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29/05/2024 | FRANCE | N°21/04125

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 29 mai 2024, 21/04125


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



--------------------------







ARRÊT DU : 29 MAI 2024







PRUD'HOMMES



N° RG 21/04125 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MHC5













Monsieur [M] [B]



c/



S.E.L.A.R.L. EKIP en qualité de mandataire liquidateur de la SEML [Localité 9] Gestion Equipements



UNEDIC Délégation AGS-C.G.E.A. de [Localité 6]













Natu

re de la décision : AU FOND



















Grosse délivrée le :



à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 25 juin 2021 (R.G. n°F 18/01844) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section Encadrement, suivant déclarati...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 29 MAI 2024

PRUD'HOMMES

N° RG 21/04125 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MHC5

Monsieur [M] [B]

c/

S.E.L.A.R.L. EKIP en qualité de mandataire liquidateur de la SEML [Localité 9] Gestion Equipements

UNEDIC Délégation AGS-C.G.E.A. de [Localité 6]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 25 juin 2021 (R.G. n°F 18/01844) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section Encadrement, suivant déclaration d'appel du 16 juillet 2021,

APPELANT :

Monsieur [M] [B]

né le 09 janvier 1957 à [Localité 7] de nationalité française, demeurant [Adresse 2] - [Localité 4]

représenté par Me Caroline DUPUY, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉES :

SELARL Ekip' en qualité de mandataire liquidateur de la SEML [Localité 9] Gestion Equipements, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social [Adresse 3] [Localité 4]

N° SIRET : 453 211 393

représentée par Me Nabil MOUNIR avocat au barreau de BORDEAUX substituant Me Patrick TRASSARD de la SELARL TRASSARD & ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX

UNEDIC Délégation AGS-CGEA de [Localité 6], prisE en la personne de son Directeur domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 8] - [Localité 5]

représentée par Me Philippe DUPRAT de la SCP DAGG, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 09 avril 2024 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Sylvie Tronche, conseillère, chargée d'instruire l'affaire,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Sylvie Hylaire, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère

Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

La société anonyme d'Economie Mixte Locale [Localité 9] Gestion Equipements (ci-après la SEML) exploitait une salle de spectacle dénommée [1] à [Localité 9] dans le cadre d'une convention d'affermage signée avec la mairie de cette commune.

Monsieur [M] [B], né en 1957, a été engagé en qualité de responsable technique par la société le 1er novembre 2002 et au dernier état de la relation contractuelle, il occupait le poste de directeur technique, statut cadre moyennant une rémunération mensuelle brute moyenne s'élevant à la somme de 3.047,88 euros.

Par avenant du 1er septembre 2012, les relations contractuelles ont été soumises à la convention collective nationale pour les entreprises artistiques et culturelles. Un protocole d'accord a été signé le même jour pour régulariser la progression des salaires et des échelons.

Le contrat d'affermage a été résilié par la commune de [Localité 9] par délibération du 23 novembre 2017, prenant effet le 30 juillet 2018 et une convention de mise à disposition des locaux a été signée avec la mairie de [Localité 9] jusqu'au 15 novembre 2018.

Par lettre datée du 29 mai 2018, M. [B] a été convoqué à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement fixé au 11 juin suivant, au cours duquel un contrat de sécurisation professionnelle ainsi qu'une lettre d'information sur le motif économique du licenciement lui ont été remis.

M. [B] n'a pas adhéré au contrat de sécurisation professionnelle proposé et a ensuite été licencié pour motif économique par lettre datée du 28 juin 2018.

A la date de son licenciement, le salarié avait une ancienneté de 15 ans et 7 mois et la société occupait à titre habituel 5 salariés.

Les actionnaires de la SEML [Localité 9] Gestion Equipements ont voté la dissolution anticipée de la société le 4 juillet 2018.

Le 4 décembre 2018, M. [B] a saisi le conseil de prud'hommes de Bordeaux contestant la légitimité de son licenciement et réclamant le paiement de diverses indemnités, dont des dommages et intérêts au titre du défaut de consultation des délégués du personnel, de l'exécution déloyale du contrat de travail et de la violation de l'obligation de sécurité.

