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27/06/2024 | FRANCE | N°22/04368

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section b, 27 juin 2024, 22/04368


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION B



--------------------------









ARRÊT DU : 27 juin 2024







SÉCURITÉ SOCIALE



N° RG 22/04368 - N° Portalis DBVJ-V-B7G-M4VV





















S.A.S. [E] [T] WINE ET SPIRITS FRANCE



c/

CPAM DE LA GIRONDE

Monsieur [C]-[Z] [W]















Nature de la décision : AU FOND




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Notifié par LRAR le :



LRAR non parvenue pour adresse actuelle inconnue à :



La possibilité reste ouverte à la partie intéressée de procéder par voie de signification (acte d'huissier).



Certifié par le Greffier en Chef,



Grosse délivrée le :



à :



Décision déférée à la Cour : jugem...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION B

--------------------------

ARRÊT DU : 27 juin 2024

SÉCURITÉ SOCIALE

N° RG 22/04368 - N° Portalis DBVJ-V-B7G-M4VV

S.A.S. [E] [T] WINE ET SPIRITS FRANCE

c/

CPAM DE LA GIRONDE

Monsieur [C]-[Z] [W]

Nature de la décision : AU FOND

Notifié par LRAR le :

LRAR non parvenue pour adresse actuelle inconnue à :

La possibilité reste ouverte à la partie intéressée de procéder par voie de signification (acte d'huissier).

Certifié par le Greffier en Chef,

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 23 août 2022 (R.G. n°18/00455) par le Pole social du TJ de BORDEAUX, suivant déclaration d'appel du 20 septembre 2022.

APPELANTES :

S.A.S. [E] [T] WINE ET SPIRITS FRANCE prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social [Adresse 1]

représentée Me Olivier GELLER de la SCP AGUERA AVOCATS, avocat au barreau de LYON substitué par Me SCHOELER

INTIMÉS :

CPAM DE LA GIRONDE prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social [Adresse 4]

représentée par Me Françoise PILLET de la SELARL COULAUD-PILLET, avocat au barreau de BORDEAUX

Monsieur [C]-[Z] [W]

né le 18 Février 1965 à [Localité 3]

de nationalité Française

demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Emmanuelle DESTAILLATS de la SELARL SILEAS, avocat au barreau de BORDEAUX substitué par Me ROUX

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 11 mars 2024 en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Marie-Paule Menu, présidente,

Madame Sophie Lésineau, conseillère,

Madame Valérie Collet, conseillère,

qui en ont délibéré.

Greffière lors des débats : Mme Sylvaine Déchamps,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

Le délibéré a été prorogé en raison de la charge de travail de la Cour.

EXPOSE DU LITIGE

M. [W] a été employé par la société [E] [T] en qualité de directeur industriel à partir du 11 août 2003.

Le 20 septembre 2013, il a été déclaré inapte temporairement à son poste de travail.

Le 25 novembre 2014, M. [W] a établi une déclaration de maladie professionnelle. Le certificat médical initial a été établi dans les termes suivants : « burn-out + syndrome anxiodépressif ».

Par décision du 06 avril 2016, la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde (la CPAM en suivant) a pris en charge, après avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de Bordeaux, la maladie professionnelle au titre de la législation des risques professionnels.

L'état de santé de l'assuré a été considéré consolidé le 04 septembre 2016 et la CPAM lui a reconnu un taux d'incapacité permanente partielle (IPP) de 20%.

Le salarié a été licencié pour inaptitude le 20 janvier 2017 et a déclaré une rechute auprès de la CPAM la même année. Son état de santé a de nouveau été déclaré consolidé le 01 avril 2020 et son taux d'IPP a été réévalué à 35%.

Le 05 mars 2018, M. [W] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de la Gironde afin de faire reconnaître la faute inexcusable de l'employeur dans la survenance de sa maladie professionnelle.

La juridiction a saisi le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de [Localité 5] par décision du 5 novembre 2019 aux fins qu'il donne son avis sur l'existence d'un lien direct et essentiel entre la pathologie déclarée et l'exposition professionnelle de M. [W].

