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30/05/2024 | FRANCE | N°21/03013

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, 1ère chambre civile, 30 mai 2024, 21/03013


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



1ère CHAMBRE CIVILE



--------------------------







ARRÊT DU : 30 MAI 2024









N° RG 21/03013 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MEAX









[L] [NL] [S]



c/



[B] [NL] [S]

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA GIRONDE

CAISSE D'ASSURANCE MALADIE DES INDUSTRIES ELECTRIQUES ET GAZIERES - C.A.M.I.E.G.

























Nature de

la décision : AU FOND























Grosse délivrée le :



aux avocats

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 05 mai 2021 par le tribunal judiciaire de BORDEAUX (chambre : 6, RG : 19/00035) suivant déclaration d'appel du 27 mai 2021





APPELANT :



[L...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

1ère CHAMBRE CIVILE

--------------------------

ARRÊT DU : 30 MAI 2024

N° RG 21/03013 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MEAX

[L] [NL] [S]

c/

[B] [NL] [S]

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA GIRONDE

CAISSE D'ASSURANCE MALADIE DES INDUSTRIES ELECTRIQUES ET GAZIERES - C.A.M.I.E.G.

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 05 mai 2021 par le tribunal judiciaire de BORDEAUX (chambre : 6, RG : 19/00035) suivant déclaration d'appel du 27 mai 2021

APPELANT :

[L] [NL] [S]

né le [Date naissance 4] 1953 à [Localité 13] - PORTUGAL

de nationalité Française, demeurant [Adresse 8] - [Localité 7]

Représenté par Me Mathieu RAFFY de la SELARL MATHIEU RAFFY - MICHEL PUYBARAUD, avocat au barreau de BORDEAUX

Et assisté par Me Jean GONTHIER, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉ ES :

[B] [NL] [S]

née le [Date naissance 3] 1973 à [Localité 6] (33)

de nationalité Française, demeurant [Adresse 2] - [Localité 6]

Représentée par Me Servan KERDONCUFF de la SELARL KERDONCUFF AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA GIRONDE prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social [Adresse 14] - [Localité 5]

Non représentée, assignée à personne morale

CAISSE D'ASSURANCE MALADIE DES INDUSTRIES ELECTRIQUES ET GAZIERES - C.A.M.I.E.G. prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social [Adresse 1] - [Localité 9]

Non représentée, assignée à personne morale

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 avril 2024 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Bérengère VALLEE, Conseiller, qui a fait un rapport oral de l'affaire avant les plaidoiries,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Président : Madame Paule POIREL

Conseiller : M. Emmanuel BREARD

Conseiller : Mme Bérengère VALLEE

Greffier lors des débats : Mme Séléna BONNET

ARRÊT :

- reputé contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

* * *

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE

Le 15 juillet 2017, Mme [B] [NL] [S], alors âgée de 44 ans pour être née le [Date naissance 3] 1973, a déposé plainte à la gendarmerie de [Localité 15], dénonçant des fais de viols et d'agressions sexuelles commis à son encontre par son père, M. [L] [NL] [S], alors qu'elle avait 9 ans et jusqu'à ses 18 ans, soit entre 1982 et 1991.

Par décision du 8 décembre 2017, le procureur de la République a notifié à la plaignante le classement sans suite de l'infraction en raison de la prescription.

Par acte du 20 décembre 2018, Mme [NL] [S] a fait assigner M. [NL] [S] devant le tribunal judiciaire de Bordeaux sur le fondement des articles 222-22 et suivants du code pénal, 1382 ancien du code civil, 2226 du code civil et 143 du code de procédure civile aux fins notamment de :

* A titre principal :

- la déclarer recevable et bien fondée en sa demande,

- dire et juger M. [NL] [S] responsable du dommage causé à sa fille, des faits de nature sexuelle qu'il lui a imposés mineure par ascendant,

- ordonner une mesure d'expertise médicale aux fins d'évaluer son préjudice corporel,

- renvoyer l'affaire devant le tribunal de grande instance qui statuera au fond notamment sur la demande d'indemnisation au fond,

* A titre subsidiaire :

- ordonner avant dire droit une mesure d'expertise médicale aux fins d'évaluer son préjudice corporel et fixer la date de consolidation de son état,

- renvoyer l'affaire devant le tribunal de grande instance qui statuera au fond sur la recevabilité de la demande ainsi que sur la demande de liquidation du préjudice corporel.

Par actes délivrés les 6 et 9 mars 2020, Mme [NL] [S] a également fait assigner, en tant que tiers payeurs, la CPAM de la Gironde et la CAMIEG.

