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12/06/2024 | FRANCE | N°21/02744

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 12 juin 2024, 21/02744


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



--------------------------







ARRÊT DU : 12 JUIN 2024







PRUD'HOMMES



N° RG 21/02744 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MDLS















Monsieur [R] [T]



c/



S.A. DOMOFRANCE

















Nature de la décision : AU FOND



















Grosse délivrée

le :



à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 23 avril 2021 (R.G. n°F 19/01201) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section Encadrement, suivant déclaration d'appel du 10 mai 2021,





APPELANT :

Monsieur [R] [T]

né le 08 Novembre 1956 à [Localité 4] de nationalité Française
...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 12 JUIN 2024

PRUD'HOMMES

N° RG 21/02744 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MDLS

Monsieur [R] [T]

c/

S.A. DOMOFRANCE

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 23 avril 2021 (R.G. n°F 19/01201) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section Encadrement, suivant déclaration d'appel du 10 mai 2021,

APPELANT :

Monsieur [R] [T]

né le 08 Novembre 1956 à [Localité 4] de nationalité Française

Profession : Directeur financier, demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Pierre FONROUGE de la SELARL LEXAVOUE BORDEAUX, avocat au barreau de BORDEAUX, assisté de Me Guy ALFOSEA de la SELARL LA GARANDERIE AVOCATS, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE :

SA Domofrance, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 1]

N° SIRET : 458 204 963

représentée par Me Adeline HEREDIA, avocat au barreau de BORDEAUX substituant Me Christophe BIAIS de la SELARL BIAIS ET ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX,

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 18 mars 2024 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente chargée d'instruire l'affaire, et Madame Sylvie Tronche, conseillère

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère

Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

- délibéré prorogé au 12 juin 2024 en raison de la charge de travail de la cour.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur [R] [T], né en 1956, a été engagé en qualité de directeur financier par la SA Domofrance, par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 4 juin 2007.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des personnels des sociétés anonymes et fondations HLM.

En dernier lieu, la rémunération mensuelle brute moyenne de M. [T] s'élevait à la somme de 11 515, 08 euros.

Par lettre datée du 3 août 2018, M. [T] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 27 août 2018 avec mise à pied à titre conservatoire.

Par un courrier électronique du 25 août 2018, M. [T] a informé la société de son impossibilité de se rendre à cet entretien.

M. [T] a ensuite été licencié pour faute grave par lettre datée du 4 septembre 2018.

A la date du licenciement, M. [T] avait une ancienneté de onze ans et trois mois et la société occupait à titre habituel plus de dix salariés.

Par courrier du 12 septembre 2018, M. [T] a contesté le bien-fondé de son licenciement et réclamé le paiement d'une indemnité de licenciement ainsi que d'une indemnité compensatrice de préavis.

Le 3 décembre 2018, M. [T] a saisi la formation des référés du conseil de prud'hommes de Bordeaux pour obtenir paiement des indemnités de fin de contrat et de préavis.

Par ordonnance du 6 mai 2019, le juge départiteur a estimé que ces demandes étaient irrecevables.

Le 6 août 2019, M. [T] a saisi le conseil de prud'hommes de Bordeaux, réclamant diverses indemnités, une somme au titre de la retraite supplémentaire et des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Par jugement rendu le 23 avril 2021, le conseil de prud'hommes a :

- constaté le bien-fondé du licenciement pour faute grave dont a fait l'objet M. [T],

- condamné la société Domofrance à verser à M. [T] la somme de 69.090,49 euros au titre de l'indemnité spéciale de licenciement prévue au contrat de travail de M. [T],

- condamné la société Domofrance à verser à M. [T] la somme de 69.090,49 euros au titre de l'indemnité spéciale de préavis prévue au contrat de travail de M. [T], ainsi que la somme de 6.909,04 euros au titre des congés payés sur préavis,

- rappelé que l'exécution provisoire est de droit, conformément aux dispositions de l'article R.1454-28 du code du travail, dans la limite maximum de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois,

- condamné la société Domofrance à verser à M. [T] la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties de l'ensemble des autres demandes,

- condamné la société Domofrance aux entiers dépens.

