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22/05/2024 | FRANCE | N°21/02992

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 22 mai 2024, 21/02992


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



--------------------------







ARRÊT DU : 22 MAI 2024







PRUD'HOMMES



N° RG 21/02992 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MD7L















S.A. DE PRESSE ET D'EDITION DU SUD-OUEST



c/



Syndicat national des journalistes (SNJ)

Union départementale des syndicats de salariés CGT-FORCE OUVRIERE de la [V]

Syndicat du livre du papier et de la communication de Bordea

ux- FILPAC CGT

















Nature de la décision : AU FOND



















Grosse délivrée le :



à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 13 avril 2021 (R.G. n°18/06781) par le TJ hors JAF, JEX, JLD,...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 22 MAI 2024

PRUD'HOMMES

N° RG 21/02992 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MD7L

S.A. DE PRESSE ET D'EDITION DU SUD-OUEST

c/

Syndicat national des journalistes (SNJ)

Union départementale des syndicats de salariés CGT-FORCE OUVRIERE de la [V]

Syndicat du livre du papier et de la communication de Bordeaux- FILPAC CGT

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 13 avril 2021 (R.G. n°18/06781) par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de BORDEAUX, suivant déclaration d'appel du 25 mai 2021,

APPELANTE :

Société anonyme de Presse et d'Édition du Sud-Ouest (SAPESO), agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siége social [Adresse 2]

N° SIRET : 456 204 940

assistée de Me Stéphanie OGEZ de la SELARL SO AVOCATS, avocat au barreau de TOULOUSE, représentée par Me Annie TAILLARD de la SCP ANNIE TAILLARD AVOCAT, avocat au barreau de BORDEAUX,

INTIMÉS :

Syndicat National des Journalistes (SNJ), pris en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 3]

représenté par Me Claire LE BARAZER, avocat au barreau de BORDEAUX, assistée de Me Olivia MAHL, avocat au barreau de PARIS substituant Me Zoran ILIC de la SELARL Brihi-Koskas & Associés, avocat au barreau de PARIS

Groupement Union départementale des Syndicats de Salariés CGT-Force Ouvrière de la [V], pris en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siége social [Adresse 1]

Syndicat du Livre du Papier et de la Communication de Bordeaux - FILPAC CGT, pris en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 4]

non représentés

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 2 avril 2024 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Sylvie Hylaire, présidente chargée d'instruire l'affaire, et Madame Marie Goumilloux, conseillère

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Sylvie Hylaire, présidente

Madame Marie Goumilloux, conseillère

Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,

ARRÊT :

- réputé contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

Dans le cadre des négociation annuelles obligatoires, la société anonyme de Presse et d'Edition du Sud Ouest (ci-après dénommée SAPESO) a convoqué les organisations syndicales les 26 mars et 6 avril 2018 en vue de la signature de l'accord de participation des salariés aux résultats de l'entreprise.

Par lettre du 20 avril 2018, le syndicat national des journalistes section Sud-Ouest et de Bordeaux a soutenu que l'article 4 de cet accord était illégal en ce qu'il excluait l'ensemble des journalistes rémunérés à la pige.

Par lettre du 27 avril 2018, la SAPESO lui a répondu ne pas partager son analyse, rappelant que la participation bénéficie aux salariés ayant acquis suffisamment d'ancienneté et ne peut être versée aux non-salariés, ajoutant, s'agissant des pigistes, qu'ils 'sont par principe non salariés' et ne sont susceptibles de le devenir que s'ils collaborent régulièrement à une entreprise de presse, ce qui n'est pas le cas des pigistes qu'elle emploie.

L'accord de participation, daté du 27 avril 2018, a été signé par deux des trois organisations syndicales représentatives, FO et CGT, et a été notifié par messages électroniques adressés le 17 mai 2018 et pour le syndicat national des journalistes (ci-après le SNJ) à sa section syndicale Sud Ouest.

