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20/06/2024 | FRANCE | N°22/00908

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section b, 20 juin 2024, 22/00908


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION B



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ARRÊT DU : 20 JUIN 2024







PRUD'HOMMES



N° RG 22/00908 - N° Portalis DBVJ-V-B7G-MRXS













Association INSTITUT DON BOSCO



c/

Monsieur [M] [U]





















Nature de la décision : AU FOND











Grosse délivrée aux avoc

ats le :

à :

Me Christophe BIAIS de la SELARL BIAIS ET ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX

Me Doriane DUPUY, avocat au barreau de BORDEAUX



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 17 janvier 2022 (R.G. n°F20/00653) par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de Bordeaux, Secti...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION B

--------------------------

ARRÊT DU : 20 JUIN 2024

PRUD'HOMMES

N° RG 22/00908 - N° Portalis DBVJ-V-B7G-MRXS

Association INSTITUT DON BOSCO

c/

Monsieur [M] [U]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée aux avocats le :

à :

Me Christophe BIAIS de la SELARL BIAIS ET ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX

Me Doriane DUPUY, avocat au barreau de BORDEAUX

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 17 janvier 2022 (R.G. n°F20/00653) par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de Bordeaux, Section Activités Diverses, suivant déclaration d'appel du 21 février 2022,

APPELANTE :

Association INSTITUT DON BOSCO prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social [Adresse 3]

Représentée par Me Christophe BIAIS de la SELARL BIAIS ET ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX

Assistée de Me BOUEIL substituant Me BIAIS

INTIMÉ :

[M] [U]

né le 18 Août 1972 à [Localité 2]

de nationalité Française

Profession : Chef de service, demeurant [Adresse 1]

Représenté et assisté par Me Doriane DUPUY, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 907 et 805 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 04 avril 2024 en audience publique, devant Monsieur Eric Veyssière, président chargé d'instruire l'affaire, qui a entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Eric Veyssière, président,

Madame Sophie Lésineau, conseillère,

Madame Valérie Collet, conseillère,

greffière lors des débats : Sylvaine Déchamps,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

Le délibéré a été prorogé en raison de la charge de travail de la Cour.

Exposé du litige

Selon un contrat de travail à durée indéterminée du 1er septembre 2008, l'association Institut Don Bosco (l'employeur) a engagé M. [U] en qualité d'éducateur spécialisé. 

La relation de travail est régie par la convention collective nationale des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées.

Par courrier du 9 janvier 2020, l'employeur a convoqué M. [U] à un entretien préalable à une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement, fixé le 21 janvier 2020 et avec mise à pied à titre conservatoire.

 

Le 28 janvier 2020, il a été licencié pour faute grave. 

 

Par courrier du 11 février 2020, M. [U] a contesté les fautes invoquées.

               

Le 4 juin 2020, il a saisi le conseil de prud'hommes de Bordeaux aux fins de contester son licenciement et solliciter la condamnation de l'employeur au paiement de diverses sommes.   

 

 Par demande reconventionnelle, l'employeur a sollicité du conseil de prud'hommes qu'il condamne M. [U] au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

 

Par jugement de départage du 17 janvier 2022, le conseil de prud'hommes de Bordeaux a :

- dit que le licenciement de M. [U] est sans cause réelle et sérieuse, 

- condamné l'employeur à payer à M. [U], avec intérêts au taux légal à compter du 16 juillet 2020 aux sommes suivantes :

- 1 772,70 euros brut à titre de rappel de salaire pour mise à pied à titre conservatoire injustifiée et celle de 177,27 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de congés payés afférents, 

- 5 672,74 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis et celle de 567,27 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de congés payés afférents, 

- 16 656 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement, 

- 25 000 euros de dommages et intérêts en application de l'article L. 1235-3 du code du travail, 

- rejeté la demande de dommages et intérêts supplémentaires, 

- ordonné d'office le remboursement par l'employeur aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées à M. [U], du jour de son licenciement au jour du jugement, dans la limite de 3 mois d'indemnités, 

- condamné l'employeur aux dépens et à payer à M. [U] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, 

- ordonné l'exécution provisoire des condamnations n'en bénéficiant pas de droit.          

Par déclaration du 21 février 2022, l'employeur a relevé appel de ce jugement.

 

Par ses dernières conclusions du 16 mai 2022, l'employeur sollicite de la cour qu'elle:

-  constate que le licenciement de M. [U] repose sur une cause réelle sérieuse et une faute grave, 

En conséquence, 

- réforme le jugement sauf en ce qu'il a débouté M. [U] de sa demande de dommages et intérêts en raison des circonstances déloyales, brusques et vexatoires entourant la rupture de son contrat de travail, 

- déboute M. [U] de l'intégralité de ses demandes, 

Y ajoutant, 

- condamne M. [U] à lui verser la somme de 3 000 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, 

- condamne M. [U] aux entiers dépens de la présente procédure et éventuels frais d'exécution.       

