La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

29/05/2024 | FRANCE | N°21/03616

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 29 mai 2024, 21/03616


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



--------------------------







ARRÊT DU : 29 MAI 2024







PRUD'HOMMES



N° RG 21/03616 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MFS7















S.A.S.U. ALUVAIR



c/



Monsieur [U] [E]

















Nature de la décision : AU FOND



















Grosse délivrée

le :



à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 04 juin 2021 (R.G. n°F 19/01024) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section Encadrement, suivant déclaration d'appel du 24 juin 2021,





APPELANTE :

SASU Aluvair, agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cet...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 29 MAI 2024

PRUD'HOMMES

N° RG 21/03616 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MFS7

S.A.S.U. ALUVAIR

c/

Monsieur [U] [E]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 04 juin 2021 (R.G. n°F 19/01024) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section Encadrement, suivant déclaration d'appel du 24 juin 2021,

APPELANTE :

SASU Aluvair, agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 2]

N° SIRET : 403 543 796

représentée par Me Emilie MONTEYROL, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉ :

Monsieur [U] [E]

né le 26 Mai 1965 à [Localité 3] de nationalité Française Profession : Chef de chantier, demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Fabienne LACOSTE de la SELARL FABIENNE LACOSTE, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 12 mars 2024 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente chargée d'instruire l'affaire,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère

Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur [U] [E], né en 1965, a été engagé en qualité de poseur par la société Soblaco, par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er mai 1990.

Le salarié a été promu au poste de chef d'équipe et occupait en dernier lieu les fonctions de chef de chantier, statue cadre.

Le 30 juin 2017, un contrat de travail à durée indéterminée a été régularisé avec la société Aluvair avec reprise d' ancienneté.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie du 13 mars 1972.

En dernier lieu, la rémunération mensuelle brute moyenne du salarié s'élevait à la somme de 2 886,60 euros.

Le 12 octobre 2018, la société Aluvair a rappelé à l'ordre M. [E] sur les horaires de travail et un avertissement a été notifié le 18 janvier 2019.

Le 21 janvier 2019, le coordinateur SPS du chantier sur lequel M. [E] travaillait a rédigé un compte-rendu faisant état de la violation des règles de sécurité.

Par lettre datée du 7 mars 2019, M. [E] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 15 mars suivant, avec mise à pied à titre conservatoire.

M. [E] a ensuite été licencié pour faute grave par lettre datée du 20 mars 2019.

A la date du licenciement, M. [E] avait une ancienneté de 28 ans et 10 mois et la société occupait à titre habituel moins de onze salariés.

Par courrier du 15 avril 2019, le conseil de M. [E] a contesté son licenciement. Par courrier responsif du 25 avril suivant, la société Aluvair a refusé un règlement amiable.

Le 11 juillet 2019, M. [E] a saisi le conseil de prud'hommes de Bordeaux afin de contester la légitimité de son licenciement, de demander l'annulation de l'avertissement et le paiement de diverses indemnités dommages et intérêts et rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire.

Par jugement rendu le 4 juin 2021, le conseil de prud'hommes a :

- dit que l'avertissement n'est pas justifié et annulé l'avertissement du 18 janvier 2019 notifié à M. [E],

- dit que le licenciement de M. [E] est dépourvu de case réelle et sérieuse,

- condamné la société Aluvair en la personne de son représentant légale à verser à M. [E] les sommes suivantes :

* 57.732 euros au titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 17.319,60 euros brut au titre du préavis outre 1.731,96 euros brut au titre des congés payés sur préavis,

* 51.266,05 euros net au titre de complément sur l'indemnité de licenciement,

* 1.178,20 euros brut au titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire,

* 117,82 euros brut au titre de congés payés sur rappel de salaire sur mise à pied conservatoire,

* 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que les sommes dues sont soumises aux intérêts légaux à compter du prononcé de la décision et que les intérêts produits seront capitalisés,

- rappelé que l'exécution provisoire est de droit pour le préavis et les congés payés sur préavis et l'indemnité de licenciement dans la limite de 9 mois de salaire sur la base d'un salaire moyen de 2.886,60 euros,

- ordonné à la société Aluvair le remboursement à Pôle Emploi des indemnités chômage perçues par M. [E] dans la limite de six mois d'indemnités de chômage,

- mis la totalité des dépens à la charge de la société Aluvair,

- dit qu'à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées par la présente décision et qu'en cas d'exécution par voie extrajudiciaire, les sommes retenues par l'huissier instrumentaire devront être supportées par la société Aluvair, défenderesse,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes.

