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19/06/2024 | FRANCE | N°21/04127

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 19 juin 2024, 21/04127


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



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ARRÊT DU : 19 JUIN 2024







PRUD'HOMMES



N° RG 21/04127 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MHDH













Monsieur [Y] [L]

Monsieur [E] [L] [S]

Monsieur [Y] [L] agissant pour [V] [L] [S], mineure

es qualité d'ayants droit de [T] [S]



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S.A. ENGIE ENERGIE SERVICES















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Nature de la décision : AU FOND



















Grosse délivrée le :



à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 25 juin 2021 (R.G. n°F 18/01307) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section Encadrement, suivant déclaration ...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 19 JUIN 2024

PRUD'HOMMES

N° RG 21/04127 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MHDH

Monsieur [Y] [L]

Monsieur [E] [L] [S]

Monsieur [Y] [L] agissant pour [V] [L] [S], mineure

es qualité d'ayants droit de [T] [S]

c/

S.A. ENGIE ENERGIE SERVICES

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 25 juin 2021 (R.G. n°F 18/01307) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section Encadrement, suivant déclaration d'appel du 16 juillet 2021,

APPELANTS :

Monsieur [Y] [L]

né le 12 octobre 1973 à [Localité 7] de nationalité française Profession : Chef d'entreprise, demeurant [Adresse 2]

Monsieur [E] [L] [S]

né le 31 août 2005 à [Localité 4] de nationalité française, demeurant [Adresse 2]

[V] [L] [S], mineure, née le 18 avril 2009 à [Localité 5] de nationalité française, demeurant [Adresse 2] représentée par son père, Monsieur [Y] [L]

en leur qualité d'ayants droit de [T] [S] décédée

représentés par Me Dominique LAPLAGNE, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE :

SA Engie Energie Services, prise en la personne de sa Présidente du Conseil d'Administration, domiciliée en cette qualité audit siège social

[Adresse 1]

N° SIRET : 552 046 955

représentée par Me Charlotte VUEZ de la SELARL ELLIPSE AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 mai 2024 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Sylvie Hylaire, présidente chargée d'instruire l'affaire, et Madame Sylvie Tronche, conseillère

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Sylvie Hylaire, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

[T] [S] épouse [L], née en 1973, avait été engagée en qualité d'assistante juridique par contrat de travail à durée déterminée à compter du 7 juin 1999, transformé en contrat de travail à durée indéterminée par avenant du 29 février 2000, la nommant responsable juridique, par la société Elyo Midi Océan devenue la SA GDF SUEZ Energie services-Cofely puis la société Engie Energie Services.

Son lieu de travail était initialement situé à [Localité 5] en Gironde.

Au cours de son entretien d'évaluation du 15 janvier 2013, [T] [L] a évoqué un projet de déménagement sur [Localité 7] où son époux avait été engagé, exprimant son souhait d'une mobilité géographique sur cette ville en septembre 2013, en proposant notamment une solution de télétravail dans les locaux de la direction régionale de la société à [Localité 7].

Le 22 mai 2013, les directions Région Sud-Ouest et Région Nord-Est de la société ont conclu une convention de mise à disposition à durée indéterminée de [T] [S]-Juriste à hauteur de 2/5ème du temps de travail de celle-ci au profit de 'l'emprunteur' (région Nord-Est).

Par avenant signé le 24 juin 2013 de ces deux directions et par [T] [L], il a été acté qu'à compter du 1er septembre 2013, la salariée exercerait les fonctions de juriste à hauteur de 2/5ème de son temps de travail pour la direction de Cofely Services Région Nord-Est et de 3/5ème pour celle du Sud-Ouest et qu'elle serait basée dans les locaux de la société Cofely Nord-Est à [Localité 7], devant néanmoins être présente toutes les trois semaines au sein de la direction régionale de la société Cofely Sud-Ouest.

[T] [L] restait placée sous l'autorité hiérarchique de M. [K] [G], responsable juridique de la direction régionale Sud-Ouest.