Conclu pour la durée d'un exercice social, soit celui ouvert le 1er janvier 2017, cet accord précise que la réserve spéciale de participation (RSP) est égale à la moitié du bénéfice net réalisé (B) moins 5% des capitaux propres (C) multiplié par les salaires (S), divisés par la valeur ajoutée (VA) selon la formule suivante : '[RSP = 1/2 (B- 5%C) x S/VA ]' et prévoit :

- dans son article 4, que peuvent seuls bénéficier des droits qui en sont issus, les salariés comptant 3 mois de présence dans l'entreprise (90/30ème de présence continue ou non continue), que l'ancienneté requise prend en considération tous les contrats (CDI et CDD) exécutés au cours de l'exercice de calcul (exercice 2017) et que les journalistes pigistes non-salariés ne sont pas concernés par l'accord ;

- dans son article 5.1, que la répartition de la réserve entre les bénéficiaires est effectuée en fonction de la durée de présence effective ou assimilée dans l'entreprise au cours de l'exercice, selon la formule suivante :

RSP x total des heures de travail effectif ou assimilés du salarié

total des heures de travail effectif ou assimilés de l'entreprise.

Par actes d'huissier délivrés les 12 et 18 juillet 2018, le SNJ a fait assigner la SAPESO, l'Union Départementale des Syndicats de Salariés CGT-Force ouvrière de la [V] et le Syndicat du Livre du Papier et de la Communication de Bordeaux- FILPAC CGT- devant le tribunal de grande instance de Bordeaux, afin de solliciter l'annulation des articles 4 et 5.1 de l'accord de participation et de voir ordonner le bénéfice de cet accord aux journalistes rémunérés à la pige outre le versement de dommages et intérêts.

Par jugement réputé contradictoire rendu le 13 avril 2021, le tribunal judiciaire de Bordeaux a :

- rejeté les fins de non-recevoir soulevées par la SAPESO tirées de la prescription des demandes du SNJ et déclaré, par conséquent, recevables les demandes du SNJ,

- dit que l'article 5-1 de l'accord de participation du 27 avril 2018 est nul en ce qu'il exclut implicitement tous les journalistes professionnels au sens de l'article L. 7111-3 du code du travail qui sont rémunérés à la pige du bénéfice de la participation,

- ordonné à la SAPESO de faire bénéficier les journalistes professionnels, au sens de l'article L. 7111-3 du code du travail, qui sont rémunérés à la pige, de l'accord de participation du 27 avril 2018 et de la répartition de la réserve spéciale de participation,

- condamné la SAPESO à payer au SNJ la somme de 5.000 euros au titre des dommages et intérêts,

- rejeté le surplus des demandes et notamment celle du SNJ tendant à voir déclarer illicite l'article 4 de l'accord,

- condamné la SAPESO à payer au SNJ la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la SAPESO aux dépens,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du jugement.

Par déclaration du 25 mai 2021, la SAPESO a relevé appel de cette décision.

L'objet de l'appel portait notamment sur le rejet des fins de non-recevoir soulevées par l'appelante en première instance.

La société a adressé ses premières conclusions à la cour le 27 juillet 2021.

Dans le dispositif de celles-ci, la société n'a pas sollicité la réformation du jugement quant au rejet des fins de non-recevoir, ses prétentions ne portant que sur le rejet de ses demandes par le tribunal judiciaire de Bordeaux.

Dans ses écritures en réponse adressées le 25 octobre 2021, le SNJ a conclu à :

- la confirmation du jugement en ce qu'il a fait droit à ses demandes,

- son infirmation en ce qu'il a rejeté sa demande au titre de la nullité de l'article 4 de l'accord.

La SAPESO a conclu en réponse à l'appel incident du SNJ le 19 novembre 2021 et a ensuite adressé des écritures les 11 septembre, 22 novembre et 6 décembre 2023, soulevant dans celles du 6 décembre 2023, une fin de non-recevoir opposée à l'une des demandes du SNJ reprise dans ses dernières écritures du 12 mars 2024.