Par déclaration du 10 mai 2021, M. [T] a relevé appel de cette décision, notifiée par lettre adressée aux parties par le greffe le 26 avril 2021.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 17 janvier 2022, M. [T] demande à la cour de :

- fixer son salaire mensuel de référence à 11.515,08 euros,

- infirmer le jugement en ce qu'il a constaté le bienfondé du licenciement pour faute grave dont il a fait l'objet,

En conséquence,

- reconnaitre son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- condamner la société Domofrance à lui verser :

* au titre des engagements contractuels souscrits par la société Domofrance,

.69.090,49 euros au titre de l'indemnité contractuelle,

.69.090,49 euros au titre de l'indemnisation de sa période de préavis outre 6.909,04 euros pour les congés payés afférents,

* au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse,

.115.150,80 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté sa demande au titre de la retraite supplémentaire,

En conséquence,

- condamner la société Domofrance à lui verser :

* 132.239,18 euros nets au titre de la retraite supplémentaire,

En tout état de cause,

- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Domofrance à lui verser la somme de 69.090,49 euros au titre de l'indemnité spéciale de licenciement prévue à son contrat de travail,

- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Domofrance à lui verser à la somme de 69.090,49 euros au titre de l'indemnité spéciale de préavis prévue à son contrat de travail ainsi que la somme de 6.909,04 euros au titre des congés payés sur préavis,

- condamner la société Domofrance à lui verser 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Domofrance au paiement des sommes sollicitées avec intérêts au taux légal et anatocisme conformément à l'article 1343-2 du code civil.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 18 octobre 2021, la société Domofrance demande à la cour de :

- constater le bien-fondé du licenciement de M. [T] pour cause réelle et sérieuse,

- constater le bien-fondé du licenciement de M. [T] pour faute grave,

En conséquence,

- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes du 23 avril 2021 en ce qu'il a jugé que le licenciement de M. [T] reposait sur une faute grave,

A titre principal,

- constater la nullité de la clause relative à l'indemnité contractuelle de M. [T],

A titre subsidiaire,

- dire que l'indemnité contractuelle s'analyse comme une clause pénale et réduire son montant,

En conséquence,

- réformer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes le 23 avril 2021 en ce qu'il l'a condamnée à verser à M. [T] les sommes de 69.090.49 euros au titre de l'indemnité spéciale de licenciement, 69.090.49 euros au titre de l'indemnité spéciale de préavis et 6.909.04 euros au titre des congés payés sur préavis,

- constater la prescription de la demande de M. [T] relative à la demande de dommages et intérêts au titre de la perte relative à la retraite supplémentaire,

En conséquence,

- confirmer le jugement rendu le 23 avril 2021 en ce qu'il a constaté la demande formulée par M. [T] au titre de la retraite supplémentaire comme prescrite,

- débouter purement et simplement M. [T] de toutes ses demandes,

Reconventionnellement,

- condamner M. [T] à lui verser la somme de 3.000 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [T] au paiement des entiers dépens de la présente procédure et éventuels frais d'exécution.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 février 2024 et l'affaire a été fixée à l'audience du 18 mars 2024.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'à la décision déférée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

le licenciement

M. [T] a été licencié pour avoir présenté au conseil d'administration un plan à moyen terme (PMT), que Mme [W] lui avait demandé de valider, contenant une erreur de 140 millions d'euros liée à la surévaluation des loyers, sans aucune vérification de quiconque ni contrôle de sa part. Cette erreur a été relevée par la Caisse des dépôts et consignations après la validation du plan par le comité d'audit et des comptes et le conseil d'administration.

