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06/06/2024 | FRANCE | N°21/01645

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, 2ème chambre civile, 06 juin 2024, 21/01645


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



2ème CHAMBRE CIVILE



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ARRÊT DU : 06 JUIN 2024







N° RG 21/01645 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MAIC









[A] [R]



c/



[I] [P]



[B] [K] [E] [X]























Nature de la décision : AU FOND























Grosse délivrée le

:



aux avocats

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 18 décembre 2020 par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de PERIGUEUX (RG : 19/00562) suivant déclaration d'appel du 19 mars 2021





APPELANT :



[A] [R]

né le 06 Janvier 1966 à [Localité 12]

de nationalité Française

Profession : Boulanger pâtissier,

demeuran...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

2ème CHAMBRE CIVILE

--------------------------

ARRÊT DU : 06 JUIN 2024

N° RG 21/01645 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MAIC

[A] [R]

c/

[I] [P]

[B] [K] [E] [X]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 18 décembre 2020 par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de PERIGUEUX (RG : 19/00562) suivant déclaration d'appel du 19 mars 2021

APPELANT :

[A] [R]

né le 06 Janvier 1966 à [Localité 12]

de nationalité Française

Profession : Boulanger pâtissier,

demeurant Chez Madame [N] [O] - [Adresse 11]

Représenté par Me DOTAL substituant Me Alice DELAIRE de la SELARL SELARL PIPAT - DE MENDITTE - DELAIRE - DOTAL, avocat au barreau de PERIGUEUX

INTIMÉE :

[I] [P]

de nationalité Française

Profession : Gérante de Bar,

demeurant [Adresse 9]

Représentée par Me Emma BARRET de la SELARL BARRET-BERTRANDON-JAMOT-MALBEC-TAILHADES, avocat au barreau de PERIGUEUX

INTERVENANT :

[B] [K] [E] [X]

Profession : Boulanger,

demeurant [Adresse 10]

intervenant en qualité de nouveau propriétaire de l'immeuble appartenant précédemment à M. [R]

Représenté par Me Alice DELAIRE de la SELARL SELARL PIPAT - DE MENDITTE - DELAIRE - DOTAL, avocat au barreau de PERIGUEUX

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été examinée le 02 avril 2024 en audience publique, devant la cour composée de :

Monsieur Jacques BOUDY, Président

Monsieur Alain DESALBRES, Conseiller

Madame Christine DEFOY, Conseillère

Greffier lors des débats : Madame Audrey COLLIN

Le rapport oral de l'affaire a été fait à l'audience avant les plaidoiries.

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

* * *

EXPOSÉ DU LITIGE

Madame [I] [P] est gérante d'un commerce bar-tabac implanté dans la commune de [Localité 8]. Elle est propriétaire de son fonds situé sur les parcelles cadastrées AD [Cadastre 1], [Cadastre 6], [Cadastre 7], [Cadastre 2] et [Cadastre 5]. Son établissement se trouve à côté d'une boulangerie-pâtisserie dont Monsieur [A] [R] est le propriétaire depuis le 4 juillet 2013, ce dernier commerce figurant au cadastre section AD n°[Cadastre 3] et [Cadastre 4].

Contestant les travaux effectués par M. [R] et en l'absence d'accord amiable, Mme [P] a assigné celui-ci le 4 avril 2019 devant le tribunal de grande instance de Périgueux afin de lui enjoindre, au visa des articles 544 et 545 du Code civil, d'avoir à procéder à la mise en conformité des lieux par :

- l'enlèvement du tuyau en inox servant de conduit d'évacuation et situé en surplomb de son fonds,

- la suppression de l'ouverture constituée par la baie vitrée située sur le mur mitoyen réalisée sans son autorisation préalable,

sous un délai d'un mois suivant le prononcé du jugement à intervenir sous peine d'une astreinte de 100 euros par jour de retard.

