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20/06/2024 | FRANCE | N°20/00182

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, 2ème chambre civile, 20 juin 2024, 20/00182


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



2ème CHAMBRE CIVILE



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ARRÊT DU : 20 JUIN 2024









N° RG 20/00182 - N° Portalis DBVJ-V-B7E-LM46









SA SMA SA



c/



[H] [I] [V] [U] [F] veuve [Y]

[S] [Y]

[N] [Y]

[T] [Y]

[G] [R] (décédé)



[O] [R] épouse [D]

[C], [A] [R] épouse [K]

[M], [J], [W] [L] veuve [R]
















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Nature de la décision : AU FOND























Grosse délivrée le :



aux avocats

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 22 novembre 2019 par le Tribunal de Grande Instance de BERGERAC (RG : 18/01047) suivant déclaration d'appel du 13 janvier 2020





APPELANTE ...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

2ème CHAMBRE CIVILE

--------------------------

ARRÊT DU : 20 JUIN 2024

N° RG 20/00182 - N° Portalis DBVJ-V-B7E-LM46

SA SMA SA

c/

[H] [I] [V] [U] [F] veuve [Y]

[S] [Y]

[N] [Y]

[T] [Y]

[G] [R] (décédé)

[O] [R] épouse [D]

[C], [A] [R] épouse [K]

[M], [J], [W] [L] veuve [R]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 22 novembre 2019 par le Tribunal de Grande Instance de BERGERAC (RG : 18/01047) suivant déclaration d'appel du 13 janvier 2020

APPELANTE :

Société SMA SA

immatriculée sous le numéro 332 789 296 au registre du commerce et des sociétés

de [Localité 16] ayant son siège [Adresse 6] prise en la personne de son représentant légal domicilié es-qualité audit siège

Représentée par Me Dorothée BONDAT de la SELARL SELUARL BONDAT, avocat au barreau de PERIGUEUX

INTIMÉS :

[H] [I] [V] [U] [F] veuve [Y]

née le 17 Décembre 1948 à [Localité 15]

de nationalité Française

Retraitée,

demeurant Lieu Dit '[Adresse 12]' - [Localité 3]

[S] [Y]

né le 10 Juillet 1973 à [Localité 10] (62)

de nationalité Française,

demeurant [Adresse 17]

[N] [Y]

né le 14 Mars 1976 à [Localité 10] (62)

de nationalité Française

Profession : Chef d'entreprise,

demeurant [Adresse 13]

[T] [Y]

né le 03 Juin 1981 à [Localité 10] (62)

de nationalité Française

Profession : Cadre,

demeurant [Adresse 7]

Représentés par Me Delphine ALONSO de l'AARPI GAULTIER - ALONSO, avocat au barreau de PERIGUEUX

[G] [R]

décédé

de nationalité Française,

demeurant [Adresse 5]

Représenté par Me Alain CHARBIT de la SELAS AD-LINEA, avocat au barreau de BERGERAC

INTERVENANTES :

[O] [R] épouse [D]

née le 04 Janvier 1973 à [Localité 9]

de nationalité Française,

Profession : responsable service gérance

demeurant [Adresse 1]

en qualité d'héritier de M. [G] [R]

[C], [A] [R] épouse [K]

née le 06 Mars 1980 à [Localité 9]

de nationalité Française

Profession : Gérant de société,

demeurant [Adresse 4]

en qualité d'héritier de M. [G] [R]

[M], [J], [W] [L] veuve [R]

née le 23 Octobre 1951 à [Localité 8]

de nationalité Française

Retraitée,

demeurant [Adresse 2]

en qualité d'héritier de M. [G] [R]

Représentées par Me Dominique ASSIER de la SCP MONEGER-ASSIER-BELAUD, avocat au barreau de BERGERAC

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 02 mai 2024 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Alain DESALBRES, Conseiller, qui a fait un rapport oral de l'affaire avant les plaidoiries,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Jacques BOUDY, Président

Monsieur Alain DESALBRES, Conseiller

Monsieur Rémi FIGEROU, Conseiller

Greffier lors des débats : Mme Chantal BUREAU

Greffier lors du prononcé : Mme Audrey COLLIN

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

* * *

FAITS ET PROCÉDURE :

Au début de l'année 2004, Monsieur [G] [R] a fait procéder à l'édification d'une maison d'habitation au sein de la commune de [Localité 14] après avoir obtenu un permis de construire le 19 janvier 2004.

