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19/06/2024 | FRANCE | N°21/03742

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 19 juin 2024, 21/03742


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



--------------------------







ARRÊT DU : 19 JUIN 2024







PRUD'HOMMES



N° RG 21/03742 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MF6A













S.A. SNCF VOYAGEURS



c/



Monsieur [P] [W]

















Nature de la décision : AU FOND



















Grosse délivrée le

:



à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 02 juin 2021 (R.G. n°F 19/00718) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section Commerce, suivant déclaration d'appel du 30 juin 2021,





APPELANTE :

SA SNCF Voyageurs venant aux droits de la SNCF Mobilités, prise en la personne de...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 19 JUIN 2024

PRUD'HOMMES

N° RG 21/03742 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MF6A

S.A. SNCF VOYAGEURS

c/

Monsieur [P] [W]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 02 juin 2021 (R.G. n°F 19/00718) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section Commerce, suivant déclaration d'appel du 30 juin 2021,

APPELANTE :

SA SNCF Voyageurs venant aux droits de la SNCF Mobilités, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 2]

N° SIRET : 519 037 584

représentée par Me Fabienne GUILLEBOT-POURQUIER de la SELARL GUILLEBOT POURQUIER, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉ :

Monsieur [P] [W]

né le 09 février 1982 de nationalité française, demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Alexis GARAT, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 mai 2024 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Sylvie Hylaire, présidente, et Madame Sylvie Tronche, conseillère chargée d'instruire l'affaire

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Sylvie Hylaire, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère

Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur [P] [W], né en 1982, a été engagé par la société SNCF Mobilités en qualité d'agent du service commercial Trains (ASCT), soit à un poste de contrôleur, par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 5 novembre 2015.

En plus du TGV, la société SNCF Mobilités a développé l'offre 'Ouigo', TGV à bas coûts, et une résidence Ouigo, gare intermédiaire, a été créée à [Localité 3]. M. [W] a intégré cette résidence à compter de décembre 2017 et au dernier état de la relation contractuelle, il est affecté à l'établissement commercial Trains Ouigo à [Localité 3].

Par courriel du 20 juin 2018, M. [W] et ses collègues de la résidence Ouigo ont fait état de leur insatisfaction relative à leur rémunération ainsi qu'à l'organisation des journées de service.

Les syndicats CGT et CFDT ont également adressé des courriers relayant les doléances des salariés à l'employeur, qui en a confirmé la prise en compte et a acté la mise en place de mesures pour y remédier.

Le 18 novembre 2018, M. [W] a bénéficié d'un contrat de travail à temps partiel à hauteur de 80% de la durée annuelle du travail à temps complet pour une durée de 10 mois.

En début d'année 2019, M. [W] a été placé en arrêt de travail à plusieurs reprises. Lors de la visite de reprise du 26 mars 2019, le médecin du travail l'a déclaré apte à son poste mais a toutefois préconisé un changement de service. Lors d'une nouvelle visite de reprise du 5 juin 2019, le médecin du travail a déclaré M. [W] "inapte environnement", avis réitéré le 13 juin 2019.

Par courriel du 28 mars 2019, M. [W] a fait part à l'employeur de son mal-être professionnel.

Par courriel du 13 juin 2019, il a refusé le poste de reclassement proposé par la société et a ensuite sollicité une rupture conventionnelle que l'employeur a refusée.

A la suite d'échanges de courriels du 5 au 12 septembre 2019, M. [W] a demandé le bénéfice d'un congé de disponibilité, qui lui a été accordé.

Le 20 mai 2019, M. [W] a saisi le conseil de prud'hommes de Bordeaux, sollicitant des dommages et intérêts pour harcèlement moral, une indemnité au titre de la perte du nombre de découchés et un rappel de prime d'intéressement.

