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29/05/2024 | FRANCE | N°21/02435

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 29 mai 2024, 21/02435


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



--------------------------







ARRÊT DU : 29 MAI 2024







PRUD'HOMMES



N° RG 21/02435 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MCOD













Monsieur [T] [P]



c/



Association [4]

















Nature de la décision : AU FOND























Grosse dé

livrée le :



à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 26 mars 2021 (R.G. n°F 19/00164) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section Encadrement, suivant déclaration d'appel du 23 avril 2021,





APPELANT :

Monsieur [T] [P]

né le 19 mars 1960 de nationalité française, demeurant [Adres...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 29 MAI 2024

PRUD'HOMMES

N° RG 21/02435 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MCOD

Monsieur [T] [P]

c/

Association [4]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 26 mars 2021 (R.G. n°F 19/00164) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section Encadrement, suivant déclaration d'appel du 23 avril 2021,

APPELANT :

Monsieur [T] [P]

né le 19 mars 1960 de nationalité française, demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Christophe DOLEAC, avocat au barreau de LIBOURNE, assisté de Me Claire JOSSERAND-SCHMIDT, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE :

Association [4], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 2]

N° SIRET : 781 837 554

assistée de Me Christophe BIAIS de la SELARL BIAIS ET ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 8 avril 2024 en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Sylvie Hylaire, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère

Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

Par contrat de travail à durée indéterminée conclu le 1er juillet 2007, Monsieur [T] [P], né en 1960, a été engagé en qualité de directeur d'un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (ci-après EHPAD) géré par l'Association [4], alors présidée en vertu de ses statuts en date du 11 mai 1992, par le maire de [Localité 3], M. [M] [O].

L'établissement dispose d'une capacité d'accueil de 400 résidents et emploie plus de 200 salariés.

Le contrat de travail prévoyait un salaire fixe de 6.269,99 euros et contenait une clause de garantie d'emploi ainsi rédigée :

« Après expiration de la période d'essai, ce contrat ne pourra être rompu avant l'arrivée du terme,

- à l'initiative de l'employeur, seulement en cas de faute grave du salarié

- à l'intiative du salarié, par démission

- ou d'un commun accord entre les deux parties ».

Le 21 septembre 2010, les parties ont conclu un avenant au contrat de travail prévoyant une clause d'indemnité de licenciement ainsi rédigée :

« En cas de licenciement de M. [P], le montant de son indemnité de licenciement sera égal à dix-huit mois de salaire ».

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des établissements privés d'hospitalisation, de soins, de cure et de garde à but non lucratif du 31 octobre 1951.

A la fin du mois du septembre 2016, une grève a été engagée par une partie du personnel soignant, protestant contre la mise en place d'une nouvelle organisation du temps de travail dans l'établissement.

Le 7 octobre 2016, huit cadres de l'établissement ont adressé un courrier au président de l'association faisant état de leurs difficultés relationnelles graves avec M. [P].

Ce courrier a également été adressé en copie aux membres du bureau et du conseil d'administration de l'association, à l'Agence Régionale de Santé (ci-après ARS), à l'inspection du travail et au service de santé au travail.

Par lettre du 17 octobre 2016, l'inspection du travail a demandé qu'une enquête interne associant le CHSCT soit conduite par le conseil d'administration.

Le 20 octobre 2016, le conseil d'administration de l'association a voté la mise en place d'une commission d'enquête interne en collaboration avec le CHSCT et la mise en congés de M. [P] durant l'enquête et, par lettre adressée le lendemain, a demandé à celui-ci de prendre à titre exceptionnel un congé pendant la durée du déroulement de l'enquête.

Le mouvement de grève du personnel soignant s'est achevé le 4 novembre 2016 par un protocole de fin de conflit.

Le 14 décembre 2016, la commission d'enquête mise en place par l'association a rendu un rapport relatant l'identité des personnes entendues et l'examen de dossiers de trois anciens salariés.

L'ARS a diligenté une inspection de l'établissement et a adressé le rapport provisoire de celle-ci à l'association le 23 décembre 2016 après avoir effectué un signalement auprès du procureur de la République en application de l'article 40 du code de procédure pénale le 6 décembre 2016 ; le rapport final a été envoyé le 6 juin 2017.

Le conseil départemental de la Gironde a également réalisé un contrôle et a adressé son rapport le 13 janvier 2017.

Le 12 janvier 2017, le conseil d'administration de l'association a, au vu du premier rapport de l'ARS, voté le licenciement de M. [P] pour faute grave avec mise à pied à titre conservatoire et donné pouvoir au vice-président, M. [W], pour diligenter la procédure de licenciement.

Le même jour, le président de l'association a établi une délégation écrite au vice-président pour la mise en oeuvre de la procédure de licenciement de M. [P].

Par lettre datée du 13 janvier 2017 signée par M. [W], M. [P] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 24 janvier 2017 avec mise à pied à titre conservatoire.