Les travaux de gros oeuvre ont été confiés à la société à responsabilité limitée (Sarl) [Localité 11], assurée auprès de la compagnie d'assurances Sagena, désormais SMA SA.

Par acte notarié du 12 janvier 2010, M. [R] a vendu l'immeuble susvisé à M. [B] [Y] et Mme [H] [F] épouse [Y].

Suite à l'apparition d'importantes fissures, les époux [Y] ont assigné la SARL [Localité 11], la SMA SA et M. [R] devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Bergerac afin d'obtenir la désignation d'un expert judiciaire.

Il a été fait droit à cette demande suivant une ordonnance du 18 mars 2014 qui a nommé Mme [P].

Le rapport de cette dernière a été déposé le 15 juillet 2014.

Au cours de l'été 2015, une aggravation des désordres a été constatée par M. [E], expert amiable du cabinet [X], de sorte que les époux [Y] ont délivré une nouvelle assignation en référé expertise le 14 septembre 2016.

L'ordonnance du 13 décembre 2016, intégralement confirmée par un arrêt de la présente cour du 16 novembre 2017, a de nouveau confié une mission d'expertise à Mme [P], laquelle a déposé son rapport le 6 juin 2018.

Mme [H] [F] veuve [Y] et ses enfants [S], [N] et [T] [Y], venant aux droits de leur père décédé, ont, par acte du 17 octobre 2018, assigné M. [R] et la compagnie d'assurance SMA devant le tribunal de grande instance de Bergerac afin d'obtenir leur condamnation in solidum à leur verser les sommes de 14 181,75 euros en réparation des dommages et intérêts subis par cet immeuble et de 4 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Par jugement du 22 novembre 2019, le tribunal de grande instance de Bergerac a :

- dit et jugé que la SARL [Localité 11] est responsable des dégâts affectant l'immeuble des consorts [Y],

- mis hors de cause M. [R], ancien propriétaire de l'immeuble appartenant aux consorts [Y],

- dit et jugé n'y avoir lieu à partage de responsabilité, l'annexe édifiée par les époux [Y] n'ayant aucune conséquence sur le bâtiment construit par la SARL [Localité 11],

- condamné la compagnie d'assurance SMA à verser aux consorts [Y] la somme de 14 181,75 euros en réparation des dommages subis par leur immeuble,

- rejeté toutes les autres demandes plus amples ou contraires formées par les parties,

- ordonné l'exécution provisoire,

- condamné la compagnie d'assurance SMA aux entiers dépens de l'instance.

La société SMA SA a relevé appel du jugement le 13 janvier 2020.

M. [R] est décédé le 23 juillet 2020, laissant pour héritiers mesdames [O] [R] épouse [D], [C] [R] épouse [K] et [M] veuve [R].

Par acte du 17 octobre 2023, les consorts [Y] ont délivré une assignation en intervention forcée à l'encontre de mesdames [O] [R] épouse [D], [C] [R] épouse [K] et [M] veuve [R].

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 17 avril 2024, la SA SMA demande à la cour, sur le fondement de l'article 1792 du code civil :

à titre principal :

- de réformer le jugement attaqué en ce qu'il :

- a admis que la responsabilité décennale de l'entreprise [Localité 11] était engagée et partant admis sa garantie,

- l'a condamnée à verser aux époux [Y] la somme de 14 181.75 euros en réparation des dommages subis par leur immeuble,

statuant à nouveau :

- de prononcer sa mise hors de cause,

- de débouter les consorts [Y] de l'ensemble de leurs demandes,

- de les condamner au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens y compris de première instance,

à titre subsidiaire et si par impossible :

- de réformer le jugement entrepris en ce qu'il a exclu un partage de responsabilité et, statuant à nouveau,

- de prononcer un partage de responsabilité à hauteur de 50% entre l'entreprise [Localité 11] et les consorts [Y],

- de débouter les consorts [Y] de leurs demandes formulées au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- de partager les dépens.