Selon l'employeur, M. [T], qui occupait le poste depuis 2007, aurait dû mettre en oeuvre une procédure de contrôle pour éviter ce type d'incident. La société a dû revisiter le plan afin d'amoindrir l'impact de cette erreur qui aurait conduit à demander une hausse de capital supplémentaire à l'actionnaire de 140 millions d'euros. La demande de hausse de capital a été de 50 millions d'euros.

Le comité d'audit et des comptes aurait souligné la perte de confiance remettant en cause la capacité du salarié à assurer sa mission et le comité des nominations et rémunérations aurait unanimement été favorable à la rupture du contrat de travail de M. [T].

M. [T] n'aurait pas pris la mesure du poste à hautes responsabilités qu'il occupait et des obligations qui en découlaient.

Ce manquement aurait causé un préjudice d'image et de sérieux de la société tant en interne qu'en externe à un moment crucial du repositionnement de la société et de la restauration de son crédit.

M. [T] ne se serait pas remis en cause et aurait manqué de réactivité à la suite de la découverte de l'erreur, cette situation interpelant quant à sa capacité à assumer sa fonction.

M. [T] fait valoir pour l'essentiel qu'il a perçu plusieurs primes annuelles - y compris en avril 2018- sans jamais de remarque négative de la direction, que la société qui a connu l'erreur relative au PMT (plan moyen terme) le 26 juin 2018 a attendu cinq semaines avant d'engager la procédure de licenciement; que l'arrivée de M. [Z] - directeur général - a modifié la hiérarchie de telle sorte que ce dernier fixait les orientations budgétaires et procédait directement aux arbitrages ; que Mme [W], directrice du département en charge de l'élaboration du plan et responsable de cette erreur, a été sanctionnée d'une seule mise à pied d'une journée.

M. [T] ajoute que la société ne produit aucune pièce utile et que M. [Z] a alourdi le compte- rendu de la réunion du comité d'audit et des comptes pour dégager sa propre responsabilité.

La société répond que M. [T], associé au processus d' élaboration du PMT et chargé de le présenter au conseil d'administration, ne l'a pas contrôlé après sa transmission par Mme [W] qui a été sanctionnée par une mise à pied disciplinaire.

L'employeur ayant choisi de se placer sur le terrain d'un licenciement pour faute grave doit rapporter la preuve des faits allégués et démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié au sein de l'entreprise.

Le doute, s'il subsiste profite au salarié.

Il est constant que le Plan à Moyen Terme présenté au comité d'audit et des comptes puis au conseil d' admnistration qui l'ont adopté les 17 et 24 mai 2018, comportait une surévaluation des loyers des opérations nouvelles de l'ordre de 140 000 M€ ; que cette erreur a été révélée au cours d'une réunion avec la Caisse des dépôts et consignations le 26 juin 2018 ; que M. [T] en a informé le directeur général, M. [Z], par mail du même jour.

Il n'est pas contesté que cette erreur de saisie a été commise lors de l'établissement du PMT réalisé par Mme [W], directrice du département finance et contrôle de gestion, qui sera sanctionnée d'une mise à pied d'une journée le 26 septembre 2018.

La défaillance de M. [T] dans le contrôle du PMT doit être examinée au regard des circonstances de son élaboration.

La société produit des emails dont le lien - contesté par le salarié -avec le PMT n'est pas avéré. La production d'éléments d'agenda n'établit pas non plus que M. [T] a été convoqué à des réunions dédiées organisées entre le 16 avril et le 25 avril 2018. M. [T] n'a pas été mis en copie du mail de M. [Z] à Mme [W] du 16 avril 2018.

M. [T] n'a donc pas participé à l'élaboration de ce plan en 2018.

La cour constate que, lors de la réunion avec le conseil d'administration du 24 mai 2018, tant M. [Z]- directeur général et signataire de la lettre de licenciement- que M. [T] ont apporté des éléments de compréhension, de sorte que l'imputabilité de la présentation du PMT erroné ne peut être exclusivement retenue à l'encontre de M. [T].