LE SNJ a conclu à nouveau les 16 novembre 2023, 19 février 2024 et enfin, le 14 mars 2024.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 12 mars 2024, la SAPESO demande à la cour de la recevoir en ses écritures, l'y déclarer bien fondée et :

- d'infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Bordeaux le 13 avril 2021 en ce qu'il a :

* jugé que l'article 5-1 de l'accord de participation daté du 27 avril 2018 est nul car illicite,

* lui a ordonné de faire bénéficier les journalistes rémunérés à la pige de l'accord du 27 avril 2018,

* l'a condamnée à verser au SNJ la somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts outre 4.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau, de :

- rejeter la fin de non-recevoir présentée par le SNJ au sujet de la fin de non-recevoir de la société tirée du non-respect de l'article L. 2132-3 du code du travail quant aux demandes ayant des conséquences sur les situations individuelles,

- à titre principal, déclarer irrecevable la demande tendant à lui voir ordonner de faire bénéficier les journalistes rémunérés à la pige pris indistinctement de l'accord de participation en date du 27 avril 2018,

- subsidiairement, rejeter la demande tendant à lui voir ordonner de faire bénéficier les journalistes rémunérés à la pige pris indistinctement de l'accord de participation en date du 27 avril 2018 au mépris des conditions légales de bénéfice d'un contrat de travail,

- rejeter la demande d'annulation des dispositions de l'accord de participation du 27 avril 2018,

- dans tous les cas, rejeter la demande indemnitaire infondée du SNJ,

En réponse à l'appel incident,

- confirmer le jugement en ce qu'il a :

* rejeté la demande d'annulation de l'article 4 de l'accord de participation du 27 avril 2018,

* rejeté les plus amples demandes du SNJ,

- débouter le SNJ de l'intégralité de ses demandes,

- le condamner à lui verser la somme de 4.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 14 mars 2024, le SNJ demande à la cour de le juger recevable et bien fondé en ses demandes, de juger illicite l'exclusion des journalistes professionnels rémunérés à la pige du bénéfice de l'accord de participation en date du 27 avril 2018, notifié le 17 mai 2018 et de :

A titre principal,

- juger que la cour n'est saisie d'aucune fin de non-recevoir par la SAPESO,

A titre subsidiaire,

- déclarer irrecevable la fin de non-recevoir soulevée par la SAPESO,

A titre infiniment subsidiaire,

- rejeter la fin de non-recevoir soulevée par la SAPESO,

En tout état de cause,

- confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Bordeaux le 13 avril 2021 en ce qu'il a :

* dit que l'article 5-1 de l'accord de participation du 27 avril 2018 est nul en ce qu'il exclut implicitement du bénéfice de la participation tous les journalistes professionnels au sens de l'article L. 7111-3 du code du travail qui sont rémunérés à la pige,

* ordonné à la SAPESO de faire bénéficier les journalistes professionnels, au sens de l'article L. 7111-3 du code du travail, qui sont rémunérés à la pige, de l'accord de participation du 27 avril 2018 et de la répartition de la réserve spéciale de participation,

* condamné la SAPESO à lui payer la somme de 5.000 euros au titre des dommages et intérêts,

* condamné la SAPESO à lui payer la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

* condamné la SAPESO aux dépens,

- l'infirmer en ce qu'il a rejeté le surplus de ses demandes,

Y ajoutant,

- juger nulles les stipulations de l'article 4 de l'accord de participation du 27 avril 2018 en ce qu'il exclut les journalistes professionnels rémunérés à la pige du bénéfice de la participation,

- condamner la SAPESO à lui verser la somme de 15.000 euros à titre de dommages-intérêts,

- la débouter de l'ensemble de ses demandes,

- la condamner à lui verser la somme de 4.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, pour la procédure d'appel ainsi qu'aux dépens.