Le 19 juin 2015, un projet d'avenant a été remis à la salariée en vue de son affectation permanente et exclusive au sein de la région Nord-Est à compter du 1er juillet 2015. [T] [L] ne l'a pas signé.

Une rupture conventionnelle a été conclue le 4 août 2016 entre [T] [L] et la société Engie Energie Services, direction régionale Nord-Est, sur la base d'un salaire moyen de 4.383,76 euros prévoyant le versement d'une indemnité de rupture de 55.850 euros.

Par lettre du 12 août 2016, la société a rétracté son consentement à la convention de rupture conventionnelle.

Par lettre remise le 19 août 2016 à M. [J] [H], directeur administratif de la direction régionale Nord-Est, [T] [L] a informé celui-ci de la reprise de ses fonctions 'de responsable juridique Contrats à partir du lundi 22 août 2016 au sein de la direction régionale Sud-Ouest seule direction à laquelle je suis contractuellement rattachée' et de son changement d'adresse (en Gironde).

Par lettre du même jour, M. [H] a mis en demeure [T] [L] de réintégrer son poste à la direction régionale Nord-Est.

[T] [L] s'est présentée le 22 août comme annoncé dans les locaux de la direction régionale Sud-Ouest.

Par courrier remis en mains propres le 25 août 2016 , la direction régionale Sud-Ouest a invité [T] [L] à respecter l'avenant du 24 juin 2013 et à reprendre ses fonctions à [Localité 7] selon les modalités de cet avenant.

[T] [L] a été placée en arrêt de travail pour maladie à compter du 25 août 2016, prolongé jusqu'au 14 octobre suivant.

Par lettre adressée par mail le 24 octobre 2016, la direction régionale Sud-Ouest s'est étonnée de son absence depuis le 17 octobre et l'a invitée à une visite médicale de reprise auprès du service de santé au travail à [Localité 5], fixée au 25 octobre.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 25 octobre, envoyée également par mail, la direction régionale Sud-Ouest a réitéré son étonnement face au silence de la salariée et à son absence à la visite de reprise, lui fixant une nouvelle date pour celle-ci au 31 octobre.

Une troisième lettre, ayant le même objet, a été adressée le 3 novembre pour une convocation à une visite fixée au 17 novembre, rendez-vous que [T] [L] n'a pas plus honoré.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 22 novembre 2016, [T] [L] a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 2 décembre suivant à Canejean par la direction régionale Sud-Ouest de la société, entretien auquel elle ne s'est pas présentée.

Elle a ensuite été licenciée pour faute grave par lettre datée du 7 décembre 2016 aux motifs de son absence injustifiée depuis le 17 octobre 2016 et de son absence lors des trois visites médicales de reprise.

A la date du licenciement, [T] [L] avait une ancienneté de 17 ans et 6 mois et la société occupait à titre habituel plus de dix salariés.

Par courrier du 4 mai 2017, [T] [L] a contesté son licenciement, expliquant son absence aux visites médicales de reprise par la confusion instaurée selon elle par la société sur son lieu de travail. Celle-ci lui a répondu le 19 mai disant ne pas partager la même analyse.

Le 27 août 2018, [T] [L] a saisi le conseil de prud'hommes de Bordeaux, contestant la légitimité de son licenciement et réclamant diverses indemnités, dont des dommages et intérêts pour exécution de mauvaise foi du contrat de travail.

[T] [L] est décédée le 15 septembre 2019.

L'instance a été reprise par ses ayants droit, son époux, M. [Y] [L] agissant en son nom personnel et en qualité de représentant de sa fille mineure [V] [L] [S], née en avril 2009 et de son fils, [E] [L] [S], devenu majeur depuis lors.