Par jugement du 23 août 2022, le pôle social du tribunal judiciaire de Bordeaux a :

-dit que la maladie déclarée par M. [W] a un caractère professionnel,

-dit que la maladie professionnelle déclarée par M. [W] est due à la faute inexcusable de la société [E] [T],

-ordonné la majoration de la rente de M. [W] et dit que celle-ci suivra l'évolution du taux d'IPP de ce dernier,

-ordonné une expertise médicale confiée au Dr [G],

-alloué à M. [W] une provision d'un montant de 10.000 euros

-réservé les dépens,

-renvoyé l'affaire au 07 avril 2023.

Par déclaration du 20 septembre 2022, la société [E] [T] a relevé appel de ce jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions, remises au greffe de la cour d'appel de Bordeaux le 08 mars 2024, la société [E] [T] demande à la cour de :

-infirmer le jugement entrepris,

Statuant à nouveau,

A titre principal,

-juger l'absence de lien direct et essentiel entre la maladie et le travail habituel de M. [W],

-débouter M. [W] de sa demande de reconnaissance de faute inexcusable et de l'ensemble de ses demandes,

A titre subsidiaire,

-désigner un nouveau comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles autre que ceux déjà désignés,

-dire que ce comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles devra prendre connaissance des observations formulées par la société [E] [T] et des pièces versées aux débats,

-surseoir à statuer sur la demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur dans l'attente de l'avis du comité,

A titre plus subsidiaire,

-juger l'absence de signalement du risque par M. [W] auprès de la société,

-juger l'absence de faute inexcusable de la part de l'employeur,

-débouter M. [W] de sa demande de reconnaissance de la faute inexcusable,

A titre infiniment subsidiaire,

-juger que l'action récursoire de la caisse primaire d'assurance maladie sera limitée à hauteur du taux d'incapacité permanente de 20 % définitivement retenu à l'égard de la société,

En tout état de cause,

-débouter M. [W] de sa demande d'expertise judiciaire,

-débouter M. [W] de sa demande de provision,

-débouter M. [W] de toutes ses demandes,

De manière reconventionnelle,

-condamner M. [W] à verser à la société [E] [T] la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions, notifiées le 07 mars 2024, M. [W] demande à la cour de :

-confirmer le jugement entrepris sauf en ce qui concerne le montant de la provision allouée à l'assuré,

En conséquence,

-constater l'existence d'un lien direct et essentiel entre la pathologie qu'il a déclarée et son activité professionnelle,

-juger que la maladie déclarée le 25 novembre 2014 a un caractère professionnel,

-juger que la société a commis une faute inexcusable ayant entraîné sa maladie professionnelle,

En conséquence,

-ordonner la majoration maximum de la rente et ce à compter du 5 septembre 2016,

-juger que la majoration maximum de la rente suivra l'évolution du taux d'IPP en cas d'aggravation de son état de santé,

-ordonner une expertise confiée à tel expert qu'il plaira à la cour de désigner avec pour mission d'évaluer les préjudices imputables à sa maladie professionnelle,

Statuant à nouveau,

-condamner la CPAM de la Gironde au versement d'une provision d'un montant de

20 000 euros à valoir sur la réparation de ses préjudices,

-débouter la société [E] [T] de ses demandes,

-condamner la société [E] [T] à lui verser la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

-juger abusif et dilatoire l'appel interjeté par la société [E] [T] et en conséquence la condamner à lui payer les sommes suivantes :

*10.000 euros sous forme d'amende civile au titre de l'appel abusif et dilatoire,

*10.000 euros de dommages-intérêts au titre de l'appel abusif et dilatoire,

-juger que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du 29 janvier 2018 ou de l'arrêt à intervenir,

-condamner la société [E] [T] aux dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions, notifiées le 16 février 2024, la CPAM de la Gironde demande à la cour de :

-recevoir la CPAM en ses demandes,

-statuer ce que de droit sur la reconnaissance de la faute inexcusable et si la cour confirmait le jugement sur ce point le confirmer également en ce qu'il a condamné la société [E] [T] à rembourser à la CPAM de la Gironde les sommes dont elle aura fait l'avance et ce y compris les frais d'expertise,

Y ajoutant,

-condamner la société à rembourser à la CPAM de la Gironde le montant des intérêts mis à sa charge relatifs au paiement des différentes prestations et indemnités allouées à la victime,

-condamner la partie succombante au paiement à la CPAM de la Gironde de la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile outre aux entiers dépens.