L'attestation cotée 44 de la société a été rédigée par M. [Z], signataire de la lettre de licenciement et ne peut utilement établir la seule responsabilité de M. [T].

Le compte-rendu de la réunion du comité d'audit et des comptes du 3 juillet 2018 a aussi été rédigé par M. [Z], lequel a entendu préciser que 'la première version du PMT avait pris en compte des hypothèses avec un certain nombre de marges de manoeuvre, tout en demeurant réalistes et ambitieuses'. La gravité de l'erreur ne peut donc être légitimement retenue. Ce compte- rendu n'indique par ailleurs pas que M. [T] aurait été entendu par ce comité.

La société ne verse pas d'élément au soutien de l'atteinte à l'image de l' entreprise. L'échange d'emails entre le service de contrôle financier des filiales et la société employeur ne comporte aucun reproche. La société n'a pas demandé une hausse de capital à l'actionnaire de 140 Millions d'euros. L'erreur n'a donc pas eu les conséquences dénoncées par la société.

La société n'apporte pas non plus de précision sur 'le repositionnement et la restauration de son crédit' que le salarié aurait méconnus.

Aucun élément n'établit que M. [T] aurait manqué de réactivité suite à la révélation de l'erreur lors de la réunion tenue le 26 juin 2018 avec la caisse des dépôts et consignations.

M. [T] a été convoqué à l' entretien préalable et mis à pied cinq semaines après que l'employeur a été informé de l'erreur entachant le plan. Il ne peut donc être retenu qu'elle était d'une gravité telle qu'elle ne permettait pas son maitien dans l'entreprise.

Il sera ajouté que M. [T], dont l' ancienneté dans l' entreprise était supérieure à dix années, avait régulièrement perçu des primes, n'avait jamais reçu de rappel à l'ordre et qu'aux termes de sa dernière évaluation réalisée au mois de février 2018, M. [Z] qualifiait l'intéressé de ' directeur impliqué, gros travailleur, grand professionnel, défend les intérêts et les valeurs de l' entreprise'.

Il ne peut lui être valablement reproché de n'avoir pas pris la mesure de ses responsabilités.

La sanction est disproportionnée.

Le licenciement de M. [T] est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

M. [T] n'apporte aucune précision quant à sa situation professionnelle ou ses recherches d'emploi après le licenciement.

Compte tenu du montant de sa rémunération, de son ancienneté et de son âge à la date du licenciement, M. [T] sera indemnisé à hauteur de la somme de 40 000 euros.

les indemnités de licenciement et de préavis

M. [T] demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société au paiement des indemnités de licenciement et de préavis à hauteur - chacune- de 69 090,49 euros.

a- l' indemnité de licenciement

M. [T] demande l' application des disposions de l' article 3 dernier alinea de son contrat de travail, lesquelles n'excluent le bénéfice de ce paiement qu'en cas de faute lourde. Il ajoute que la juridiction prud'homale, saisie en référé a retenu l'absence de contestation sérieuse et qu'au regard de son ancienneté, le montant prévu ne serait pas manifestement excessif.

La société oppose que cette clause est nulle pour défaut de cause parce qu'elle s'est engagée dans le seul but d'éviter une procédure prud'homale et non dans celui de verser une somme complémentaire au titre de la rupture du contrat de travail. Elle n'avait, selon elle, aucune raison de la prévoir dans la mesure où M. [T] était demandeur d'emploi au moment de son embauche suite à son licenciement pour insuffisance de résultats. À titre subsidiaire, elle fait valoir que le montant de cette clause pénale serait manifestement excessif au regard de la faute grave fondant le licenciement et qu'il conviendra de le réduire en application des dispostions de l' article 1152 du code civil.