Par jugement rendu le 25 juin 2021, le conseil de prud'hommes a :

- débouté les ayants droit de [T] [L] de l'ensemble de leurs demandes et les a condamnés solidairement au paiement de la somme de 100 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté la société Engie Energie Services de sa demande d'indemnisation au titre de l'article 32-1 du code de procédure civile,

- dit que toute condamnation sera répartie conformément aux règles de dévolution successorale ou de l'acte notarié à venir entre les trois ayants droits de [T] [L],

- laissé à chaque partie la charge de ses propres dépens.

Par déclaration du 16 juillet 2021, les ayants droit de [T] [L] ont relevé appel de cette décision.

Dans leurs dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 22 novembre 2021, les ayants droit de [T] [L] demandent à la cour de :

- déclarer recevable et bien fondé leur appel à l'encontre du jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Bordeaux le 25 juin 2021,

- réformer le jugement en ce qu'il :

* les a déboutés de l'ensemble de leurs demandes,

* les a condamnés solidairement au paiement de la somme de 100 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* a dit que toute condamnation serait répartie conformément aux règles de dévolution successorale ou de l'acte notarié à venir entre les trois ayants droit de [T] [L],

- constater l'absence de faute grave,

- constater que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse,

- condamner la société Engie Energie Services à leur verser les sommes suivantes :

* 14.484,72 euros au titre de l'indemnité de préavis outre 1.448,47 euros pour les congés payés afférents,

* 40.473,36 euros à titre d'indemnité de licenciement,

* 65.181,24 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse,

* 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour l'exécution de mauvaise foi du contrat de travail,

- la condamner à leur remettre, sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter de la notification de la décision à intervenir, les documents de rupture rectifiés, conformément à la décision à venir,

- la débouter de toutes ses demandes contraires et/ou reconventionnelles,

- la condamner à leur payer la somme de 3.000 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre aux dépens d'instance et frais éventuels d'exécution.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 12 octobre 2021, la société Engie Energie Services demande à la cour de :

- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Bordeaux en date du 25 juin 2021 en ce qu'il a :

* débouté les ayants droit de [T] [L] de l'ensemble de leurs demandes,

* condamné solidairement les ayants droit de [T] [L] au paiement de la somme de 100 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* dit que toute condamnation sera répartie conformément aux règles de dévolution successorale ou de l'acte notarié à venir entre les trois ayants droit de [T] [L],

- l'infirmer en ce qu'il l'a déboutée de sa demande d'indemnisation au titre de l'article 32-1 du code de procédure civile,

- constater que le licenciement pour faute grave notifié le 6 décembre 2016 est parfaitement justifié,

- débouter les ayants droit de [T] [L] de l'ensemble de leurs demandes,

- constater l'absence de tout manquement de la société à l'encontre de [T] [L] dans le cadre de l'exécution du contrat de travail,

- les débouter de leur demande de dommages et intérêts à ce titre,

- les condamner :

* à lui verser la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile,

* à lui verser la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* aux frais et dépens liés à la présente instance.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 avril 2024 et l'affaire a été fixée à l'audience du 6 mai 2024.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'à la décision déférée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la rupture du contrat de travail

La lettre de licenciement adressée le 7 décembre 2016 à [T] [L] est ainsi rédigée :

« [...]

A partir du 17 octobre 2016, vous avez rompu tout contact avec l'entreprise.

En effet, à cette date, nous avons été confrontés au silence de votre part : vous n'avez pas repris votre travail, vous n'avez fourni aucune nouvelle prolongation d'arrêt de travail ni même de motif légitime venant justifier de votre absence.

Nous avons donc pris l'initiative de provoquer une visite médicale de reprise à la Médecine du travail.

[']

Le 17 novembre 2016, nous avons constaté une nouvelle fois votre absence à la convocation à la visite médicale de reprise malgré notre mise en demeure au terme de 3 convocations adressées par courriers recommandés avec AR et mails dont vous avez accusés réception à chaque fois.