Elle réclamait en outre la condamnation de celui-ci au paiement des sommes de :

- 5.000 euros au titre de son préjudice financier,

- 2 000 euros en réparation de son préjudice moral,

- 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par jugement en date du 18 décembre 2020, le tribunal judiciaire de Périgueux a :

- condamné M. [R] à enlever le tuyau d'évacuation situé en surplomb du fonds de Mme [P],

- assorti cette condamnation d'une astreinte de 40 euros par jour de retard, qui commencera à courir à compter du 61ème jour suivant la date de signification du jugement et pendant un délai de 90 jours.

- dit que passé le délai de 90 jours, il appartiendra à la partie la plus diligente de saisir le juge de l'exécution en cas de difficulté d'exécution et pour solliciter l'éventuelle liquidation de l'astreinte, ainsi que, le cas échéant, le prononcé d'une nouvelle astreinte,

- condamné M. [R] à supprimer l'ouverture constituée par la baie vitrée,

- assorti cette condamnation d'une astreinte de 40 euros par jour de retard, qui commencera à courir à compter du 61ème jour suivant la date de signification du jugement et pendant un délai de 90 jours.

- dit que passé le délai de 90 jours, il appartiendra à la partie la plus diligente de saisir le juge de l'exécution en cas de difficulté d'exécution et pour solliciter l'éventuelle liquidation de l'astreinte, ainsi que, le cas échéant, le prononcé d'une nouvelle astreinte,

- condamné M. [R] à payer à Mme [P] la somme de 500 euros en réparation de son préjudice moral,

- débouté Mme [P] de sa demande en réparation de son préjudice financier,

- débouté M. [R] de l'intégralité de ses demandes,

- dit n'y avoir lieu à indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné M. [R] aux entiers dépens

- dit n'y avoir lieu à prononcer l'exécution provisoire.

Par déclaration électronique du 19 mars 2021, M. [R] a relevé appel de la décision.

M. [R] a vendu son immeuble et son fonds de commerce à M. [B] [X] le 8 février 2022.

Dans leurs dernières conclusions du 14 mars 2024, M. [A] [R] et M. [B] [X], qui intervient volontairement à l'instance, demandent à la cour :

- de juger leur appel recevable et bien fondé,

- d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré,

- de constater que la sortie du tuyau d'évacuation du fournil a été modifiée par Mme [P] à leur insu,

- de leur donner acte de la proposition tendant à installer une nouvelle grille d'évacuation au droit du mur et sans maintien d'empiétement en surplomb du fonds de Mme [P] ;

À défaut :

- d'autoriser le maintien du conduit d'évacuation actuellement en place,

- de juger que son fonds, section AD n° [Cadastre 3] et [Cadastre 4], bénéficie d'une servitude de passage au profit de la parcelle n° [Cadastre 3], se faisant sur la parcelle voisine AD n° [Cadastre 5] pour pouvoir communiquer entre la partie rez-de-chaussée de la parcelle AD n° [Cadastre 3] côté sud-est vers la cour intérieure des immeubles situés sur la parcelle côté sud-ouest,

- de condamner Mme [P] à :

- enlever, sous astreinte de 100 € par jour de retard courant à l'expiration du délai d'un mois suivant la signification de l'arrêt, l'ensemble des claustras en bois qu'elle a posés,

- lui payer la somme de 5.000 € à titre de dommages-intérêts pour l'ensemble des troubles occasionnés,

- lui payer la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner Mme [P] aux dépens, incluant le coût du constat de Me [F], huissier de justice, en date du 3 août 2018, et de la sommation interpellative du même huissier du 6 mars 2019.

Suivant ses dernières conclusions du 28 juillet 2021, Mme [I] [P] demande à la cour de :

- la recevoir en son appel incident,

- confirmer le jugement attaqué, excepté en ce qu'il ne lui a pas accordé les sommes de 5.000 € de préjudice financier et 2.000 € en réparation du préjudice moral,

- condamner M. [R] à lui payer les sommes de 5.000 € de préjudice financier et 2.000 € en réparation du préjudice moral,

- rejeter l'ensemble des demandes, fins et conclusions de l'appelant comme étant contraires et infondées,

- condamner l'appelant à lui payer les sommes de 3.500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 mars 2024.