Par jugement du tribunal de commerce de Bordeaux rendu le 9 septembre 2020, la

SEML [Localité 9] Gestion Equipements a été placée en liquidation judiciaire, la SELARL Ekip' étant désignée en qualité de mandataire liquidateur.

Par jugement rendu le 25 juin 2021, le conseil de prud'hommes a :

- jugé que le licenciement de M. [B] pour motif économique est justifié,

- inscrit au passif de la liquidation judiciaire de la société [Localité 9] Gestion Equipements au bénéfice de M. [B] la somme de 3.047,88 euros au titre de l'irrégularité de la procédure de licenciement,

- déclaré le jugement opposable à la SELARL Ekip' ainsi qu'à l'UNEDIC délégation AGS CGEA de [Localité 6], dans la limite légale de sa garantie,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes,

- ordonné l'emploi des dépens en frais privilégiés du redressement judiciaire de la société [Localité 9] Gestion Equipements.

Par déclaration du 16 juillet 2021, M. [B] a relevé appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 18 février 2022, M. [B] demande à la cour, outre de faire droit à son appel, de :

- réformer le jugement du conseil de prud'hommes de Bordeaux du 25 juin 2021 en ce qu'il l'a débouté :

* de sa demande à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif en application de l'article L. 1235-3 du fait :

- de l'absence de consultation des délégués du personnel en violation des dispositions de l'article III.1 de la convention collective nationale pour les entreprises artistiques et culturelles et de l'article V.9, relatifs aux obligations de consultation des délégués du personnel en matière économique et notamment dans le cadre d'un licenciement économique,

- de l'absence de cause économique de licenciement et de la violation de l'obligation de reclassement,

* de sa demande à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail (article L. 1222-1 du code du travail), et violation de l'obligation de sécurité (articles L. 4121-1 du code du travail et suivants),

- fixer sa créance à la liquidation judiciaire de la société SEML [Localité 9] Gestion Equipements aux sommes suivantes :

* Sur l'exécution du contrat de travail, 12.191,52 euros (3.047,88 x 4) à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail (article L. 1222-1 du code du travail) et violation de l'obligation de sécurité (articles L. 4121-1 et suivants du code du travail),

* Sur la rupture du contrat de travail,

- à titre principal, 73.149,12 euros (3.047,88 x 24) à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif (article L. 1235-3 du code du travail),

* à titre subsidiaire, 3.047,88 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement irrégulier en la forme,

En toute hypothèse,

- rejeter les prétentions et demandes formulées par les AGS,

- déclarer l'arrêt à intervenir opposable à l'UNEDIC Délégation AGS CGEA de [Localité 6],

- rejeter les prétentions de la SELARL Ekip' dans le cadre de son appel incident et la débouter de l'ensemble de ses demandes en cause d'appel, notamment au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la SELARL Ekip' au versement d'une somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 17 décembre 2021, la SELARL Ekip', en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SEML, demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il a alloué à M. [B] la somme de 3.047,88 euros au titre de l'irrégularité de la procédure de licenciement,

Statuant à nouveau et dans cette limite,

- débouter M. [B] de sa demande de dommages et intérêts de 3.047,88 euros pour licenciement irrégulier,

- le condamner à lui payer la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux aux dépens.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 21 décembre 2021, l'UNEDIC Délégation AGS CGEA de [Localité 6] demande à la cour de :

A titre principal,

- confirmer le jugement du 25 juin 2021 dont appel,

- débouter M. [B] du surplus de ses demandes,

Subsidiairement,

- fixer, en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, les dommages et intérêts à la somme maximale de 6.000 euros, au visa de l'article L. 1235-14 du code du travail, faute de préjudice supérieur subi au titre de la perte de son emploi,

- débouter M. [B] du surplus de ses demandes et, en toute hypothèse, de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au-delà du plafond légal de 39.622,44 euros,