Nous ne pouvons que vous rappeler les dispositions du Règlement intérieur (3.D) qui prévoient : le salarié est tenu de se rendre aux convocations de la médecine du travail pour les examens médicaux obligatoires : visite d'embauche, visite périodique, visite de surveillance médicale renforcée et visite de reprise suite à une suspension de son contrat de travail dans les cas prévus légalement ainsi que toute visite à la demande de l'employeur ou à son initiative.

Votre comportement, en l'espèce, à savoir votre silence malgré nos demandes réitérées de justifier de vos absences, associé à vos refus répétés de vous présenter aux convocations devant le médecin du travail au mépris de vos obligations contractuelles rend impossible votre maintien dans l'entreprise.

[...] ».

Selon les appelants, le caractère injustifié de l'absence de [T] [L] à son poste en Alsace et aux visites médicales de reprise ne peut être considéré comme fautif aux motifs suivants :

- certes, à la suite de la mutation de M. [Y] [L], époux de [T] [L] à [Localité 7], un avenant de détachement pour une durée indéterminée avait été signé entre les parties qui prévoyait que [T] [L] devait exercer ses fonctions pour les régions Nord-Est et Sud-Ouest à hauteur de 2/5ème de son temps pour la direction régionale de Cofely Services Nord-Est et 3/5ème pour celle de Cofely Sud-Ouest ; mais cet avenant stipulait qu'en cas de rupture de la convention de détachement entre la société GDF SUEZ Energie Services, Cofely Services Région Nord-Est et Région Sud-Ouest, [T] [L] réintègre, sous réserve d'un délai de prévenance de 3 mois, son poste de travail au sein de la direction régionale de Cofely Services Région Sud-Ouest ;

- or, au printemps 2015, la direction régionale Nord-Est lui a proposé un emploi à temps complet ;

- un avenant a ainsi été soumis à la signature de [T] [L], cette dernière refusant de le signer en raison de plusieurs inexactitudes (fonctions de juriste alors qu'elle était responsable juridique, erreur dans le coefficient 'etc') ;

- la société ne peut donc pas affirmer que [T] [L] était liée avec la direction régionale du Nord-Est par l'avenant qui lui avait été proposé en juin 2015 alors qu'elle a refusé de signer ce projet d'avenant et ne l'a jamais signé ;

- [T] [L] a informé la direction régionale Nord-Est de son refus de signer l'avenant en l'état et a tenté en vain à plusieurs reprises auprès de sa DRH et de la responsable du service juridique de [Localité 7] de faire le point sur cet avenant mais les rendez-vous fixés étaient systématiquement annulés ou reportés par sa hiérarchie ;

- c'est la direction régionale Nord-Est qui a établi les bulletins à partir du mois de juillet 2015 ;

- [T] [L] avait arrêté de faire les navettes entre la direction régionale Sud-Ouest et la direction régionale Nord-Est alors même que cela était prévu au sein de l'avenant de détachement ;

- les diverses communications internes et organigrammes de la direction régionale Nord-Est l'annonçaient comme salariée à part entière au sein des services de la direction régionale Nord-Est, contrevenant ainsi totalement aux dispositions de l'avenant de détachement.

- or, son lieu de travail ne pouvait pas être unilatéralement modifié par l'employeur sans son accord ;

- la société a elle-même instauré une confusion quant au lieu de travail de [T] [L] : en effet, le contrat initial de celle-ci prévoyait un lieu d'exécution du travail dans la région Sud-Ouest, à savoir à Canejean.

Selon les appelants, tous ces éléments démontraient la rupture unilatérale de l'avenant de détachement signé en 2013 par la société, [T] [L] devant donc ainsi reprendre ses fonctions au sein de la direction régionale Sud-Ouest, ce qu'elle a fait en réintégrant la direction régionale Sud-Ouest, conformément à ce qui était prévu dans l'avenant en cas de rupture de la convention de détachement, ce dont elle a informé la direction régionale Nord-Est par courrier en date du 19 août 2016.

