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25/06/2024 | FRANCE | N°23/05553

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, 3ème chambre famille, 25 juin 2024, 23/05553


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



3ème CHAMBRE FAMILLE



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ARRÊT DU : 25 JUIN 2024







N° RG 23/05553 - N° Portalis DBVJ-V-B7H-NRIK









[J] [D]



c/



[K] [M] épouse [D]

























Nature de la décision : AU FOND





















22G



Grosse délivrée le

:



aux avocats

Décision déférée à la Cour : ordonnance rendue le 07 novembre 2023 par le Juge de la mise en état de BORDEAUX (RG n° 23/02089) suivant déclaration d'appel du 07 décembre 2023





APPELANT :



[J] [D]

né le [Date naissance 4] 1960 à [Localité 10]

de nationalité Française

demeurant [Adresse 3]



Représenté par Me...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

3ème CHAMBRE FAMILLE

--------------------------

ARRÊT DU : 25 JUIN 2024

N° RG 23/05553 - N° Portalis DBVJ-V-B7H-NRIK

[J] [D]

c/

[K] [M] épouse [D]

Nature de la décision : AU FOND

22G

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la Cour : ordonnance rendue le 07 novembre 2023 par le Juge de la mise en état de BORDEAUX (RG n° 23/02089) suivant déclaration d'appel du 07 décembre 2023

APPELANT :

[J] [D]

né le [Date naissance 4] 1960 à [Localité 10]

de nationalité Française

demeurant [Adresse 3]

Représenté par Me Marie TASTET de la SARL MARIE TASTET, avocat au barreau de BORDEAUX substitué par Me Manon LAILLER

INTIMÉE :

[K] [M] épouse [D]

née le [Date naissance 2] 1963 à [Localité 7] (MAROC)

de nationalité Française

demeurant [Adresse 1]

Représentée par Me Anne TOSI de la SELARL TOSI, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 14 mai 2024 en audience publique, devant la Cour composée de :

Présidente : Hélène MORNET

Conseillère : Danièle PUYDEBAT

Conseillère : Isabelle DELAQUYS

qui en ont délibéré.

Greffière lors des débats : Véronique DUPHIL

Le rapport oral de l'affaire a été fait à l'audience avant les plaidoiries.

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

* * *

EXPOSE DU LITIGE

M. [J] [D] et Mme [K] [M] se sont mariés le [Date mariage 5] 1993, sans contrat de mariage.

Trois enfants sont issus de leur union :

- [O],

- [H],

- [V].

M. [D] a assigné Mme [M] en divorce le 6 mai 2022 devant le juge aux affaires familiales de Bordeaux. Une ordonnance de mesures provisoires a été rendue le 2 décembre 2022.

Antérieurement, Mme [M] avait assigné M. [D] devant le président du tribunal judiciaire de Bordeaux le 23 septembre 2021 aux fins principalement de voir condamner son époux au paiement d'une somme de 270 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Elle expliquait en effet que les époux et leur fils [O] avaient participé à la création puis au développement de plusieurs boulangeries sur [Localité 6] et son agglomération, qu'ayant eu connaissance d'un projet de cession par l'époux à une de ces sociétés, la [9], de 49 actions qu'il détenait dans le capital d'une seconde société [8], elle avait fait connaître par courrier du 27 avril 2021 qu'elle entendait exercer le droit de revendication prévu à l'article 1832-2 du code civil, ce à quoi il lui avait été répondu, le 7 mai 2021, que ces dispositions n'étaient pas applicables, dès lors que la SARL [8] avait été transformée en SAS.

Elle rappelait pourtant qu'à la date de création de cette société, le 8 octobre 2014, alors que les époux étaient mariés sous le régime de la communauté réduite aux acquêts, le capital étant réparti par moitié entre son fils et son époux, la souscription des 50 parts sociales revenant à l'époux avait été faite grâce à des fonds communs, les statuts faisant rappel des dispositions de l'article 1832-2 précité.