M. [P] a ensuite été licencié pour faute grave par lettre datée du 13 février 2017, signée par M. [W], évoquant une cinquantaine de griefs regroupés en 4 catégories :

- des faits constitutifs de harcèlement moral,

- le non-respect des obligations essentielles découlant du contrat de travail,

- des manquements avérés à la bonne organisation des soins et à la prise en charge

des résidents.

- des agissements financiers à caractère frauduleux.

M. [P] a contesté son licenciement par lettre du 8 mars 2017.

A la date du licenciement, M. [P] avait une ancienneté de 9 ans et 7 mois et la société occupait à titre habituel plus de dix salariés.

Suite au signalement adressé le 25 janvier 2017 par le président de l'association au procureur de la République près le tribunal de Bordeaux au titre de l'article 40 du code de procédure pénale, l'enquête diligentée s'est soldée par un classement sans suite le 25 octobre 2018.

***

Le 23 août 2017, M. [P] a saisi le conseil de prud'hommes de Bordeaux, réclamant des dommages et intérêts pour procédure irrégulière de licenciement et pour licenciement abusif, un solde de congés payés de 39 jours, diverses indemnités dont la réparation du préjudice moral résultant de sa mise en congé exceptionnel et du préjudice résultant de son licenciement outre le paiement de l'indemnité contractuelle de licenciement.

Par jugement rendu le 26 mars 2021, le conseil de prud'hommes a :

- jugé la procédure de licenciement régulière,

- jugé que le licenciement de M. [P] pour faute grave est justifié,

- débouté M. [P] de l'ensemble de ses demandes,

- condamné M. [P] à verser à l'Association [4] la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté l'Association du surplus de ses demandes,

- condamné M. [P] aux dépens.

Par déclaration du 23 avril 2021, M. [P] a relevé appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 18 avril 2022, M. [P] demande à la cour d'infirmer le jugement dont appel et de :

A titre principal,

- dire son licenciement sans cause réelle ni sérieuse pour défaut de pouvoir du signataire de la lettre de licenciement du 13 février 2017,

A titre subsidiaire,

- dire son licenciement dénué de faute grave et sans cause réelle ni sérieuse en raison du caractère infondé des griefs allégués dans la lettre de licenciement,

- condamner l'Association [4] à lui verser les sommes suivantes :

* 188.586 euros au titre de l'indemnité contractuelle de licenciement,

* 188.586 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 62.862 euros au titre de l'indemnité de préavis,

* 6.286 euros à titre d'indemnité de congés payés sur préavis,

* 18.304,90 euros à titre de solde de congés payés,

* 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en première instance et 3.000 euros en cause d'appel,

- condamner l'Association [4] aux dépens dont distraction au profit de Maître Claire Josserand-Schmidt, avocate au Barreau de Paris.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 5 janvier 2023, l'Association [4] demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions et de :

- juger que le vice-président avait autorité et pouvoir pour signer la lettre de licenciement ;

- juger que les faits évoqués dans la lettre de licenciement justifient un licenciement pour fautes graves,

- juger que le licenciement repose sur des fautes graves privatives de l'ensemble des indemnités sollicitées par M. [P],

- juger qu'il n'y a pas lieu, en tout état de cause, au versement d'une indemnité contractuelle de licenciement, le licenciement étant fondé sur une faute grave privative de l'indemnité de rupture contractuelle dite « parachute doré »,

- juger qu'il n'y a pas lieu à rappel de congés payés, le solde des congés payés dû ayant été intégralement réglé à M. [P],

- débouter M. [P] de l'intégralité de ses demandes, toutes irrecevables et mal fondées,

Reconventionnellement,

- condamner M. [P] à lui verser une indemnité de 8.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens et frais éventuels d'exécution.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 15 mars 2024 et l'affaire a été fixée à l'audience du 8 avril 2024.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'à la décision déférée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la rupture du contrat de travail

A titre principal, M. [P] soutient que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse au motif que la lettre de licenciement a été signée par M. [W], vice-président de l'association, qui n'en n'avait pas le pouvoir.

L'association conclut à la confirmation du jugement déféré qui a retenu que M. [W] était « légalement autorisé à signer la lettre de licenciement », invoquant à la fois la délégation de pouvoirs qui avait été consentie au vice-président par son président ainsi que par le conseil d'administration mais aussi l'empêchement du président autorisant le remplacement de celui-ci par le vice-président dans le contexte de la campagne électorale en cours en vue des élections présidentielles.

***

Sauf dispositions statutaires contraires attribuant à un autre organe, il entre dans les attributions du président d'une association de mettre en oeuvre la procédure de licenciement.