 

Par ses dernières conclusions du 16 mai 2022, M. [U] demande à la cour de :

- déclarer recevable mais non fondé l'appel interjeté par l'employeur à l'encontre du jugement de départage prononcé le 17 janvier 2022 par le conseil de prud'hommes de Bordeaux, 

En conséquence : 

- débouter l'employeur de toutes ses demandes, fins et conclusions, en ce compris de sa demande reconventionnelle à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile chiffrée à 3 000 euros, 

- confirmer le jugement entrepris,

Y ajoutant :

- condamner l'employeur à lui payer une indemnité complémentaire de 2 500,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner l'employeur aux entiers dépens et frais éventuels d'exécution.

           

L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 mars 2024.

 

Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer au jugement entrepris et aux conclusions déposées

Motifs de la décision

Sur le moyen tiré de la violation de l'article 33 de la convention collective

Selon l'article 33 de la convention collective de la convention collective nationale des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées, sauf en cas de faute grave, il ne pourra y avoir de mesure de licenciement à l'égard d'un salarié si ce dernier n'a pas fait l'objet précédemment d'au moins deux des sanctions citées ci-dessus, prises dans le cadre de la procédure légale.

M. [U] se défend de toute faute grave de sorte qu'en application de la clause sus-visée et en l'absence de sanctions précédentes, le licenciement est, selon lui, dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Afin de déterminer l'existence éventuelle d'une faute grave justifiant d'écarter la dite clause, il convient d'examiner le bien fondé des griefs énoncés dans la lettre de licenciement.

Sur la faute grave

La faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien de ce salarié dans l'entreprise. L'employeur qui l'allègue a la charge de la preuve.

La lettre de licenciement en date du 28 janvier 2020 qui fixe les limites du litige reproche à M. [U] les faits suivants sur lesquels le directeur de l'établissement aurait été alerté le 9 décembre 2019 :

- des absences régulières imprévues et inexpliquées,

- une attitude imprévisible et non adaptée se caractérisant par des phases de séduction et des phases de colère violente,

- des situations de violence à l'égard de ses collègues qui auraient pu déboucher sur des agressions physiques si personne ne s'était interposé à temps.

Sur les absences régulières imprévues et inexpliquées

M. [U] était affecté depuis le mois de septembre 2016 dans le groupe C placé sous la responsabilité d'un cadre psychologue référent, M. [H] ; il était soumis aux horaires de l'externat.

Pour justifier la réalité de ce grief, l'employeur produit l'attestation de :

- Mme [E], éducatrice spécialisée, qui déclare : ' je ne m'étendrai pas ici sur ses absences à répétition, sans savoir où il est ou ce qu'il fait, parfois avec des jeunes sur des temps d'ateliers, de repas, parfois très longs....'

- Mme [Z], éducatrice spécialisée, qui signale des absences inexpliquées pouvant aller jusqu'à plusieurs heures notamment à l'occasion de camps à l'extérieur de l'établissement...

- Mme [C], ancienne salariée ayant quitté l'association depuis 2016, faisant état de retards et absences irrégulières.

Ces témoignages imprécis visent des faits non datés ou prescrits, s'agissant de ceux rapportés par Mme [C], étant observé que M. [U] les conteste et qu'ils n'ont donné lieu à aucune remarque au cours de la relation de travail d'une durée de 11 ans. C'est donc à bon droit, par des motifs adoptés, que le premier juge a écarté ce grief.

Sur l'attitude imprévisible et non adaptée se caractérisant par des phases de séduction et des phases de colère violente et sur des situations de violence à l'égard de ses collègues qui auraient pu déboucher sur des agressions physiques si personne ne s'était interposé à temps. ,

Le comportement lunatique, colérique et parfois violent de M. [U] est mis en évidence par les attestations de :

- Mme [E] qui relate les humeurs cycliques de M. [U] qui alterne les phases de séduction avec des crises de colère explosives lorsqu'il est confronté à des désaccords professionnels. Selon ce témoignage, la dernière crise s'est déroulée le 19 mars 2019 ; or, il résulte des pièces du dossier que cet incident a donné lieu à un entretien avec le chef de service le jour même de sorte que l'employeur en a nécessairement été informé et qu'au regard de la date d'engagement de la procédure de licenciement le 9 janvier 2020, les faits sont prescrits en vertu des dispositions de l'article L 1332-4 du code du travail.