Par déclaration du 24 juin 2021, la société Aluvair a relevé appel de cette décision, notifiée par lettre adressée aux parties par le greffe le 4 juin 2021.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 15 mars 2022, la société Aluvair demande à la cour de :

- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Bordeaux du 4 juin 2021, en ce qu'il a :

* dit que l'avertissement n'était pas justifié et a annulé l'avertissement du 18 janvier 2019,

* dit que le licenciement de M. [E] était dépourvu de cause réelle et sérieuse,

* condamné la société Aluvair à payer à M. [E] les sommes suivantes :

. 1178,20 euros bruts à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire,

. 117,82 euros bruts à titre de congés payés sur rappel de salaire sur mise à pied conservatoire,

. 17.319,60 euros bruts au titre du préavis,

. 1.731,96 euros bruts au titre des congés payés sur préavis,

. 51.266,05 euros à titre d'indemnité de licenciement,

. 57.732 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

. 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* dit que les sommes dues sont soumises aux intérêts légaux à compter du prononcé de la décision et que les intérêts produits seront capitalisés,

* ordonné à la société le remboursement à Pôle emploi des indemnités chômage perçues par M. [E] dans la limite de six mois d'indemnités de chômage,

* mis à sa charge la totalité des dépens et frais éventuels d'exécution,

- débouter M. [E] de son appel incident,

Statuant à nouveau,

- le débouter de toutes ses demandes,

- le condamner à lui payer la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- le condamner aux dépens.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 10 janvier 2022, M. [E] demande à la cour de :

- déclarer l'appel mal fondé,

A titre principal,

- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Aluvair à lui verser les sommes suivantes :

* 57.732 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (20 mois de salaire),

* 1.178,10 euros bruts à titre de rappel de salaire pour la période de mise à pied conservatoire,

* 117,81 euros bruts à titre d'indemnité de congés payés afférents,

* 17.319,60 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis (6 mois de salaire),

* 1.731,96 euros bruts à titre d'indemnité de congés payés afférents,

* 51.266,06 euros nets à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

* 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

A titre subsidiaire, si la cour d'appel devait retenir que le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse,

- juger que les faits reprochés ne suffisent pas à caractériser une faute grave ; que le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse,

- requalifier les faits reprochés en faute simple,

- condamner la société Aluvair à lui verser les indemnités de fin de contrat suivantes :

* 1.178,10 euros bruts à titre de rappel de salaire pour la période de mise à pied conservatoire,

* 117,81 euros bruts à titre d'indemnité de congés payés afférents,

* 17.319,60 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis (6 mois de salaire),

* 1.731,96 euros bruts à titre d'indemnité de congés payés afférents,

* 51.266,06 euros nets à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

En tout état de cause,

- infirmer le jugement en ce qu'il a dit que les intérêt légaux devront courir à compter de la date du jugement et juger que les sommes mises à la charge de la société Aluvair produiront intérêts au taux légal à compter de la date de saisine du conseil de prud'hommes et jusqu'à complet paiement,

- le confirmer en ce qu'il a ordonné la capitalisation des intérêts,

- condamner la société Aluvair à lui verser la somme de 3.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

- la condamner aux dépens en ce compris les frais éventuels d'exécution.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 février 2024 et l'affaire a été fixée à l'audience du 12 mars 2024.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'à la décision déférée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

La lettre de licenciement est ainsi rédigée:

« - Le 21 janvier 2019, le coordinateur sécurité du chantier vous a arrêté dans votre tâche au motif que lors des approvisionnements des éléments vitrés vous ne portiez pas les EPI nécessaires à vous protéger des risques de chutes ou d'empalement.