Pour une plus ample connaissance du litige et des prétentions et moyens des parties, il est fait expressément référence aux dernières conclusions et pièces régulièrement communiquées par les parties.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, il convient d'observer que Mme [P] sollicite la confirmation du jugement attaqué ayant condamné M. [R] et ne formule aucune prétention à l'encontre de M. [X], dont l'intervention volontaire n'est pas contestée.

Une demande de donner acte n'étant pas une prétention, la cour n'est donc pas saisie d'une quelconque demande sur ce point.

Sur la sortie d'évacuation des fumées du four de la boulangerie

Les parties s'accordent pour indiquer que la sortie d'évacuation des fumées du four de la boulangerie est située sur un mur mitoyen séparant les parcelles [Cadastre 3] (M. [R]) et [Cadastre 6] (Mme [P]).

Cette dernière reproche à son voisin d'avoir posé un système d'évacuation des fumées du four puis un tuyau d'évacuation complétant l'installation initiale qui empiètent sur sa propriété et génèrent un noircissement du mur mitoyen sur lequel un crépi a dû être appliqué. Elle en demande la suppression sous astreinte.

En réponse, l'appelant soutient que le premier système d'évacuation a été installé en accord avec le mari de l'intimée aujourd'hui décédé.

Aux termes des dispositions de l'article 662 du Code civil, l'un des voisins ne peut pratiquer dans le corps d'un mur mitoyen aucun enfoncement, ni y appliquer ou appuyer aucun ouvrage sans le consentement de l'autre, ou sans avoir, à son refus, fait régler par experts les moyens nécessaires pour que le nouvel ouvrage ne soit pas nuisible aux droits de l'autre.

Deux attestations circonstanciées permettent de constater que les premiers travaux réalisés par M. [R] avaient été acceptés par l'époux de Mme [P], alors qu'il état propriétaire avec son épouse de la parcelle n°[Cadastre 6]. Messieurs [M] et [T] indiquent en effet avoir recueilli l'assentiment de celui-ci de au mois de mai 2013 afin de percer le mur mitoyen pour procéder à l'installation du système d'évacuation des buées. Il ajoute que cet accord lui a été donné sous la condition d'installer une grille devant la bouche d'évacuation.

Les deux rédacteurs des attestations confirment que la grille a été posée.

Il convient d'observer en outre que l'existence de l'accord invoqué par les appelants n'a pas été remise en cause par Mme [P] à la suite de la réception en septembre 2016 d'un courrier émanant de M. [R] y faisant expressément référence.

A ce stade, aucune situation d'empiétement n'est établie.

En conséquence, M. [R] justifie avoir obtenu l'accord des propriétaires de la parcelle n°[Cadastre 6].

Aux dires des parties, des travaux de réfection du mur mitoyen ont été entrepris en 2016/2017.

Mme [P] fournit des photographies montrant la présence d'un long tuyau coudé provenant du trou percé pour l'évacuation des fumées du four et surplombant sa propriété. Elle affirme que cette nouvelle installation a été réalisée sans son assentiment par son voisin en 2016/2017.

Le tribunal a estimé que les clichés susvisés étaient inexploitables dans la mesure où ils n'étaient ni datés, ni mis en perspective avec les deux fonds et s'avéraient donc imprécis quant à la localisation des tuyaux.

En cause d'appel, Mme [P] verse aux débats de nouvelles photographies.

M. [R] reconnaît désormais la présence de ce tuyau coudé sortant du mur mitoyen pour permettre l'évacuation des fumées de son four. Celui-ci, ainsi que le nouveau propriétaire, soutiennent, sans cependant le démontrer, que ce conduit a été réalisé à leur insu par leur voisine. Cette accusation apparaît d'ailleurs contradictoire avec le souhait exprimé par l'intimée de demander la suppression très peu de temps après son installation.

L'empiétement est donc caractérisé.