Elle fait notamment valoir que :

- les désordres ne relèvent pas de la catégorie des désordres évolutifs et ne relèvent pas de la garantie décennale. Selon l'expert judiciaire il n'y a pas d'atteinte à la solidité,

- la théorie des désordres évolutifs est exclue. C'est à la théorie des désordres futurs qu'il faut se rapporter. Ce sont ceux apparus dans le délai de 10 ans sans encore revêtir le caractère de gravité permettant de les qualifier de décennaux, mais qui l'atteindront de façon certaine par la suite. La Cour de cassation refuse la prise en charge de tels dommages futurs au titre de la garantie décennale s'il ne peut être constaté que l'atteinte à la solidité de l'ouvrage ou l'impropriété à destination surviendrait de manière certaine avant l'expiration de la garantie. Or au jour du dépôt du rapport d'expertise judiciaire il n'y avait pas d'impropriété à destination ni d'atteinte à la solidité de l'ouvrage alors que le délai d'épreuve était expiré depuis plus de 4 ans. En conséquence, la cour réformera la décision entreprise et mettra la SMA SA hors de cause,

- à titre subsidiaire, la responsabilité sera partagée à hauteur de 50% avec le maître de l'ouvrage qui a aggravé le désordre en construisant une extension de la construction principale.

Dans leurs dernières conclusions notifiées le 9 avril 2024, les consorts [Y] demandent à la cour:

- de les déclarer recevables et bien fondés en leur demande d'intervention forcée de Mme [R] épouse [D], Mme [R] épouse [K] et Mme [L] veuve [R], en leur qualité d'héritiers de M. [R],

- de dire que conformément aux dispositions de l'article 555 du code de procédure civile, l'évolution du litige justifie, en l'espèce, la mise en cause de Mme [R] épouse [D], Mme [R] épouse [K] et Mme [L] veuve [R] en leur qualité d'héritiers de M. [R] dans la procédure pendante devant la cour,

- de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :

- dit et jugé que la SARL [Localité 11] est responsable des dégâts affectant leur immeuble,

- dit et jugé n'y avoir lieu à partage de responsabilité, l'annexe édifiée par leurs soins n'ayant aucune conséquence sur le bâtiment construit par la SARL [Localité 11],

- condamné la compagnie d'assurance SMA à leur verser la somme de 14 181,75 euros en réparation des dommages subis par leur immeuble,

- d'infirmer le jugement pour le surplus et, statuant à nouveau :

- de condamner Mme [R] épouse [D], Mme [R] épouse [K] et Mme [L] veuve [R], en leur qualité d'héritiers de M. [R], in solidum avec la SA SMA, au paiement des sommes suivantes :

- 14 181,75 euros au titre du préjudice matériel,

- 4 000 euros au titre des dommages et intérêts,

- 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ainsi que les dépens qui conprendront les procédures en référé, les frais d'expertise et les instances au fond,

- de débouter la SMA ainsi que les consorts [R] de l'ensemble de leurs demandes fins et prétentions.

Ils font notamment valoir que :

- c'est à juste titre que le tribunal a retenu le caractère décennal des désordres. Les désordres apparus à l'expiration du délai décennal peuvent être pris en compte s'ils se rattachent à des premiers désordres énoncés dans le délai. Les désordres évolutifs d'un ouvrage avant et après le terme du délai de dix ans peuvent entraîner la responsabilité décennale du constructeur ou de ses substitués. Le critère décennal retenu par le code civil n'est pas celui d'un état de ruine. Au contraire, le terme solidité est une référence au maintien de l'ouvrage dans l'avenir, autrement dit sa pérennité. L'expert judiciaire a démontré le caractère décennal des désordres. La sécheresse n'est pas exonératoire pour le constructeur. De plus, faute d'arrêté pour la période adéquate, l'assurance catastrophe naturelle n'est pas concernée. Il a donc lieu de retenir la responsabilité décennale de l'entreprise [Localité 11],

- ils ne sont pas responsables de la survenance des désordres,

- ils ont subi un préjudice moral et physique justifiant l'octroi de dommages et intérêts,