- Devant cet état de fait, Monsieur [K] votre responsable de chantier nous déclare vous avoir demandé de mettre vos EPI et en particulier un harnais et que vous n'avez pas obtempéré. Vous avez alors terminé votre tâche sans vous mettre en sécurité.

- Monsieur [N] [C], salarié de l'entreprise SOBLACO, déclare vous avoir vu dérober des éléments en bois propriété de la société SOBLACO

- Le relevé GPS de votre camion indique que vous utilisez le camion de l'entreprise sans autorisation le 9, 10 et 11 novembre 2018 et le 30 décembre 2018.

Sur les 2 premiers points :

Durant votre entretien vous avez déclaré ne pas vous souvenir de cet événement où Monsieur [K] vous donnez une telle consigne.

Puis vous nous avez indiqué clairement la méthodologie que vous avez employé pour décharger les éléments vitrés nous confirmant implicitement que vous démontiez les gardes corps sans mettre vos harnais puisque le garde-corps était immédiatement remplacé par la palette d'ouvrant à décharger.

Vous avez précisé que vous étiez dans l'engin de chantier et qu'ainsi vous n'aviez pas besoin de votre harnais.

Dans ce contexte, il est clair pour nous que vous ne portiez pas de harnais le 21 janvier alors que, démontant le garde-corps, le port de cet EPI était obligatoire. Le fait que vous ayez été dans l'engin par la suite ne vous dispensait pas du port de cet EPI lors de vos interventions sur les balcons.

De plus, le coordinateur sécurité a, suite à son constat du 21 janvier, mené une réunion à laquelle Monsieur [K] a assisté. Dans son compte rendu établi le 22 janvier, il y confirme avoir arrêté votre tâche pour cause de défaut de sécurité et avoir vu avec Monsieur [K] pour qu'il vienne s'assurer auprès de vous que vous portiez bien vos harnais.

Ce compte rendu vient corroborer la déclaration de Monsieur [K] sur le fait qu'il vous a bien donné une telle consigne.

Le fait que vous conduisiez l'engin implique que le port du harnais n'était pas nécessaire à ce moment-là, il n'en était pas de même lors de vos interventions sur les balcons De plus, en tant que chef d'équipe, vous auriez dû veiller à ce que Monsieur [G] porte ce harnais.

Vous avez donc sciemment choisi de ne pas écouter votre responsable et ainsi de ne pas veiller à votre propre sécurité et à celle de M. [G].

Sur le 3ème point

Lors de l'inventaire réalisé en janvier 2019 nous avons découvert qu'il manquait des lames bois chez SOBLACO questionné Monsieur [C] nous alors déclaré que vous les aviez prises.

Vous avez reconnu avoir pris des lames de bois chez SOBLACO pour votre usage personnel mais avec l'autorisation de Monsieur [C].

Je tiens ici à vous informer que cela me paraît très étonnant car Monsieur [C] a lui-même pris des lames de bois pour lesquelles il s'est acquitté d'une facture. Il semble dès lors peu probable qu'il ait accepté de vous les donner sachant pertinemment que nous demandions un paiement pour ces lames.

Sur le 4ème point

Vos déclarations confirment que vous avez vraisemblablement utilisé le camion à des fins personnelles sans autorisation. La désinvolture de votre réponse démontre d'ailleurs que vous considériez cela comme tout à fait normal.

Ces faits étant assez anciens ils ne feront pas l'objet de sanctions mais ils remettent clairement en question la confiance que nous pouvons vous accorder.

Je vous rappelle que vous avez déjà fait l'objet d'un avertissement, le 18 janvier 2018 pour insubordination. Vous l'avez contesté, par courrier recommandé en date du 28 janvier 2019.

Dans votre courrier vous prétextez avoir pris l'initiative avec l'accord de M. [K] et de M. [B] de déjeuner à 13h prétextant que les installations du chantier étaient occupées sur le créneau 12h-13h.