L'affaire a été fixée à l'audience du 11 mars 2024, pour être plaidée.

A l'audience a été soulevée par la cour la question de l'intérêt à agir de M. [W] quant à sa demande de condamnation de la société au paiement d'une amende civile. Les parties ont adressé à la cour des notes en délibéré sur ce point.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère aux conclusions écrites soutenues oralement à l'audience conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'au jugement déféré.

MOTIFS DE LA DECISION

Su le caractère professionnel de la maladie

La société conteste le caractère professionnel de la maladie déclarée par M. [W] et sollicite à titre subsidiaire la désignation d'un troisième CRRMP. Elle fait valoir que le lien essentiel et direct de la maladie déclarée avec le travail n'est pas établi en ce que:

-M. [W] faisait face au même moment à des difficultés personnelles importantes, notamment sevrage de l'alcool et du tabac et des problèmes d'ordre financier,

-les éléments médicaux communiqués reproduisent les déclarations du salarié sur l'origine de sa dépression sans procéder à une réelle analyse de la situation,

-le conseil de prud'hommes a considéré que M. [W] n'avait pas été victime de harcèlement moral au sein de la société,

-les avis des deux CRRMP qui ont statué sur la situation de M. [W] n'ont pas pris en considération les facteurs extra professionnels susceptibles d'être à l'origine de la maladie déclarée par ce dernier et sont insuffisamment motivés.

M. [W] fait valoir que :

-les deux CRRMP ont reconnu dans le cadre d'avis motivés le lien direct et essentiel entre sa pathologie et son travail,

-par un arrêt du 30 avril 2019, la cour d'appel de Bordeaux a infirmé le jugement des prud'hommes et a reconnu qu'il avait été victime de harcèlement moral au sein de la société,

-les éléments médicaux communiqués attestent bien du caractère professionnel de sa maladie sans lien avec des difficultés d'ordre personnel,

Il s'oppose à la désignation d'un troisième CRRMP, en l'absence d'irrégularité des avis des deux premiers CRRMP.

En application de l'article L 461-1 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable au litige, 'les dispositions du présent livre sont applicables aux maladies d'origine professionnelle sous réserve des dispositions du présent titre. En ce qui concerne les maladies professionnelles, la date à laquelle la victime est informée par un certificat médical du lien possible entre sa maladie et une activité professionnelle est assimilée à la date de l'accident.

Est présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau.

Si une ou plusieurs conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée d'exposition ou à la liste limitative des travaux ne sont pas remplies, la maladie telle qu'elle est désignée dans un tableau de maladies professionnelles peut être reconnue d'origine professionnelle lorsqu'il est établi qu'elle est directement causée par le travail habituel de la victime.

Peut être également reconnue d'origine professionnelle une maladie caractérisée non désignée dans un tableau de maladies professionnelles lorsqu'il est établi qu'elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu'elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente d'un taux évalué dans les conditions mentionnées à l'article L. 434-2 et au moins égal à un pourcentage déterminé.

Dans les cas mentionnés aux deux alinéas précédents, la caisse primaire reconnaît l'origine professionnelle de la maladie après avis motivé d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles. La composition, le fonctionnement et le ressort territorial de ce comité ainsi que les éléments du dossier au vu duquel il rend son avis sont fixés par décret. L'avis du comité s'impose à la caisse dans les mêmes conditions que celles fixées à l'article L. 315-1.'

En l'espèce, M. [W] a établi une déclaration de maladie professionnelle dans les termes suivants : « burn-out + syndrome anxiodépressif », maladie ne figurant pas aux tableaux des maladies professionnelles du régime général.

Il ressort des pièces communiquées à la cour que le dossier de M. [W] a été communiqué au CRRMP d'Aquitaine, le médecin conseil de la caisse ayant estimé que son taux d'incapacité prévisible était supérieur ou égal à 25%.

