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19/06/2024 | FRANCE | N°21/03717

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 19 juin 2024, 21/03717


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



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ARRÊT DU : 19 JUIN 2024







PRUD'HOMMES



N° RG 21/03717 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MF36













Madame [N] [S]



c/



S.C.E.V CHATEAU [7]

















Nature de la décision : AU FOND



















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à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 04 juin 2021 (R.G. n°F 18/01564) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section Encadrement, suivant déclaration d'appel du 29 juin 2021,





APPELANTE :

Madame [N] [S]

née le 18 mai 1983 à [Localité 8] de nationalité française

Prof...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 19 JUIN 2024

PRUD'HOMMES

N° RG 21/03717 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MF36

Madame [N] [S]

c/

S.C.E.V CHATEAU [7]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 04 juin 2021 (R.G. n°F 18/01564) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section Encadrement, suivant déclaration d'appel du 29 juin 2021,

APPELANTE :

Madame [N] [S]

née le 18 mai 1983 à [Localité 8] de nationalité française

Profession : Maître de chai, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Pierre FONROUGE de la SELARL KPDB INTER-BARREAUX, avocat au barreau de BORDEAUX, assistée de Me François DRAGEON de la SELARL DRAGEON & ASSOCIES, avocat au barreau de LA ROCHELLE-ROCHEFORT

INTIMÉE :

Société Civile d'Exploitation Viticole du Château [7], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 4]

N° SIRET : 481 894 053

représentée par Me Valérie SEMPE, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 mai 2024 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Sylvie Hylaire, présidente, et Madame Sylvie Tronche, conseillère chargée d'instruire l'affaire

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Sylvie Hylaire, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère

Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

Par lettre d'engagement du 24 novembre 2006, Madame [N] [S], née en 1983, a été embauchée en qualité d'ouvrière de chai par la société civile d'exploitation viticole du Château [7] à compter du 3 janvier 2007, avant d'être promue maître de chai à compter du 1er juillet 2007.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective des exploitations agricoles de la Gironde.

En dernier lieu, la rémunération mensuelle brute moyenne de Mme [S] s'élevait à la somme de 2.500 euros, comprenant un avantage en nature de 150 euros lié à son logement sur la propriété.

Par courrier du 17 juillet 2017, la société a notifié un avertissement à Mme [S] en lui reprochant l'absence de mise à jour des cahiers de vinification, leur absence des chais ainsi que le non-respect des instructions et des consignes de son supérieur hiérarchique, griefs que celle-ci a contesté par lettre datée du 16 août 2017.

Le même jour, Mme [S] a été placée en arrêt de travail pour maladie ordinaire.

Par courrier du 17 août 2017, Mme [S] a fait part de son insatisfaction quant aux conditions d'exécution de son travail, au non-paiement d'heures supplémentaires et a prétendu être victime de harcèlement moral.

Par lettre datée du 28 août 2017, l'employeur a répondu à la salariée et l'a mise en demeure de lui restituer les cahiers de vinification.

Des échanges relatifs à la restitution de matériel ont eu lieu entre les parties à la fin de l'année 2017.

Au cours des années 2017 et 2018, la salariée a été placée en arrêt de travail à plusieurs reprises.

Lors des visites de reprise des 5 juin et 10 juillet 2018, la salariée a été déclarée apte à son poste, le premier avis mentionnant la nécessité de travailler en binôme.

Mme [S] a repris le travail le 6 juin 2018.

Par lettre datée du 20 août 2018, Mme [S] a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 3 septembre suivant.

Par courrier du 25 août 2018, Mme [S] a contesté cette convocation et reproché à l'employeur des manquements relatifs au paiement de primes, d'heures supplémentaires ainsi que le harcèlement moral subi.

Mme [S] a ensuite été licenciée pour cause réelle et sérieuse par lettre datée du 11 septembre 2018 aux motifs d'erreurs et de manquements répétés lors des mises en bouteille des millésimes 2016, effectuées en juin 2018.

A la date du licenciement, Mme [S] avait une ancienneté de 11 ans et 9 mois et la société occupait à titre habituel moins de 11 salariés.

Le 16 octobre 2018, Mme [S] a saisi le conseil de prud'hommes de Bordeaux, demandant l'annulation de l'avertissement du 17 juillet 2017, contestant à titre principal la validité et, à titre subsidiaire, la légitimité de son licenciement et réclamant diverses indemnités, notamment pour travail dissimulé ainsi que des rappels de salaires au titre des heures supplémentaires effectuées, des dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par l'utilisation de ses moyens personnels (voiture/téléphone) au profit de la société.

Par jugement rendu le 4 juin 2021, le conseil de prud'hommes a :

- dit que le licenciement de Mme [S] ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse,

- condamné la société Château [7] à payer à Mme [S] les sommes suivantes :

* 15.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté Mme [S] de l'ensemble des autres demandes,

- condamné la société Château [7] aux dépens et frais éventuels d'exécution.