La déclaration d'appel et les premières conclusions de l'appelante ont été signifiées par actes d'huissiers délivrés à personne habilitée le 30 juillet 2021 à l'Union Départementale des Syndicats de Salariés CGT-Force ouvrière de la [V] et au Syndicat du Livre du Papier et de la Communication de Bordeaux -FILPAC CGT- qui n'ont pas constitué avocat.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 15 mars 2024 et l'affaire a été fixée à l'audience du 2 avril 2024.

A cette audience, la cour a informé les parties qu'en application des dispositions de l'article 125 alinéa 2 du code de procédure civile, elle soulevait d'office la fin-de-non recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir opposable à l'action du syndicat en ce qu'elle tend à ce qu'il soit ordonné à l'employeur de faire bénéficier les journalistes professionnels, au sens de l'article L. 7111-3 du code du travail, qui sont rémunérés à la pige, de l'accord de participation du 27 avril 2018 et de la répartition de la réserve spéciale de participation.

Les parties ont été invitées à présenter le cas échéant leurs observations au plus tard le 8 avril 2024.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'à la décision déférée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

La déclaration d'appel a été signifiée par actes d'huissiers délivrés à personne habilitée le 30 juillet 2021 à l'Union Départementale des Syndicats de Salariés CGT-Force Ouvrière de la [V] et au Syndicat du Livre du Papier et de la Communication de Bordeaux -FILPAC CGT- qui n'ont pas constitué avocat.

En application des dispositions de l'article 474 du code de procédure civile, il sera statué par arrêt réputé contradictoire.

Sur les fins de non-recevoir

La cour ayant relevé d'office l'examen de la fin de non-recevoir éventuellement opposable à la demande du SNJ tendant à voir ordonner à la SAPESO de faire bénéficier les journalistes rémunérés à la pige pris indistinctement de l'accord de participation en date du 27 avril 2018 et de la répartition de la réserve spéciale de participation, la question de l'irrecevabilité de la demande à ce titre de la société SAPESO est dépourvue d'objet.

La recevabilité de la demande du SNJ sera examinée après l'examen des demandes du syndicat relatives à la nullité des articles 4 et 5.1 de l'accord.

Sur la demande de nullité des articles 4 et 5.1 de l'accord

Le SNJ conclut à la nullité des articles 4 et 5.1 de l'accord de participation du 27 avril 2018 au motif qu'ils ont pour effet d'exclure les journalistes pigistes de la répartition de la participation aux résultats de l'entreprise, portant ainsi atteinte aux dispositions de l'article L. 3342-1 du code du travail, alors que l'article L. 7112-1 alinéa 2 du même code instaure une présomption de salariat pour les journalistes professionnels, tels que définis par l'article L. 7112-1, intervenant, moyennant rémunération à la pige, pour le compte d'une entreprise de presse.

Selon le SNJ, d'une part, si l'article 4 de l'accord mentionne que les journalistes pigistes 'non salariés' ne sont pas concernés par l'accord, ce qui pourrait sous-entendre que ceux qui sont salariés peuvent en bénéficier, en réalité, la réponse donnée par la société à son courrier du 20 avril 2018 démontre que celle-ci entendait exclure tous les journalistes pigistes, dont aucun n'a de fait bénéficié de la participation aux résultats de l'entreprise alors que la SAPESO a déjà été condamnée pour ne pas avoir reconnu l'existence d'un contrat de travail au profit d'un journaliste rémunéré à la pige et justifiant d'une collaboration régulière et permanente.

Le SNJ verse aux débats différentes pièces attestant de ce que certains journalistes rémunérés à la pige et susceptibles de bénéficier de la présomption de salariat ont été exclus de l'accord de participation.

S'agissant de l'article 5.1, selon le syndicat intimé, ce texte est tout aussi illicite dans la mesure où les modalités de calcul des droits se réfèrent aux 'heures de travail effectif ou assimilées', ainsi qu'à divers congés, critères que les pigistes, rémunérés à la tâche et non en fonction de leur temps de présence dans l'entreprise, ne peuvent évidemment pas remplir.