Par jugement réputé contradictoire du 5 mai 2021 le tribunal judiciaire de Bordeaux a :

- déclaré M. [NL] [S] responsable des préjudices de Mme [NL] [S] suite aux viols et agressions sexuelles imposés à cette dernière pendant plusieurs années durant sa minorité jusqu'à ses 18 ans,

- avant dire droit sur la recevabilité de l'action en réparation, ordonné une expertise médicale de Mme [NL] [S] notamment aux fins d'évaluer sa date de consolidation, l'éventuelle date de consolidation de l'aggravation de son état en cas d'aggravation de son état après consolidation initiale ainsi que l'ensemble de ses préjudices,

- commis pour y procéder : le docteur [F] [N], psychiatre à Hôpital de [Localité 11] [Localité 11], lequel s'adjoindra si nécessaire tout sapiteur dans une spécialité distincte de la sienne,

- donné à l'expert la mission suivante :

1/ le cas échéant, se faire communiquer le dossier médical complet du blessé, avec l'accord de celui-ci ou de ses ayants-droit. En tant que de besoin, se faire communiquer par tout tiers détenteur les pièces médicales nécessaires à l'expertise, avec l'accord susvisé,

2/ déterminer l'état du blessé avant les faits,

3/ relater les constatations médicales faites après le faits se rapportant à leurs conséquences,

4/ noter les doléances du blessé,

5/ examiner le blessé et décrire les constatations ainsi faites (y compris taille et poids),

6/ déterminer, compte tenu de l'état du blessé, ainsi que des lésions initiales et de leur évolution, la, ou les, période pendant laquelle celui-ci a été, du fait de son déficit fonctionnel temporaire, dans l'incapacité d'une part d'exercer totalement ou partiellement ses activités personnelles habituelles et professionnelles; en cas d'incapacité partielle préciser le taux et la durée,

7/ proposer la date de consolidation des lésions : si la consolidation n'est pas acquise, indiquer le délai à l'issue duquel un nouvel examen devra être réalisé et évaluer les seuls préjudices qui peuvent l'être en l'état ; en cas de consolidation ancienne de son état, indiquer si son état s'est aggravé depuis et fixer la date de consolidation de cette aggravation ; dans ce cas, évaluer distinctement le préjudice initial et le préjudice résultant de l'aggravation de son état,

8/ dire si chacune des anomalies constatées est la conséquence des faits,

9/ donner un avis sur le taux du déficit fonctionnel médicalement imputable à l'accident, donner un avis sur le taux du déficit fonctionnel global actuel du blessé, tous éléments confondus, état antérieur inclus. Si un barème a été utilisé, préciser lequel,

10/ se prononcer sur la nécessité pour la victime d'être assistée par une tierce personne avant et/ou après la consolidation (cette assistance ne devant pas être réduite en cas d'assistance familiale) ; dans l'affirmative, préciser si cette tierce personne a dû et/ou doit ou non être spécialisée, ses attributions exactes ainsi que les durées respectives d'intervention de l'assistant spécialisé et de l'assistant non spécialisé; donner à cet égard toutes précisions utiles,

11/ donner un avis détaillé sur la difficulté ou l'impossibilité, temporaire ou définitive, pour le blessé de :

a) poursuivre l'exercice de sa scolarité ou de sa profession,

b) opérer une reconversion,

c) continuer à s'adonner aux sports et activités de loisir qu'il déclare avoir pratiqués,

12/ donner un avis sur l'importance des souffrances (physiques et/ou morales),

13/ donner un avis sur les atteintes esthétiques avant et/ou après la consolidation, en les distinguant,

14/ dire s'il existe un préjudice sexuel ; dans l'affirmative préciser s'il s'agit de difficultés aux relations sexuelles ou d'une impossibilité de telles relations,

15/ préciser :

a) la nécessité de l'intervention d'un personnel spécialisé : médecins, kinésithérapeutes, infirmiers (nombre et durée moyenne de leurs interventions),

la nature et le coût des soins susceptibles de rester à la charge de la victime en moyenne annuelle,

b) les adaptations des lieux de vie de la victime à son nouvel état,

c) le matériel susceptible de lui permettre de s'adapter à son nouveau mode de vie ou de l'améliorer ainsi, s'il y a lieu, que la fréquence de son renouvellement,

- dit que, pour exécuter la mission, l'expert sera saisi et procédera conformément aux dispositions des articles 232 à 248, 263 à 284-1 du code de procédure civile,

- enjoint aux parties de remettre à l'expert :

- le requérant, immédiatement toutes pièces médicales ou para-médicales utiles l'accomplissement de la mission, en particulier les certificats médicaux, certificats de consolidation, documents d'imagerie médicale, compte-rendus opératoires et d'examen, expertises,

- les parties défenderesses aussitôt que possible et au plus tard 8 jours avant la première réunion, les documents, renseignements, réclamations indispensables au bon déroulement des opérations, à l'exclusion de documents médicaux protégés par le secret professionnel et relatifs au requérant sauf établir leur origine et l'accord de celui-ci sur leur divulgation,

- dit qu'à défaut d'obtenir la remise des pièces qui lui sont nécessaires l'expert pourra être autorisé par le juge chargé du contrôle des expertises à déposer son rapport en l'état,

- que toutefois il pourra se faire communiquer directement, avec l'accord de la victime ou de ses ayants-droit par tous tiers : médecins, personnels para-médicaux, établissements hospitaliers et de soins, toutes pièces médicales qui ne lui auraient pas été transmises par les parties et dont la production lui paraîtra nécessaire,

- dit que l'expert s'assurera, à chaque réunion d'expertise, de la communication aux parties des pièces qui lui sont remises, dans un délai permettant leur étude, conformément au principe de la contradiction; que les documents d'imagerie médicale pertinents seront analysées de façon contradictoire lors des réunions d'expertise,

- que les pièces seront numérotées en continu et accompagnées d'un bordereau récapitulatif,