Dans son avis du 1er mars 2016, le CRRMP d'Aquitaine a considéré que 'les conditions de travail ont exposé le salarié à un risque psycho-social et qu'il n'est pas mis en évidence dans ce dossier d'antécédent médical psychiatrique antérieur à l'épisode actuel, ni de facteur extra professionnel pouvant expliquer de façon directe la pathologie déclarée' et a conclu que 'le lien de causalité entre la pathologie déclarée et le contexte professionnel est direct et essentiel' justifiant que soit reconnu le caractère professionnel de la pathologie déclarée.

La cour relève que le CRRMP d'Aquitaine a bien pris en compte le rapport produit par la société faisant état des difficultés personnelles de M. [W] et de la proximité de ce dernier avec M. [F] en ce qu'il le cite expressément et en détaille son contenu, mais il a néanmoins conclu à l'absence de facteur extra professionnel pouvant expliquer de façon directe la pathologie déclarée, rendant inopérants les arguments développés par la société sur les difficultés personnelles du salarié et la non prise en considération de ses arguments par le CRRMP.

De même, le CRRMP d'Occitanie, désigné par le pôle social du tribunal judiciaire, a reconnu le 21 février 2022 un lien direct et essentiel entre la pathologie présentée par M. [W] et son activité professionnelle sans qu'il puisse être relevé un défaut de motivation au soutien de sa décision, contrairement à ce que soutient la société. En effet, le CRRMP motive sa décision à la lumière des facteurs de risques psychosociaux prévus dans le guide des CRRMP notamment en termes de 'surcharge de travail liée à de multiples fonctions, une latitude décisionnelle ressentie comme diminuée à l'arrivée d'une nouvelle direction, une sensation de reproches injustifiés et des missions irréalisables ainsi que des injonction paradoxales, une reconnaissance professionnelle et un conflit éthique dans le cadre de son exercice RH'.

Ainsi, par deux avis motivés et rédigés après prise en compte des éléments de chacune des parties, le caractère professionnel de la pathologie déclarée par M. [W] a été reconnu sans que puissent être relevées des irrégularités dans ces décisions justifiant la désignation d'un troisième CRRMP.

Le caractère professionnel de la maladie déclarée par M. [W] le 25 novembre 2014 est donc établi et le jugement déféré sera confirmé de ce chef.

Sur l'existence d'une faute inexcusable de l'employeur

La société expose que M. [W], sur lequel repose la charge de la preuve, échoue dans la démonstration de la conscience du danger et de l'absence de mesures prises. Elle indique qu'il procède soit par affirmation, soit en évoquant des faits antérieurs ne le concernant pas personnellement et qu'aussi bien les pièces médicales qu'il produit que celles de la CPAM ne retranscrivent que ses seules déclarations. Elle ajoute que M. [W] n'a subi aucun fait le mettant en situation de danger au travail, le salarié étant d'ailleurs très proche de son supérieur hiérarchique.Elle se prévaut à l'inverse des difficultés rencontrées par M. [W] à titre personnel.

M. [W] affirme que la société avait conscience que sa santé était en danger et n'a pas pris les mesures nécessaires pour le préserver. Il évoque un climat social tendu au sein de la société en raison des pratiques managériales de son supérieur depuis 2007 et précise qu'il a fait part de la souffrance qui a résulté pour lui de ces dernières, dès la fin de l'année 2012 oralement à ses collaborateurs directs, puis en août et en septembre 2013 soit juste avant d'être placé en arrêt de travail par écrit, à son responsable hiérarchique. Il ajoute que ces faits ont été corroborés par l'enquête de la CPAM réalisée sur le caractère professionnel de sa maladie et que malgré ses alertes et celles du médecin du travail la société n'a pris aucune mesure pour préserver sa santé mentale , alors même qu'elle avait été condamnée en 2012 pour faute inexcusable à l'égard d'un autre salarié dans des conditions similaires.

En vertu des dispositions de l'article L 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque la maladie professionnelle est due à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitué dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire dans les conditions définies aux articles suivants.