Considérant que cet article fait bénéficier le conjoint commun en biens de l'associé, qui seul a cette qualité et participe à la vie sociale, d'un droit de revendication pour la moitié des parts souscrites, considérant encore que la transformation de la société [8] en SAS avait pour effet la substitution directe des actions aux parts qu'elles représentaient et la possibilité pour le conjoint associé d'aliéner seul ces titres devenus négociables même s'ils dépendent de la communauté sans le consentement de l'autre conjoint, qu'ainsi, alors qu'elle n'avait pas revendiqué la qualité d'associée pour la moitié des parts souscrites ou acquises par l'époux au moyen de biens communs, elle ne pouvait plus exercer ce droit sur les actions substituées aux parts.

Considérant en conséquence que le principe général fraus omnia corrumpit exigeant que la transformation ne soit pas intervenue en fraude des droits du conjoint, qu'en l'espèce, elle n'avait pas été informée ou avertie de l'assemblée générale de la société [8] du 11 mars 2019 à 11 heures pour décider de sa transformation, qu'elle n'entendait cependant pas remettre en cause pour ne pas porter atteinte au bon fonctionnement du groupe, elle entendait en revanche réclamer des dommages et intérêts en réparation de son préjudice.

Elle évaluait celui-ci à 270 000 euros sauf à parfaire, par rapport à la valeur estimée de la société [8] à hauteur de 1 100 000 euros, celle des 49 % du capital détenus par l'époux à hauteur de 540 000 €, en retenant que si elle n'avait pas été délibérément tenue dans l'ignorance des conséquences pour elle de cette transformation, elle aurait aujourd'hui vocation à exiger l'attribution de la moitié de la valeur de ces titres soit 270 000 euros.

Sur requête de Mme [M], le président du tribunal de commerce de Bordeaux l'a autorisée, par ordonnance en date du 29 juillet 2021, à prendre à son profit une inscription provisoire de nantissement sur les parts sociales appartenant à M. [J] [D] dans le capital social de la S.A.S. [8] pour garantie et paiement de la somme de 270.000 euros.

Les sociétés [8] et [9] ont par acte du 22 novembre 2021 assigné M. [J] [D] et Mme [M] en référé devant le tribunal de commerce de Bordeaux aux fins notamment de solliciter la substitution d'une garantie de même montant à l'inscription de nantissement obtenue par l'épouse.

Par ordonnance en date du 14 juin 2022, le tribunal de commerce de Libourne (Mme [M] étant juge consulaire au tribunal de Bordeaux) a ordonné la mainlevée du nantissement judiciaire provisoire des actions de M. [J] [D] pris en exécution de l'ordonnance du 29 juillet 2021 au bénéfice de Mme [M] dans les 7 jours de la notification par les requérantes à Mme [M] du séquestre de la somme de 270 000 euros entre les mains du Bâtonnier de Bordeaux à son attention.

Puis, dans le cadre de l'assignation délivrée par Mme [M] en payement de dommages et intérêts, par ordonnance en date du 9 janvier 2023, le juge de la mise en état a déclaré incompétente la première chambre civile au profit du juge aux affaires familiales, considérant que le principe de cette créance était fondé sur ses droits issus du régime matrimonial de communauté portant sur la valeur de la moitié des parts sociales acquises par des fonds communs et partant constitutives de l'actif de communauté, cette action tendant à voir liquider cette créance relevant de la compétence matérielle du juge aux affaires familiales seul compétent pour statuer sur une demande relative au fonctionnement des régimes matrimoniaux et ce nonobstant le fondement invoqué, soit la responsabilité délictuelle de l'article 1240 du code civil.

M. [D] a saisi le juge de la mise en état de conclusions d'incident le 4 septembre 2023 et par ordonnance en date du 27 novembre 2023, ce magistrat a :

- déclaré Mme [K] [M] recevable à agir,

- rejeté l'exception de procédure soulevée par M. [J] [D],

- débouté M. [J] [D] de ses demandes,

- condamné M. [J] [D] à verser à Mme [K] [M] la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [J] [D] aux dépens d'incident.

Procédure d'appel :

Par déclaration d'appel en date du 7 décembre 2023, M. [J] [D] a formé appel de l'ordonnance en toutes ses dispositions.