Par déclaration du 29 juin 2021, Mme [S] a relevé appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 22 mars 2022, Mme [S] demande à la cour de réformer la décision entreprise sauf en ce qu'elle a jugé le licenciement sans cause réelle ni sérieuse et de :

Par décision avant dire droit,

- entendre contradictoirement et en qualité de témoins :

* M. [H] [I], domicilié [Adresse 2],

* Mme [K] [V], domiciliée [Adresse 3],

- ordonner à l'employeur la communication du registre unique du personnel,

A titre principal,

- dire nul l'avertissement qu'elle a reçu le 17 juillet 2017,

- dire nul son licenciement et requalifier la rupture en licenciement sans cause réelle ni sérieuse,

- fixer le salaire de référence à la somme de 3.598,35 euros bruts mensuels et ordonner à l'employeur de modifier tous les documents de rupture du contrat de travail (Assedic, certificat de travail, bulletins de paye, etc') sur cette base et d'en justifier sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement (sic),

- condamner la société du Château [7] à lui payer les sommes suivantes':

- heures supplémentaires : * sur l'année 2015 : 7.313 euros bruts,

* sur l'année 2016 : 7.370,50 euros bruts,

* sur l'année 2017 : 206 euros bruts,

soit un total de : 14.889,50 euros bruts,

- augmentées des congés payés, soit 10% : 1.488,95 euros bruts,

- ordonner que les bulletins de paye de chaque année soient modifiés en conséquence, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement (sic),

- si, par impossible, la cour s'estimait insuffisamment informée, elle commettrait alors tel expert qu'il lui plaira de désigner avec mission de :

- convoquer les parties et se faire remettre tous documents utiles,

- entendre tous sachants,

- établir un compte des heures supplémentaires réalisées,

- chiffrer les conséquences de ces heures supplémentaires sur les salaires mensuels de Mme [S], et sur tous les accessoires de son salaire,

- recalculer sur cette base son salaire moyen annuel,

- condamner la société Château [7] à lui payer les sommes suivantes':

* au titre et par application de l'article 41 de la même convention collective des exploitations agricoles de la Gironde : 719, 67 euros bruts, augmentée des congés payés, soit 10% : 71,96 euros bruts,

* 21.590,10 euros nets au titre du travail dissimulé mais aussi 7.444,75 euros bruts au titre du travail dissimulé et 744,47 euros bruts au titre des congés payés afférents (sic),

* l'indemnité conventionnelle de rupture : 6/10èmes de mois par année pour une ancienneté comprise entre 9 ans révolus et 12 ans, soit 3.598,35 euros : 10 x 6 = 2.227,55 euros x 12 (12 ans d'ancienneté) = 21.590,10 euros nets, dont il sera déduit le montant payé lors du licenciement à concurrence de 21.514 euros,

* l'indemnité de licenciement sans cause réelle ni sérieuse (indemnité non plafonnée à raison du harcèlement moral) : 16 mois de salaire : 59.401,44 euros nets,

* 10.000 euros nets en réparation de son préjudice causé par l'utilisation de ses moyens propres (voiture/téléphone) à l'usage de l'entreprise et sans indemnisation,

A titre subsidiaire,

- dire nul l'avertissement reçu le 17 juillet 2017,

Confirmant en cela la décision entreprise,

- dire son licenciement sans cause réelle ni sérieuse,

Et, la réformant pour le surplus,

- fixer le salaire de référence à la somme de 3.598,35 euros bruts mensuels et ordonner à l'employeur de modifier tous les documents de rupture du contrat de travail (Assedic, certificat de travail, bulletins de paye, etc') sur cette base et d'en justifier sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement (sic),

- condamner la société Château [7] à lui payer les sommes suivantes':

- heures supplémentaires :

* sur l'année 2015 : 7.313 euros bruts,

* sur l'année 2016 : 7.370,50 euros bruts,

* sur l'année 2017 : 206 euros bruts,

soit un total de : 14.889,50 euros bruts,

- somme augmentée des congés payés, soit 10% : 1.488,95 euros bruts,

- ordonner que les bulletins de paye de chaque année soient modifiés en conséquence, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement (sic),

- condamner la société Château [7] à lui payer les sommes suivantes':

* au titre et par application de l'article 94 de la convention collective des exploitations agricoles de la Gironde : 6.427,40 euros bruts, somme augmentée des congés payés, soit 10%, 642,40 euros bruts,

* au titre et par application de l'article 41 de la même convention collective des exploitations agricoles de la Gironde : 719, 67 euros bruts, somme augmentée des congés payés, soit 10%, 71,96 euros bruts,

* 21.590,10 euros nets au titre du travail dissimulé amis aussi 7.444,75 euros bruts au titre du travail dissimulé et 744,47 euros bruts au titre des congés payés afférents (sic),

* l'indemnité conventionnelle de rupture : 6/10èmes de mois par année pour une ancienneté comprise entre 9 ans révolus et 12 ans, soit 3.598,35 euros : 10 x 6 = 2.227,55 euros x 12 (12 ans d'ancienneté) = 21.590,10 euros nets, dont il sera déduit le montant payé lors du licenciement à concurrence de 21.514 euros,

* l'indemnité de licenciement sans cause réelle ni sérieuse (indemnité non plafonnée à raison du harcèlement moral) : 16 mois de salaire : 59.401,44 euros nets,

* 10.000 euros nets en réparation du préjudice à elle causé par l'utilisation de ses moyens propres (voiture/téléphone) à l'usage de l'entreprise et sans indemnisation,

Dans tous les cas,

- débouter la société Château [7] de toutes ses demandes,

- la condamner à lui payer une indemnité d'une somme de 10.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux frais et dépens de l'instance dont distraction au profit de Maître Pierre Fonrouge, avocat constitué.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 6 mars 2024, la société Château [7] demande à la cour de'débouter Mme [S] de son appel, de faire droit à son appel incident et de :

- juger le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse,

- réformer le jugement en ce qu'il l'a condamnée au paiement de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens,

Statuant à nouveau,

- débouter Mme [S] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- confirmer le jugement déféré pour le surplus,

- débouter Mme [S] de l'intégralité de ses demandes,

- la condamner au paiement d'une indemnité de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 avril 2024 et l'affaire a été fixée à l'audience du 6 mai 2024.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'à la décision déférée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les demandes avant dire droit de Mme [S]

Mme [S] sollicite d'une part, l'audition de M. [I] [en réalité , M. [J]] et de Mme [V] en qualité de témoins et d'autre part, que soit ordonnée à la société de communiquer son registre unique du personnel.