- fixer, encore plus subsidiairement en cas d'exécution déloyale et/ou violation de l'obligation de sécurité, les dommages et intérêts à la somme maximale de 300 euros faute de préjudice supérieur démontré,

Sur la garantie de l'AGS,

- dire que l'arrêt à intervenir ne sera opposable à l'AGS que dans la limite légale de sa garantie, laquelle :

* est limitée à six fois le plafond des contributions à l'assurance chômage en vigueur en 2018,

* exclut l'indemnité allouée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 15 mars 2024 et l'affaire a été fixée à l'audience du 9 avril 2024.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'à la décision déférée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la rupture du contrat de travail

Pour solliciter l'infirmation de la décision déférée qui l'a débouté de sa demande au titre de l'absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement, M. [B] argue d'une part, de l'absence de consultation des délégués du personnel en violation des dispositions de l'article III.1 de la convention collective nationale applicable ainsi que de son article V.9, relatifs à l'obligation de consultation des délégués du personnel, notamment dans le cadre d'un licenciement économique et, d'autre part, de l'absence de cause économique du licenciement et du non-respect de l'obligation de reclassement.

La liquidation et l'UNEDIC affirment que l'argumentation de l'appelant est inopérante.

- Sur l'irrégularité de la procédure et ses éventuelles conséquences quant au caractère réel et sérieux de la cause du licenciement

Selon M. [B], en s'abstenant de procéder à la consultation des délégués du personnel et ce, du fait de l'absence d'organisation d'une nouvelle élection à cette fin, l'employeur a violé les garanties conventionnelles de fond rendant son licenciement abusif.

La liquidation judiciaire ainsi que l'UNEDIC délégation AGS-CGEA de [Localité 6], sans contester l'irrégularité de la procédure mise en oeuvre, soulignent que la convention collective applicable ne fait que reprendre les dispositions légales en matière de licenciement économique et rappellent les dispositions de l'article L. 1235-12 du code du travail prévoyant au titre de la sanction de l'absence de consultation des délégués du personnel, une indemnité à la charge de l'employeur calculée en fonction du préjudice subi.

* * *

S'agissant de la procédure de licenciement pour motif économique concernant moins de 10 salariés dans une même période de trente jours, il résulte des dispositions des articles L. 1233-8 et suivants du code du travail que l'employeur réunit et consulte le comité social et économique (CSE) dans les entreprises d'au moins 11 salariés, ce qui n'était pas le cas en l'espèce, la société employant 5 salariés.

Cependant, l'article III.1.1 de la convention collective nationale des entreprises artistiques et culturelles applicable à la relation contractuelle prévoit, par extension de la loi, un représentant du personnel dans les entreprises dont l'effectif est d'au moins 5 à moins de 11 salariés, équivalent temps plein, et comportant au moins un contrat de travail à durée indéterminée à temps plein, ce qui était le cas.

Par ailleurs, l'article III.1.4 de la convention collective précise, s'agissant des attributions des délègués du personnel, que :

« Les décisions de la direction doivent être obligatoirement soumises à l'avis préalable des représentants élus du personnel dès lors qu'elles concernent, d'une façon générale les conditions d'emploi et de travail (notamment celles de nature à affecter le volume et la structure des effectifs) ou la qualité de la vie dans l'entreprise. Cette consultation intervient en particulier pour la fixation de la période des congés payés, avant tout licenciement individuel quel qu'en soit le motif (sauf cas de faute grave ou lourde) et avant tout licenciement collectif ».

Enfin, l'article V.9 de cette convention stipule que « tout licenciement ne pourra intervenir que dans le strict respect de la législation en vigueur et notamment des articles L. 122-6 et suivants du code du travail. Il fera l'objet d'une information écrite aux représentants du personnel élus. »

Il s'en déduit que la société, qui ne produit pas de procès verbal de carence, aurait normalement dû consulter le représentant du personnel si l'élection de celui-ci avait été organisée.