Je profite de la présente pour vous rappeler que lors de notre courrier recommandé d'octobre 2018 nous vous avions précisé par écrit les horaires à respecter et qu'à cette époque vous étiez déjà sur le chantier Mussonville. De plus, nous avons contacté le maître d'ouvrage de ce projet qui nous a confirmé qu'une « base vie » suffisante était à votre disposition pour vous restaurer le midi. Enfin, la première partie de ce courrier et en particulier le fait que vous ayez volé du matériel ou utilisé notre véhicule à des fins personnelles mettant à mal la confiance que je peux avoir dans vos paroles, d'autant que, consultés par mes soins, ni Monsieur [K], ni Monsieur [B] ne se souviennent vous avoir autorisé à décaler vos horaires. Je maintiens donc ma décision de l'époque et l'avertissement que nous vous avions fait.

Dans ce contexte depuis le début de l'année 2019 vous avez :

- été averti pour insubordination,

- admis avoir pris du matériel sans contrepartie,

- commis un acte d'insubordination qui aurait pu avoir des conséquences particulièrement lourdes tant pour vous que pour l'entreprise ou pour moi. En effet, nous sommes assujettis en tant qu'entreprise et employeur à une obligation de résultat à votre sujet en matière de sécurité.

Dans votre travail vous êtes confronté quotidiennement à des situations dangereuses (travail en hauteur, manipulation de charges lourdes, co-activités...) et vous encadrez le travail de personnes qui sont elles-mêmes confrontées à ces risques. Seul le respect strict des consignes de sécurité et des modes opératoires que nous mettons en place peuvent vous prémunir de l'accident.

De plus, en tant que chez d'équipe, vous avez la garde de notre véhicule et du matériel qu'il contient et il nous faut avoir parfaitement confiance en vous pour continuer à vous le confier.

Dans ce cadre, il est tout à fait exclu que nous tolérions de tels manquements qui rendent la poursuite de votre contrat ou l'accomplissement d'un préavis tout à fait exclus.

Nous vous notifions donc par la présente votre licenciement pour faute grave à la date d'expédition du présent courrier, date à laquelle vous cesserez de faire partie des salariés de l'entreprise. ».

L'employeur ayant choisi de se placer sur le terrain d'un licenciement pour faute grave doit rapporter la preuve des faits allégués et démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié au sein de l'entreprise, étant en outre rappelé qu'aux termes de l'article L. 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance.

Le doute, s'il subsiste, bénéficie au salarié.

a- selon l' employeur, seuls messieurs [E] et [G] posaient les menuiseries en hauteur tandis que les salariés de la société Atlantique Pose intervenaient sur les garde- corps. Aucun doute ne serait donc possible quant aux salariés en cause non respectueux des consignes de M. [K] et les salariés disposaient des équipements de sécurité adéquates.

M. [E] oppose que la lettre de licenciement ne vise que le défaut de port de harnais par lui-même et non par M. [G], que le rédacteur du compte- rendu ne savait pas que la société Atlantique Pose était chargée des menuiseries en étage et ne connaissait pas M. [E], qu'il avait pour seule tâche de manoeuvrer le charriot élévateur pour transporter les menuiseries réceptionnées dans les étages par les salariés de la société Atlantique Pose dont les photographies révèlent qu'ils ne portaient pas leurs équipements de sécurité.

M. [E] ajoute qu'il entretenait de mauvaises relations avec M. [K] dont les dires ne sont corroborés par aucune pièce. Enfin, il n'a pas fait l'objet de remarque entre le 21 janvier et sa convocation à l' entretien préalable du 7 mars suivant.

L'intervention des salariés de la société Atlantique Pose sur ce chantier n'est pas contestée. Le différent porte sur la nature des prestations réalisées par les salariés de la société Aluvair - la pose de toutes les menuiseries à tous les étages selon l'employeur- et la pose des seules menuiseries du rez de chaussée selon M. [E].

Il n'est pas non plus contesté que M. [E] et M. [G] ne portaient pas de harnais de sécurité.