La direction régionale Sud-Ouest a accepté le retour de [T] [L] puisqu'on lui a immédiatement fourni un bureau, installé une plaque à son nom et donné accès à tous les éléments informatiques nécessaires. Cette dernière travaillait donc bien à son poste de travail.

La société conclut à la confirmation du jugement entrepris au regard de l'absence injustifiée de [T] [L] à son poste de travail, au sein de son établissement de [Localité 7], à compter du 17 octobre 2016, malgré les multiples invitations qui lui ont été adressées de reprendre son emploi, fixé au sein de la direction régionale de [Localité 7] ainsi que de se présenter aux visites médicales de reprise suite à son arrêt de travail.

***

L'employeur ayant choisi de se placer sur le terrain d'un licenciement pour faute grave doit rapporter la preuve des faits allégués et démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié au sein de l'entreprise.

L'avenant proposé le 19 juin 2015, emportant le rattachement à temps complet de [T] [L] à la direction régionale Nord-est de la société, n'a pas été signé.

Mais d'une part, il résulte des explications fournies par les ayants droit de [T] [L] ainsi que des pièces versées aux débats que le refus de la signature de l'avenant proposé le 19 juin 2015 ne reposait ni sur la modification du lieu de travail ni sur le fait que l'intéressée soit affectée à temps plein à la direction régionale Nord-Est mais sur l'intitulé du poste proposé et sur une erreur de coefficient.

S'il est soutenu que [T] [L] aurait alerté en vain à plusieurs reprises la direction régionale Nord-Est de son refus de signer l'avenant en l'état, les erreurs prétendues affectant l'avenant proposé ne résultent pas de la pièce 25 qu'elle verse aux débats qui témoigne seulement de reports de rendez-vous ayant pour objet cet avenant.

Il ne saurait pour autant être déduit de cet éventuel différent entre les parties que la société a modifié unilatéralement le lieu de travail de la salariée : en effet, d'une part, que l'on se réfère à l'avenant signé des deux parties le 24 juin 2013 ou à celui proposé par la société le 22 mai 2015, le lieu de travail de [T] [L] était fixé en Alsace.

D'autre part, il ressort des pièces produites que celle-ci a travaillé à temps plein pour l'établissement alsacien de la société à compter du mois de juillet 2015 avec son accord :

- le message qu'elle adressait le 25 septembre 2015 à l'ensemble de ses collègues de la direction régionale Sud-Ouest en témoigne sans aucune ambiguïté :

« J'attendais d'avoir transféré à [K] [M. [G], son supérieur hiérarchique à [Localité 3]] pour vous écrire ce petit mot. Une page se tourne désormais pour moi, même si j'ai eu le temps de m'y préparer Je garde de nombreux souvenirs de ces quinze dernières années [...]. J'en profite pour vous remercier pour les cadeaux que j'ai reçus lors du repas gentiment organisé pour mon départ en juillet [...]. Je ne manquerai pas de venir vous dire un petit bonjour quand je serai dans la région. » ;

- les messages du 29 septembre et 2 octobre 2015 dans lesquels [T] [L] indique à ses interlocuteurs qu'elle ne s'occupe plus des dossiers Sud-Ouest et demande à '[K]' de ne plus la mettre dans sa liste de diffusion.

Ses bulletins de paie ont été établis par la direction régionale Nord-Est à partir du mois de juillet 2015 selon ses explications (seuls sont versés aux débats les bulletins de l'année 2010 et de l'année 2016) sans qu'elle ne conteste cette modification et ce, en conformité avec sa situation professionnelle à compter de cette date.

Si l'intitulé qui y figure est celui de juriste, il ne peut qu'être relevé que cet emploi restait le même que celui mentionné dans l'avenant du 24 juin 2013 accepté par [T] [L], l'erreur de coefficient alléguée n'étant étayée par aucune explication ni pièce de même qu'aucun élément ne permet de retenir une quelconque rétrogradation.