Toutefois, tant l'article L. 1235-12 que l'article L. 1235-15 du code du travail, dans leur version issue de l'ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017, prévoient que le non-respect des procédures de consultation des représentants du personnel ou leur défaut de mise en place, rend irrégulière la procédure de licenciement mais ne remet pas en cause la validité de celui-ci.

Dès lors, aucune violation d'une garantie conventionnelle de fond de nature à priver le licenciement de cause réelle et sérieuse n'est caractérisée et le licenciement ne peut en conséquence être invalidé sur ce fondement.

- Sur le motif économique

La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est rédigée comme suit :

« [']

La Société [Localité 9] Gestion Equipement avait en charge dans le cadre d'une convention d'affermage avec la mairie de [Localité 9], l'exploitation de la salle de spectacle [1].

Compte tenu du vieillissement des locaux, nécessitant d'importants travaux de réfection afin notamment de répondre aux normes de sécurité, à la décision prise par la municipalité de réorganiser son offre culturelle et aux marges bénéficiaires insuffisantes de la société pour assurer un développement pérenne dans un secteur fortement concurrentiel, le conseil municipal a décidé, lors de la délibération du 23 novembre 2017, la fin de l'exploitation de la salle de [1] et la résiliation de la convention d'affermage.

De ce fait nous sommes contraints de cesser l'activité de la société et de supprimer votre poste de directeur technique.

En dépit des recherches que nous avons effectuées, conformément à l'article L1233-4

du Code du travail, nous n'avons pas trouvé de poste de reclassement à vous proposer.

['] ».

Pour contester le caractère réel et sérieux de son licenciement et solliciter l'allocation d'une somme de 73.149,12 euros, M. [B] soutient que le maire de [Localité 9] a souhaité remplacer la salle de spectacle par une activité plus lucrative en édifiant à sa place, un ensemble immobilier comportant 200 logements.

Il considère cette décision arbitraire comme ayant été rendue en dehors de toute cause économique définie par la loi.

M. [B] conteste également le vieillissement des locaux, la défaillance des normes de sécurité, les difficultés économiques de la salle de spectacle, l'existence d'autres salles de spectacles, tels qu'invoqués au soutien de son licenciement, et fait valoir la désapprobation des nombreux clients quant à la décision de fermer cette salle de spectacle.

Il produit plusieurs attestations d'usagers de cette salle ainsi celle de l'ancienne directrice de l'espace [1], déplorant le manque d'entretien du bâtiment et le refus par la commune d'entreprendre des travaux de rénovation.

Il verse enfin aux débats un extrait d'une délibération du conseil municipal du 19 mars 2018 au soutien de l'absence de difficultés économiques de la société mais dont la lecture complète permet néanmoins de retenir que la commune de [Localité 9] a largement participé au fonctionnement de la société après lui avoir versé 410.000 euros en 2015 et 2016, 390.000 euros en 2017 et 225.000 euros pour 7 mois d'exercice en 2018.

En défense, les intimées font valoir que la cause économique est caractérisée par la résiliation du contrat d'affermage et ses conséquences quant à la pérennité de l'activité de la société exploitant la salle de spectacle en exécution de ce contrat.

Selon elles, il n'appartient pas au juge du contrat du travail de statuer sur le bien-fondé du motif d'intérêt général invoqué par la mairie de [Localité 9] pour mettre un terme audit contrat.

* * *

Aux termes de l'article L. 1233-3 du code du travail, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel de son contrat de travail, consécutives notamment :

(...)

4° A la cessation d'activité de l'entreprise.

La matérialité de la suppression, de la transformation d'emploi ou de la modification d'un élément essentiel du contrat de travail s'apprécie au niveau de l'entreprise.

La cessation d'activité de l'entreprise constitue une cause de licenciement économique, nonobstant l'absence de difficultés économiques, d'une mutation technologique ou d'une menace sur sa compétitivité.

Elle doit être complète et définitive sans qu'il soit nécessaire de rechercher la cause de cette cessation d'activité lorsqu'elle ne résulte pas d'une faute ou d'une légèreté blâmable imputable à l'employeur.