- Mme [Z] qui expose qu'elle même n'a jamais eu à subir l'agressivité de M. [U] mais qu'elle a été témoin depuis plusieurs années de ses changements d'humeur brusques et qu'elle a assisté à des colères imprévisibles de la part de l'intéressé. Ces faits non datés décrits comme habituels et donc connus du chef du service sont prescrits.

- Mme [B], éducatrice spécialisée, qui décrit de façon circonstanciée l'altercation en date du 19 mars 2019, avec M. [U] qui l'a verbalement agressée ; alerté, le chef de service les a convoqués dans son bureau. Pour les raisons évoquées ci-dessus, ces faits sont prescrits.

- Mme [C] qui relate les sautes d'humeur de M. [U] et cite une séquence de 2010 où M. [U] s'était approché d'elle et avait frappé un volet avec ses poings en la menaçant verbalement. Choquée par l'incident, elle précise être allée voir la psychologue de l'établissement qui lui a indiqué qu'elle en parlerait à la direction et avoir croisé le chef de service, lequel, informé de l'incident, lui avait alors dit de ne pas rajouter de l'huile sur le feu. Ces faits connus de l'employeur dès leur survenance sont prescrits en application de l'article L 1332-5 du code du travail.

- Mme [V], coordonnatrice, qui déclare avoir assisté, en 2008, avec deux autres salariées, à une crise de colère de M. [U], pour un incident banal : ' il s'est mis à crier de plus en plus fort et s'est dirigé vers la porte de la cuisine et a donné un violent coup de poing dans le mur...'. Ces faits sont prescrits en application de l'article L 1332-5 du code du travail.

- M. [X], éducateur spécialisé, qui témoigne de l'incident survenu en avril 2014 quand le chef de service l'a appelé pour calmer M. [U] qui se montrait menaçant envers un éducateur. Pour les raisons évoquées ci-dessus, ces faits sont prescrits.

Il découle de ces témoignages que les collègues de travail et les chefs de service connaissent, depuis l'année de son embauche, l'attitude parfois imprévisible et inadaptée de M. [U] ; au-delà de la prescription qui couvre les faits énoncés à la lettre de licenciement, force est de constater que l'employeur, informé de la situation, n'a pris aucune mesure pour y remédier et ne peut valablement soutenir aujourd'hui qu'il n'a eu connaissance du comportement du salarié qu'après l'enquête à laquelle il a procédé en décembre 2019, étant rappelé que l'employeur s'entend non seulement du titulaire du pouvoir disciplinaire, mais également du supérieur hiérarchique, même non titulaire de ce pouvoir.

De surcroît, sont versés aux débats des courriers et attestations émanant de 11 collègues ou supérieurs hiérarchiques de M. [U] soulignant son professionnalisme, son investissement, son sens de l'écoute, sa cordialité, son attention aux jeunes pris en charge, sa capacité à se remettre en questions, le respect de ses collègues de travail.

Il s'ensuit que l'employeur ne rapporte pas la preuve de griefs non prescrits justifiant l'impossibilité de poursuivre le contrat de travail du salarié.

En l'absence de faute grave, le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse dés lors que les conditions de l'article 33 de la convention collective ne sont pas remplies.

Le jugement sera donc confirmé de ce chef.

Sur les conséquences indemnitaires du licenciement

Par des motifs adoptés, le premier juge a fait une exacte appréciation du montant des indemnités dues à M. [U] en raison du licenciement sans cause réelle et sérieuse à titre de rappel de salaires pour mise à pied conservatoire, outre les congés payés afférents, d'indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents, d'indemnité conventionnelle de licenciement et d'indemnité sur le fondement de l'article L 1235-3 du code du travail. De ces chefs, le jugement sera confirmé.

De même, le jugement sera confirmé en ce qu'il a ordonné le remboursement des indemnités chômage dans la limite de 3 mois de salaire et a statué sur les dépens et les frais du procès.

Enfin, M. [U] n'ayant pas formé d'appel incident sur le rejet de sa demande de dommages et intérêts pour circonstances vexatoires du licenciement, le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur les autres demandes

L'employeur, partie perdante, supportera la charge des dépens et sera condamné à payer à M. [U] la somme de 2500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement entrepris

y ajoutant

Condamne l'institut Don Bosco aux dépens et à payer M. [U] la somme de 2500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Signé par Eric Veyssière, président et par Sylvaine Déchamps, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

S. Déchamps E. Veyssière


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section b
Numéro d'arrêt : 22/00908
Date de la décision : 20/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 26/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-20;22.00908 ?
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