COUR D'APPEL DE BORDEAUX
2ème CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 20 JUIN 2024
N° RG 21/02334 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MCFA
S.C.I. LES BIDOUNOUDOUS
c/
[C] [T] épouse [O]
[W] [O]
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décisions déférées à la cour :
-jugement rendu le 03 novembre 2020 par le Tribunal de Grande Instance de BORDEAUX (chambre : 5, RG : 17/10407)
-jugement rectificatif rendu le 31 décembre 2020 par le Tribunal de Grande Instance de BORDEAUX (chambre : 5, RG : 20/10169)
suivant deux déclarations d'appel en date du 20 avril 2021
APPELANTE :
S.C.I. LES BIDOUNOUDOUS
SCI au capital social de 1760 €, inscrite au RCS de Bordeaux sous le numéro 330 993 510, dont le siège se situe chez Mme [E] [N], [Adresse 4] - [Localité 2], dûment représentée par son représentant légal
Représentée par Me Eugénie CRIQUILLION, avocat au barreau de BORDEAUX
et assistée de Me Lydia LECLAIR, avocat au barreau de BAYONNE
INTIMÉS :
[C] [T] épouse [O]
née le 24 Octobre 1971 à [Localité 5]
de nationalité Française,
demeurant [Adresse 3] - [Localité 6]
non représentée, assignée selon acte d'huissier en date du 02.06.2021 délivré à personne
[W] [O]
né le 20 Septembre 1972 à [Localité 7]
de nationalité Française,
demeurant [Adresse 3] - [Localité 6]
non représenté, assigné selon acte d'huissier en date du 02.06.2021 délivré à domicile
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 02 mai 2024 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Alain DESALBRES, Conseiller, qui a fait un rapport oral de l'affaire avant les plaidoiries,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Jacques BOUDY, Président
Monsieur Alain DESALBRES, Conseiller
Monsieur Rémi FIGEROU, Conseiller
Greffier lors des débats : Mme Chantal BUREAU
Greffier lors du prononcé : Mme Audrey COLLIN
ARRÊT :
- par défaut
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
* * *
FAITS ET PROCÉDURE :
La société civile immobilière (la SCI) les Bidounoudous a été constituée le 2 octobre 1984 par Monsieur [L] [T] et Madame [R] [T], cette dernière exerçant la gérance.
Suite au partage de communauté entre les époux [T] le 26 avril 1989, toutes les parts sociales ont été attribuées à Mme [T].
Le 30 juin 1994, Mme [T] a fait donation à titre de partage anticipé à ses onze enfants de la nue-propriété des parts qu'elle détenait dans la SCI les Bidounoudous, conservant ainsi l'usufruit.
Le 18 mai 1990, la SCI les Bidounoudous a fait l'acquisition d'une maison située au lieu- dit 'Aux Pudocs', cadastrée Section B N° [Cadastre 1], dans la commune de Saucats (33), laissant toutefois la jouissance du bien aux vendeurs jusqu'à leur décès.
Après le décès de ceux-ci, M. [T] aurait, à une date ignorée, consenti à l'une de ses filles, Mme [C] [O], un prêt à usage portant sur cette habitation.
A la suite du décès de M. [T] survenu au mois de novembre 2010, Mme [T], alors gérante de la SCI les Bidounoudous, aurait à plusieurs reprises demandé à Mme [O] de quitter les lieux, sans succès.
Mme [T] étant décédée en août 2014, les onze enfants sont devenus propriétaires des parts sociales de la SCI les Bidounoudous.
Lors de l'assemblée générale ordinaire du 22 janvier 2015, les associés de la SCI les Bidounoudous ont décidé de demander à Mme [O] et sa famille de quitter les lieux dans un délai de trois mois, afin de pouvoir vendre la maison de Saucats.
Après une tentative amiable et plusieurs échanges de courriers, les époux [O] se sont maintenus au sein de l'immeuble.
Par acte du 16 novembre 2017, la SCI les Bidounoudous a assigné Mme [C] [T] épouse [O] et M. [W] [O] devant le tribunal de grande instance de Bordeaux afin de faire constater, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, la résiliation du prêt à usage, d'obtenir une décision d'expulsion et les condamner solidairement au paiement d'une somme de 3 000 euros au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice né du défaut d'entretien, outre 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le jugement contradictoire rendu le 3 novembre 2020 par le tribunal judiciaire de Bordeaux a :
- déclaré recevable la demande reconventionnelle des époux [O],
- débouté la SCI Bidounoudous de sa demande,
- dit que chaque partie conserve à sa charge les frais engagés non compris dans les dépens,
- laissé les dépens à la charge de la SCI Bidounoudous.