En réplique, la société précise que la demande d'audition de Mme [V] est sans fondement.

Il résulte toutefois des explications et des pièces fournies que M. [J] et Mme [V] ont établi une attestation dont la régularité n'est pas contestée et le registre unique du personnel figure au rang des pièces communiquées par la société de sorte que les demandes de Mme [S] seront rejetées.

Sur l'avertissement du 17 juillet 2017

Sollicitant l'annulation de cet avertissement, Mme [S] explique intervenir sur trois sites exploités par trois sociétés différentes mais en étant salariée que de l'une d'entre elles, la société du Château [7]. Elle avance avoir été sanctionnée à la suite d'une réunion informelle, non disciplinaire, à laquelle participait M. [Y], dont il est indiqué qu'il est son supérieur hiérarchique alors même qu'il est employé comme maître de chai du Château [6], soit sur un poste équivalent

au sien dans une société s'ur de l'entreprise qui l'emploie et au sein de laquelle elle intervient également en qualité de maître de chai.

Elle affirme que son employeur ne pouvait ignorer au moment de cette sanction, son état fragilisé et la relation dégradée qu'elle entretenait avec M. [Y] dont elle avait dénoncé le comportement à son égard.

Elle invoque d'une part, l'absence de fiche de poste de sorte que les consignes et instructions visées dans la lettre d'avertissement sont invérifiables et d'autre part, l'absence de bureaux dans les sites où elle intervenait rendant impossible le dépôt des cahiers dans chacun des sites, une centralisation de ces documents s'imposant dès lors sur le site où se trouvait son logement et un tel fonctionnement ayant toujours existé.

Elle ajoute que le grief tiré de la non-tenue desdits cahiers ne figure pas dans la lettre de notification de l'avertissement critiqué.

Elle considère cet avertissement injustifié et étayant le harcèlement moral dont elle se plaint.

Pour voir confirmer la décision entreprise, la société rétorque qu'elle n'avait pas à faire précéder la notification de cet avertissement d'une convocation à un entretien préalable.

Elle rappelle que les cahiers permettent notamment la traçabilité des vins en cas de contrôle et qu'ils doivent donc impérativement être mis à jour par la salariée et être présents dans chacun des chais.

Selon la société, ayant constaté en juillet 2017 que les cahiers des années 2014 à 2016 avaient disparu, M. [Y] avait interrogé Mme [S] laquelle avait indiqué qu'ils se trouvaient à son domicile mais ne les avait restitués qu'ensuite d'une sommation délivrée par un huissier de justice le 25 juillet 2017.

* * *

Aux termes des dispositions de l'article L. 1333-1 du code du travail, en cas de litige sur une sanction disciplinaire, le juge apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction et forme sa conviction au vu des éléments retenus par l'employeur pour prononcer la sanction et de ceux fournis par le salarié à l'appui de ses allégations. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Bien qu'évoquée par les parties, la régularité de la procédure relative à l'avertissement n'est pas remise en cause par Mme [S].

La lettre d'avertissement signée de M. [D], gérant associé, est ainsi rédigée':

« Suite à une réunion en présence de [X] [D] et de [E] [Y] le 10 juillet 2017, il vous a été reproché les faits suivants : vos cahiers de chais doivent être à jour et surtout être physiquement dans les différents chais dont vous avez la charge. Il nous est impossible de pouvoir les consulter et ni même lors de vos absences, les présenter en cas de contrôle, comme nous en avons l'obligation et ainsi que vous le savez très bien. D'autre part, vous ne respectez pas les instructions et consignes données par votre responsable. Vous semblez ignorer les relations hiérarchiques qui vous incombent. »

Il résulte des pièces versées aux débats que Mme [S] a été engagée en qualité d'ouvrière de chai par la société civile d'exploitation viticole du Château [7] à compter du 3 janvier 2007, avant d'être promue maître de chai à compter du 1er juillet 2007.

La lettre d'engagement prévoit outre sa rémunération, que Mme [S] aura en charge' « les chais des châteaux [7], [9], [5] et [6] » en précisant qu'elle serait logée sur la propriété du château [7].

Ainsi que le relève à juste titre la salariée, aucune fiche de poste n'est produite. La fiche métiers versée aux débats par l'employeur, élaborée par le ministère de l'agriculture et de l'alimentation, selon laquelle le maître de chai « fait éventuellement appliquer les référentiels qualité et vérifie le bon fonctionnement du système de traçabilité lorsqu'il existe »'ne peut certes y suppléer mais il est établi au travers des échanges épistolaires intervenus entre les parties que Mme [S] n'a pas contesté être en charge de ces cahiers de chais.