- dit que l'expert devra convoquer toutes les parties par lettre recommandée avec accusé de réception et leur avocat par lettre simple, les avisant de la faculté qu'elles ont de se faire assister par le médecin-conseil de leur choix,

- dit que l'expert procédera à l'examen clinique, en assurant la protection de l'intimité de la vie privée de la personne examinée et le secret médical pour des constatations étrangères à l'expertise ; qu'à l'issue de cet examen, en application du principe du contradictoire il informera les parties et leurs conseils de façon circonstanciée de ses constatations et de leurs conséquences,

- dit que l'expert pourra recueillir des informations orales, ou écrites, de toutes personnes susceptibles de l'éclairer,

- dit que l'expert devra :

* en concertation avec les parties, définir un calendrier prévisionnel de ses opérations à l'issue de la première réunion d'expertise ; l'actualiser ensuite dans le meilleur délai,

°en fixant aux parties un délai pour procéder aux interventions forcées,

° en les informant de la date à laquelle il prévoit de leur adresser son document de synthèse ou son projet de rapport,

* adresser dans le même temps le montant prévisible de sa rémunération qu'il actualisera s'il y a lieu, procédant parallèlement aux demandes de provisions complémentaires,

* adresser aux parties un document de synthèse, sauf exception (par exemple: réunion de synthèse, communication d'un projet de rapport) dont il s'expliquera dans son rapport, et arrêter le calendrier de la phase conclusive de ses opérations :

° fixant, sauf circonstances particulières, la date ultime de dépôt des dernières observations des parties sur le document de synthèse, lesquelles disposeront d'un délai de 4 à 5 semaines à compter de la transmission du rapport,

° rappelant aux parties, au visa de l'article 276 alinéa 2 du code de procédure civile, qu'il n'est pas tenu de prendre en compte les observations transmises au-delà du terme qu'il fixe,

- dit que l'expert répondra de manière précise et circonstanciée à ces dernières observations ou réclamations qui devront être annexées au rapport définitif dans lequel devront figurer impérativement :

* la liste exhaustive des pièces par lui consultées,

* le nom des personnes convoquées aux opérations d'expertise en précisant pour chacune d'elle la date d'envoi de la convocation la concernant et la forme de cette convocation,

* le nom des personnes présentes à chacune des réunions d'expertise,

* la date de chacune des réunions tenues,

* les déclarations des tiers entendus par lui, en mentionnant leur identité complète, leur qualité et leurs liens éventuels avec les parties,

* le cas échéant, l'identité du technicien dont il s'est adjoint le concours, ainsi que le document qu'il aura établi de ses constatations et avis (lequel devra également être joint à la note de synthèse ou au projet de rapport),

- dit que l'original du rapport définitif (2 exemplaires) sera déposé au greffe de la 6ème chambre civile du tribunal de grande instance de Bordeaux, tandis que l'expert en adressera un exemplaire aux parties et à leur conseil, dans un délai de 6 mois à compter de sa saisine, sauf prorogation expresse,

- fixé à la somme de 1 200 euros, le montant de la provision à valoir sur les frais d'expertise qui devra être consignée par Mme [NL] [S] à la régie d'avances et de recettes du Tribunal dans un délai de 2 mois à compter de la date du jugement,

- dit que faute de consignation dans ce délai impératif, la désignation de l'expert sera caduque et privée de tout effet,

- désigné le magistrat chargé du contrôle des expertises de la chambre pour contrôler les opérations d'expertise,

- renvoyé l'affaire à l'audience de mise en état électronique du 8 mars 2022,

- déclaré le jugement commun à la CPAM de la Gironde et à la CAMIEG,

- condamné M. [NL] [S] à payer 2 000 euros à Mme [NL] [S] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire de la décision,

- réservé les autres demandes des parties ainsi que les dépens.

M. [NL] [S] a relevé appel de ce jugement par déclaration du 27 mai 2021, en ce qu'il a :

- débouté M. [NL] [S] de sa demande visant à voir juger prescrite l'action de Mme [NL] [S] et, par voie de conséquence, irrecevable,

- débouté M. [NL] [S] de sa demande visant à voir débouter Mme [NL] [S] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

- déclaré responsable M. [NL] [S] des préjudices de Mme [NL] [S] suite aux viols et agressions sexuelles imposées à cette dernière pendant plusieurs années durant sa minorité jusqu'à ses 18 ans,

- ordonné une expertise médicale de Mme [NL] [S] notamment aux fins d' évaluer sa date de consolidation, l'éventuelle date de consolidation de l'aggravation de son état en cas d'aggravation de son état après consolidation initiale ainsi que de l'ensemble de ses préjudices,

- ordonné l'ensemble des modalités de cette mesure d'expertise,

- renvoyé l'affaire à l'audience de mise en état électronique du 8 mars 2022,

- déclaré le jugement rendu commun a la CPAM. de la Gironde et à la CAMIEG,

- condamné à verser à Mme [NL] [S] une somme de 2 000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté de sa demande visant a voir condamner Mme [NL] [S] à lui verser la somme de 3 000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement rendu,

- débouté M. [NL] [S] de sa demande visant à voir condamner Mme [NL] [S] aux entiers dépens.

Par ordonnance du 8 juillet 2021, la première présidente de la cour d'appel de Bordeaux a rejeté la demande d'arrêt de l'exécution provisoire formée par M. [NL] [S].