Il résulte de ce dernier texte ainsi que de l'article L 4121-1 du code du travail, que le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

La faute inexcusable doit seulement être une cause nécessaire de l'accident pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée ; il suffit donc qu'elle ait concouru à la réalisation du dommage.

Pour que l'employeur puisse s'exonérer de la faute inexcusable, il ne suffit pas qu'il invoque les mesures prises pour protéger le salarié, encore faut-il qu'il ait pris les mesures nécessaires à la protection de l'intéressé.

Il appartient au salarié demandeur de rapporter la preuve, d'une part, de la conscience du danger qu'avait ou aurait dû avoir l'employeur, d'autre part, de l'absence de mesures de prévention ou de protection.

En l'espèce il ressort des deux courriers adressés par l'inspecteur du travail à la société, respectivement le 20 septembre 2007 et le 19 septembre 2008, ce dernier au Président Directeur Général du groupe, la dégradation du climat social à compter de l'arrivée de M. [F] au poste de directeur général et l'expression par de nombreux salariés d'un important mal être au travail. L'inspecteur du travail y fait ainsi état d'un accident du travail survenu au sein de la société le 18 septembre 2008 qui 'semble être le résultat d'une situation et d'une ambiance très difficile à vivre, suite à des demandes incessantes et une information très insuffisante ou quasi absente. Ces faits ne doivent pas vous être étrangers puisque le comité d'entreprise vous a sollicité à plusieurs reprises pour participer à une réunion de médiation sur le site. Il semblerait que plus généralement l'attitude et les décisions de Monsieur [F], Directeur Général de la société ne soient pas sans incidences sur la santé des salariés. Le médecin du travail [...] me confirme que d'autres salariés sont en situation de stress, de souffrance au travail, mettant gravement en danger leur santé, leur état physique et/ou mental se détériorant également.' La cour d'appel de Bordeaux par un arrêt du 13 septembre 2012 a d'ailleurs reconnu la faute inexcusable de la société dans la situation sus-mentionnée.

Dans le cadre de l'enquête de la CPAM, Mme [X], assistante au service budget hors factures de la société et secrétaire du comité d'entreprise et du comité de groupe, témoigne du mal être de M. [W] en lien avec les attitudes de M. [F] à son encontre. Ainsi, elle explique que M. [F] était 'une personne peu respectueuse de ses collaborateurs dans les propos et les attitudes, même vis-à-vis de certains membres du COMEX comme M. [W]'. Elle indique que 'M. [W] était au plus mal les derniers mois avant son arrêt de travail (cela se voyait de par son aspect physique) et que cela était dû notamment aux sollicitations incessantes et tous azimuts de M. [F].'

Le 12 août 2013 le médecin du travail a écrit à M. [F] 'je viens de recevoir Monsieur [W] [C] [Z] en visite occasionnelle à la demande du salarié. Il se trouve au bord du 'burn out', dans un état d'épuisement professionnel qui me paraît inquiétant. Comme il est en vacances ce soir, il n'est pas indispensable ce jour qu'il soit en arrêt maladie. Etant votre conseiller en santé au travail, je me permets de vous alerter sur les risques psychosociaux. [...]. Je vous demande d'étudier les causes de cet état et d'adapter si nécessaires les conditions de travail de Monsieur [W].'

Le 14 août 2013, M. [W] a adressé à M. [F] un 'courrier de mise en demeure concernant le versement des primes dues au titre de 2011 et de 2012 pour un total de 90 000 euros, le respect de mon contrat de travail et de mes conditions de travail et l'arrêt immédiat de tes agissements répétés de harcèlement moral à mon égard.'. Il y fait état sans équivoque de sa souffrance résultant du comportement de son supérieur hiérarchique à son égard.

Il est établi par la production d'un courriel en date du 21 août 2013 que M. [F] a bien reçu le courrier de la médecine du travail et il ne ressort d'aucun élément du dossier que celui du 14 août 2013 ne lui est pas parvenu.

La preuve est ainsi rapportée que la société était informée dés l'été 2013 de la situation de danger à laquelle son salarié était exposé.