L' article 3 du contrat de travail prévoit in fine qu' 'en cas de licenciement; M. [T] bénéficiera à titre exceptionnel d'une indemnité équivalente à 6 mois de rémunérationn sauf en cas de faute lourde, non cumulable avec l' indemnité conventionnelle'.

La motivation et la décision du juge prud'homal, saisi en référé, ne lient pas la cour, peu important dès lors que ce dernier ait évoqué une clause pénale dont le juge du fond devrait examiner le caractère manifestement excessif.

L'attestation de M. [N] selon lequel ' après examen des contrats de travail des cinq membres du comité de direction de Domofrance, il ressort que la clause ' période d'essai et préavis ' du contrat de travail de M. [T] n'apparait pas dans les dits contrats' est indifférente. M. [T] ne conteste pas la qualité de responsable du service administration du personnel de la société de son rédacteur, mais il ne revient pas à ce dernier de tirer des conséquences de l'examen comparé des contrats de travail de cinq salariés, dont la date d'embauche n'est par ailleurs pas connue.

Ensuite, le rédacteur, qui n'écrit pas avoir été témoin de la signature du contrat de travail en question, ne pouvait connaître la nature de l'engagement de la société.

Le moyen de la société que la clause serait nulle pour défaut de cause est inopérant: aucune mention n'établit qu'elle a été portée au contrat dans le seul but d'éviter une procédure prud'homale et aucun élément ne permet de retenir son caractère illicite. Ensuite, le motif de la rupture du contrat de travail conclu entre M. [T] et son précédent employeur n'est pas avéré et, en tout état de cause, la société qui connaissait, selon elle- même, l'origine de cette rupture lors de la conclusion du contrat de travail la liant à M. [T], a souhaité insérer son obligation dont elle ne peut aujourd'hui revendiquer le caractère infondé.

La nature de clause pénale n'est pas justifiée au regard des dispositions du code civil dès lors que cette indemnité ne prévoyait pas des dommages et intérêts dus par le contractant ayant manqué à son obligation.

À supposer même que cette disposition constitue une clause pénale, M. [T] avait une ancienneté de plus de dix années et son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse de sorte que son caractère manifestement excessif n'est pas établi.

En application des dispositions contractuelles et en l'absence de faute lourde, la société sera condamnée au paiement de l' indemnité visée au contrat de travail.

Au vu des bulletins de paye versés et application faite de l' article R.1234-4 du code du travail, le montant de cette indemnité sera fixé à la somme de

11 515,08 euros. Le jugement sera infirmé sur le quantum et la société sera condamnée au paiement de la somme de 69 090,48 euros.

b- l' indemnité compensatrice de préavis

M. [T] renvoie à l' article 3 du contrat de travail en faisant valoir que les dispositions contractuelles peuvent être plus favorables que les règles légales.

La société répond que cette indemnité n'est pas dûe en cas de faute grave et que l' article sus visé ne prévoit pas que cette indemnité est dûe en cas de faute grave.

L' article 3 du contrat de travail énonce que ' M. [T] bénéfiera d'un préavis de six mois en cas de licenciement'. Aucune exception n'est prévue en cas de licenciement pour faute grave.

En tout état de cause, la cour a dit le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et les dispositions légales privant le salarié licencié pour faute grave sont sans objet.

La société sera condamnée à payer à M. [T] la somme de 69 090, 48 euros majorée des congés payés afférents (6 909, 04 euros)

Il n'y a pas lieu de déroger aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil en application desquelles les créances salariales produisent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le conseil de prud'hommes et les créances indemnitaires produisent intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant, la capitalisation des intérêts étant ordonnée conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil.

la demande au titre de la retraite complémentaire

Référence faite à l' article 8 de son contrat de travail, M. [T] fait valoir que le bénéfice de cette retraite chapeau n'est pas subordonné à l'absence de licenciement pour faute grave, que lors de l'entretien annuel 2018, le directeur général avait consigné de ' traiter l'avantage prévu aux articles 83 et 39 à l'occasion de son départ de la société', que la dénonciation par l' employeur du contrat souscrit avec la société AXA est sans effet sur l' obligation contractuelle de ce dernier, que si la société pouvait dénoncer le contrat passé avec l'organisme sus cité, elle devait le compenser auprès des bénéficiaires et qu'il n'a pas signé le document intitulé transaction. Selon M. [T], d'autres salariés auraient bénéfié de cette retraite supplémentaire.