Par jugement rendu le 2 juin 2021, le conseil de prud'hommes a :

- condamné la société SNCF Mobilités à payer à M. [W] les sommes suivantes :

* 6.800 euros à titre de dommage et intérêts pour les faits de harcèlement moral,

* 2.800 euros à titre d'indemnité pour perte de découchés,

* 350 euros à titre de prime d'intéressement non perçue par M. [W],

- condamné la société SNCF Mobilités donne acte de son obligation de rémunérer M. [W] d'un jour de congé payé pour décompte ne respectant pas son droit à congé payé [sic],

- condamné la société SNCF Mobilités à payer à M. [W] la somme de 800 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté la société SNCF Mobilités de toutes ses demandes,

- condamné la société SNCF Mobilités aux dépens,

- ordonné l'exécution provisoire de la décision à intervenir au titre de l'article 515 du code de procédure civile.

Par déclaration du 30 juin 2021, la société SNCF Voyageurs, venant aux droits de la société SNCF Mobilités, a relevé appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 13 septembre 2021, la société SNCF Voyageurs demande à la cour :

- d'infirmer le jugement entrepris,

- de débouter M. [W] de l'ensemble de ses demandes,

- de le condamner à la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 30 novembre 2021, M. [W] demande à la cour de :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré,

Y ajoutant,

- condamner la société SNCF Voyageurs à lui verser la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- la condamner aux dépens.

La médiation proposée aux parties le 6 décembre 2023 par le conseiller de la mise en état n'a pas abouti.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 avril 2024 et l'affaire a été fixée à l'audience du 6 mai 2024.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'à la décision déférée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le harcèlement moral

Au soutien de l'infirmation de la décision entreprise, la société conteste les faits de harcèlement allégués.

De son côté, le salarié sollicite la confirmation de la décision entreprise qui lui a alloué la somme de 6.800 euros en réparation du préjudice résultant du harcèlement moral qu'il dit avoir subi.

* * *

Selon les dispositions de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L. 1154-1 prévoit, qu'en cas de litige, si le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement, au vu de ces éléments, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Au soutien de ses prétentions, M. [W] invoque les éléments suivants :

- son employeur l'a "black-listé" à compter du mail qu'il lui a adressé le 20 juin 2018, se faisant le porte-parole de l'ensemble de ses collègues afin de dénoncer les problèmes de la résidence Ouigo de [Localité 3] et les promesses non tenues faites lors de son embauche,

- des problèmes de commandes [ce qui correspond à la notification de ses affectations sur un train] en juillet, août, septembre et novembre 2018 ainsi qu'en mars et juin 2019, constitués d'erreurs, de changements de dernière minute, d'absence de commandes malgré ses relances et la réception de commandes malgré sa déclaration d'inaptitude sur ce service,

- une suspension de son habilitation le 6 septembre 2018 suite à un incident survenu le 23 août 2018,

- la dégradation de son état de santé en lien avec ses conditions de travail,

- sa mise en congé par erreur le 19 mars, sans réaction de la direction,

- le retrait de jours de congés et de jours supplémentaires liés à son temps partiel,

- l'absence de réponse de la direction avisée le 28 mars 2019 par son mail soulignant son mal-être au travail et l'acharnement ressenti à son égard,

- les préconisations du médecin du travail et la réaction tardive de l'employeur qui a fait droit à sa demande d'accéder à un retour sur TER, 6 mois après ses premières démarches en ce sens,

- l'absence d'organisation d'une visite de reprise après la fin de son arrêt de travail le 14 mars 2019,

- la promesse d'une notation B2.7 non tenue.

Il verse notamment aux débats les éléments suivants qui, pris dans leur ensemble, ne peuvent être retenus comme étayant le harcèlement moral dont il se plaint :

- s'agissant de la suspension de son habilitation du 6 septembre 2018 suite à un incident survenu le 23 août 2018 et à l'absence de notification de sa réhabilitation, il produit :

* un courriel du 23 août 2018 échangé entre Messieurs [C] et [M], employés de la société, informant d'un problème survenu au départ du train 7651, M. [W] ayant fermé toutes les portes du train alors que le signal n'était pas encore ouvert, ce qu'il ne conteste pas ;