Les pièces versées sont les suivantes :

-la lettre de licenciement comporte le grief de n'avoir pas obligé M. [G] à porter un harnais de sécurité (' de plus, en tant que chef d'équipe, vous auriez dû veiller à ce que M. [G] porte ce harnais. Vous avez sciemment choisi de ne pas écouter votre responsable et ainsi de ne pas veiller à votre propre sécurité et à celle de M. [G]') ; le salarié ne peut valablement arguer de l'absence de ce motif de licenciement ;

- le rapport de l'APAVE, coordinateur de sécurité, daté du 22 janvier 2019, aux termes duquel : ' personnel en situation de risque de chute du fait de l'absence d'équipement de sécurité supprimant le risque de chute; risques d'empalement et chute de hauteur. Vu avec M. [K] ... arrêt du poste de travail. L' entreprise ne pourra reprendre qu'une fois l'opérateur mise en sécurité- harnais de sécurité connecté à point d'ancrage'. La cour constate que la société Atlantique Pose n'est pas mentionnée au rang des intervenants, M. [K] de la société Aluvair étant seul indiqué alors même que, selon la société appelante, la société Soblaco avait sous -traité le lot des garde- corps à la société Atlantique Pose et que :

*la société Aluvair ne dit pas que cette dernière n'est pas intervenue le 21 janvier 2019 ;

*' l'annexe fiche marché ' cotée 15 de la société relative aux menuiseries extérieures'mentionnant le montant total de 695 289 euros n'établit pas qu'elle

était en charge de toutes les menuiseries y compris dans les étages;

* la pièce 17 de la société ne le prouve pas non plus ;

* de son coté, M. [E] produit des plans de chantier répartissant les travaux entre les sociétés Aluvair ( R+0) et Atlantique Pose ( R+1, R+2, R+3);

* M. [E] verse les attestations de MM. [P], salariés de la société Atlantique Pose et aux termes desquelles, ils travaillaient sur le chantier en même temps que MM [E] et [G], le premier conduisant l'engin élévateur et le second attachant les menuiseries et s'assurant de la sécurité des manoeuvres de son collègue :les rédacteurs attestent qu'eux mêmes réceptionnaient les menuiseries et vitrages sur les balcons des étages,

* une photographie de deux salariés travaillant en hauteur, l'un sans harmais et l'autre sans casque et dont la société ne dit pas qu'il s'agit de MM. [E] et [G] ;

* l'attestation de M. [W] confirme que MM. [E] et [G] ne travaillait pas dans les étages sur ce chantier;

- le compte- rendu de l' entretien préalable rédigé par M. [Z] et aux termes duquel M. [E] déclare qu'on ne lui avait pas demandé de porter les EPI ce jour là et qu'il ne faisait que conduire l'engin de manutention ; la société appelante confirme que la conduite à terre de cet engin ne nécessite pas le port d'un harnais; il ne peut donc pas être retenu que M. [E] a reconnu les faits qui lui sont reprochés;

- l'attestation de M. [Z], présent lors de l' entretien préalable et selon laquelle M. [E] aurait déclaré qu'il était dans le charriot élévateur et que'M. [G] était sur le balcon à réceptionner les ouvrages', ces derniers propos n'étant pas mentionnés dans le compte-rendu qu'il a lui même rédigé;

- l'attestation de M. [H] qui a quitté l' entreprise en 2017 et dont l'écrit est imprécis ;

- l'attestation de M. [K] selon lequel ' le 21 janvier 2019, lors de la visite de chantier hebdomadaire du chantier .... M. [D] [S] m'a alerter sur le fait que nos équipes manutentionnaient des palettes de vitrage en retirant les garde- corps provisoire, sans être sécurisées par un harnais ( étant au 2ème étage) M. [D] a demandé l'arrêt du poste de travail ( cf ligne 659 du compte- rendu ) suite à quoi, j'ai demandé à M. [E] et M. [G] de sortir les harnais du camion pour travailler en toute sécurité '; la présence des salariés de la société Atlantique Pose n'est pas contestée et il n'est pas indiqué que ' nos équipes' étaient uniquement composées de M. [E] et de son collègue;

un doute subsiste quant aux personnes dépourvues d'équipement de protection:

Le bien - fondé du premier grief n'est pas établi.

b) les lames de bois emportées par M. [E]

M. [E] fait valoir que ce grief est antérieur de plus de deux mois à l'engagement de la procédure disciplinaire en contravention avec les dispositions de l' article L.1332-4 du code du travail et que l'attestation de M. [C]- salarié de la société Soblaco- avec lequel il était en confit ouvert, est imprécise en l'absence de mention de date et de lieu.