M. [R] sera donc condamné seul, aucune demande en ce sens n'étant présentée par Mme [P] à l'encontre de M. [X], à faire cesser la situation d'empiétement de la parcelle n°[Cadastre 6] en retirant le tuyau et remettant en état le mur conformément à l'accord intervenu en 2013. Le jugement entrepris, qui a assorti la condamnation d'une mesure d'astreinte, sera donc confirmé sur ce point. Seul le point de départ de l'astreinte sera modifié. Il sera fixé à compter du 90ème jour suivant la date du prononcé du présent arrêt.

Sur la baie vitrée

Il n'est pas contesté que M. [R] a construit au cours de l'année 2013 une baie vitrée dans un mur lui appartenant et qui lui offre ainsi une vue et un passage sur la propriété de Mme [P].

En ce qui concerne la servitude de passage

Une servitude de passage est par nature discontinue. Elle ne s'acquiert pas par prescription trentenaire, étant ajouté qu'aucun titre de propriété n'en fait état.

Il n'est par ailleurs pas démontré que les fonds des parties ont appartenu dans le passé à un même propriétaire.

Les appelants invoquent l'état d'enclavement de la parcelle n°[Cadastre 4]. Ils produisent un plan et des photographies qui permettent effectivement d'attester l'absence d'issue sur la voie publique, étant observé que Mme [P] ne conteste pas cette situation dans ces dernières écritures.

M. [R] soutient ne pas avoir percé le mur litigieux en indiquant qu'il n'a fait que remplacer une très ancienne porte en bois qui était toujours ouverte et permettait le passage de son fonds n°[Cadastre 3] vers son fonds enclavé n°[Cadastre 4] en passant par le jardin du fonds n°[Cadastre 5] appartenant à sa voisine. Il invoque le bénéfice de la prescription trentenaire et revendique ainsi l'existence d'une servitude de passage.

L'intimée admet la présence d'une ancienne porte en bois dont un exemplaire figure d'ailleurs en pièce 37 du dossier de plaidoirie des appelants.

Au regard de la configuration de cette porte et de son ancienneté, elle offrait nécessairement un accès, via a parcelle n°[Cadastre 5], pour permettre de rejoindre en quelques enjambées le fonds n°[Cadastre 4], solution qui apparaît la moins dommageable comme l'exige l'alinéa 2 de l'article 683 du Code civil.

Ces éléments permettent de considérer que messieurs [X] sont bien fondés à revendiquer l'existence d'une servitude de passage de sorte que Mme [P] sera condamnée à retirer sous astreinte les claustras qui y font obstacle. Le jugement sera donc infirmé sur ce point.

Il sera enfin relevé que l'intimée ne réclame pas, même à titre subsidiaire, le versement d'une indemnité compensatrice.

Sur la servitude de vue

Le premier juge a ordonné sous astreinte la suppression de l'ouverture offrant une vue sur la parcelle n°[Cadastre 5].

Les éléments suivants doivent être relevés :

Comme indiqué ci-dessus, l'intimée reconnaît la présence de la très ancienne porte en bois et ne conteste pas que la baie vitrée a été édifiée dans un mur appartenant à son voisin. Invoquant l'absence de la délivrance d'une autorisation administrative pour la transformation de l'ouverture et d'autorisation de sa part pour la réalisation de ces travaux, elle réclame en conséquence la confirmation du jugement déféré ayant ordonné sa suppression sous astreinte.

Les 'vues' sont, au sens des articles 675 et suivants du code civil, des ouvertures ordinaires non fermées ou pourvues de fenêtres qui peuvent s'ouvrir, laisser passer l'air et permettre d'apercevoir le fonds voisin et même de jeter des objets. Des ouvertures irrégulières, constituant de véritables vues, peuvent permettre l'acquisition d'une servitude de vue par prescription.

En application des dispositions de l'article 690 du code civil, une servitude de vue doit être qualifiée de continue et d'apparente de sorte qu'elle peut s'acquérir, à défaut de titre, par la possession de trente ans. Elle existe du fait même de la présence de l'ouverture donnant sur l'héritage d'autrui et dont la possession subsiste tant qu'elle n'est pas matériellement contredite.