* un courriel de son supérieur hiérarchique du 6 septembre 2018 l'informant que : " l'enquête sur l'incident du 23 août au 7651 au PVA a confirmé le départ sur signal fermé. Répétiteur de signal éteint. Ton habilitation sécurité est suspendue jusqu'à l'entretien sécurité que j'effectuerai à ton retour. Tu seras sédentarisé jusqu'à cet entretien qui confirmera ou pas tes aptitudes à la sécurité ",

* la lettre de suspension d'habilitation du 6 septembre 2018 l'informant de sa suspension à titre de mesure conservatoire suite à un événement lié à la sécurité ; il y est mentionné que l'agent peut exercer un recours interne dans un délai de 15 jours mais il n'est pas indiqué par le salarié qu'il aurait usé de cette faculté ;

* un compte rendu d'évaluation du 27 septembre 2019 rétablissant son habilitation après un entretien Sécurité effectué le 19 septembre sur les procédures de départ et un accompagnement sur le train 7653 le 26 septembre avec procédure de départ à Vaugirard mais il n'est pas rapporté qu'il aurait été sanctionné ;

* un mail du 1er octobre 2018 aux termes duquel l'employeur lui demande de remplacer un personnel malade à la dernière minute ce qu'il accepte de faire ; il en est remercié par son interlocuteur ;

- concernant sa mise en congé par erreur le 19 mars 2018, il produit :

* un courriel de son employeur du 18 mars l'informant de l'annulation de sa formation du 19 mars sur la sécurité en l'absence de formateur,

* un courriel qu'il a adressé le 19 mars à son supérieur ainsi libellé : " je reviens vers vous car cela fait trois mois que je suis en arrêt et je suis surpris au réveil ce matin d'apprendre que ma commande du jour est modifiée, je devais faire 9h30-12h30, ce qui m'a permis de programmer mes examens médicaux cet après-midi et je reçois une modification de commande envoyée à 23h45 en me changeant même les taquets horaires de ps et de fs me faisant terminer à 18h33, chose impossible de par le règlement et impossible pour moi ayant des examens, du coup je vous demande de me mettre un demi congé sur cette journée qui devait être de 9h30 à 12h30. Pour ce qui est de la journée du 21/03 où j'étais censé être en formation sécurité, je m'aperçois ce jour avec une commande envoyée à 6h45 que la journée du 21/03 a elle aussi été modifiée en retirant la formation pour y placer un entretien disciplinaire' je trouve que ça ressemble fortement à du harcèlement depuis ce fameux mail envoyé à la direction sur les soucis de la résidence de [Localité 3]' que dois-je conclure d'un tel agissement à mon égard ' ",

* un courriel de son employeur du même jour ainsi rédigé : "je t'ai mis en CA aujourd'hui (le demi congé ne rentre que lorsque la veille FS est après 19 h00) pour le reste, il faut t'adresser à ton RET, il me semble",

* deux courriels de son supérieur du même jour : "désolé pour cette erreur de la CPST. On se voit vendredi matin pour un point sécurité et le bilan 2018. Bonne journée", "Sur tes journées du 20/21 mars, il s'agit d'une formation sécu mat et non d'un entretien disciplinaire. En effet tu es en P3A et non en PA3. ERREUR de notre part sur ce code, rentré sur ta journée du 20/03. Pas d'inquiétude [P]", courriel qui, contrairement à ce que soutient le salarié, démontre que son supérieur a réagi à son message ;

- s'agissant de la promesse d'une notation B2-7, M. [W] indique que Mme [R] lui avait promis qu'il pourrait suivre le programme ATOP sur trois années et passer de la notation B1-2 à B 2-7 ; il produit les mails de relances qu'il a adressés à sa hiérarchie les 2 et 15 mars 2018 ainsi que les courriels de sa hiérarchie lui demandant de justifier d'un écrit en ce sens car aucun document formalisé n'avait été établi ; le 4 juillet 2018, il recevait un courriel de son employeur ainsi rédigé : " Le 15 juin tu m'as avisé de cette situation, les pôles RH se sont mis en relation entre ton ancien établissement et Ouigo. l'ECT de [Localité 3] nous a confirmé qu'aucun engagement n'a été pris concernant le niveau 2 de la qualification B ; le 5 juillet, M.[W] le remercie pour sa réponse et pour : "les avancées que j'ai pu lire suite à l'audience, pour ma part, c'est un grand pas, j'en ai fait part aux autres ASCT de [Localité 3] ";