Selon dernières conclusions en date du 4 avril 2024, M. [J] [D] demande à la cour de réformer l'ordonnance dans toutes ses dispositions,

statuant à nouveau :

à titre principal,

- déclarer la demande de Mme [K] [M] irrecevable pour défaut d'intérêt à agir,

à titre subsidiaire,

- déclarer la demande de Mme [K] [M] irrecevable faute d'avoir satisfait aux conditions de l'article 1360 du code de procédure civile,

à titre infiniment subsidiaire,

- déclarer Mme [K] [M] comme étant mal fondée en ses demandes et l'en débouter,

en tout état de cause,

- condamner Mme [M] à lui verser une somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mme [M] aux entiers dépens.

Selon dernières conclusions en date du 23 avril 2024, Mme [K] [M] demande à la cour de :

- débouter M. [J] [D] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

en conséquence,

- confirmer, en toutes ses dispositions, l'ordonnance entreprise.

Y ajoutant,

- condamner M. [J] [D] au paiement de la somme de 5.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

Pour un plus ample exposé des moyens et de l'argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures déposées.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 30 avril 2024.

L'affaire a été fixée à l'audience collégiale du 14 mai 2024 et mise en délibéré au 25 juin 2024.

DISCUSSION

Le juge de la mise en état, dans sa décision déférée à la cour par M. [D], a :

- sur la qualité à agir de Mme [M], retenu qu'elle était recevable à agir dès lors qu'elle n'avait pas saisi le tribunal aux fins de liquidation du régime matrimonial, les époux étant toujours mariés, mais d'une demande de dommages et intérêts dans le cadre d'une cession de parts entre deux sociétés constituées pendant le mariage et dans laquelle elle avait des intérêts du fait du régime de communauté des époux,

- sur l'absence de démarches amiables au visa de l'article 1360 du code de procédure civile, retenu qu'en l'absence d'action en liquidation partage, Mme [M] n'était pas tenue par ces dispositions réservées à ces instances,

- sur la demande de dommages et intérêts, retenu que le juge de la mise en état n'était pas compétent pour se prononcer sur le bien fondé de la demande alors qu'au surplus, Mme [M] était en droit de répondre aux conclusions au fond de M. [D].

M. [D] soutient derechef devant la cour à titre principal que Mme [M] est irrecevable pour défaut d'intérêt à agir en liquidation du régime matrimonial en relevant que le juge de la mise en état aurait omis de statuer sur cette demande, qu'il a statué sur la qualité à agir et que sa décision ne serait pas motivée.

Il fait encore valoir que Mme [M] ne peut se prévaloir d'un intérêt né et actuel et non hypothétique à voir liquider son régime matrimonial alors même que le divorce n'est pas encore prononcé.

Il expose à titre subsidiaire que la demande de Mme [M] en liquidation du régime matrimonial est irrecevable en l'absence de tentative de partage amiable.

Il fait valoir à titre infiniment subsidiaire que, conformément à l'article 789 du code de procédure civile, le juge de la mise en état est compétent pour statuer sur une question de fond lorsqu'une fin de non-recevoir le nécessite ; que la demande de réparation du préjudice formulée par Mme [M] sur le fondement de l'article 1240 du code civil relève en réalité d'une demande de créance entre époux qui relève de la liquidation du régime matrimonial et que cette demande n'est dès lors pas fondée puisque le divorce n'a pas été prononcé et qu'aucune tentative de partage amiable n'a eu lieu.

Mme [M] relève à titre principal que le juge de la mise en état a commis une erreur de plume en indiquant la "qualité à agir" et non "l'intérêt à agir" de l'intimée alors que le débat a bien porté sur la première, qu'elle n'a pas demandé de liquider le régime matrimonial mais de condamner M. [D] à des dommages et intérêts.

Elle rappelle que le renvoi de l'examen de sa demande devant le juge aux affaires familiales résulte de la demande formulée en ce sens par M. [D].

Elle ajoute que s'il ne peut être statué à date sur la liquidation du régime matrimonial, il appartenait à l'époux de solliciter un sursis à statuer dans l'attente du prononcé du divorce.

Elle constate enfin que la décision déférée est motivée, contrairement à ce que l'appelant soutient.