- c'est à juste titre que le tribunal a retenu le caractère décennal des désordres et a par voie de conséquence condamnée la SA SMA, en sa qualité d'assureur décennal de l'entreprise [Localité 11] à les indemniser des préjudices subis,

- M. [R] est responsable. En effet, en qualité de constructeur et de propriétaire, il se devait de respecter les règles de construction. Il est tenu à leur égard de la garantie décennale. Ses héritiers doivent donc être condamnés à réparer les préjudices sur le fondement des articles 1792 et suivants du code civil,

- subsidiairement, le vendeur est responsable au titre des vices cachés au vu des articles 1641 et suivants du code civil. Le caractère de vice caché des désordres compromettant la destination de l'immeuble a été constatée par les investigations de l'expert. La clause exonératoire de garantie leur est inopposable. Les héritiers sont tenus de les indemniser,

- le vendeur se trouve tenu à un autre titre découlant du fait qu'il n'a pas souscrit l'assurance dommage ouvrage obligatoire. En ne souscrivant pas une assurance dommages ouvrages, M. [R] a commis une faute qui a empêché un règlement rapide de ce litige. Il doit donc être tenu responsable des désordres et ses héritiers doivent donc prendre en charge les préjudices subis.

Suivant leurs dernières conclusions notifiées le 4 avril 2024, Mme [R] épouse [D], Mme [R] épouse [K] et Mme [L] veuve [R] demandent à la cour :

- de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a mis hors de cause M. [R],

subsidiairement :

- de juger que l'action des consorts [Y] à leur encontre est irrecevable en l'absence de désordres à caractère décennal apparus pendant le délai de la garantie,

- de juger non fondée l'action des consorts [Y] :

- sur le fondement des vices cachés dès lors qu'elle n'a pas été engagée dans le délai de deux ans à compter de la découverte des désordres invoqués ,

- sur le fondement de la faute,

en conséquence :

- de dire n'y avoir lieu à condamnation in solidum avec la SMA SA au paiement aux consorts [Y] les sommes dont ils sollicitent le paiement

- de juger que dans l'hypothèse de leur condamnation in solidum avec la ccc et sa compagnie d'assurance, que la contribution à la dette incombera en totalité à ces dernières,

- de juger qu'en cas de condamnation, en tout ou partie, à leur encontre, ils seront garantis et relevés indemnes par la SARL [Localité 11] et sa compagnie d'assurance de toute condamnation qui pourrait être prononcée à leur encontre,

par voie d'appel incident :

- de réformer le jugement déféré en ce qu'il n'a pas alloué à M. [R] une indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et en conséquence :

- de condamner les consorts [Y] ou tout succombant au paiement d'une indemnité de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile correspondant aux frais irrépétibles de première instance,

- de condamner les consorts [Y] ou tout succombant à payer, en cause d'appel, une indemnité de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- de condamner les consorts [Y] ou tout succombant à payer, en cause d'appel, les dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de la SCP Moneger Assier Belaud sur le fondement des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Elles font notamment valoir que :

- les dispositions de l'article 555 du code de procédure civile sont inaplicables puisqu'il n'y a pas d'évolution du litige, mais simplement la mise en cause nécessaire des héritiers d'une partie décédée aux fins de reprise de l'instance,

- la théorie des désordres évolutifs est exclue. La théorie des dommages évolutifs permet au propriétaire de demander, plus de 10 ans après la réception des travaux, réparation des conséquences d'un désordre ayant porté atteint à la solidité d'un ouvrage ou l'ayant rendu impropre à sa destination au cours du délai décennal. La condition de mise en 'uvre de cette théorie est que le désordre doit porter atteinte à la solidité de l'ouvrage ou qu'il y ait eu impropriété à destination pendant le délai décennal. Or, c'est la théorie des désordres futurs qu'il convient d'évoquer. Les désordres futurs sont ceux qui apparaissent dans le délai d'épreuve de 10 ans sans encore revêtir le caractère de gravité permettant de les qualifier de désordres décennaux, mais qui le deviendront, de façon certaine, par la suite. La prise en charge de tels dommages futurs est refusée au titre de la garantie décennale, s'il ne peut être constaté que l'atteinte à la solidité de l'ouvrage ou l'impropriété à destination surviendra de manière certaine avant l'expiration de la garantie décennale,