- concernant le retrait de jours de congés et de jours supplémentaires (VT) liés à son temps partiel, M. [W] verse aux débats un échange de courriels avec Mme [H], du service des ressources humaines, des 5 et 6 juin 2018 aux termes desquels elle lui adresse un tableau de ses absences (128 jours) générant des abattements ainsi qu'un décompte de ses jours de congés à prendre (10) au regard de la durée de son temps partiel de 282 jours et des 144 jours d'absence pour raison médicale, il est informé qu'il ne lui reste plus de VT à prendre (jours supplémentaires chômés) ;

- des éléments médicaux dont ses arrêts de travail du 30 août au 16 septembre 2018, du 17 décembre 2018 au 29 janvier 2019, du 14 février au 14 mars 2019, et du 27 mars au 14 avril 2019 pour syndrome dépressif, l'avis d'aptitude délivré le 26 mars 2019 par le médecin du travail préconisant un changement de service, l'avis d'inaptitude rendu le 5 juin 2019 par le médecin du travail déclarant M. [W] "inapte environnement", avis réitéré le 13 juin 2019, éléments qui ne font pas de lien avec les conditions de travail ;

- son courriel du 12 septembre 2019 à l'employeur : "j'ai conscience que l'entreprise a enfin pris note de mon mal-être et a accédé à ma demande de revenir sur TER 6 mois après mes demandes auprès de mon ter et du duo, et ce, grâce à l'aide de Mme [J] de la médecine du travail car sans cela nous serions toujours bloqués'je vous remercie d'avoir pris acte de ma demande'je continue mon contrat jusqu'au 30/09 et nous mettons en place mon congé de dispo dès que les compteurs vt, ca rm rf et repos sont à zéro'" ; il lui est répondu : "je me permets d'insister en vous réaffirmant que suite à votre inaptitude, l'entreprise vous permet de rebondir en vous proposant un projet de reclassement compatible avec vos restrictions et qui correspond à vos demandes de mutations exprimées. Malgré tout je comprends que votre décision est prise concernant le souhait de vous mettre en disponibilité pour convenances personnelles. Comme vous le savez, les congés de disponibilité doivent être demandés un mois au moins à l'avance. Suite à échange avec la DTL TER NA, nous pourrions partir sur votre programmation à bord des trains jusqu'au 30 septembre prochain puis éventuellement vous positionner en congés, VT ou autre jusqu'au lancement de votre congé de disponibilité pour convenances personnelles".

En revanche, M. [W] verse aux débats les pièces suivantes :

- un échange de mails avec [P] [A] du 20 juin 2018 ainsi qu'un mail adressé le même jour, co-signés de plusieurs collègues de l'équipe Ouigo de [Localité 3], à un prénommé [Y], sériant les doléances à adresser à l'employeur relatives notamment à " la promesse de détachement complet, la promesse d'un minimum salarial de 2.800 euros, l'absence d'indemnité repas lors de certains découchés, la priorité au ASCT sur les trains et non au CDD, le parcours à pied, plus de HLP, la limitation des dispos sur les roulements, une attention particulière sur les paies afin qu'il n'y ait pas d'oubli, le retour de vrai RHR PVA" ;

- s'agissant des problèmes de commandes :

* un mail du 18 juillet 2018 aux termes duquel M. [W] demande à Mme [H] une explication quant à une commande ayant fait l'objet d'une coupure au lieu d'une pause repas comme "à l'époque" ; la réponse de l'employeur emporte sa conviction,

* un mail du 22 août 2018 : l'interlocuteur de M. [W] évoquet un raté et l'envoi d'une commande pour le jour-même et le lendemain,