S'agissant de l'absence de ces cahiers dans les chais dont la salariée avait la charge, cette dernière explique sans être contredite sur ce point par des éléments probants qu'elle ne disposait d'aucun bureau sur chacun des sites pour y entreposer ces documents de sorte qu'elle devait les conserver avec elle dans le logement fourni par la société.

Cette difficulté a été évoquée par la salariée dans ses courriers de contestation de l'avertissement mais l'employeur n'y a pas répondu autrement, ainsi qu'il le fait dans ses écritures, qu'en soutenant que ces documents ne devaient pas quitter la propriété et qu'aucune autorisation n'avait été donnée à la salariée pour les emporter à son domicile.

Ce faisant, ce grief ne saurait être établi pas plus que celui relatif à l'absence de mise à jour de ces documents, aucun élément probant n'étant produit à ce sujet.

S'agissant du non-respect des instructions et des consignes, l'employeur s'abstient de préciser les consignes et instructions qui n'auraient pas été respectées et ne verse aucun élément en ce sens.

Par voie de conséquence et en l'absence d'éléments justifiant les griefs reprochés à Mme [S], il convient, par infirmation de la décision entreprise, d'annuler l'avertissement qui lui a été notifié le 17 juillet 2017.

Sur les heures supplémentaires

Sollicitant l'infirmation de la décision entreprise et la condamnation de l'employeur à lui verser la somme de 14.889,50 euros bruts à titre de rappel de salaire, outre celle de 1.488,95 euros bruts au titre des congés payés afférents, Mme [S] affirme avoir accompli des heures supplémentaires pour la période comprise entre janvier 2015 et juin 2017.

En réplique, la société conclut d'une part, à la prescription des demandes de Mme [S] antérieures au mois d'octobre 2015 et d'autre part, au rejet de ses prétentions, soutenant que cette dernière n'a jamais formulé une quelconque réclamation à ce titre pendant la relation contractuelle, qu'elle ne justifie pas des heures revendiquées alors qu'en application de la convention collective les heures supplémentaires sont forfaitisées dans la limite de 5 heures par semaine, qu'elle a refusé de signer le système mis en 'uvre pour comptabiliser ses heures de travail et que son décompte est aussi imprécis qu'invérifiable.

* * *

S'agissant de la prescription des demandes antérieures au mois d'octobre 2015, en application des dispositions de l'article L. 3245-1 du code du travail, la salariée ne peut solliciter un rappel de salaire pour la période antérieure au 18 octobre 2015, la saisine du conseil de prud'hommes étant intervenue le 18 octobre 2018.

* * *

Aux termes de l'article L. 3171-2 alinéa 1er du code du travail lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. L'employeur tient à la disposition de l'inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.

Selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées.

Au soutien de sa demande en paiement d'un rappel de salaire dû au titre des heures supplémentaires réalisées, Mme [S] verse notamment aux débats les pièces suivantes :

- la convention collective applicable prévoyant, pour les cadres indice III, la mise en place par l'employeur d'un dispositif de suivi du temps de travail fiable et infalsifiable

- un décompte des heures de travail et des heures supplémentaires effectuées sur la période non prescrite au-delà des 5 heures hebdomadaires forfaitisées, sans toutefois faire apparaître de pause méridienne ;

- ses écritures aux termes desquelles, pour tenir compte de l'observation de l'employeur sur la forfaitisation des 5 premières heures supplémentaires, elle a retranché de son décompte 60 heures mensuelles pour 2015, 60 heures mensuelles pour 2016 et 45 heures mensuelles pour 2017 ;

- l'attestation de Mme [V], salariée d'une des sociétés et qui intervenait sur les différents sites pour le travail des vignes ainsi qu'au sein des chais, témoignant des heures supplémentaires accomplies par Mme [S] en précisant qu'elle travaillait indifféremment sur les sites du château [9], du château [5], du château du [6] et du château [7] et que ses tâches qu'elle décrit avaient augmenté en concluant': « pour illustrer le fait que Mme [S] travaillait en plus des horaires habituels afin de réaliser son travail, je témoigne l'avoir rencontrée le 1er mai 2016 au chai du château [9], elle effectuait l'ouillage des barriques et a même refusé mon invitation à me rejoindre car elle avait trop de travail à finir. Il était 16 heures. » ;

- l'attestation de M. [J], ouvrier viticole, confirmant la présence avant et après les horaires de travail pendant et en dehors des périodes de vendange de Mme [S] pour trois des châteaux';

Les pièces et le décompte produits par la salariée au soutien de ses demandes sont suffisamment précis pour permettre à l'employeur d'y répondre, sans qu'il soit besoin de désigner un expert.

* * *

L'employeur, auquel incombe le contrôle des heures de travail effectuées, ne produit aucun document de suivi du temps de travail de Mme [S] ni aucun élément justifiant des horaires effectivement réalisés par cette dernière'; le fait qu'elle n'ait jamais formé une quelconque réclamation à ce sujet pendant la relation contractuelle est inopérant.

Toutefois, en considération des explications et des pièces produites, au regard des observations de la société quant au décompte de la salariée ne prenant pas en compte la forfaitisation des 5 premières heures supplémentaires hebdomadaires - et non mensuelles- telle que prévue à la convention collective applicable en son article 93, la cour a la conviction que Mme [S] a accompli des heures supplémentaires non rémunérées mais pas à la hauteur de celles qu'elle revendique et sa créance à ce titre sera fixée à la somme de 7.848,60 euros bruts outre celle de 784,86 euros bruts que la société sera condamnée à lui payer.