- la garantie des vices cachés ne peut pas être retenue.Il existe une clause de non garantie des vices cachés insérée dans l'acte de vente en date du 12 janvier 2010,

- l'acquéreur reconnaît avoir été informé que le vendeur n'a pas souscrit d'assurance dommages ouvrages. De ce fait, M. [R] n'a commis aucune faute contractuelle. Le préjudice invoqué par les consorts [Y] est hypothétique,

- l'action des consorts [Y] est préscrite en application de l'article 1648 du code civil.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 18 avril 2014.

MOTIVATION

Sur la mise en jeu de la responsabilité décennale de la Sarl [Localité 11]

Aux termes de l'article 1792 du code civil ' tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination.

Une telle responsabilité est écartée si le constructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère'.

La garantie décennale n'a vocation à s'appliquer que dans l'hypothèse où il y a eu réception et que le dommage s'est révélé postérieurement à celle-ci.

La présomption de responsabilité consacrée par l'article 1792 du code civil a pour objet d'alléger la charge de la preuve pour le maître d'ouvrage en le dispensant d'établir l'existence d'une faute du constructeur à l'origine du désordre. Mais elle suppose tout de même d'établir l'existence d'un lien de causalité entre l'intervention du constructeur sur le chantier et le dommage dont il est demandé réparation.

L'immeuble de plain-pied appartenant désormais aux consorts [Y] a été construit sur un terrain en pente.

A la date de la vente, des fissures extérieures étaient présentes sous l'allège de la façade Est.

Lors de la première mission d'expertise qui a donné lieu à son rapport du 15 juillet 2014, Mme [P] a constaté l'existence :

- de fissures dans les enduits de façade localisées sous deux allèges, d'une part en jonction d'un linteau en bois et d'autre part en partie basse au droit de la liaison entre le soubassement et le plancher. Celles-ci favorisent les remontées capillaires ;

- de décollements et de fissurations à certains endroits entre des plaques de plâtre constitutives de cloisons, de doublage et de plafond, se situant dans le prolongement de montants d'huisserie (cuisine, séjour, dégagement) et dans les plafonds de la salle de bains et des toilettes.

Elle a considéré que les sociétés ayant participé à la construction de l'ouvrage n'ont pas respecté les règles de l'art.

En conclusion, Mme [P] indique très clairement que les fissures sont des désordres qui ne compromettent pas la solidité de l'immeuble et ne caractérisent pas d'impropriété à sa destination, étant observé qu'aucun dire n'avait été adressé par l'une ou l'autre des parties à la réception de son pré-rapport aux conclusions identiques. Elle ajoute que 'la maison est cependant située sur une commune sensible aux phénomènes de retrait-gonflement, et des désordres peuvent apparaître. Ce n'est toutefois pas le cas aujourd'hui, après deux périodes reconnues (2005 et 2011)'.

Les désordres ne présentaient donc pas un caractère décennal à la date du 15 juillet 2014.

Le premier juge a estimé à l'examen du second rapport de l'expert judiciaire que la responsabilité décennale de la Sarl [Localité 11] était engagée en retenant que les désordres évoqués ci-dessus, survenus moins de dix ans avant l'expiration du délai de forclusion, présentaient, en raison de leur aggravation, la gravité exigée par les textes susvisées.

L'appelante et les consorts [R] considèrent que les désordres observés doivent être qualifiés d'évolutifs et non de dommages intermédiaires de sorte qu'ils ne peuvent engager leur responsabilité sur le plan décennal.

La SA SMA soutient que le point de départ du délai de forclusion peut être fixé au 14 juin 2004, date de la déclaration d'achèvement et de conformité des travaux.

Il doit être rappelé qu'aucun procès-verbal de réception n'a été dressé.

Il apparaît à la lecture du premier rapport d'expertise judiciaire que l'immeuble a été achevé au milieu de l'année 2004 par la prise de possession des lieux par M. [R] après paiement de l'intégralité du prix selon une dernière facture émise par la Sarl [Localité 11] le 18 mars 2004.