* un échange de mails avec Mme [H] du 18 au 20 septembre 2018 relatif à une commande à effectuer le 19 septembre et par lesquels M. [W] se plaint d'une longue coupure qu'il souhaite voir modifiée en pause repas : il lui est répondu qu'un rappel a été fait,

* un échange de mails avec Mme [H] et M.[O], son supérieur hiérarchique, du 20 au 22 novembre 2018 dont on comprend que M. [W] s'étonne de ne pas recevoir ses commandes avant de partir en repos, ce qui perturbe son organisation familiale ; ses échanges ont lieu à partir de l'adresse mail du salarié ainsi libellée : [Courriel 4] ; Mme [H] faisant plusieurs tests en utilisant cette adresse et le salarié lui répond : "c'est vraiment bizarre ce qui se passe, t'as fait 2 fois la même et je les ai reçus que la seconde fois ['] je vais dire à [U] ([O]) de me faire faire une nouvelle adresse mail dans ce cas, je vais essayer de joindre l'astreinte matériel ['] peux-tu m'envoyer les mails de commande qui tu m'envoies et qui n'arrivent pas, je vais faire un ..." ; la suite n'est pas produite à la procédure,

* un échange de SMS des 9 et 23 novembre 2018 avec son supérieur hiérarchique ainsi libellé : "bonjour [U] [M. [O]], toujours aucune commande du coup j'ai eu [B] [Mme [H]] qui m'a passé cette journée en vt et qui cherche d'où vient le problème, soit disant une seconde adresse mail à mon nom, du coup j'ai demandé les captures d'écran de ce que ses opérateurs avancent mais j'ai toujours rien, moi de mon côté je suis revenu plus que jamais motivé en me mettant même sur twitter, les jours où je suis tampon je me mets systématiquement avec accord des collègues à l'encaissement pour rattraper mon retard, j'y mets vraiment de la bonne volonté mais comme expliqué à [B], vraiment l'impression qu'on me harcèle à force, je lui ai dit ça fait 8/9 fois que ça arrive et à chaque fois j'ai l'échange de nos mails' du coup elle m'a promis de regarder, j'espère que ça se passera mieux car d'un agent qui a jamais gueulé en 4 ans à Ouigo, j'ai l'impression d'être le gros con de service à écrire sans cesse. En tous cas merci de t'être renseigné et d'avoir vérifié auprès des gîtes car au départ elle mettait la faute sur eux en disant qu'ils distribuent pas les commandes " ; son supérieur lui répond "bonjour [P], de mon côté, aucune envie de te voir partir, avec [Y] et [Z] nous regardons ce problème de commande'",

* un courriel de M. [W] du 25 mars 2019 s'étonnant de n'avoir reçu aucune commande avant sa débauche ;

- un courriel adressé le 27 mars par M. [W] à son supérieur hiérarchique pour lui indiquer qu'il se sentait mal, qu'il subissait un harcèlement moral depuis plus de 6 mois, avait demandé une mutation sur le TER et l'informait avoir saisi le conseil de prud'hommes ;

- un mail adressé à Mme [H] le 14 juin 2019 afin de l'interroger sur sa "non-utilisation" depuis sa reprise le 6 juin 2019 : "je suis chez moi depuis maintenant 10 jours à rien faire, TER m'informe que je reprendrais chez eux que le 1er juillet 2019, que dois-je faire en attendant ".

Ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent ainsi de supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail.

* * *

De son côté, l'employeur explique que tous les agents nouvellement recrutés sont affectés sur les TER avant d'intégrer, plusieurs années après, un roulement TGV et que M. [W] a pu intégrer ce roulement TGV en seulement deux ans.

Il précise qu'en plus du TGV, SNCF Mobilités a développé l'offre Oiogo, TGV à bas coûts et qu'une résidence Ouigo a été créée à [Localité 3].

Il a été fait appel au volontariat pour intégrer ce nouveau service. M. [W] a fait partie de ces volontaires et a rejoint cette résidence dès son ouverture en décembre 2017.

Déçu de ses conditions de travail, il a adressé à la direction un mail le 20 juin 2018 co-signé de plusieurs de ses collègues pour se plaindre de l'augmentation jugée insuffisante et des journées de service mal construites.