Sur la demande au titre du repos compensateur

Mme [S] sollicite la somme de 7.444,75 euros bruts au titre du repos compensateur outre une somme au titre des congés payés y afférents en reprochant à la société d'avoir réalisé un nombre d'heures particulièrement significatif ayant engendré des amplitudes horaires importantes.

La société intimée se limite à solliciter le rejet des demandes de Mme [S].

* * *

Aux termes de l'article L. 3121-30 du code du travail, des heures supplémentaires peuvent être accomplies dans la limite d'un contingent annuel. Les heures effectuées au-delà de ce contingent annuel ouvrent droit à une contrepartie obligatoire sous forme de repos.

En vertu de l'article D. 3121-23 du code du travail, le salarié dont le contrat de travail prend fin avant qu'il ait pu bénéficier de la contrepartie obligatoire en repos à laquelle il a droit ou avant qu'il ait acquis des droits suffisants pour pouvoir prendre ce repos reçoit une indemnité en espèces dont le montant correspond à ses droits acquis.

Les heures supplémentaires accomplies au-delà du contingent annuel ouvrent droit à une contrepartie obligatoire en repos équivalente à 50% lorsque l'entreprise emploie moins de 20 salariés.

En l'espèce, il résulte de la convention applicable en son article 93 relatif à la durée du travail et à la rémunération que, pour les cadres du groupe III, les heures supplémentaires sont forfaitisées dans la limite de 5 heures par semaine ou de 228 heures par an en cas d'annualisation du temps de travail.

Le seuil de 228 heures supplémentaires n'ayant pas été dépassé sur les années concernées, étant rappelé que ce contingent se calcule sur l'année civile sans possibilité de proratisation au temps effectif dans la société, les demandes formulées par Mme [S] à ce titre seront rejetées.

La décision de première instance sera donc confirmée de ce chef.

Sur la demande au titre de la prime d'ancienneté

En application de l'article 41 de la convention collective, Mme [S] sollicite le paiement d'une prime d'ancienneté qui ne lui aurait jamais été versée d'un montant de 719,67 euros bruts calculée à partir d'un salaire de référence de 3.598,35 euros, augmenté des congés payés et correspondant à 6 journées de travail.

L'employeur rétorque que les primes sollicitées ont été versées les mois de janvier de 2016, 2017 et 2018, ce dont il est justifié à hauteur de la somme totale de 904,54 euros de sorte que la salariée qui a perçu plus que ce qu'elle réclame à ce titre, sera déboutée de ce chef de demande.

La décision entreprise sera confirmée sur ce point.

Sur la rupture du contrat de travail

Mme [S] invoque à titre principal la nullité de son licenciement en raison du harcèlement moral dont elle se dit victime de la part de son employeur et, à titre subsidiaire, la requalification de son licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse, soutenant qu'il serait intervenu en raison de ses plaintes quant à ses conditions de travail.

* * *

Il résulte de la lettre du 11 septembre 2018 que la rupture de son contrat de travail a été notifiée à Mme [S] en raison des motifs ainsi énoncés :

« [...]

Erreurs et manquements répétés lors des mises en bouteille des millésimes 2016 effectuées au mois de juin 2018, notamment erreur sur les volumes expédiés, erreurs d'habillage.

Ces erreurs répétées, qui portent préjudice à notre société, sont inadmissibles compte tenu de vos fonctions et votre ancienneté. Vous ne nous avez fourni aucune explication lors de l'entretien préalable.

[...] ».

Sur le harcèlement moral

Au soutien de l'infirmation de la décision entreprise, Mme [S] affirme que son licenciement n'est que l'aboutissement d'un long processus de dégradation de la relation de travail du fait d'un harcèlement moral dénoncé à l'employeur sans que ce dernier ne prenne soin d'y mettre un terme.

En défense la société rétorque que la salariée ne s'est jamais plainte de tels faits avant de recevoir la convocation à l'entretien préalable à un éventuel licenciement. Elle relève que Mme [S] n'a saisi ni l'inspection du travail ni les services de la médecine du travail pas plus que la caisse d'assurance maladie d'une demande en reconnaissance de maladie professionnelle consécutive à ses arrêts de travail pour maladie ordinaire.

Elle considère enfin que les différents éléments médicaux versés par Mme [S] ne font aucun lien entre le burn-out constaté et ses conditions de travail.

* * *

Selon les dispositions de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L. 1154-1 prévoit, qu'en cas de litige, si le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement, au vu de ces éléments, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Au soutien de ses prétentions, Mme [S] invoque les éléments suivants :

- l'avertissement injustifié du 17 juillet 2017,

- les heures supplémentaires non rétribuées et l'absence d'un dispositif de suivi du temps de travail fiable et infalsifiable,

- les remarques désobligeantes, l'agressivité et les pressions de M.[Y] à son égard,

- la dégradation de son état de santé en lien avec ses conditions de travail.