Le terme de 'responsable juridique Droit des contrats et réglementation' est d'ailleurs mentionné dans son entretien d'évaluation de l'année 2015, mené par sa responsable hiérarchique de la direction Nord-Est le 26 janvier 2016, qui rappelle expressément le rattachement de [T] [L] à Cofely Nord-Est au 1er juillet 2015, sans que celle-ci ne fasse aucune observation à ce sujet.

Ainsi, même s'il subsistait une difficulté quant à l'intitulé du poste et au coefficient appliqué, il ne peut être valablement soutenu que la modification du lieu de travail était fautive comme n'ayant pas été acceptée par la salariée, que ce manquement devrait s'assimiler à une rupture unilatérale de l'avenant précédemment conclu le 24 juin 2013 et ainsi que son lieu de travail aurait été à nouveau celui de la direction régionale Sud-Ouest alors qu'à la date de la signature de la rupture conventionnelle, [T] [L] travaillait pour la seule direction régionale Nord-Est et dans les locaux de celle-ci sans avoir contesté cette modification.

Enfin, le fait que les visites médicales de reprise aient été organisées à [Localité 5] ne peut être utilement reproché à la société dès lors que le 19 août 2016, [T] [L] avait signifié à son employeur qu'elle était désormais domiciliée à nouveau en Gironde et il ne peut ainsi être retenu que la société aurait volontairement entretenu une confusion quant au lieu de travail de la salariée.

Cette confusion ne peut pas non plus découler du fait que lorsqu'elle s'est présentée le lundi 22 août 2016 dans les locaux de la direction régionale Sud-Ouest, elle y a été accueillie et il lui a été proposé un bureau qu'elle n'a occupé que trois jours, étant placée en arrêt de travail pour maladie le 25 août 2016 après que l'employeur lui a signifié qu'elle devait réintégrer son poste en région Nord-Est.

Il ressort enfin des pièces produites par la société qu'en réalité, [T] [L] avait engagé un autre cursus professionnel, ayant repris avec son mari, un fonds de commerce situé à [Localité 6], lieu du nouveau domicile familial, qui avait ouvert ses portes le 19 octobre 2016.

A l'issue de son arrêt de travail pour maladie et malgré les courriers de son employeur adressés des 24, 25 octobre et 3 novembre 2016, restés sans réponse, [T] [L] ne s'est plus présentée à son poste de travail, que ce soit, au demeurant à la direction régionale Nord-Est ou à celle du Sud-Ouest et n'a pas non plus honoré les visites médicales de reprise qui lui ont été proposées à trois dates successives.

Ce comportement caractérise une faute grave rendant impossible la poursuite du contrat et justifiant le licenciement qui lui a été notifié, étant relevé au surplus que les conditions légales de la rétractation par la société de son consentement à la rupture conventionnelle étaient réunies.

Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a débouté les ayants droit de [T] [L] de leurs demandes et les a condamnés aux dépens.

Sur les autres demandes

Le droit d'agir en justice et d'exercer une voie de recours ne dégénère en abus qu'en cas de faute caractérisée par l'intention de nuire de son auteur, sa mauvaise foi ou sa légèreté blâmable, qui ne résultent pas du seul caractère infondé des prétentions formulées.

La société sera donc déboutée de sa demande indemnitaire à ce titre, le jugement déféré étant confirmé de ce chef.

Les ayants droit de [T] [L], parties perdantes à l'instance et en leur recours, seront condamnés aux dépens mais, au regard des circonstances de la procédure, il n'apparaît pas inéquitable de dire que la société intimée conservera la charge de ses frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Confirme le jugement déféré dans toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a condamné les appeants au titre des frais irrépétibles,

Y ajoutant,

Dit n'y avoir lieu à l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne in solidum M. [Y] [L], à titre personnel et en sa qualité de représentant de sa fille mineure, [V] [L] [S], et M. [E] [L] [S] aux dépens.

Signé par Sylvie Hylaire, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Sylvie Hylaire


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 21/04127
Date de la décision : 19/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 01/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-19;21.04127 ?
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