La société SAPESO soutient que tant l'article 4 que l'article 5.1 de l'accord sont conformes aux textes applicables et notamment à l'article L. 3342-1 du code du travail qui réserve le bénéfice de la participation aux 'salariés' de l'entreprise, au sens du droit du travail, et autorise l'exigence d'une condition d'ancienneté.

Or l'article 4 de l'accord se limite à exclure 'les non-salariés' et n'est donc pas contraire à l'article L. 3342-1 ni à la circulaire du 14 septembre 2002 relative à l'épargne salariale.

De même, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, l'article 5.1 serait tout aussi conforme dans la mesure où il prévoit que la réserve de participation est proportionnelle au temps de présence dans l'entreprise de ses bénéficiaires.

La société souligne que l'article 5.1 de l'accord se réfère aux heures de travail effectif ou 'assimilées', ce qui permet de faire une application large et adaptable de la formule de calcul, édictée conformément au Guide de l'épargne salariale de 2017 ainsi qu'aux modèles d'accord de participation proposés par les différents éditeurs en ce domaine.

Selon la société appelante, le jugement déféré conduirait à considérer comme nuls probablement tous les accords de participation des entreprises françaises, en cherchant à imposer aux entreprises de presse des dispositions spécifiques non prévues par le code du travail dans ses articles L. 3323-1 et -2, L. 3324-5 à -8, L. 3324-10 et L. 3324-12.

Pour critiquer le jugement déféré, la société SAPESO invoque enfin les dispositions de la convention collective des journalistes qui prévoit à maintes reprises des règles d'équivalence permettant de reconstituer le temps de présence des journalistes pigistes à partir du montant cumulé des piges sur un exercice considéré, en matière de coefficient de référence, de prime d'ancienneté, d'indemnisation Assedic, de calcul des seuils d'effectif, de congés payés et primes de 13ème mois, 'etc'.

Elle ajoute que les différentes autorités de contrôle ayant pris connaissance de l'accord n'ont émis aucune réserve quant à son contenu.

***

En vertu des dispositions spécifiques aux entreprises de presse, le journaliste professionnel, qui exerce son activité à titre principal et de manière régulière et en tire le principal de ses revenus, est présumé salarié et doit bénéficier des avantages prévus en faveur des salariés de l'entreprise, notamment au titre d'un accord de participation aux résultats, dont tous les salariés doivent profiter aux termes de l'article L. 3342-1 du code du travail, la seule réserve tenant à la possibilité pour l'entreprise de prévoir une condition d'ancienneté du salarié dans la limite de trois mois.

La société SAPESO reconnaît qu'aucun des journalistes pigistes auxquels elle a recours n'a bénéficié de la participation aux résultats obtenus par l'entreprise en 2017.

L'article 4 de l'accord de participation conclu le 27 avril 2018 est ainsi rédigé :

« Peuvent seuls bénéficier des droits nés du présent accord, les salariés comptant 3 mois d'ancienneté de présence dans l'entreprise (90/30ème de présence continue ou non continue).

L'ancienneté requise prend en considération tous les contrats (CDI et CDD) exécutés au cours de l'exercice de calcul (exercice 2017).

Les Journalistes Pigistes non-salariés ne sont pas concernés par le présent accord.

La durée de présence correspond aux périodes de travail effectif et rémunérés comme tel (congés payés légaux et conventionnels, maladie dans la limite de 6 mois, périodes de formation, exercice de mandats de représentation du personnel,...).

En outre, sont également assimilées au temps de présence les périodes visées aux articles L 1225-17, L 1225-37 et L 1226-7 du Code du travail, c'est-à-dire le congé de maternité ou d'adoption (mais pas le congé de paternité) ainsi que les absences consécutives à un accident du travail (à l'exclusion des accidents de trajet) ou à une maladie professionnelle.»

D'une part, si la lecture littérale n'exclut a priori que les journalistes pigistes 'non-salariés', les alinéas suivants qui se réfèrent 'au temps de présence' privent de fait tous les journalistes pigistes du bénéfice de la participation.