Elle verse notamment aux débats les éléments suivants :

- ses échanges de courriers avec la société consécutifs à l'avertissement critiqué du 17 juillet 2017 et plus particulièrement son courrier du 17 aout 2017 par lequel elle exprime son incompréhension au regard de l'entretien du 10 juillet précédant et évoque de manière précise et circonstanciée, sa charge de travail en constante augmentation, le rôle de M. [Y] qui': « au lieu de chercher une solution constructive aux problèmes n'a cessé de me dire que je pouvais partir que je retrouverais facilement du travail avec mon diplôme, ce qui n'était pas son cas. Il m'a maintes fois répété que je lui avais été imposée, ses ordres et contre-ordres, ses paroles infantilisantes et souvent misogynes, ['] ses réponses étaient vous êtes mal organisées, ce n'était pas à vous de faire ça, me mettant quoique je fasse en cause et sans essayer le moins du monde de trouver une solution. Ces paroles étaient dévalorisantes et culpabilisantes pour moi. La plupart du temps je me suis retrouvée seule dans les chais, sans réponse de M. [Y] à mes appels ou sans qu'il puisse m'apporter l'aide attendue. Décider en sachant que de toute façon il m'en serait fait reproche est devenu cornélien. Après avoir énuméré de manière non exhaustive ces faits, il est clair qu'à de multiples reprises, j'ai dépassé le cadre de mon travail. J'ai effectué de nombreuses heures supplémentaires et ce, sans compensation ['] j'ai essayé de dépasser au mieux les remarques, menaces et vexations quotidiennes de M. [Y] et faire face à la fatigue croissante pour garder la qualité de mon travail [']'»'; en réponse, l'employeur lui fait part dans son courrier du 28 août 2017 de sa surprise quant à la remise en cause pour la première fois de ses conditions de travail et s'inscrivant en faux contre': « vos allégations totalement injustifiées et infondées », sans autre explication ;

- son courrier du 4 septembre 2017 reprenant de façon précise la dégradation de ses conditions de travail, l'utilisation de son téléphone et de son véhicule personnels au bénéfice de la société, les demandes qu'elle avait formulées à ce sujet en partie prises en compte, les heures supplémentaires effectuées et son refus de signer les relevés d'heures présentés systématiquement à hauteur de 35 heures hebdomadaires par M. [Y], qui a refusé d'enregistrer ses heures supplémentaires, et la réponse de son employeur du 22 septembre 2017 évoquant sa surprise de constater qu'elle utilise son téléphone personnel, concluant « ['] nous contestons intégralement les termes de vos courriers des 17 aout et 4 septembre par lesquels vous tentez artificiellement de remettre en cause l'intégralité de vos conditions de travail alors depuis votre embauche en 2007, vous n'avez jamais élevé une quelconque réclamation ni sur votre temps de travail ni sur le montant de votre rémunération ni sur les conditions d'exercice de vos fonctions ['] » sans autre précision ;

- l'attestation de M. [J], ouvrier agricole ainsi libellée': « [ '] j'ai été témoin de pressions exercées par M. [Y] à l'égard de Mme [S], donnant des ordres par personnes interposées alors que Mme [S] était à côté de lui. N'a jamais mis à disposition une fiche de présence, de ce fait, refus systématique de reconnaître la présence de travail en dehors des heures légales. La façon de s'adresser à elle non respectueuse et sur un ton agressif à plusieurs reprises, des agressions verbales avant même de dire bonjour. M. [Y] m'a demandé d'enlever la boîte aux lettres de Mme [S] alors qu'elle était en arrêt maladie ce que j'ai refusé de faire ['] » ;

- l'attestation de Mme [V], ayant travaillé sur les différents sites, qui après avoir précisé que tout comme elle, Mme [S] intervenait sur les quatre propriétés, décrit l'ensemble des tâches qui lui incombaient, relève l'absence d'outils de «'pointage'» mis à la disposition de Mme [S] contrairement aux autres salariés qui disposaient d'une fiche de pointage et affirme que la salariée « travaillait en plus des horaires habituels afin de réaliser son travail »,

- son décompte des heures supplémentaires réalisées ;

- des éléments médicaux dont ses arrêts de travail continus du 10 juillet 2017 au 31 décembre 2017 puis du 23 janvier 2018 au 3 juin 2018 et enfin, du 3 septembre au 4 octobre 2018 pour burn-out, le certificat du docteur [U], psychiatre, établi le 26 aout 2018 évoquant un burn-out professionnel.

Ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent ainsi de supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail.

*

De son côté, l'employeur fait valoir que pour établir son certificat, le docteur [U] n'a fait que reprendre les dires de la salariée, ce qui est insuffisant à faire un lien entre le burn-out constaté et les conditions de travail.

Il considère avoir, aux termes de ses différents courriers, apporté toutes les réponses et précisions nécessaires à la salariée concernant ses conditions de travail.

Il critique les attestations produites en relevant que M. [J] et Mme [V] ne sont pas salariés de la société [7] mais du château [9], que le témoignage de M. [J] est imprécis et non circonstancié, tandis que les faits relatés par Mme [V] ne correspondent pas à la réalité, Mme [S] n'ayant pas assuré la promotion des vins, ni effectué des préparations de commandes de plus en plus souvent, ni même effectué de nombreux échantillons. Enfin la société conteste appartenir à un groupe.

* * *

Les échanges de courriers produits par l'employeur, identiques à ceux versés par la salariée, démontrent qu'interpellé par Mme [S], avant l'engagement de la procédure de licenciement, sur ses conditions de travail, sa charge de travail, les heures supplémentaires accomplies non rétribuées et le comportement de M. [Y] à son égard, l'employeur s'est contenté de nier l'ensemble des faits portés à sa connaissance sans entreprendre de quelconques diligences afin d'éventuellement d'identifier les difficultés et dans un second temps, d'y remédier le cas échéant, notamment en mettant en place, à la reprise de la salariée, des outils de contrôle de son temps de travail.