Un jugement rectificatif rendu le 31 décembre 2020 a substitué la mention 'Déclare irrecevable la demande reconventionnelle des époux [O]' à celle de 'Déclarer recevable la demande reconventionnelle des époux [O]'.
La SCI les Bidounoudous a relevé appel de ces deux décisions le 20 avril 2021.
Les deux procédures ont été jointes le 21 avril 2021.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 4 mars 2024, la SCI les Bidounoudous demande à la cour, sur le fondement des articles 1875 et 1888 du code civil :
- de confirmer le jugement attaqué rectifié en ce qu'il a dit et jugé irrecevables les demandes des consorts [O] tendant à la liquidation de la succession de Mme [T], la commission d'un notaire et l'attribution de son bien propriété à valoir sur ses droits dans la succession,
- de réformer le jugement entrepris rectifié en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes,
- de déclarer ses demandes recevables et bien fondées et en conséquence :
- de constater la fin du prêt à usage de la maison de [Localité 6] consenti à M. et Mme [O],
à défaut :
- de constater la résiliation à effet du 2 mai 2015 du prêt à usage de la maison de [Localité 6] consenti à M. et Mme [O],
- à défaut de la prononcer,
en tout état de cause :
- d'ordonner l'expulsion des lieux loués de M. et Mme [O] ou de tout occupant de leur chef, au besoin avec le concours d'un serrurier et de la force publique,
- de condamner solidairement M. et Mme [O] au paiement des sommes de :
- 3 000 euros, à parfaire au vu des travaux à venir, au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice né du défaut d'entretien,
- 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Elle fait notamment valoir que :
- il s'agit bien d'un prêt à usage comme l'ont admis M. et Mme [O] devant le tribunal. M. [L] [T] n'a pu souhaiter avantager un de ses enfants par l'autorisation d'occuper un bien immobilier appartenant à une SCI dont il n'était ni gérant ni associé en 2007, date d'entrée dans les lieux des époux [O],
- la preuve du départ des époux [O] ainsi que leur refus initial de quitter l'immeuble est rapportée par les pièces versées aux débats,
- le prêt à usage doit être résilié. Le préteur a le droit de mettre fin au contrat à tout moment, en respectant un délai de préavis raisonnable,
- elle subit un préjudice tiré du défaut d'entretien dans la mesure où M. et Mme [O] ont manqué à l'obligation préscrite par l'article 1880 du code civil. Ils ont empeché l'intervention de M. [Z] afin de réaliser des travaux d'entretien sur le terrain.
M. et Mme [O] n'ont pas constitué avocat. La déclaration d'appel et les conclusions de l'appelante leur ont été respectivement signifiées les 2 juin et 21 juillet 2021.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 18 avril 2024.
MOTIVATION
En application des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile, la partie qui ne conclut pas ou qui, sans énoncer de nouveaux moyens, demande la confirmation du jugement, est réputée s'en approprier les motifs.
Sur l'existence d'un prêt à usage
Aux termes des dispositions de l'article 1875 du Code civil, le prêt à usage est un contrat par lequel l'une des parties livre une chose à l'autre pour s'en servir, à la charge par le preneur de la rendre après s'en être servi.
Il appartient à la partie qui se prévaut du régime du commodat de prouver que les parties ont eu l'intention de conclure un contrat de prêt à usage.
La remise de la chose, en l'occurrence de l'habitation située dans la commune de [Localité 6], est établie.
Si l'établissement de ce type d'obligation obéit à l'exigence d'un écrit ou d'un commencement de preuve par écrit, le prêt à usage qui aurait été accordé à Mme [C] [O] n'a fait l'objet d'aucun acte unilatéral ni d'aucune autorisation de l'assemblée générale de la SCI.
Cependant, comme le soutient l'appelante dans ses dernières conclusions, M. et Mme [O], représentés en première instance, ont déposé des écritures le 5 juin 2018 dans lesquelles ils ont précisément indiqué que 'Ce bien leur a été prêté par les parents de Mme [O] (...) Après le décès de M. Et Mme [T], ce prêt à usage s'est poursuivi' (p2).
M. et Mme [O] n'ont pas contesté, notamment dans un courriel adressé à la gérante de la SCI, avoir occupé l'habitation de Saucats durant plusieurs années sans être titulaires d'un contrat de bail et donc sans avoir acquitté le montant d'un loyer ou d'une compensation financière, quittant finalement les lieux peu de temps avant la date d'audience.