Il ressort du courrier que M. [W] a adressé le 19 septembre 2013 à M. [F], en sa qualité de directeur général, dans lequel il déplore l'absence à la fois de réponse de sa part à son courrier du 14 août 2013 et d'actions correctives, la preuve que la société n'a pas pris de mesure pour y remédier, étant précisé que la société n'en justifie d'aucune.

La cour ne peut que constater que M. [W] était placé en arrêt de travail dès le 20 septembre 2013 et que le médecin du travail avisait alors la société de sa mise en inaptitude temporaire en précisant , 'son état de santé actuel, en burn out complet, nécessite la mise en arrêt de travail immédiat' et lui demandait 'à l'issue de cet arrêt de travail d'évaluer les missions qui lui sont demandées afin de ne pas ramener Monsieur [W] dans cet état de santé physique et mental'.

Dès lors c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu que la société, qui avait connaissance depuis le mois d'août 2013 de la situation de danger dans laquelle M. [W] se trouvait, n'a pas mis en oeuvre les mesures nécessaires pour l'en protéger et jugé que la pathologie qu'il a déclarée résulte de la faute inexcusable de l'employeur.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur les conséquences de la faute inexcusable à l'égard de la victime

C'est à bon droit que les premiers juges ont ordonné la majoration de la rente au taux maximal légal en indiquant que cette majoration suivra l'évolution éventuelle du taux d'incapacité permanente reconnu à M. [W]. Le jugement sera confirmé de ce chef.

Il sera en outre confirmé la nécessité d'ordonner une expertise médicale à l'égard de M. [W] afin de déterminer les préjudices subis par ce dernier. Il convient cependant de compléter la mission de l'expert ordonnée par les premiers juges en y incluant la détermination éventuelle d'un taux au titre du déficit fonctionnel permanent de M. [W]. Il sera précisé que l'expertise ordonnée en première instance et complétée dans sa mission par le présent arrêt sera mise en oeuvre sous le contrôle du magistrat du pôle social chargé du suivi des mesures d'instruction.

M. [W] sollicite l'infirmation du jugement déféré quant au montant de la provision que les premiers juges lui ont attribuée sans développer aucun moyen . La cour relève que les premiers juges ont fait une juste appréciation du montant de la provision à octroyer à ce dernier, au regard de son taux d'IPP et de son état de santé, en en fixant la somme à 10 000 euros. Le jugement sera confirmé de ce chef.

Les premiers juges ont à bon droit jugé que la CPAM pourra recouvrer le montant des indemnisations à venir, provision et majoration accordées à M. [W] à l'encontre de la société. Il conviendra cependant de préciser que l'action récursoire de la caisse s'exercera dans les limites du taux d'incapacité permanente de 20 %, seul taux opposable à la société.

Sur la demande d'amende civile et la demande de dommages et intérêts pour appel abusif et dilatoire de M. [W] à l'encontre de la société

M. [W] fait valoir que la société a interjeté appel d'un jugement parfaitement motivé sans verser aucune nouvelle pièce ni présenter aucun argument nouveau au soutien de son appel. Il expose qu'il a saisi le pôle social d'une action en reconnaissance de faute inexcusable il y a maintenant plus de 6 ans et indique que la société a fait en sorte de rallonger tant la procédure de première instance en sollicitant la désignation d'un deuxième CRRMP que celle de la cour d'appel en demandant la désignation d'un troisième CRRMP. Il considère que ces manoeuvres abusives et dilatoires visent à retarder le règlement par la société des sommes qu'elle lui doit au titre des préjudices subis et demande donc que la société soit condamnée tant à une amende civile qu'à des dommages et intérêts. Par note en délibéré, il considère avoir un intérêt à solliciter la condamnation de la société à une amende civile en ce que le comportement procédural abusif de la société lui nuit mais nuit aussi à la bonne administration de la justice.

La société conteste le caractère abusif ou dilatoire de son appel précisant que la longueur de la procédure découle des délais pour statuer des CRRMP et arguant du sérieux de sa demande en ce que certains éléments et notamment les difficultés personnelles de M. [W] n'ont pas été prises en considération par le jugement déféré.

L'article 559 du code de procédure civile prévoit qu'en cas d'appel principal dilatoire ou abusif, l'appelant peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10.000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui lui seraient réclamés.