De la même façon, il n'est pas rapporté que M. [Y] a été entendu sur les griefs formulés par Mme [S].

Si ainsi que le souligne l'employeur, le témoignage de M. [J] est imprécis, il n'en demeure pas moins qu'il corrobore les termes des courriers de Mme [S] dénonçant le comportement de M.[Y] à son égard et auxquels l'employeur n'a pas donné suite.

Celui-ci ne produit aucun élément venant contredire les affirmations de Mme [V] quant aux tâches effectuées par Mme [S] qu'il déclare comme relevant d'autres intervenants (mise en bouteilles habillées effectuées par un professionnel extérieur et commandes préparées par un metteur en bouteille).

En outre, il résulte des extraits Kbis produits que la société ne fait pas partie d'un groupe. Cependant il se déduit tant du contrat de travail de Mme [S] que des attestations produites ainsi que du registre du personnel versé par l'employeur que Mme [S], employée par la société [7], intervenait comme d'autres salariés sur 4 sites et, en ce qui la concerne, sans qu'aucun contrat de mise à disposition ne soit produit, son supérieur hiérarchique, M. [Y], qui ne figure pas sur le registre du personnel de l'employeur, relevant quant à lui, d'une autre société.

Par ailleurs, l'avertissement du 17 juillet 2017 a été annulé et la société a été condamnée à verser à Mme [S] des sommes au titre des heures supplémentaires.

Ce faisant, l'employeur échoue à démontrer que les faits évoqués par la salariée, pris dans leur ensemble, sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral.

Par voie de conséquence, le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a débouté Mme [S] de ce chef de demande.

Sur le licenciement

Mme [S] soutient que son licenciement est nul dans la mesure où le harcèlement moral est constitué.

L'employeur s'oppose à la demande au motif que la salariée a été licenciée en raison de ses erreurs et manquements répétés.

* * *

L'article L. 1152-3 du code du travail dispose que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2 est nul.

L'existence d'un harcèlement moral ne permet pas toujours d'annuler un licenciement. En effet, l'annulation du licenciement ne peut intervenir que si un lien de causalité suffisant entre les faits de harcèlement moral et les griefs reprochés au salarié est caractérisé.

En l'espèce, il est reproché à Mme [S] des erreurs et des manquements répétés lors des mises en bouteille des millésimes 2016 effectuées au mois de juin 2018, ce qu'elle a contesté.

Mais il est établi que les faits de harcèlement moral retenus à l'encontre de l'employeur constitués par une surcharge de travail et l'inertie de celui-ci, qui n'a mis en place aucune mesure pour y remédier malgré les alertes de la salariée, ont incontestablement fragilisé et déstabilisé Mme [S] dans l'exercice de ses fonctions qui n'a reçu aucun soutien ni aide de sa hiérarchie.

Sans le manquement de l'employeur à ses obligations, les erreurs et les manquements de la salariée à sa reprise en juin 2018, tels qu'invoqués et ses conséquences pour la société, n'étaient pas certains après plus de onze années d'ancienneté.

Il s'en déduit que la mesure de licenciement est fondée sur des faits objectivement rattachables aux manquements de l'employeur.

Le licenciement peut ainsi être considéré, au sens de l'article L.1152-4 du code du travail, comme un acte contraire aux dispositions visant à protéger la salariée contre le harcèlement moral. Il sera donc annulé en application de l'article L1152-3 du même code et la décision entreprise infirmée sur ce point.

Sur l'indemnité conventionnelle de rupture

Au visa de l'article 100 de la convention collective applicable, Mme [S] sollicite l'allocation d'une somme de 21.590,10 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de rupture considérant que le salaire de référence doit s'établir à la somme de 3.598,35 euros pour tenir compte des heures supplémentaires accomplies, dont il conviendrait de déduire la somme de 21.514 euros déjà versées par l'employeur.

L'employeur s'y oppose en affirmant avoir réglé la somme de 21.514 euros à ce titre à Mme [S] et en justifie.

* * *

Au vu des bulletins de salaire versés et des heures supplémentaires retenues, la moyenne des 12 derniers mois de salaire de Mme [S] sera fixée à la somme de 2.792,69 euros.

Compte tenu du salaire de référence retenu, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de Mme [S] à ce titre dans la mesure où elle a été remplie de ses droits.

La décision déférée sera donc confirmée sur ce point.

Sur les dommages et intérêts pour licenciement nul

Mme [S], qui ne demande pas sa réintégration, sollicite la condamnation de l'employeur à lui verser la somme de 59.401,44 euros nets représentant 16 mois de salaire à titre principal et à titre subsidiaire, l'allocation d'un même montant au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En réplique l'employeur soutient que les demandes présentées sont injustifiées tant en leur principe qu'en leur quantum au regard de l'ancienneté de 9 années de la salariée et de l'absence de justification de la situation de Mme [S].

* * *

En cas de licenciement nul et lorsque la réintégration n'est pas sollicitée, le salarié a droit, en plus des indemnités de rupture, à une indemnité réparant intégralement le préjudice résultant du caractère illicite du licenciement dont le montant est souverainement apprécié par les juges du fond et doit être au moins égal à celui prévu à l'article L. 1235-3-1 du code du travail, à savoir six mois.