Par dernières conclusions déposées le 21 novembre 2023, M. [NL] [S] demande à la cour de :

- recevoir M. [NL] [S] en son appel, le dire bien fondé,

En conséquence, réformer le jugement entrepris et, statuant à nouveau,

A titre principal,

- déclarer l'action prescrite et dire Mme [NL] [S] irrecevable en son action.

Subsidiairement,

- débouter Mme [NL] [S] de toutes ses demandes fins et prétentions, faute de preuve des faits allégués,

En toute hypothèse,

- condamner Mme [NL] [S] à verser à M. [NL] la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- la condamner en outre à supporter les entiers dépens de première instance comme d'appel dont distraction, pour ces derniers, au bénéfice de la SCP Michel Puybaraud, avocat au barreau de Bordeaux, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions déposées le 29 novembre 2023, Mme [NL] [S], demande à la cour de :

A titre principal,

- confirmer le jugement dans toutes ses dispositions,

A titre subsidiaire ,

- confirmer le jugement en ce qu'il a ordonné une expertise médicale judiciaire avant-dire droit, confiée au Dr [N], selon la mission visée au dispositif du jugement dont appel,

En tout état de cause,

- déclarer la décision opposable à la CAMIEG et à la CPAM,

- condamner M. [NL] [S] à payer une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à Mme [NL] [S], outre les dépens et frais irrépétibles déjà mis à sa charge.

La Caisse Primaire d'assurance maladie de la Gironde n'a pas constitué avocat. Elle a été régulièrement assignée.

La Caisse d'assurance maladie des industries n'a pas constitué avocat. Elle a été régulièrement assignée.

L'affaire a été fixée à l'audience rapporteur du 4 avril 2024.

L'instruction a été clôturée par ordonnance du 30 novembre 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, il est indiqué que le docteur [N], désigné par le jugement dont appel, a déposé son rapport d'expertise le 22 mars 2022.

En outre, et parallèlement à la présente procédure, Mme [NL] [S] a saisi la commission d'indemnisation des victimes d'infraction aux fins d'obtenir le relevé de la forclusion et l'organisation d'une expertise médicale. La CIVI a fait droit à ces demandes et désigné le docteur [Z] [O] en qualité d'expert judiciaire, lequel a rendu son rapport le 15 mai 2022. Par décision du 27 septembre 2023, la CIVI a accordé à Mme [NL] [S] la somme de 473.481,77 euros, déduction faite des créances de l'organisme social, en réparation de son préjudice corporel.

***

M. [NL] [S] reproche tout d'abord au jugement dont appel d'avoir statué sur le fond avant de statuer sur la recevabilité de son action en violation des dispositions de l'article 122 du code de procédure civile. Il estime que le tribunal, saisi d'une fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action engagée contre lui, a d'abord examiné le fond, l'a déclaré responsable des préjudices subis par sa fille, avant d'ordonner une expertise médicale ayant précisément pour objet de déterminer si l'action est ou non recevable.

L'intimée ne répond pas sur ce point.

Selon l'article 122 du code de procédure civile, 'Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.'

Il résulte des termes du jugement attaqué que le tribunal, saisi par M. [NL] [S] d'une fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action de la demanderesse, a d'abord examiné la question de la responsabilité du défendeur des préjudices subis par Mme [NL] [S], alors que, n'ayant pas à préjuger du fond, il se devait au préalable d'examiner la recevabilité de l'action.

La cour examinera donc, en premier lieu, l'irrecevabilité soulevée par l'appelant avant, le cas échéant, d'analyser le fond du dossier.

Sur la recevabilité de l'action

M. [NL] [S] soutient que le fait que Mme [NL] [S] prétende souffrir encore de séquelles à ce jour est distinct de la notion de consolidation laquelle n'est pas synonyme de guérison. Il fait valoir que le délai de prescription court à compter de la date du dommage lui-même, qui se distingue des préjudices qui en découlent, et considère que le dommage ne peut être entendu autrement que comme l'atteinte corporelle dont la requérante se prétend victime. Il en conclut que les faits invoqués ayant pris fin, selon Mme [NL] [S], en 1991, son action est prescrite. Il ajoute que cette dernière ne peut valablement se prévaloir des rapports d'expertise établis par les docteurs [N] et [Z]-[O] dès lors que, d'une part, la discordance entre les dates de consolidation fixées par eux (pour l'un le 11 janvier 2022, pour l'autre le 11 février 2021) est révélatrice de son caractère éminemment arbitraire et, d'autre part, la déclaration de responsabilité prononcée par le tribunal est de nature à compromettre l'impartialité de l'expert désigné.

Mme [NL] [S] réplique que la consolidation ne dépend pas de la date des faits dommageables mais de la date de stabilisation des séquelles affectant l'état de santé de la victime, ajoutant que les expertises des victimes de violences sexuelles mettent en évidence le temps long nécessaire à observer un état séquellaire stabilisé. Elle souligne qu'elle souffre d'un état de stress post-traumatique persistant et évolutif, se manifestant par des réviviscences, cauchemars, douleurs, images intrusives, état dissociatif, et que les professionnels de santé qui la suivaient jusqu'alors concluaient à l'absence de consolidation de son état. Elle précise que depuis la décision attaquée, elle a été examinée par deux experts judiciaires qui ont fixé sa date de consolidation pour l'un, au 11 janvier 2022, pour l'autre au 11 février 2021, et qu'au regard de ces conclusions expertales, il n'y a aucun doute sur l'absence de prescription de son action

Sur ce,

Mme [NL] [S], née le [Date naissance 3] 1973, est devenue majeure le 27 mars 1991.