Les appelants soutiennent, sans être contredits sur ce point par la partie adverse, déjà bénéficier, via une fenêtre située au premier étage du fonds de commerce, d'une vue droite sur la parcelle n°[Cadastre 5]. L'ancienneté de cette ouverture est avérée. Cette situation est confirmée par Me [F] dans son constat du 3 août 2018 (p5). Pour autant, la vue offerte depuis cette ouverture, est différente de celle de l'étage inférieure de sorte qu'elle ne peut être invoquée pour démontrer l'existence d'une servitude depuis plus de trente ans.

Comme indiqué ci-dessus, les photographies produites par messieurs [R] et [X] attestent l'existence de traces maçonnées d'une ancienne ouverture à l'endroit où a été construite la baie vitrée. Cette situation est confirmée par le constat d'huissier dressé le 3 août 2018 par Me [F] (p3).

La pièce n°17 produite par les appelants permet de constater qu'une très ancienne porte en bois, dotée sur une partie de fenêtres offrant une vue directe et droite sur la propriété de Mme [P], était présente jusqu'à son remplacement en 2013 par la baie vitrée. L'arrondi de cette porte est identique à celui de la partie maçonnée constatée par l'huissier de justice.

Dans son attestation du 2 février 2020 versée aux débats par l'intimée, M. [H] précise avoir 'toujours connu, pendant des décennies, le passage, toujours ouvert, situé entre la boulangerie et le bar-tabac'.

Le fait que Mme [C], en sa qualité d'ancienne tenancière du bar, certifie que la porte en bois était 'toujours fermée' à compter de l'année 1989 est sans incidence sur le fait que tout occupant du local désormais affecté à la boulangerie bénéficiait néanmoins et de façon continue d'une vue directe sur la parcelle n°[Cadastre 5].

Au regard de l'ancienneté des immeubles et de leur état de vétusté, il est établi que cette vue sur le fonds de Mme [P] existait au moins depuis plus de trente ans jusqu'en 2013, date de la création de la baie vitrée.

Enfin, il doit être rappelé que l'absence d'obtention d'une déclaration préalable d'urbanisme ne constitue pas un élément faisant obstacle à l'acquisition d'une servitude de vue par prescription (Civ, 3ème, 21 avril 2022, n°21-12.240).

En conséquence, Mme [P] n'est pas fondée à alléguer subir une atteinte à son droit de propriété résultant de l'édification de la baie vitrée. Elle ne peut de même reprocher à ses voisins une voie de fait dans la mesure où tout occupant de la parcelle n°[Cadastre 3] bénéficiait, depuis plus de trente ans, d'une vue sur son fonds n°[Cadastre 5] avant le remplacement de la vieille porte par la baie vitrée. En l'absence d'éléments remettant en cause le caractère continu, paisible, non équivoque et publique de la la possession jusqu'en 2013. messieurs [R] et [X] revendiquent à bon droit l'acquisition d'une servitude de vue par prescription trentenaire.

Dès lors, le jugement attaqué ayant ordonné sous astreinte la suppression de la baie vitrée doit être infirmé.

Les appelants dénoncent l'implantation par Mme [P] d'un claustra à une distance de 50 cm de la baie vitrée obturant la vue sur la parcelle n°[Cadastre 5] et empêchant toute ouverture de celle-ci, évoquant de plus le risque encouru pour son matériel professionnel en raison de l'impossibilité d'aérer la pièce dédiée.

La présence du claustra est confirmée par Me [F] dans son constat du 3 août 2018 (p3, 4) et les photographies versées aux débats.

L'intimée ne conteste pas avoir réalisé l'installation critiquée et admet avoir agi ainsi afin d'obérer toute possibilité pour ses voisins de bénéficier d'une servitude de vue sur sa propriété.

Certes, les photographies produites par messieurs [R] et [X] démontrent que la baie vitrée s'ouvre latéralement de sorte que l'aération de la pièce n'est pas obérée.