La société répond qu'elle n'a été informée des faits que suite à la réalisation par la société Soblaco d'un inventaire au mois de janvier 2019 ( sans précision du jour) soit moins de deux mois avant la convocation à l' entretien préalable et conteste l'existence d'un conflit entre le rédacteur du témoignage et M. [E]. Elle précise que les lames de bois n'étaient pas abandonnées et que les salariés devaient les payer.

Aux termes de l' article L.1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l' employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.

La société ne fait pas état de poursuites pénales.

La lettre de licenciement n'indique pas précisément la date de ce fait ( ' lors de l'inventaire réalisé en janvier 2019, nous avons découvert qu'il manquait des lames de bois chez Soblaco, questionné M. [C] nous a alors déclaré que vous les aviez prises'). M. [E] ayant été convoqué à un entretien préalable par lettre du 7 mars, l' employeur doit établir qu'il a connu les faits dans le délai de deux mois précédant, soit postérieurement au 7 janvier 2019.

La société ne produit pas d'attestation de la société Soblaco qui aurait réalisé l'inventaire et l'attestation de M. [C] ne donne aucune indication sur la date à laquelle il a informé la société appelante de ce que M. [E] avait pris ces lames sans autorisation 'ni devis '. Le compte- rendu de l' entretien préalable mentionne que M. [E] a déclaré avoir pris des lames ' pour le chantier CAPC ...stockées sur le chantier Halles Bacalan ' et la société n'apporte aucune précision à ce sujet. Dans ces conditions, ce grief est prescrit.

c) l'utilisation du véhicule de la société

Aux termes de la lettre de licenciement, l' employeur fait état de ce que le relevé GPS du camion de M. [E] indique qu'il l'a utilisé sans autorisation les 9, 10 et 11 novembre 2018 et le 30 décembre 2018. L' employeur ajoute que les déclarations du salarié confirment qu'il a vraissemblablement utilisé le camion à des fins personnelles sans autorisation et que, ces faits étant assez anciens, ils ne feront pas l'objet de sanctions.

M. [E] fait valoir que ces faits sont anciens de plus de deux mois à l'engagement de la procédure de licenciement et que l' employeur indique ne pas souhaiter sanctionné ces faits ' assez anciens.

Aux termes de l' article L.1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l' employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.

Les utilisations personnelles du camion sont antérieures de plus de deux mois à la convocation à l' entretien préalable et ces faits sont prescrits.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a dit le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

d) l'avertissement du 18 janvier 2019

Un rappel à l'ordre a été notifié à M. [E] le 12 octobre 2018 pour non respect du temps de pause méridienne ( 20 à 30 minutes au lieu d'une heure).

L'avertissement du 18 janvier 2019 sanctionne le non respect de l'horaire de cette pause (12h à 13 heures et non 13 à 14 heures).

Devant le conseil des prud'hommes, M. [E] a obtenu l'annulation de l'avertissement et la société demande l'infirmation de ce chef.

M. [E] fait valoir que la société ne motive pas sa demande.

La société ne produit aucune pièce établissant le bien- fondé de l'avertissement de sorte que l'annulation de ce dernier sera confirmée.

e) les conséquence financières

1) Au visa de l' article 38 de la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie, M. [E] demande paiement d'une indemnité compensatrice de préavis correspondant à six mois de salaire.

La société ne conclut pas de ce chef.

La convention collective applicable prévoit une durée de préavis de six mois en cas de licenciement d'un cadre âgé de cinquante à cinquante cinq ans et ayant une ancienneté supérieure à cinq années.