Les faits de viols et d'agressions sexuelles qu'elle invoque dans le cadre de son action en responsabilité civile se situent de l'âge de 9 ans jusqu'à ses 18 ans, soit entre 1982 et 1991.

Il est rappelé qu'en vertu de l'article 2252 ancien du code civil, 'la prescription ne court pas contre les mineurs non émancipés (...)'.

Aux termes de l'article 2270-1 du code civil, dans sa version issue de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, en vigueur du 1er janvier 1986 au 18 juin 1998, « Les actions en responsabilité civile extra contractuelle se prescrivent par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation. »

Cependant, pour l'application de l'article 2270-1 du code civil en cas de préjudice corporel, la jurisprudence considérait de façon constante que la date de la consolidation faisait courir le délai de la prescription prévu à cet article.

Selon l'article 2270-1 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 98-468 du 17 juin 1998 (dont les dispositions ont été reprises à l'article 2226, alinéa 2, du code civil par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008), et applicable à compter de l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 1998, le délai de prescription des actions en responsabilité civile extra contractuelle est porté de dix à vingt ans lorsque le dommage est causé par des violences ou des agressions sexuelles commises contre un mineur à compter de la date de consolidation du dommage initial ou aggravé.

La règle est applicable aux prescriptions non encore acquises à la date de son entrée en vigueur.

Selon la nomenclature Dintilhac, « la consolidation est le moment où les lésions se fixent et prennent un caractère permanent tel qu'un traitement n'est plus nécessaire, si ce n'est pour éviter une aggravation et qu'il est possible d'apprécier un certain degré d'incapacité permanente réalisant un préjudice définitif ».

La consolidation étant donc un état objectif, la détermination de sa date, comme point de départ du délai de prescription de l'action en responsabilité et indemnisation du dommage, ne peut dépendre d'une appréciation subjective.

S'agissant d'une notion médico-légale, elle relève de la mission des experts médicaux appréhendant les séquelles.

En l'espèce, il est produit aux débats deux expertises judiciaires, sur lesquelles les parties ont été à même de débattre contradictoirement.

La première, rédigée par le docteur [N], propose une date de consolidation au 11 janvier 2022, correspondant à la date des constatations de l'expert.

La seconde, rédigée par le docteur [Z] [O], a retenu la date du 11 février 2021, correspondant à la date de fin de la thérapie EMDR suivie par Mme [NL] [S].

Si M. [NL] [S] soutient que la déclaration de responsabilité prononcée par le tribunal dans le jugement attaqué est de nature à avoir compromis l'impartialité des experts désignés, il n'apporte toutefois aucun élément de nature à étayer cette allégation.

Les experts ont en effet répondu à la mission impartie par le juge en déterminant l'étendue du préjudice corporel de Mme [NL] [S], poste par poste, et en proposant une date de consolidation des lésions si elle est acquise.

La cour retiendra, comme date de consolidation de l'état séquellaire de Mme [NL] [S], celle du 11 février 2021, date de la fin de la prise en charge EMDR. Sur ce point, le rapport du docteur [Z] [O] est corroboré par l'attestation datée du 25 octobre 2018 du docteur [M], psychologue clinicienne, faisant état de la prise en charge, dans le cadre d'une thérapie EMDR, de Mme [NL] [S] qui souffre 'd'un état de stress post-traumatique se manifestant toujours à l'état actuel par des reviviscences, cauchemars, douleurs morales, images intrusives, état dissociatif. Mme [NL] [S] n'est pas consolidée et nécessite de continuer sa prise en charge thérapeutique.'

C'est donc à la date du 11 février 2021 que le délai de 20 ans de prescription a commencé à courir.

L'action en réparation ayant été engagée par Mme [NL] [S] le 20 décembre 2018, il y a lieu de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription et de déclarer son action recevable.

Sur la responsabilité

M. [NL] [S], appelant, fait valoir que les révélations de sa fille sont associées à des thérapies pratiquées par un soi-disant spécialiste de l'hypnose thérapeutique et un kinésiologue, qui ont pu lui induire des souvenirs ne correspondant pas à la réalité et auxquels elle croit. Il évoque également l'influence néfaste de M. [E], concubin de sa fille depuis 2015. Rappelant que ce dernier a été condamné du chef d'appels téléphoniques malveillants au préjudice de son ancienne compagne mais aussi pour des faits de violences sur M. [NL] [S], il expose que les relations avec sa fille, qui jusque là étaient très bonnes, se sont brusquement dégradées depuis le début de sa relation avec M. [E]. Indiquant que ce dernier a un intérêt financier évident dans cette affaire, il trouve étrange de constater que sa fille a déposé plainte contre lui le 15 juillet 2017 soit moins d'un mois après qu'il lui ait signifié qu'il lui coupait les vivres tant qu'elle n'aurait pas quitté M. [E]. Il reproche à la décision déférée de s'être basée sur un embryon d'enquête préliminaire et d'attestations rédigées à la demande de la plaignante par un kinésiologue et un hypnothérapeute, alors que du fait du classement sans suite pour cause de prescription, il n'a jamais pu exercer les droits dont il aurait bénéficié dans le cadre d'une information judiciaire effectuée tant à charge qu'à décharge. Il considère que le juge civil ne peut s'ériger en Cour d'assises pour le déclarer coupable des agissements dénoncés.