Leurs doléances ont été relayées par des organisation syndicales de sorte que la direction a pris des mesures renforçant la charge de travail afin de construire des journées de service plus conformes aux attentes des agents et plus rémunératrices.

M. [W], satisfait, a remercié le 5 juillet 2018 son chef d'équipe.

La société produit en ce sens ce courriel (pièce 24) ainsi que le compte-rendu de l'audience CFDT du 2 juillet comportant les points d'engagement de la direction ainsi qu'un document intitulé "concertation immédiate du 9 juillet 2018" aux termes duquel les organisations syndicales ont indiqué ne pas avoir l'intention de déposer un préavis de grève.

La société ajoute qu'après plusieurs arrêts de travail, M. [W] a demandé le 5 mars 2019 à réintégrer l'établissement TER et que le 5 juin 2019, le médecin du travail l'a déclaré inapte environnement. Il a immédiatement été détaché à l'établissement TER de [Localité 3] et le médecin du travail a réitéré sa déclaration d'inaptitude environnement de sorte qu'un reclassement était envisagé sur le poste TER, recueillant l'aval du médecin du travail et l'assentiment des représentant du personnel, ce dont il est justifié.

M. [W] a refusé cette proposition par mail du 13 juin 2019 et a sollicité le bénéfice d'une rupture conventionnelle. La direction a refusé et le salarié a demandé le bénéfice d'un congé de disponibilité en septembre 2019, accordé à compter du 1er octobre 2019. Il a ensuite saisi le conseil de prud'hommes.

La société explique que concernant les difficultés de réception des commandes, les salariés reçoivent leur commande par courriel avec copie au gestionnaire de service. Cet envoi a connu des 'loupés' en ce qui concerne M. [W] dans la mesure où son adresse mail était mal orthographiée avec un " T " à la fin de son nom. Il est arrivé qu'il ne reçoive pas les commandes qui lui étaient destinées mais il n'a jamais été pénalisé ou sanctionné lorsque cette erreur l'a conduit à ne pas assurer l'accompagnement d'un train sur lequel il était affecté.

Ce problème, une fois identifié, a été solutionné en quelques semaines.

La société produit un échange de courriels en février 2018 avec M. [W] identifiant cette difficulté : "après vérification, il y a une erreur sur mon nom, ils ont mis un T à [W] et de plus au lieu de asctsncf ils ont mis asnc" (pièces 27 et 28). Un nouveau système de commande a été mis en place depuis juin 2019 permettant aux agents de prendre connaissance directement de leur affectation et de la valider quel que soit l'endroit où ils se trouvent. Il est également établi que plusieurs salariés ont participé à solutionner cette difficulté (pièces 35 et 37).

Par ailleurs, l'employeur indique avoir pris en compte les doléances du salarié qui, dans un courrier du 27 mars 2019, évoque le harcèlement dont il se prévaut et sollicite sa mutation sur TER. Il renouvelait sa demande en mai 2019 et il lui était proposé de rencontrer le dirigeant des lignes TER en juin 2019 au moment de sa reprise du travail, ce qu'il avait accepté en fixant un rendez-vous au 5 juin suivant (pièce 4).

La société affirme qu'après la déclaration d'inaptitude, il a été décidé de muter M. [W] à compter du 1er octobre sur le TER et en attendant cette échéance, de le détacher sur cet établissement, ce dont il est justifié par un mail du 13 juin 2019 : "M. [W] est prêté à compter d'aujourd'hui sur l'établissement commercial Nouvelle Aquitaine jusqu'au 30/06. Il sera ensuite détaché du 1er juillet au 30 septembre en vue d'une mutation au 1er octobre 2019" (pièce 6).

Elle indique que le 29 août 2019, le salarié l'avait avisée qu'il n'entendait pas accepter sa mutation en ces termes : "j'ai décidé de ne pas signer mon 630 de détachement à TER qui prend donc fin le 30/09'je souhaiterai connaître les possibilités qui s'ouvrent à moi et ne pas rester dans une attente sans réponse" (pièce 16) ; des échanges intervenaient ensuite avec M. [W] sur des propositions de reclassement et le CHSCT émettait un avis favorable à la proposition de reclassement le 19 septembre 2019 mais M. [W] prenait un congé de disponibilité.