Il est constant que la réitération en appel des moyens soutenus en première instance ne constitue pas un abus en soi. En outre, l'amende civile ne peut être prononcée qu'à l'initiative du juge et non des parties qui n'ont aucun intérêt au prononcé d'une amende civile à l'encontre de leur adversaire.

M. [W] n'ayant aucun intérêt au prononcé d'une amende civile à l'encontre de la société, il sera déclaré irrecevable à solliciter la condamnation de cette dernière de ce chef.

Concernant sa demande de dommages et intérêts pour appel abusif et dilatoire, la cour relève que M. [W] ne démontre pas que la société a exercé de façon dilatoire et abusive son droit d'appel ou a eu la volonté de retarder le prononcé d'une décision de justice, la longueur de la procédure relevant notamment des délais de réponse des CRRMP saisis dans le respect des règles juridiques applicables et la société utilisant à juste titre son droit d'appel au regard des prétentions qu'elle entendait porter devant la justice.

M. [W] sera donc débouté de sa demande de dommages et intérêts.

Sur les frais du procès

Le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a réservé les dépens, et a condamné la société à verser la somme de 3 000 euros à M. [W] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La société, qui succombe, sera condamnée aux dépens d'appel et en conséquence déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il est contraire à l'équité de laisser à M. [W] et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde la charge des frais non répétibles qu'ils ont engagés. La société devra payer la somme de 3 000 euros à M. [W] et la somme de 1 000 euros à la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Il n'y a pas lieu de se prononcer actuellement sur les frais d'exécution forcée d'une décision dont l'exposé reste purement hypothétique et qui sont réglementés par l'article L. 111-8 du code des procédures civiles d'exécution qui prévoit la possibilité qu'ils restent à la charge du créancier lorsqu'il est manifeste qu'ils n'étaient pas nécessaires au moment où ils ont été exposés, étant rappelé qu'en tout état de cause, le titre servant de fondement à des poursuites permet le recouvrement des frais d'exécution forcée.

PAR CES MOTIFS

La cour,

CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

DECLARE irrecevable la demande formulée par Monsieur [C] [Z] [W] en condamnation de la société [E] [T] Wine and Spirits France au paiement d'une amende civile,

AJOUTE à la mission de l'expert telle qu'ordonnée dans le jugement déféré celle de chiffrer le taux éventuel de déficit fonctionnel permanent (état antérieur inclus) imputable à la maladie professionnelle déclarée le 25 novembre 2014 par Monsieur [C] [Z] [W], qui n'est pas celui retenu par la caisse au titre de la législation professionnelle, résultant de l'atteinte permanente d'une ou plusieurs fonctions persistant au moment de la consolidation, le taux de déficit fonctionnel devant prendre en compte, non seulement les atteintes aux fonctions physiologiques de la victime mais aussi les douleurs physiques et morales permanentes qu'elle ressent, la perte de qualité de vie et les troubles dans les conditions d'existence qu'elle rencontre au quotidien après consolidation,

DIT que l'expertise ordonnée en première instance et complétée par le présent arrêt sera mise en oeuvre sous le contrôle du magistrat du pôle social chargé du suivi des mesures d'instruction,

DIT que l'action récursoire de la caisse s'exercera dans la limite du taux d'incapacité permanente de 20 %, seul taux opposable à la société [E] [T] Wine and Spirits France,

DÉBOUTE Monsieur [C] [Z] [W] de sa demande de dommages et intérêts pour appel abusif et dilatoire,

CONDAMNE la société [E] [T] Wine and Spirits France à payer à Monsieur [C] [Z] [W] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société [E] [T] Wine and Spirits France à payer à la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

DEBOUTE la société [E] [T] Wine and Spirits France de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société [E] [T] Wine and Spirits France aux dépens d'appel,

DIT n'y avoir lieu à statuer sur les frais d'exécution.

Signé par madame Marie-Paule Menu, présidente, et par madame Sylvaine Déchamps, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

S. Déchamps MP. Menu


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section b
Numéro d'arrêt : 22/04368
Date de la décision : 27/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 03/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-27;22.04368 ?
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