S'il est admis que le juge peut prendre en compte la situation économique de l'entreprise pour apprécier le comportement de l'employeur, en cas de fermeture définitive et totale de l'entreprise, il ne peut, sans méconnaître l'autonomie de l'employeur et la liberté d'entreprendre, déduire de la seule absence de difficultés économiques, la légèreté blâmable ou la faute de l'employeur.

En l'espèce, le contrat d'affermage consenti par la commune de [Localité 9] à la société aux fins d'exploitation de la salle de spectacle [1] a été résilié à la suite d'une délibération du conseil municipal de [Localité 9] en date du 23 novembre 2017, notifiée à la société le 17 janvier 2018.

A l'examen du procès-verbal des délibérations de l'assemblée extraordinaire des actionnaires de la société en date du 4 juillet 2018, la dissolution anticipée de cette dernière a été décidée mettant fin à son activité et engendrant nécessairement la suppression des postes de tous les salariés.

Si M. [B] indique que la résiliation du contrat d'affermage était la conséquence d'une décision arbitraire du maire et non fondée sur des difficultés économiques, il n'est cependant pas établi par des éléments objectifs et vérifiables, que la cessation totale de l'activité de la société a procédé d'une faute ou d'une légèreté blâmable imputable à celle-ci.

Ainsi, la cessation totale et définitive de la société étant acquise et ne résultant ni d'une faute, ni d'une légèreté blâmable de l'employeur, le motif du licenciement économique de M. [B] est avéré.

- Sur l'obligation de reclassement

M. [B] affirme n'avoir été destinataire d'aucune proposition de reclassement contrairement aux termes du courrier de licenciement. Il ajoute que l'employeur avait pourtant pris un engagement moral et unilatéral de reclasser les salariés.

En réplique, le liquidateur judiciaire et l'UNEDIC soulignent que la société, dont les actionnaires sont la mairie de [Localité 9] et la Caisse de Dépôt et Consignations notamment, n'appartient pas à un groupe de sorte qu'aucune permutation n'est possible.

* * *

L'article L. 1233-4 du code du travail prévoit que le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré dans l'entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l'entreprise appartient dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.

Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure. Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises.

La tentative de reclassement est donc un préalable nécessaire à tout licenciement économique et il appartient à l'employeur d'établir la preuve de l'impossibilité d'affecter le salarié dans un autre emploi. La recherche de reclassement doit être sérieuse et loyale.

Lorsque l'employeur n'a pas satisfait à son obligation de reclassement, le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

En l'espèce, il résulte des explications et des pièces fournies que l'employeur ne faisait pas partie d'un groupe de sorte qu'aucune permutation n'était possible et ce, pas même au sein de la mairie de [Localité 9], personne de droit public.

C'est donc à bon droit que les juges de première instance ont rejeté le moyen tenant au défaut de reclassement, la société ayant totalement et définitivement cessé son activité et ne faisant partie d'aucun groupe.

Eu égard à l'ensemble de ces éléments, le licenciement de M. [B] repose sur une cause réelle et sérieuse.

- Sur la procédure de licenciement

M. [B] fait valoir que la procédure de consultation des délégués du personnel n'a pas été respectée dans la mesure où aucune élection des délégués du personnel n'a été organisée à l'issue du mandat de Mme [K] ayant pris fin le 5 juin 2015, ce qui n'est pas contesté par les parties intimées.

Il invoque également le non-respect du délai de 15 jours, entre l'entretien préalable et l'envoi de la lettre de licenciement d'un membre du personnel d'encadrement en application de l'article L. 1233-15 du code du travail ainsi que la violation de l'obligation de mentionner la priorité de réembauche dans la lettre de licenciement conformément aux dispositions de l'article L. 1233-16.

L'appelant sollicite en conséquence, la confirmation de la décision entreprise qui lui a alloué la somme de 3.047,88 euros représentant un mois de salaire.