Fait courir le délai de la garantie décennale la date à laquelle l'ouvrage est utilisable et propre à sa fonction (Civ., 3ème, 19 janvier 2017 n° 15-27.068).

En conséquence, le point de départ du délai décennal peut être fixé au 15 juillet 2004.

L'assignation délivrée le 30 janvier 2014 à l'encontre de M. [R], la Sarl [Localité 11] et son assureur, qui vise expressément les fissures relevées par Mme [P], a interrompu ce délai. Elle a en conséquence fait courir un nouveau délai égal à celui interrompu (3e Civ., 11 janvier 1995, pourvoi n° 93-10.327).

Les nouvelles citations en justice devant le juge des référés délivrées à l'encontre du vendeur et de l'assureur du constructeur en date des 13 et 14 septembre 2016 ont de nouveau interrompu le délai décennal.

Contrairement à l'affirmation des nouveaux propriétaires de l'immeuble, ce délai n'a pas été suspendu par les deux mesures d'expertise dans la mesure où il s'agit d'un délai de forclusion et non de prescription (Civ., 3ème, 10 novembre 2016, pourvoi n° 15-24.289).

Dans son second rapport du 6 juillet 2018, Mme [P] indique qu'il n'y a pas d'atteinte à la solidité de l'ouvrage, dans le sens d'un menace de ruine, mais la présence d'eau en pied de fondation laisse présager d'une évolution néfaste, notamment à l'angle Sud, sous l'auvent. Reprenant les premières constatations de l'expert amiable [X], elle estime que la fissure du pignon Sud pourrait être infiltrante en l'absence d'auvent et que celles du 'long pan' pourraient aussi conduire à des infiltrations, phénomène aggravé par le mouvement des fondations.

L'expert judiciaire estime, sans être contredit sur ce point, que la Sarl [Localité 11] aurait dû s'assurer de la protection de son ouvrage, par exemple via la mise en place d'un drain amont, en application du DTU applicable. L'absence de recueil des eaux de pluie au niveau des zones concernées par les fissures, au moins jusqu'en 2015, a pu constituer un apport d'eau complémentaire aux abords de la maison. La sécheresse des sols n'est donc pas la cause principale des désordres.

Il résulte de ces éléments que, pour les désordres initiaux relevés par l'expert judiciaire en 2014 et aggravés en 2018 et au regard des conséquences de l'interruption du délai de forclusion prolongeant le délai de garantie, la condition de gravité de l'article 1792 du Code civil, en l'occurrence l'impropriété à la destination de l'ouvrage, sera satisfaite avant l'expiration du délai de dix ans. Dès lors, le jugement entrepris sera donc confirmé sur ce point.

Le vendeur est également tenu au titre de la responsabilité décennale en application du deuxième alinéa de l'article 1792-1 du Code civil de sorte que la décision déférée ayant écarté celle-ci sera infirmée. Ses héritiers, venant aux droits de M. [G] [R], seront donc condamnés in solidum avec l'assureur du constructeur.

Sur les recours

Sur celui de la SA SMA

Dans l'hypothèse de la mobilisation de sa garantie, l'appelante sollicite que les consorts [Y] soient déclarés responsables des désordres à hauteur de 50 %. Elle considère que ceux-ci, après la date d'acquisition de l'immeuble, ont édifié un garage non conforme au permis de construire qui a favorisé durant plusieurs années, avant l'adjonction en 2015 d'un système d'évacuation des EP, la pénétration des eaux dans le sol venant ainsi aggraver les phénomènes de fissuration.

Une part de responsabilité peut en effet être laissée au maître d'ouvrage dès lors que sa faute a constitué une cause d'aggravation des désordres ayant concouru pour partie à la réalisation du préjudice (3ème Civ, 6 janvier 2011, n°99-13.103).

Les nouveaux acquéreurs ont réalisé une extension sur la partie Nord, en l'occurrence un garage, qui n'est pas affectée de désordres comme l'indique l'expert judiciaire qui s'étonne de cette situation. Cette dernière ajoute que la présence du garage n'a pas contribué à l'aggravation des désordres affectant le bâtiment principal.