Mme [NL] [S] conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a retenu la responsabilité de M. [NL] [S] des préjudices subis suite aux viols et agressions sexuelles commis durant sa minorité et jusqu'à ses 18 ans.

Sur ce,

En application de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

En l'espèce, il résulte des pièces versées aux débats que lors de ses auditions par les gendarmes le 15 juillet 2017, jour de sa plainte, Mme [NL] [S] a dénoncé des faits d'attouchements sur son sexe et sur sa poitrine de manière répétée et régulière ainsi que des faits de pénétration vaginale, anale et buccale, commis par son père alors qu'elle avait 9 ans jusqu'à ses 18 ans, soit entre 1982 et 1991. Elle a précisé que les faits avaient commencé alors qu'elle était en primaire, avant sa puberté. Elle a affirmé qu'il n'utilisait pas de préservatif mais prenait ses précautions pour qu'elle ne tombe pas enceinte. Elle a expliqué que les faits se déroulaient toujours au domicile familial (dans sa chambre ou le salon) ou sur les lieux de vacances. Elle a indiqué que les agissements avaient cessé à sa majorité, date à laquelle ses parents s'étaient mariés, permettant qu'elle porte le nom de son père. Elle était alors allée voir ce dernier en lui disant 'maintenant tu es marié avec maman et moi je porte ton nom donc je suis vraiment ta fille. Tu ne peux plus rien me faire'. Elle expliquait 'Pour moi, le jour où j'ai porté son nom, psychologiquement pour moi ce n'était plus pareil. Pour moi là çà devenait de l'inceste.' Elle ajoutait que trois mois après le mariage de ses parents, son père avait eu un cancer qui l'avait rendu impuissant sexuellement et qu'à partir de là, il ne l'avait plus touchée.

Comme le relèvent justement les premiers juges, l'enquête pénale montre que Mme [NL] [S] a révélé les faits qu'elle dénonce à l'égard de son père, de manière répétée et cohérente, tant auprès de de ses proches que de professionnels de la santé.

Ainsi, lors de son audition à la gendarmerie le 27 juillet 2017, son amie de collège [J] [D] épouse [K] [T] a confirmé que lorsqu'elles étaient âgées de plus de 18 ans, elle et Mme [NL] [S] étaient allées voir une voyante et que, lorsque la voyante avait déclaré qu'elle avait été victime d'agressions sexuelles, Mme [NL] [S] avait acquiescé en disant que l'auteur était son père. [J] [D] épouse [K] [T] déclarait : 'je ne me doutais de rien et [B] ne m'avait rien dit. Jamais. Je l'ai appris de la voyante. Cette dame quand elle a regardé [B] dans les yeux, elle lui a dit pas mot pour mot mais elle lui a dit qu'elle aussi elle a vécu çà. Sur le coup, je n'ai pas compris. Çà c'était sur le pas de la porte ou dans la salle d'attente quand elle nous a dit bonjour. Pendant la consultation, j'étais avec [B]. La voyante en voyant [B] lui a dit qu'elle était victime d'agression sexuelle. Je l'ai regardée car je ne comprenais pas. J'ai dit 'qui çà'' Je savais qu'elle parlait à [B] mais je ne comprenais pas. Je lui ai demandé qui' Ton grand-père' Ton oncle' [B] a dit 'mon père'. Je suis restée choquée. C'est les seules choses que j'ai retenues'. A la question : 'Avez-vous entendu le mot viol'', elle répondait : 'Je me souviens de l'agression sexuelle. [B] m'a parlé de viol. Mais elle m'a fait promettre de ne jamais en parler à personne.' [J] [D] épouse [K] [T] situait la consultation avec la voyante six ans auparavant, soit en 2011 environ.

Entendue par la gendarmerie le 24 juillet 2017, Mme [ND] [H] épouse [Y] a exposé être une amie proche de Mme [NL] [S] qu'elle connaît depuis 1998. Elle a relaté que quatre ans auparavant, soit en 2013, alors qu'elle avait indiqué à Mme [NL] [S] avoir été victime d'abus sexuels de la part de son grand-père, cette dernière lui avait confié avoir 'aussi été une victime'. Mme [ND] [H] précisait ne pas se rappeler du détail de ses déclarations lors de ces premières révélations car elle-même était dans sa propre souffrance liée à son histoire familiale, ajoutant que Mme [NL] [S] avait essayé de lui en reparler à une autre reprise mais qu'elle avait alors fui la conversation. Elle ajoutait que lorsque Mme [NL] [S] avait porté plainte contre son père pour agression sexuelle, elle l'en avait informée par téléphone et lui avait dit : ' (...) que quand elle a fait de l'hypnose, elle s'est souvenue de tout. Elle n'était pas encore réglée quand son père a abusé d'elle. Elle m'a dit qu'elle avait des répits quand elle allait dormir chez ses copines. Elle a ajouté que quand elle était plus grande, vers 14 ou 15 ans, elle se revoyait lui mettre des coups de pied. Elle avait l'impression de revivre les choses. Elle ressentait les choses, les odeurs.' Mme [ND] [H] précisait qu'elle n'avait pas souhaité connaître les détails des agissements du père de son amie compte tenu de son propre vécu familial.