S'agissant de l'absence de réponse aux demandes de M.[W], l'employeur produit ses mails en réponse à chacune de ses interrogations (pièces 30, 34, 35, 36, 37 et 40) ainsi que l'entretien professionnel qu'il a organisé le 23 mars 2019 à la suite du mail du salarié du 19 mars invoquant son mal-être.

Ce faisant, l'employeur démontre que les faits évoqués par le salarié, pris dans leur ensemble, sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral.

Par voie de conséquence, le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a considéré que M.[W] avait été victime de harcèlement moral et lui a alloué la somme de 6.800 euros à titre de dommages et intérêts.

Sur la demande d'indemnité au titre des découchés

Le salarié sollicite l'allocation d'une somme de 2.800 euros bruts à ce titre représentant 28 découchés dont il n'aurait pu bénéficier du fait de ses arrêts de travail, ce dont il rend responsable son employeur.

* * *

Ainsi que le soutient à juste titre la société, M. [W] ne verse aucun élément aux débats alors même qu'il est débouté de ses demandes au titre du harcèlement moral.

En conséquence, il doit être débouté de ses demandes indemnitaires à ce titre et le jugement entrepris sera infirmé.

Sur la demande au titre de la prime de fin d'année

Le salarié sollicite à ce titre la somme de 350 euros qui ne lui aurait pas été versée du fait de ses absences.

L'employeur rétorque que M. [W] n'apporte aucune précision sur le nombre de jour ou d'heure durant lesquels il se serait tenu à sa disposition sans en être rétribué, pas plus qu'il ne verse un quelconque élément probant au soutien de sa demande.

* * *

Il résulte des pièces versées à la procédure que le système de rémunération de M. [W] est régi par un référentiel GRH02131 intitulé 'rémunération du personnel du cadre permanent' prévoyant outre le versement d'un traitement, d'une indemnité de résidence, d'une prime de travail, d'indemnités tenant compte de sujétions particulières, de gratifications, d'allocations attribuées à titre de remboursement de frais, le versement d'une prime de fin d'année dont la détermination et les modalités sont précisées à l'article 25.

Il y est indiqué que le montant de cette prime est égal au total des valeurs mensuelles, au 31 décembre, du traitement et de l'indemnité de résidence correspondant à la position de rémunération, à l'échelon et à la majoration résidentielle de l'intéressé mais que certaines absences entraînent une réduction de cette prime et de sa majoration dans les conditions du chapitre 18.

L'examen des bulletins de salaire de M. [W] et plus particulièrement de celui de décembre 2018 fait apparaître qu'il a bénéficié d'une prime de fin d'année de 1.215,95 euros nets après déduction de trois retenues à hauteur de 7,12 euros, 0,08 euros et 1,25 euros pour tenir compte de la réduction de son temps de travail passant à 80%.

Il n'est ni soutenu ni établi que le salarié s'est effectivement tenu à la disposition de l'employeur sur une période supplémentaire permettant de voir augmenter sa prime de fin d'année à hauteur des 350 euros sollicités alors qu'il a, dans le même temps, demandé à bénéficier d'un temps de travail à temps partiel à compter du 18 novembre 2018.

Par voie de conséquence la demande de M. [W] à ce titre doit être rejetée.

Le jugement entrepris sera en conséquence infirmé.

Sur les autres demandes

M. [W], partie perdante à l'instance, sera condamné aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'à payer à la société la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les procédures de première instance et d'appel

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Statuant de nouveau et y ajoutant,

Déboute M. [W] de l'ensemble de ses demandes,

Condamne M. [W] à verser à la société SNCF Voyageurs la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [W] aux dépens.

Signé par Sylvie Hylaire, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Sylvie Hylaire


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 21/03742
Date de la décision : 19/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-19;21.03742 ?
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