La société oppose qu'elle a résilié les contrats de retraite complémentaire, que M. [T] le savait depuis le début de l'année 2012 et refusait de perdre le bénéfice de cet avantage, qu'une transaction a été négocié sans être signée à la suite de la perception de la prime sur objectifs négociée dans le cadre de ce protocole; qu'en application des dispositions de l' article L.1471-1 du code du travail, cette demande est prescrite comme postérieure au délai de deux ans ayant couru depuis le 14 février 2012.

L' article 8 du contrat de travail de M. [T] est ainsi rédigé :

' Domofrance adhére à la CIPC(Caisse Interprofessionnelle Pour les Cadres)21N rue Lafitte 75009 Paris cedex et à la CIPS (Caisse interprofessionnelle Paritaire des Salariés pour la retraite) [Adresse 3] pour la retraite complémentaire. Le groupe Dexia Prévoyance assure la couverture Prévoyance.

M. [T] sera couvert par ces organismes. Toutes les précisions lui seront communiquées lors de son entrée en fonction. Il bénéficiera par ailleurs et en plus des articles 83 et 39, contrats de retrairte souscrits par l' entreprise'.

Par lettre du 17 février 2012, dont M. [T] ne conteste ni la date ni sa signature, ce dernier indique à l' employeur avoir appris, lors d'une réunion tenue au début du mois de février 2012, la dénonciation par ce dernier des contrats désignés habituellement sous les termes ' articles 39 et 83". Considérant que cet avantage constituait un élément substantiel de son contrat de travail, M. [T] refusait de perdre le bénéfice de cet engagement et demandait à la société d'étudier toute disposition convenant aux deux parties.

Au regard de cet élément, la demande de M. [T] s'inscrit dans le cadre de l'exécution de son contrat de travail et sa recevabilité est soumise à la prescription de deux ans à compter du jour où il a eu connaissance des faits lui permettant d'exercer son droit. M. [T] connaissait la dénonciation par la société du contrat afférent à cette retraite chapeau depuis le 17 février 2012, de sorte, qu'ayant saisi le conseil des prud'hommes le 6 août 2019, sa demande est prescrite, peu important les mentions portées sur son évaluation réalisée en février 2018.

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a débouté M. [T] de cette demande irrecevable.

Vu l'équité, la société sera condamnée à payer à M. [T] la somme totale de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés dans le cadre des procédures de première instance et d'appel.

Partie perdante, la société supportera les entiers dépens.

PAR CES MOTIFS

la cour,

Infirme le jugement,

statuant à nouveau,

Dit le licenciement de M. [T] dépourvu de cause réelle et sérieuse;

Fixe le montant du salaire de référence à la somme de 11 515,08 euros ;

Condamne la société Domofrance à payer à M. [T] les sommes suivantes :

- 40 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;

- 69 090, 48 euros au titre de l' indemnité contractuelle de licenciement,

- 69 090, 48 euros majorée des congés payés afférents (6 909,04 euros) au titre de l' indemnité compensatrice de préavis contractuelle;

Dit prescrite la demande relative à la retraite supplémentaire,

Condamne la société Domofrance à payer à M. [T] la somme totale de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés dans le cadre des procédures de première instance et d'appel;

Condamne la société Domofrance aux entiers dépens des procédures de première instance et d'appel.

Signé par Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Catherine Rouaud-Folliard


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 21/02744
Date de la décision : 12/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-12;21.02744 ?
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