Entendue le 28 juillet 2017 par les gendarmes, Mme [U] [G], amie d'enfance de Mme [NL] [S], a déclaré que celle-ci lui avait révélé vers 2015 environ, avoir été victime d'attitudes inappropriées de la part de son père depuis qu'elle était très jeune. Elle précisait qu'elle n'avait pas posé de questions sur les détails des agissements commis, pensant qu'il s'agissait d'attouchements ('c'était tellement sordide que je n'avais pas envie de savoir. Je l'ai laissé dire mais je voyais que pour elle c'était douloureux. Je ne me voyais pas la questionner. Je savais qu'elle en avait parlé à un psy').

La mère de Mme [NL] [S], Mme [C] [X], entendue le 21 juillet 2017, a exposé avoir compris que sa fille avait été victime d'abus sexuels de la part de son père lors de l'altercation entre ce dernier et le compagnon de sa fille, M. [R] [E], survenue le 17 juin 2017. Elle relatait que son mari avait menacé M. [R] [E] de mort dans le cadre d'une dispute violente, que sa fille avait alors 'pété les plombs' et dit à son père 'si je veux je peux te faire mettre en prison', avant de s'écrouler en pleurs. Mme [C] [X] soulignait : 'j'ai tout de suite compris. Je lui ai demandé pourquoi elle ne m'avait rien dit et elle m'a répondu qu'elle voulait me protéger. Je lui ai répondu que c'était à moi de la protéger.' Elle précisait que plusieurs années auparavant, sa fille lui avait fait une allusion, lui disant : 'je vis avec un secret et il n'y a que moi et mon psychiatre qui le savons' mais qu'elle ne lui avait alors posé aucune question, ne voulant pas en savoir plus. Elle ajoutait qu'adolescente, Mme [NL] [S] avait déjà dit à son père qu'elle pourrait l'envoyer en prison, sans toutefois pouvoir se souvenir du contexte de cette déclaration. Enfin, elle indiquait qu'elle comptait divorcer de M. [NL] [S].

Mme [NL] [S] a également révélé les faits dénoncés, de manière répétée, auprès de plusieurs professionnels de la santé.

Ainsi, Mme [B] [A], kinésiologue exerçant à [Localité 10] (64), a attesté avoir suivi en 2006 et 2007 Mme [NL] [S] dans le cadre d'une douzaine de séances par rapport à son vécu d'enfance et ses traumatismes concernant les agressions sexuelles subies pendant plusieurs années par son père.

M. [I] [V], psychopraticien-hypnothérapeute, a déclaré dans une attestation, avoir accompagné Mme [NL] [S] au cours d'un processus thérapeutique de mai à juillet 2015 et avoir, dans ce cadre, recueilli ses confidences. Il décrivait qu'elle avait pu nommer les faits auxquels elle avait été contrainte dès son plus jeune âge par son père alors qu'elle ne fréquentait encore que l'école primaire dans la période pré-pubère, qu'elle était partagée entre la loyauté envers ce dernier et la peur de ses violentes réactions coutumières et qu'elle portait un secret terrible qui avait compromis ses relations notamment avec sa mère, lui imposant toute petite la dissimulation, la honte, le mensonge et la culpabilité.

Dans un certificat du 25 octobre 2018, Mme [W] [M], psychologue clinicienne, a indiqué prendre en charge Mme [NL] [S] dans le cadre d'une thérapie EMDR, précisant que cette dernière souffrait d'un état de stress post-traumatique se manifestant toujours à l'état actuel par des reviviscences, des cauchemars, des douleurs morales, des images intensives et un état dissociatif.

Pour contester sa responsabilité dans les faits reprochés, M. [NL] [S] soutient tout d'abord que les prétendus souvenirs de sa fille ont pu être induits ou suggérés par les voyants, hypnotiseurs, kinésiologues consultés par la plaignante.

Cette affirmation est toutefois contredite par les déclarations de M. [I] [V], hypnothérapeute, qui, lors de son audition par les gendarmes, a indiqué que Mme [NL] [S] ne s'était pas confiée à lui alors qu'elle était sous hypnose, expliquant en effet qu'il pratiquait l'hypnose comme un outil de soin et non d'investigation. Il précisait que Mme [NL] [S] lui avait donc d'abord révélé les faits et qu'il avait ensuite utilisé l'hypnose comme moyen thérapeutique.

En outre, si les premières révélations ont certes eu lieu suite aux suggestions d'une voyante, force est de constater que Mme [NL] [S] a conservé le secret des faits alors révélés en 2011 en demandant à son amie [J] [D] épouse [K] [T] de faire de même et qu'elle n'en a reparlé à deux autres amies, Mme [ND] [H] épouse [Y] et Mme [U] [G], que plusieurs années soit respectivement en 2013 et 2015.

Il ne peut donc être valablement soutenu que c'est le suivi de ses thérapies ou la consulation d'une voyante qui a motivé le dépôt de plainte de Mme [NL] [S] survenu en juillet 2017.