En l'espèce, les statuts de l'association intimée, datés du 11 mai 1992, prévoient :

- à l'article 5 que le maire de Bordeaux préside l'association et que « dans tous les cas où le maire est empêché, la présidence appartient au Vice-Président » ;

- à l'article 9 que le président représente l'association dans tous les actes de la vie civile et qu'il « peut donner délégation dans des conditions qui sont fixées par le règlement antérieur ».

Les parties conviennent qu'il n'y avait pas de règlement intérieur, en sorte que la délégation consentie à M. [W], que ce soit par le président de l'association ou par le conseil d'administration, est dépourvue d'effet.

Par ailleurs, la seule production d'extraits de l'agenda du maire de Bordeaux pour les journées du 21 octobre 2016 et du 13 janvier 2017 n'établissent pas l'empêchement de celui-ci de signer la lettre de licenciement adressée le 13 février 2017 à M. [P].

Il convient donc de retenir que la lettre de licenciement adressée le 13 février 2017 à M. [P] a été signée par une personne qui n'en n'avait pas le pouvoir et que le licenciement de M. [P] est, par voie de conséquence, dépourvu de cause réelle et sérieuse, le jugement déféré devant dès lors être infirmé dans l'intégralité de ses dispositions.

Sur les demandes financières de M. [P]

Sur le salaire de référence

Au vu des bulletins de salaire versés aux débats par M. [P], son salaire moyen brut au cours des 12 derniers mois précédant la rupture doit être fixé à la somme de 10.433,87 euros bruts.

Sur les demandes au titre de l'indemnité compensatrice de préavis

En application de l'article 15.02.2.1. b) de la convention collective régissant les relations contractuelles, le préavis de M. [P], directeur d'établissement, est d'une durée de 6 mois.

Il y a lieu de prendre en compte le montant des primes semestrielles versées au prorata en sorte que l'association sera condamnée à lui payer les sommes de 62.603,22 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et de 6.260,32 euros bruts pour les congés payés afférents.

Sur la demande au titre de l'indemnité contractuelle de licenciement

Aux termes de l'avenant conclu entre les parties le 21 septembre 2010, l'association sera condamnée à payer à M. [P] la somme de 187.809,66 euros au titre de l'indemnité contractuelle de licenciement.

Sur la demande à titre de dommages et intérêts

M. [P] sollicite le paiement de la somme de 188.586 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de l'absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement, incluant dans sa demande à ce titre son préjudice de carrière, le préjudice moral subi du fait de son éviction de son poste, du jour au lendemain, le différé dans son indemnisation par Pôle Emploi et la perte de ses droits à la retraite.

L'association conclut au rejet d'une telle demande, contestant les conditions vexatoires de la rupture ainsi que l'absence de démonstration du préjudice dont il est sollicité réparation.

***

En application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa version applicable à la date du licenciement de M. [P] et, compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à M. [P], de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, la cour est en mesure de lui allouer la somme de 63.000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En application des dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail, il sera ordonné le remboursement par l'employeur à France Travail (anciennement Pôle Emploi) des indemnités de chômage éventuellement versées au salarié depuis son licenciement dans la limite d'un mois d'indemnités.

Sur la demande au titre du solde de congés payés

M. [P] sollicite la condamnation de l'association à lui payer la somme de 18.304,90 euros au titre du solde dû de congés payés non pris et reportés correspondant à 61,48 jours, déduction faite des 22 jours qui lui ont été payés.

L'association conclut au rejet de cette demande, soulignant que M. [P] ne posait jamais ses demandes de congés payés et qu'il ne démontre pas avoir été dans l'impossibilité de les prendre ni s'être opposé à un refus à ce sujet.

***

Il appartient à l'employeur d'établir qu'il a mis en mesure le salarié de bénéficier de ses droits à congés payés, preuve qui nest pas rapportée en l'espèce.

Il sera en conséquence fait droit à la demande en paiement de M. [P] à ce titre.

Sur les autres demandes

L'association intimée, partie perdante à l'instance sera condamnée aux dépens ainsi qu'à payer à M. [P] la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Infirme le jugement déféré,

Statuant à nouveau,

Dit que le licenciement de M. [P] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

Condamne l'association [4] à payer à M. [P] les sommes suivantes :

- 62.603,22 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et 6.260,32 euros bruts pour les congés payés afférents.

- 187.809,66 euros au titre de l'indemnité contractuelle de licenciement,

- 63.000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 18.304,90 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés restant dûe,

- 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Ordonne le remboursement par l'association Terre Nègre à France Travail des indemnités de chômage éventuellement versées à M. [P] depuis son licenciement dans la limite d'un mois d'indemnités,

Déboute les parties du surplus de leurs prétentions,

Condamne l'association Terre Nègre aux dépens et accorde à Maître Claire Josserand-Schmidt, avocat au barreau de Paris, le bénéfice des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.

Signé par Sylvie Hylaire, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Sylvie Hylaire


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 21/02435
Date de la décision : 29/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 09/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-29;21.02435 ?
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