D'autre part, cet article doit être interprété à la lumière de la réponse faite par la société au courrier de protestation du SNJ quant à l'exclusion des pigistes : dans sa lettre du 27 avril 2018, la société indique en effet : « [...] S'agissant des pigistes, ils sont par principe non-salariés mais sont susceptibles de le devenir dès lors que, par application de la Loi Cressard de 1974 codifiée à l'article L. 7112-1 du Code du travail, ils collaborent régulièrement avec une entreprise de presse. Toutefois, la présomption de salariat ne s'applique qu'en cas de décision spontanée de l'entreprise en ce sens ou par office du juge.

Or, aucun des Journalistes Pigistes collaborant avec nos titres n'a été reconnu collaborateur régulier (donc salarié), ni par la SAPESO ni par un juge.[...].

Il résulte de cette réponse que la société n'envisageait pas que l'accord puisse bénéficier aux journalistes rémunérés à la pige, qu'ils soient présumés salariés ou non.

Enfin, il ressort des pièces versées aux débats par le syndicat intimé qu'au moins 6 journalistes professionnels pigistes collaboraient depuis plusieurs années de manière régulière avec la SAPESO et percevaient à ce titre des revenus annuels allant de 17.000 euros à 27.000 euros (Mme [O] [C], M. [M] [R], Mme [K] [G], Mme [E] [L], M. [D] [V] et M. [Y] [Z]) et remplissaient donc les conditions des articles L. 7112-1 et L. 7112-1 alinéa 2 du code du travail.

Ces journalistes n'ont pas bénéficié d'une participation aux résultats de l'entreprise [(pièces 9-1 à 9-52 intimé pour Mme [C]) - (pièces 10 à 10-40 pour M. [R]) - (pièces 11 à 11-50 pour Mme [K] [G]) - (pièces 14 à 14-4 pour Mme [L]) - (pièces 15-1-1 à-15-8 pour M. [D] [V]) - (pièces 16à 16-3 pour M. [Z]].

En conséquence et, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, il sera considéré que l'article 4 de l'accord litigieux est illicite en ce qu'il exclut de fait les journalistes pigistes bénéficiant de la présomption de salariat.

*

L'article 5.1 de l'accord intitulé 'Répartition' est ainsi rédigé :

« La répartition de la réserve entre les bénéficiaires sera effectuée en fonction de la durée de présence effective ou assimilée dans l'entreprise au cours de l'exercice selon la formule suivante :

RSP x total des heures de travail effectif ou assimilés du salarié

total des heures de travail effectif ou assimilés de l'entreprise ».

Il sera relevé que l'accord national du 7 novembre 2008 cité par la société relatif aux journalistes rémunérés à la pige ne prévoit aucune disposition particulière quant à la participation de ceux-ci aux résultats de l'entreprise, pas plus que les autres accords conclus au plan national ou encore l'accord d'entreprise invoqué par la SAPESO concernant la prime d'ancienneté.

L'accord de participation du 27 avril 2018 ne contient aucune modalité spécifique de calcul de la participation pour les journalistes pigistes qui de fait, n'en ont pas bénéficié.

Pour le surplus, c'est par des motifs pertinents en droit, comme en fait, que la cour adopte, que les premiers juges ont retenu l'illicéité de l'article 5.1.

En conséquence, la jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a dit que l'article 5.1 de l'accord de participation du 27 avril 2018 est nul mais sera infirmé en ce qu'il a débouté le SNJ de sa demande au titre de la nullité de l'article 4 de cet accord.

Sur la demande du SNJ tendant à voir ordonner à la SAPESO de faire bénéficier les journalistes rémunérés à la pige pris indistinctement de l'accord de participation en date du 27 avril 2018 et de la répartition de la réserve spéciale de participation

La société estime que cette demande est irrecevable pour défaut d'intérêt à agir au regard des dispositions de l'article L. 2231-3 du code du travail qui encadre l'action en justice des syndicats et se réfère aux arrêts rendus le 22 novembre 2023 par la Cour de cassation qui distinguent clairement les demandes relevant de l'intérêt collectif de la profession de celles relevant de la sphère de la liberté individuelle des salariés, ces dernières ne pouvant par conséquent pas être présentées par un syndicat, même au nom d'une violation du principe de l'égalité de traitement.