À la date de son licenciement, M. [E] était âgé de 53 ans et son ancienneté était supérieure à cinq annnées.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société au paiement d'une indemnité compensatrice de préavis de 17 319,60 euros majorée des congés payés afférents (1 731,96 euros)

2) Au visa de l' article 29 de la convention collective, M. [E] demande paiement d'une indemnité de licenciement majorée de 20% pour les salariés âgés de plus de cinquante ans.

La société ne conclut pas sur ce point.

Aux termes de l' article 29 de la convention collective applicable, l' indemnité de licenciement est égale à 1/5 mois de salaire au titre des sept premières années d' ancienneté et de 3/5 mois de salaire pour une ancienneté supérieure. Le montant de cette indemnité est majoré de 20% pour les salariés âgés de cinquante à cinquante cinq ans sans pouvoir être inférieur à trois mois de salaire.

La société ne conteste pas le montant de cette indemnité.

Au regard du salaire mensuel, de l' ancienneté et de l'âge de M. [E], le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société au paiement d'une somme de 51 266,06 euros.

3) M. [E] demande paiement du salaire de la période de mise à pied conservatoire.

La société ne conclut pas sur ce point.

M. [E] a été mis à pied à titre conservatoire du 8 au 20 mars 2019 et le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société au paiement de la somme de 1 178,10 euros majorée des congés payés afférents (117,81 euros).

4) M. [E] demande paiement de dommages et intérêts à hauteur de 57 732 euros en raison de la perte de revenus et de la difficulté de retrouver un emploi à son âge.

La société oppose que cette somme représentant vingt mois de salaire est disproportionnée, que M. [E] ne justifie pas d'une inscription au Pôle Emploi ni d'une baisse de rémunération.

M. [E] verse :

- des contrats de mission temporaire sur la période du 14 octobre 2019 au 24 décembre 2021 mentionnant une rémunération très inférieure à celle reçue de la société appelante;

- une attestion du Pôle Emploi de Nouvelle Aquitaine mentionnant le paiement de 91 indemnités journalières.

Considération prise de ces éléments, du salaire et de l' ancienneté de M. [E], la société sera condamnée à lui verser la somme de 45 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la perte de son emploi.

Le jugement sera infirmé sur le quantum.

Il n'y a pas lieu de déroger aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil en application desquelles les créances salariales produisent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le conseil de prud'hommes et les créances indemnitaires produisent intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant, la capitalisation des intérêts étant ordonnée conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil. Le jugement sera partiellement infirmé de ce chef.

En application des dispositions de l' article L.1235-4 du code du travail, la société devra rembourser à France Travail de Nouvelle Aquitaine les indemnités perçues par M. [E] depuis son licenciement dans la limite de six mois.

Vu l'équité, la société sera condamnée à payer à M. [E] la somme complémentaire de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés dans le cadre de la procédure d'appel.

Partie perdante, la société supportera la charge des entiers dépens et les frais éventuels d'exécution.

PAR CES MOTIFS

la cour,

Confirme le jugement sauf en ce qu'il a :

-condamné la société Aluvair au paiement de la somme de 57 732 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- dit que toutes les sommes produiront intérêts à compter du jugement ;

statuant à nouveau de ces chefs,

Condamne la société Aluvair à payer à M. [E] la somme de 45 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Dit n'y avoir lieu de déroger aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil en application desquelles les créances salariales produisent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le conseil de prud'hommes et les créances indemnitaires produisent intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant, la capitalisation des intérêts étant ordonnée conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil. Le jugement sera partiellement infirmé de ce chef ;

y ajoutant,

Condamne la société à verser à M. [E] la somme complémentaire de

3 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés dans le cadre de la procédure d'appel ;

Condamne la société Aluvair aux entiers dépens.

Dit que l'arrêt sera notifié à France Travail de Nouvelle Aquitaine.

Signé par Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Catherine Rouaud-Folliard


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 21/03616
Date de la décision : 29/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 16/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-29;21.03616 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award