d'usage doivent être réputés conclus pour une durée indéterminée.
Il convient par conséquent de requalifier les contrats à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée à compter du 30 septembre 2011.
En vertu de l'article L. 1245-2 du code du travail, lorsqu'il est fait droit à une demande de requalification d'un contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée , il est accordé au salarié une indemnité qui ne peut être inférieure à un mois de salaire.
L'association sera condamnée au paiement d' une indemnité d'un montant de 800 euros.
Le jugement déféré sera infirmé de ce chef.
Sur le licenciement abusif
Aux termes de l'article L. 1231-1 du code du travail le contrat de travail à durée indéterminée peut être rompu à l'initiative de l'employeur ou du salarié ou d'un commun accord dans les conditions prévues par les dispositions du présent titre.
En l'espèce, le dernier contrat à durée déterminée signé le 18 septembre 2019 pour une période de 5 journées a pris fin le 20 septembre 2019.
L'association a, par courrier du 15 octobre 2019 adressé à M. [P], mis fin à la relation de travail : 'comme nous te l'avons exposé lors de notre entretien du 4 octobre, nous avons décidé de mettre fin à notre collaboration. Il a été convenu qu'à partir de cette date, tu cessais toute activité concernant la compagnie.' Suite à la demande d'indemnités de rupture sollicitées par M. [P] dans un courrier du 23 octobre 2019, l'association a répondu par courrier du 22 novembre 2019 que 'la compagnie a mis fin à la collaboration avec un salarié en CDDU. Cette situation n'oblige en rien l'employeur à verser des indemnités. Toutefois la compagnie a conscience des conséquences financières de cette décision, aussi elle propose de payer l'équivalent de trois mois de salaire (coût global) soit la somme de 3.000 euros.
Cette somme pourrait être facturée pour l'utilisation des photos faites par toi et qui sont utilisées par la compagnie pour la communication des spectacles 'Etre le loup', 'les yeux grands ouverts' et 'Manchou'. En cas de refus, la compagnie s'engage à cesser immédiatement l'utilisation de ces photos.
Il en résulte que la rupture du contrat de travail à durée déterminée requalifié en contrat de travail à durée indéterminée, survenue par la seule volonté de l'employeur en date du 15 octobre 2019 annonçant la fin de toute collaboration à venir s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse emportant, outre le paiement des indemnités légale ou conventionnelle de licenciement et de préavis, le paiement de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi.
M. [P] avait une ancienneté de huit années à la date du 15 octobre 2019 et a perçu sur les douze derniers mois précédents la rupture un revenu mensuel moyen brut de 756,50 euros.
Conformément à l'article 7.7 de la convention collective et à l'avenant du 22 mars 2018 relatif aux salaires minimaux applicables aux grilles des emplois et classification, M. [P] relevant d'un statut cadre des groupes 1 à 3, l'association sera condamnée à lui verser la somme de 2.269,50 euros correspondant à 3 mois de salaire ainsi que la somme de 226,95 euros au titre des congés payés y afférents.
L'indemnité de licenciement calculée conformément à l'article 7-8 de la convention collective sera fixée à la somme de 1.560,28 euros.
Il n'est pas démontré que des congés payés non rémunérés seraient toujours dus à M. [P] au terme de son contrat de travail requalifié en contrat à durée indéterminée. Sa demande à ce titre sera rejetée et le jugement déféré confirmé de ce chef.
M. [P] était âgé de 37 ans à la date de la rupture du contrat de travail. Il ne précise pas sa situation postérieure ni ne fait état de recherches d'emploi.
Au regard de l'ancienneté de M. [P] , il convient de fixer à 2.269,50 l'indemnité prévue par l'article L. 1235-3 du code du travail de nature à assurer la réparation du préjudice subi à la suite de son licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le jugement déféré sera infirmé de ce chef.
Sur la demande en dommages et intérêts formulée par l'association
La compagnie, se fondant sur la gestion de fait de l'association et la responsabilité civile de M. [P] en découlant, sollicite sa condamnation à lui verser la somme de 30.000 euros en raison du préjudice subi du fait des pressions et violences psychologiques exercées sur les intervenants et bénévoles et pour atteinte à l'image de l'association.
L'association ne produit aucun élément sur le préjudice qu'elle aurait subi.
Sa demande sera rejetée et le jugement déféré confirmé.
Sur les autres demandes
L'association qui succombe à l'instance sera condamnée aux dépens ainsi qu'à payer à M. [P] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté M. [P] de ses demandes de requalification des contrats à durée déterminée d'usage en un contrat à durée indéterminée avec paiement du rappel de salaire pour ses fonctions d'administrateur, en paiement de congés payés et en ce qu'elle a débouté l'association de sa demande en paiement de dommages et intérêts;
Statuant à nouveau des chefs du jugement infirmés,
Requalifie les contrats à durée déterminée d'usage en un contrat à durée indéterminée du 30 septembre 2011 au 15 octobre 2019 en raison des irrégularités des contrats à durée déterminée,
Dit le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse,
Condamne l'association à verser à M. [P] les sommes suivantes :
- 800 euros au titre de l'indemnité de requalification,
- 2.269,50 euros au titre de l'indemnité de préavis
- 226,95 euros au titre des congés payés y afférents,
- 1.560,28 euros au titre de l'indemnité de licenciement,
- 2.269,50 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Y ajoutant,
Condamne l'association [8] aux dépens ainsi qu'à verser à M. [P] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Signé par Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
A.-Marie Lacour-Rivière Catherine Rouaud-Folliard