Pour autant et comme indiqué ci-dessus, les appelants ne doivent pas être empêchés de jouir de la situation juridique reconnue par la cour.

En conséquence, Mme [P] sera condamnée à retirer le claustra.

Cette condamnation sera assortie d'une astreinte d'un montant de 40 euros par jour de retard courant à l'expiration du délai de trois mois suivant la date du prononcé du présent arrêt. La durée de l'astreinte sera fixée à 90 jours.

Sur les autres demandes

Chaque partie fournit des photographies attestant la présence de gravas et autres détritus sur la parcelle n°[Cadastre 6] appartenant à Mme [P].

Si cette dernière y dépose parfois de l'herbe coupée, aucun élément ne permet d'établir que cette situation génère des nuisances à l'appelant, notamment en terme d'hygiène.

De même, les accusations proférées par l'intimée concernant le dépôt par messieurs [R] et [X] de détritus et autres débris sur sa propriété ne sont pas étayées par la production d'éléments probants.

Aussi, les demandes de dommages et intérêts présentées par chacune des parties seront rejetées.

Enfin, Mme [P] ne justifie d'aucune atteinte à son honneur ou sa considération de sorte que la décision entreprise, qui lui a octroyé une somme de 500 euros au titre du préjudice moral, sera infirmée.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Si la décision de première instance doit être confirmée, il n'y a pas lieu en cause d'appel de mettre à la charge de l'une ou de l'autre des parties le paiement d'une indemnité en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Chaque partie supportera la charge de ses propres dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

- Confirme, dans les limites de l'appel, le jugement rendu le 18 décembre 2020 par le tribunal judiciaire de Périgueux en ce qu'il a :

- condamné M. [A] [R] à enlever le tuyau d'évacuation situé en surplomb du fonds de Mme [I] [P] ;

- dit que passé le délai de 90 jours, il appartiendra à la partie la plus diligente de saisir le juge de l'exécution en cas de difficulté d'exécution et pour solliciter l'éventuelle liquidation de l'astreinte, ainsi que, le cas échéant, le prononcé d'une nouvelle astreinte ;

- rejeté les demandes de dommages et intérêts présentées par M. [A] [R] et Mme [I] [P] et celles présentées sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- L'infirme pour le surplus et, statuant à nouveau :

- Assortir la condamnation de M. [A] [R] à enlever le tuyau d'évacuation situé en surplomb du fonds section AD [Cadastre 6] de Mme [I] [P] d'une astreinte de 40 euros par jour de retard, qui commencera à courir à compter du 90ème jour suivant la date du prononcé du présent arrêt, et ce pendant un délai de 90 jours ;

- Rejette les demandes présentées par Mme [I] [P] tendant à obtenir la condamnation de M. [A] [R] :

- à supprimer, sous peine d'astreinte, l'ouverture constituée par la baie vitrée ;

- au paiement d'une indemnité au titre d'un préjudice moral ;

- Dit que le fonds section AD [Cadastre 5] appartenant à Mme [I] [P] est grevé d'une servitude de passage au profit de la parcelle section AD [Cadastre 4] en raison de son état d'enclavement ;

- Condamne Mme [I] [P] a retirer les claustras installés sur ses parcelles faisant obstacle à la servitude de passage et de vue ;

- Assortir cette condamnation d'une astreinte de 40 euros par jour de retard, qui commencera à courir à compter du 90ème jour suivant la date du prononcé du présent arrêt, et ce pendant un délai de 90 jours ;

- dit que passé le délai de 90 jours, il appartiendra à la partie la plus diligente de saisir le juge de l'exécution en cas de difficulté d'exécution et pour solliciter l'éventuelle liquidation de l'astreinte, ainsi que, le cas échéant, le prononcé d'une nouvelle astreinte

- Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens de première instance ;

Y ajoutant ;

- Rejette les demandes présentées sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens d'appel.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jacques BOUDY, président, et par Madame Audrey COLLIN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre civile
Numéro d'arrêt : 21/01645
Date de la décision : 06/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 13/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-06;21.01645 ?
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