En défense, la liquidation judiciaire sollicite le rejet de la demande à ce titre tandis que l'UNEDIC fait valoir l'absence de préjudice, en ce que la consultation des délégués du personnel n'aurait pu influer la décision de l'employeur dans un tel contexte et demande que l'indemnité accordée au salarié à ce titre soit néanmoins cantonnée à une somme correspondant à un mois de salaire.

* * *

Au regard des explications et des pièces fournies, l'irrégularité reposant sur les dispositions des articles L. 1233-15 n'est pas établie : il ne s'agissait pas d'un licenciement individuel puisqu'au moins un autre cadre, Mme [K], a également été licencié.

En revanche, d'une part, la lettre de licenciement adressée à M. [B] ne porte pas mention de la priorité de réembauche, qui s'impose même en cas de fermeture de l'entreprise, étant observé que du fait de la cessation de l'activité de celle-ci, aucun préjudice ne peut résulter de l'absence de cette mention.

D'autre part, en n'organisant pas l'élection d'un représentant du personnel, la société a failli à son obligation conventionnelle et a ainsi privé les salariés de la faculté de disposer d'une information sur leurs droits dans le cadre de la procédure de licenciement pour motif économique dont ils étaient l'objet.

En application des dispositions de l'article L. 1235-12 du code du travail applicable à la réparation du préjudice résultant du non-respect de la procédure de consultation des représentants du personnel, le jugement déféré sera confirmé quant à la somme allouée en réparation du préjudice subi par M. [B].

Sur l'exécution déloyale du contrat de travail et le non-respect de l'obligation de sécurité

Pour infirmation de la décision entreprise et obtenir l'allocation d'une somme de 12.191,52 euros, M. [B] argue de l'absence d'application de la convention collective nationale pour les entreprises artistiques et culturelles jusqu'en septembre 2012, du refus d'entretenir la salle pour préserver l'activité de l'exploitation, du défaut de formation dans le cadre de l'activité SSIAP1 qu'il exerçait, de l'absence de prise en charge par l'employeur des cotisations de prévoyance, du non-respect du taux de cotisation retraite et du défaut d'organisation des élections de délégués du personnel depuis juin 2015, l'ensemble de ces manquements lui ayant causé un préjudice.

Se joignant aux écritures de la liquidation judiciaire, l'UNEDIC estime le quantum sollicité surévalué en l'absence de démonstration par le salarié de l'étendue de son préjudice. Est en conséquence sollicité le rejet de ses demandes à ce titre ou, à tout le moins, la minoration de sa demande à hauteur de la somme maximale de 300 euros.

* * *

En vertu des dispositions de l'article L.1222-1 du code du travail, le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi.

Il incombe à celui qui se prévaut d'une inexécution déloyale du contrat de travail d'en rapporter la preuve.

Par ailleurs, en application de l'article L.4121-1 du code du travail, l'employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs et veiller à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

Si la charge de la preuve incombe à l'employeur en ce qui concerne cette obligation néanmoins, il doit au préalable être rapportée la preuve d'un élément permettant d'établir un fait susceptible de caractériser le manquement qui lui est imputé.

En l'espèce, si l'irrégularité de la procédure de licenciement a été précédemment retenue, ainsi que le soutiennent les intimées, la consultation des délégués du personnel n'aurait pu, à l'évidence, infléchir la décision de l'employeur de sorte qu'aucun préjudice ne peut en résulter.

S'agissant de l'application tardive de la convention collective nationale des entreprises artistiques et culturelles, les pièces de la procédure permettent de constater que le protocole mis en place à compter du 1er septembre 2012 a permis la régularisation des salaires et des échelons prévus à ladite convention alors que, par ailleurs, M. [B] a adhéré à un protocole transactionnel portant sur une indemnisation salariale à cet effet.

Le préjudice allégué n'est étayé par aucun élément probant, la demande à titre de dommages et intérêts ne pouvant avoir pour objet de contourner les règles de la prescription applicables.

Concernant le défaut de formation dans le cadre de l'activité SSIAP1, s'il est établi que le salarié n'a bénéficié d'aucune formation à compter de mai 2014, en revanche il n'est pas démontré un quelconque préjudice en lien avec cette absence de remise à niveau.