Il convient en conséquence de confirmer le jugement attaqué ayant rejeté la prétention formulée par l'assureur du constructeur de l'immeuble.

Sur celui des consorts [R]

Dans l'hypothèse de la mise en jeu de leur responsabilité décennale, les consorts [R] demandent à être garantis et relevés indemnes par la Sarl [Localité 11] et la SA SMA.

L'entrepreneur n'ayant pas été assigné dans le cadre du présent appel de sorte que cette prétention sera écartée.

Au regard de la faute d'exécution commise par la Sarl [Localité 11] relevée ci-dessus, il convient d'ordonner que les consorts [R] seront intégralement garantis et relevés indemnes par son assureur des condamnations mises à leur charge.

Sur les préjudices

Le coût des travaux réparatoires retenu par le jugement de première instance n'est pas contesté par l'une ou l'autre des parties.

Mme [P] préconise la réalisation d'un ravalement de façade avec revêtement d'imperméabilisation souple pour un montant de 14 181,75 € TTC.

S'agissant de la demande de dommages et intérêts au titre d'un préjudice moral, les consorts [Y] ne justifient d'aucune atteinte à leur honneur ou leur considération. En conséquence, la décision entreprise ayant rejeté leur demande sera confirmée.

Sur l'article 700 du code de procédure civile

Si la décision de première instance ayant rejeté les demandes à ce titre doit être confirmée, il y a lieu en cause d'appel de mettre à la charge de la SA SMA le versement au profit des consorts [Y] et des consorts [R], chacun, d'une indemnité de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et de rejeter les autres prétentions sur ce fondement.

PAR CES MOTIFS

- Infirme le jugement rendu le 22 novembre 2019 par le tribunal de grande instance de Bergerac en ce qu'il a mis hors de cause M. [G] [R] ;

et, statuant à nouveau dans cette limite :

- Déclare M. [G] [R], aux droits duquel viennent mesdames [O] [R] épouse [D], [C] [R] épouse [K] et [M] [L] veuve [R], responsables au titre de la garantie décennale des désordres affectant l'immeuble vendu le 12 janvier 2021 à M. [B] [Y] et Mme [H] [F] épouse [Y] ;

- Condamne mesdames [O] [R] épouse [D], [C] [R] épouse [K] et [M] [L] veuve [R] , venant aux droits de M. [G] [R], in solidum avec la SA SMA, au paiement à messieurs [S] [Y], [N] [Y], [T] [Y], venant aux droits de M. [B] [Y], ainsi qu'à Mme [H] [F] veuve [Y], ensemble, la somme de 14 181,75 euros en réparation des désordres affectant l'immeuble ;

- Condamne la SA SMA à garantir et relever intégralement indemnes de cette condamnation mesdames [O] [R] épouse [D], [C] [R] épouse [K] et [M] [L] veuve [R], venant aux droits de M. [G] [R] ;

- Rejette la demande présentée par mesdames [O] [R] épouse [D], [C] [R] épouse [K] et [M] [L] veuve [R] venant aux droits de M. [G] [R], tendant à être garanties et relevées indemnes par la société à responsabilité limitée [Localité 11] ;

- Confirme le jugement déféré pour le surplus ;

Y ajoutant ;

- Condamne la SA SMA à verser à messieurs [S] [Y], [N] [Y], [T] [Y], venant aux droits de M. [B] [Y], ainsi qu'à Mme [H] [F] veuve [Y], ensemble, la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamne la SA SMA au paiement à mesdames [O] [R] épouse [D], [C] [R] épouse [K] et [M] [L] veuve [R], venant aux droits de M. [G] [R], ensemble, la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Rejette les autres demandes présentées sur ce fondement ;

- Condamne la SA SMA au paiement des dépens d'appel qui pourront être directement recouvrés par de la SCP Moneger Assier Belaud en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jacques BOUDY, président, et par Madame Audrey COLLIN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre civile
Numéro d'arrêt : 20/00182
Date de la décision : 20/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 26/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-20;20.00182 ?
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