Mme [S] justifie avoir perçu des allocations de Pôle emploi à compter du 22 janvier 2019 jusqu'au 30 octobre 2019 mais ne justifie pas de sa situation actuelle.

En l'état des pièces produites et compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à Mme [S], de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, la cour est en mesure de lui allouer la somme de 23.000 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul en application de l'article L. 1235-3-1 du code du travail.

En vertu des dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail, il sera ordonné le remboursement par l'employeur à France Travail (anciennement Pôle Emploi) des indemnités de chômage éventuellement versées à la salariée depuis son licenciement dans la limite de 3 mois d'indemnités.

Sur la demande au titre de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé

Mme [S] sollicite l'allocation d'une somme de 21.590,10 euros ainsi que celle de 7.444,75 euros (sic) au titre de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé.

La société conclut au rejet de la demande à ce titre, contestant le caractère intentionnel de la dissimulation d'emploi.

* * *

Mme [S] n'obtient gain de cause que partiellement quant aux différents rappels de salaire qu'elle sollicite et seulement aux termes d'un long débat judiciaire alors qu'elle n'avait pas formé de réclamation quant aux heures supplémentaires pendant la relation contractuelle.

L'élément intentionnel requis par l'article L. 8221-5 du code du travail étant insuffisamment établi, Mme [S] sera déboutée de sa demande en paiement de l'indemnité forfaitaire prévue par l'article L. 8223-1.

Sur la demande de dommages et intérêts en raison de l'utilisation de ses moyens personnels au bénéfice de l'entreprise

Soutenant avoir fait usage de son téléphone personnel ainsi que de son véhicule dans le cadre de son activité salariée, Mme [S] sollicite l'allocation d'une somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts ce que conteste l'employeur en affirmant avoir fourni le matériel, un ordinateur ainsi qu'un téléphone nécessaires à la réalisation des tâches de la salariée. Il ajoute que Mme [S] a été défrayée de ses déplacements et n'a jamais rien réclamé à ce titre.

* * *

Au soutien de ses demandes, la salariée produit les échanges de courriers avec son employeur faisant état de ces difficultés ainsi que l'attestation de M. [J] qui confirme avoir été témoin de l'utilisation par Mme [S] de sa voiture personnelle pour déplacer du matériel entre les différents châteaux tout au long de l'année.

En revanche, l'employeur qui soutient avoir fourni à Mme [S] les éléments utiles à l'exercice de ses fonctions, ne produit aucune facture du téléphone portable qu'il déclare lui avoir attribué, ni photographie d'un bureau qu'elle aurait pu occuper, ni ne justifie qu'elle a été intégralement défrayée des déplacements effectués avec son véhicule personnel, de sorte qu'il sera condamné à lui verser la somme de 1.000 euros à titre de dommages et intérêts.

Sur les autres demandes

Sur la remise de documents

La société devra délivrer à Mme [S] un bulletin de salaire récapitulatif des sommes allouées, un certificat de travail, un reçu pour solde de tout compte ainsi qu'une attestation France Travail rectifiés en considération des condamnations prononcées et ce, dans le délai de deux mois à compter de la signification de la présente décision, la mesure d'astreinte sollicitée n'étant pas en l'état justifiée.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

La société, partie perdante à l'instance, sera condamnée aux dépens, avec application au bénéfice de Maître Pierre Fonrouge, avocat constitué, des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ainsi qu'à payer à Mme [S] la somme de 4.000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Déboute Mme [S] de ses demandes avant dire droit,

Confirme la décision entreprise en ce qu'elle a'débouté Mme [S] de ses demandes au titre de la prime d'ancienneté, du repos compensateur, de l'indemnité conventionnelle de rupture et de l'indemnité forfaitaire de travail dissimulé,

L'infirme pour le surplus,

Statuant des chefs infirmés et y ajoutant,

Annule l'avertissement du 17 juillet 2017,

Dit nul le licenciement de Mme [S],

Condamne la société d'exploitation viticole du château [7] à verser à Mme [S] les sommes suivantes':

- 7.848,60 euros bruts au titre des heures supplémentaires,

- 784,86 euros bruts au titre des congés payés afférents,

- 23.000 euros au titre du licenciement nul en raison du harcèlement moral dont Mme [S] a été victime,

- 1.000 euros au titre de l'utilisation de ses moyens personnels au bénéfice de la société,

- 4.000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel,

Ordonne à la société d'exploitation viticole du château [7] le remboursement à France Travail des indemnités de chômage éventuellement versées à Mme [S] depuis son licenciement dans la limite de 3 mois d'indemnités,

Dit que la société d'exploitation viticole du château [7] devra délivrer à Mme [S] un bulletin de salaire récapitulatif des sommes allouées, un certificat de travail, un reçu pour solde de tout compte ainsi qu'une attestation France Travail rectifiés en considération des condamnations prononcées et ce, dans le délai de deux mois à compter de la signification de la présente décision, la mesure d'astreinte sollicitée n'étant pas en l'état justifiée,

Condamne la société d'exploitation viticole du château [7] aux dépens de première instance et d'appel avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de Maître Pierre Fonrouge, avocat constitué.

Signé par Sylvie Hylaire, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Sylvie Hylaire


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 21/03717
Date de la décision : 19/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-19;21.03717 ?
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