De la même façon, le grief tenant du défaut d'entretien de la salle de spectacle ne peut être retenu à l'encontre de l'employeur, car seule la mairie de [Localité 9] en était responsable.

Par ailleurs, si l'irrégularité de la procédure de licenciement a été retenue, ainsi que le soutiennent les intimées, la consultation des délégués du personnel n'aurait pu, à l'évidence, infléchir la décision de l'employeur de sorte qu'aucun préjudice ne peut en résulter.

S'agissant de l'absence de prise en charge par l'employeur des cotisations de prévoyance et du non-respect du taux de cotisation retraite, le salarié soutient que contrairement à la convention collective applicable qui prévoit pour les salariés cadres la prise en charge intégrale par l'employeur des cotisations prévoyance, la société a procédé à des retenues à ce titre sur ses salaires pour un montant total de 1.542 euros ainsi qu'à des retenues au titre de la retraite, sans respecter le taux conventionnel fixé à 2,5 au lieu de 3,1 mis en 'uvre par l'employeur, soit la somme totale de 527 euros et ce, sur la période comprise entre 2016 et 2018.

Il résulte de l'article XII.1.c de la convention collective applicable que s'agissant de la retraite des cadres permanents relevant du régime complémentaire (ARRCO), ces derniers bénéficient du régime de retraite complémentaire sur la base d'une cotisation au taux contractuel de 6% (avec un taux d'appel est de 7,50%) selon la répartition suivante :

- 2,50 % (part salariale),

- 5 % (part patronale).

En l'espèce, l'examen des bulletins de salaire versés pour la période comprise entre le 1er juillet 2017 et le 31 juillet 2018, permet de constater qu'un taux de 3,1% a été appliqué sur la retenue salariale à ce titre, soit un manque à gagner pour le salarié d'un montant de 421,60 euros.

En outre, l'article XII.2.1.2. de la même convention prévoit pour les salariés permanents cadres que les entreprises acquittent une cotisation prévoyance, entièrement à la charge de l'employeur, due dès le premier jour d'embauche.

L'examen des bulletins de salaire versés pour la période comprise entre le 1er juillet 2017 et le 31 juillet 2018, permet de constater que la somme totale de 1.119 euros a été indûment retenue par l'employeur.

En considération de ces éléments, il sera alloué à M. [B] la somme de 1.600 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de l'exécution déloyale du contrat de travail par l'employeur.

Le jugement entrepris sera ainsi infirmé.

Sur les autres demandes

Les dépens seront employés en frais privilégiés de la liquidation judiciaire mais il n'apparaît pas justifié de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, compte tenu de la situation de la société.

L'arrêt à intervenir sera déclaré opposable à l'UNEDIC Délégation AGS CGEA de [Localité 6], dans la limite légale de sa garantie.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Confirme la décision entreprise en ce qu'elle a :

- débouté M. [B] de ses demandes indemnitaires au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- fixé au passif de la liquidation judiciaire de la SEML [Localité 9] Gestion Equipements la créance de M. [B] à titre de dommages et intérêts pour le non-respect de la procédure de licenciement à la somme de 3.047,88 euros,

- ordonné l'emploi des dépens en frais privilégiés de la procédure collective,

L'infirme pour le surplus,

Statuant des chefs infirmés et y ajoutant,

Fixe la créance de M. [B] au passif de la liquidation judiciaire de la SEML [Localité 9] Gestion Equipements représentée par son liquidateur, la SELARL EKIP', à la somme de 1.600 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

Déclare la présente décision opposable à l'UNEDIC Délégation AGS-CGEA de [Localité 6], dans la limite légale de sa garantie et du plafond applicable, à l'exception des dépens,

Dit n'y avoir lieu à l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de la liquidation judiciaire.

Signé par Sylvie Hylaire, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Sylvie Hylaire


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 21/04125
Date de la décision : 29/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 09/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-29;21.04125 ?
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