Elle expose à titre subsidiaire que sa demande ne doit pas être précédée d'une tentative de partage amiable puisqu'elle n'a pas demandé la liquidation du régime matrimonial.

Elle explique enfin que le juge de la mise en état n'est pas compétent pour statuer sur la demande formulée à titre infiniment subsidiaire par M. [D].

Sur ce,

L'article 30 du code de procédure civile dispose que "l'action est le droit, pour l'auteur d'une prétention, d'être entendu sur le fond de celle-ci afin que le juge la dise bien ou mal fondée.

Pour l'adversaire, l'action est le droit de discuter le bien-fondé de cette prétention".

L'article 31 stipule quant à lui que "l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé".

M. [D] oppose le défaut d'intérêt à agir de Mme [M] en soutenant qu'elle forme une demande de liquidation d'une créance du régime matrimonial des époux.

C'est à tort en ce sens que l'assignation délivrée par Mme [M] contient une demande en dommages et intérêts fondée sur les dispositions de l'article 1240 du code civil et que l'intérêt à agir de Mme [M] est incontestable en ce qu'elle peut légitimement, avant tout jugement de divorce et tout jugement de liquidation partage des intérêts patrimoniaux des époux, faire juger que le comportement de l'époux l'a privée, selon elle, de son droit de revendication sur les actions substituées aux parts de la société [8].

C'est par ailleurs effectivement M. [D] qui a voulu que la demande de Mme [M] soit jugée par le juge aux affaires familiales aux termes de conclusions d'incident du 12 octobre 2022, le juge de la mise en état ayant alors retenu, sans que cette décision ne soit frappée d'appel, que l'action relevait bien de la compétence matérielle de ce magistrat seul compétent pour statuer sur une demande relative au fonctionnement des régimes matrimoniaux.

Pour autant, il ne s'agit pas d'une action relative à la liquidation des intérêts patrimoniaux des époux et l'intérêt à agir de Mme [M] ne peut être subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de son action, pas plus que l'existence du préjudice invoqué par elle dans le cadre d'une action en responsabilité n'est une condition de recevabilité de son action mais du succès de celle-ci.

Ainsi, la cour, qui relève que le juge de la mise en état a répondu aux moyens tirés du défaut de droit d'agir de Mme [M], confirmera la décision en y ajoutant que Mme [M] a intérêt à agir et qu'ainsi sa demande est recevable.

L'article 1360 du code de procédure civile dispose que "à peine d'irrecevabilité, l'assignation en partage contient un descriptif sommaire du patrimoine à partager et précise les intentions du demandeur quant à la répartition des biens ainsi que les diligences entreprises en vue de parvenir à un partage amiable".

La décision ne peut qu'être confirmée en ce qu'elle a jugé que l'action de Mme [M] étant une demande en dommages et intérêts, les dispositions de l'article 1360 précité n'étaient pas applicables.

L'article 789 du code de procédure civile dispose entre autre que "lorsque la fin de non recevoir nécessite que soit tranchée au préalable une question de fond, le juge de la mise en état statue sur cette question de fond et sur cette fin de non recevoir".

La décision ne peut qu'être confirmée en ce que, ayant rejeté la fin de non recevoir tirée du défaut de droit d' agir de Mme [M], elle a justement considéré que, cette fin de non recevoir ne nécessitant pas que soit tranchée au préalable la question de fond, le juge de la mise en état n'avait pas compétence pour statuer sur l'absence de bien-fondé alléguée par M. [D] de la demande de Mme [M].

M. [D], qui succombe, sera condamné aux dépens d'appel et à verser à Mme [M] une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, sa propre demande en ce sens étant rejetée.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant dans les limites de l'appel,

CONFIRME la décision déférée ;

Y ajoutant,

DIT que Mme [M] a intérêt à agir et qu'ainsi sa demande est recevable ;

CONDAMNE M. [D] aux dépens d'appel et à verser à Mme [M] une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le présent arrêt a été signé par Hélène MORNET, présidente, et par Véronique DUPHIL, greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre famille
Numéro d'arrêt : 23/05553
Date de la décision : 25/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 01/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-25;23.05553 ?
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