M. [NL] [S] argue ensuite de la mauvaise influence du compagnon de sa fille, M. [R] [E], à qui il prête un intérêt financier. Sur ce point, le tribunal doit être approuvé lorsque, écartant ce moyen, il note que la plainte pénale puis l'action civile de Mme [NL] [S] n'a été engagée que de nombreuses années après avoir révélé les faits, de manière réitérée, cohérente et espacée dans le temps, auprès de plusieurs proches et de professionnels de la santé.

L'appelant se prévaut d'attestations de parents et proches de la famille [NL], qui témoignent de ce que Mme [NL] [S] était très proche de son père qu'elle l'admirait, qu'ils n'avaient jamais noté la moindre ambiguité ni la moindre tension entre eux et qui déplorent qu'elle ait coupé les ponts avec eux depuis qu'elle est en couple avec M. [R] [E].

Il convient toutefois de relever que l'absence de témoin direct des faits dénoncés est très fréquente dans les affaires d'agressions sexuelles qui se déroulent, la plupart du temps, dans un cadre privé, à l'abri des regards. En outre, le fait que la plaignante ait pu paraître proche de son père n'est aucunement contradictoire avec le fait d'avoir été victime d'atteintes sexuelles de nature incestueuses, Mme [NL] [S] décrivant une véritable emprise exercée par son père sur elle, y compris à l'âge adulte puisqu'elle travaillait dans l'entreprise familiale - plusieurs témoignages corroborant cet élément, en particulier ceux de [ND] [H], ainsi que de [I] [V], psychthérapeute -, et soulignant que loin d'être sous l'influence de son compagnon [R] [E], elle s'estime soutenue par ce dernier dans son combat judiciaire à l'encontre de son père de l'emprise duquel elle s'est enfin libérée.

Enfin, il sera relevé que les dénonciations réitérées de Mme [NL] [S] sont corroborées par l'avis de Mme [P] [NC], psychologue du [12], daté du 25 juillet 2017, selon lequel l'entretien clinique révèle un épuisement psychique et un effondrement dépressif possiblement en lien avec les agressions décrites, avec l'exposition à des situations de stress répétées et peut-être aussi avec l'énergie dépensée à faire semblant pendant une grande partie de son enfance et de son adolescence. La psychologue souligne que Mme [NL] [S] 'explique avoir toujours porté un masque pour éviter les ennuis mais aussi en raison d'une grande ambivalence vis-à-vis de ce père qu'elle décrit comme tout puissant. Elle aurait en effet toujours cherché sa reconnaissance malgré le profond sentiment de trahison qu'elle dit avoir souvent ressenti en lien avec les actes dénoncés'.

La réalité des faits dénoncés par Mme [NL] [S] est également confirmée par les conclusions du docteur [N], expert judiciaire, qui, dans son rapport du 22 mars 2022, expose que les doléances décrites par Mme [NL] [S] sont 'en rapport avec sa souffrance morale et notamment des troubles du sommeil, la réviviscence des scènes traumatiques, l'hyper vigilance permanente avec la crainte de se trouver confrontée à un quelconque danger, des signes de sursauts, des manifestions somatiques avec des nausées, des phases de pleurs et d'angoisse, des troubles de la concentration avec des oublis, un épuisement psychique se caractérisant par des ruminations obsédantes.', ainsi que par le rapport du docteur [Z] [O], expert judiciaire, daté du 15 mai 2022, qui relève que Mme [NL] [S] est porteuse d'un syndrome post traumatique séquellaire associant hypervigilance et hyperréactivité (qui vive, réactions de sursaut, besoin de contrôle constant, troubles du sommeil), syndrome de répétition (cauchemars, reviviscences réactivées surtout par les odeurs amenant des nausées, anorgasmie et difficultés à lâcher prise lors des rapports sexuels, psychasthénie, fléchissement thymique), évitements avec conduite de dérivation (phobie d'aller se coucher, déréalisation évoluant par phases).

Au regard de l'ensemble de ces éléments, le jugement déféré mérite pleinement confirmation en ce qu'il a déclaré M. [NL] [S] responsable des préjudices subis par Mme [NL] [S] suite aux viols et agressions sexuelles dont elle a été victime.

L'expertise médicale confiée au docteur [N] étant nécessaire pour évaluer les préjudices subis par la victime, le jugement sera également confirmé en ce qu'il a ordonné ladite expertise, avec cette précision toutefois qu'il n'y a pas lieu de l'ordonner avant-dire-droit.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Aux termes de l'article 696, alinéa premier, du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. M. [NL] [S], qui succombe, supportera la charge des dépens d'appel.

En application de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Sur ce fondement, M. [NL] [S] sera condamné au paiement de la somme de 2.000 euros.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Déclare recevable l'action de Mme [B] [NL] [S],

Confirme le jugement déféré, sauf sur le caractère avant dire droit de l'expertise médicale ordonnée et en ce que les dépens ont été réservés,

Y ajoutant,

Condamne M. [L] [NL] [S] à payer à Mme [B] [NL] [S] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [L] [NL] [S] aux dépens de première instance et d'appel.

Le présent arrêt a été signé par Madame Paule POIREL, président, et par Mme Séléna BONNET, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre civile
Numéro d'arrêt : 21/03013
Date de la décision : 30/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 08/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-30;21.03013 ?
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