Depuis le décès de Mme [T] survenu au mois d'août 2014 sans plus de précisions, l'acte de décès n'étant pas versé aux débats, Mme [C] [O], déjà détentrice de parts sociales de la SCI Bidounoudous et usufruitière, a donc acquis, en indivision avec les dix autres enfants, la nue-propriété d'une partie du bien immobilier qu'elle occupait avec son mari et leur enfant commun. Il est donc juridiquement possible de considérer qu'elle a bénéficié, depuis la date de la disparition de Mme [T], du prêt de la partie du bien immobilier détenue par les autres indivisaires regroupés au sein de la SCI.
En conséquence et à défaut de démonstration d'une intention libérale, non alléguée en première instance par les époux [O], il convient de considérer que M. et Mme [O] ont initialement bénéficié d'un prêt à usage depuis le mois de septembre 2007 jusqu'au 2 mai 2015, date à laquelle la SCI Bidounoudous, suite à l'autorisation de l'assemblée générale du 22 janvier 2015, leur a adressé une LRAR aux termes de laquelle elle leur a demandé de quitter les lieux. Postérieurement à cette date, les occupants se sont maintenus au sein de l'immeuble sans droit ni titre.
Les investigations menées par un détective privé démontrent que la famille [O] résidait encore au sein de l'habitation litigieuse au mois de février 2021.
Ces éléments attestent l'existence d'un prêt à usage dont ont bénéficié M. et Mme [O]. Le jugement déféré sera donc infirmé sur ce point.
Les occupants de l'immeuble de [Localité 6] ayant quitté les lieux peu de temps avant l'audience de première instance, comme l'admet l'appelante, il n'y a donc pas lieu d'ordonner leur expulsion.
Sur la demande de dommages et intérêts
Aux termes de l'article 1880 du Code civil : 'l'emprunteur est tenu de veiller raisonnablement à la garde et à la conservation de la chose prêtée. Il ne peut s'en servir qu'à l'usage déterminé par sa nature ou par la convention ; le tout à peine de dommages-intérêts, s'il y a lieu'.
Bénéficiant du prêt à usage depuis l'année 2007, M. et Mme [O] ont donc occupé le bien immobilier jusqu'à leur départ survenu à une date ignorée mais postérieure au mois de février 2021.
La vétusté de l'immeuble est mentionnée dans le rapport de M. [X] du 2 avril 2015, notamment en raison de fissures sur certains murs, de traces d'humidité sur ceux-ci (p7), de l'insuffisance de l'isolation (p9), de la panne de la chaudière au fuel et de la toiture, alors que l'état du bien immobilier était décrit comme étant 'bon' dans le document rédigé le 28 septembre 2006 par le cabinet d'Expertises Immobilières Arosteguy.
L'absence d'entretien du jardin durant de nombreuses années, le mari de l'occupante s'étant souvent opposé à la venue d'un technicien désigné par l'appelante pour procéder à l'élagage des arbres, est également démontrée.
Il apparaît ainsi que le bien immobilier n'a pas été correctement entretenu par M. et Mme [O] de sorte que celui-ci s'est dégradé durant son occupation.
Ces éléments motivent la condamnation des intimés à verser à la SCI Bidounoudous la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts.
Sur l'article 700 du code de procédure civile
Si la décision de première instance doit être confirmée, il y a lieu en cause d'appel de mettre à la charge de M. et Mme [O], in solidum, le versement au profit de la SCI Bidounoudous d'une indemnité de 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et de rejeter les autres demandes présentées sur ce fondement.
PAR CES MOTIFS
- Confirme le jugement rendu le 3 novembre 2020 par le tribunal judiciaire de Bordeaux en ce qu'il a rejeté :
- la demande d'expulsion de Mme [C] [T] épouse [O], de M. [W] [O] et de tout occupant des lieux ;
- les demandes présentées au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
L'infirme pour le surplus et, statuant à nouveau :
- Dit que M. [W] [O] et Mme [C] [T] épouse [O] ont bénéficié jusqu'au 2 mai 2015 d'un prêt à usage de l'immeuble situé au lieu-dit 'Aux Pudocs', cadastrée Section B N° [Cadastre 1], commune de [Localité 6] (33), appartenant à la société civile immobilière Bidounoudous ;
- Condamne in solidum M. [W] [O] et Mme [C] [T] épouse [O] à payer à la société civile immobilière Bidounoudous la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
- Condamne in solidum M. [W] [O] et Mme [C] [T] épouse [O] au paiement des dépens de première instance ;
Y ajoutant ;
- Condamne in solidum M. [W] [O] et Mme [C] [T] épouse [O] à verser à la société civile immobilière Bidounoudous la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamne in solidum M. [W] [O] et Mme [C] [T] épouse [O] au paiement des dépens d'appel.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jacques BOUDY, président, et par Madame Audrey COLLIN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Président,