Elle invoque par ailleurs le caractère indéterminé de cette demande ne pouvant conduire qu'à une condamnation inexécutable, soulignant notamment que la réserve de participation aux résultats de l'année 2017 a été distribuée et ne peut donc plus faire l'objet d'une nouvelle répartition, qu'il serait impossible d'identifier les bénéficiaires d'une telle condamnation de même que le montant à leur distribuer et qu'aucun journaliste pigiste n'a saisi la juridiction prud'homale d'une demande en paiement.

Le SNJ soutient que la fin de non-recevoir est mal fondée d'une part, dans la mesure où il ne demande pas qu'il soit ordonné à la SAPESO de 'calculer une nouvelle réserve de participation aux journalistes rémunérées à la pige ...' ou 'de 'leur verser les primes d'intéressement' mais se limite à solliciter la confirmation du jugement en ce qu'il a ordonné à la SAPESO 'de faire bénéficier aux journalistes rémunérés à la pige de l'accord du 27 avril 2018" ; cette demande n'implique donc pas l'appréciation des situations individuelles des journalistes pigistes.

D'autre part, au visa des articles L. 2123-3 et L. 2262-11 du code du travail et de plusieurs décisions plus anciennes de la Cour de cassation, il fait valoir que sa demande tend seulement à faire reconnaître le caractère illicite de l'exclusion d'une catégorie de salariés, à savoir les journalistes pigistes, du bénéfice de l'accord de participation, exclusion contraire aux dispositions de l'article L. 3342-1 et que cette action est donc fondée sur l'intérêt collectif de la profession.

***

Aux termes des dispositions de l'article L. 2132-3 du code du travail, les syndicats professionnels ont le droit d'agir en justice et peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent.

La demande tendant à voir reconnaître l'existence d'une irrégularité commise par la société au regard des dispositions de l'article L. 3342-1 du code du travail, qui correspond à la défense des intérêts collectifs de la profession au sens du texte susvisé, est accueillie puisque la nullité de l'article 5.1 prononcée en première instance est confirmée et que celle de l'article 4 est prononcée par la présente décision.

D'une part, l'accord du 27 avril 2018 n'est pas, en l'état de sa rédaction, applicable aux journalistes pigistes salariés dès lors qu'aucune modalité de calcul de la participation n'est prévue pour ces derniers.

La demande de confirmation de la décision déférée en ce qu'elle a ordonné à la SAPESO 'de faire bénéficier aux journalistes rémunérés à la pige de l'accord du 27 avril 2018 et de la répartition de la réserve spéciale de participation" supposerait donc qu'un nouvel accord soit conclu et ne tend pas seulement à 'l'application' de cet accord au sens de l'article L. 2262-11du code du travail invoqué par le syndicat intimé.

D'autre part, cette demande revient en réalité à voir ordonner la régularisation de la situation individuelle des journalistes pigistes salariés concernés alors qu'une telle action relève de la liberté individuelle de chacun d'eux de conduire la défense de ses intérêts et ce, qu'aucun de ces journalistes n'a saisi la juridiction prud'homale de demande en paiement.

Cette demande est dès lors irrecevable.

Sur la demande à titre de dommages et intérêts présentée par le SNJ

Le SNJ sollicite le paiement de la somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice porté aux intérêts collectifs de la profession qu'il représente.

La société conclut au rejet de cette demande, estimant que le SNJ ne justifie pas du préjudice dont il sollicite réparation.

***

En excluant du bénéfice de la participation une partie non négligeable des journalistes dont le SNJ assure la défense, la SAPESO, qui édite le 2ème quotidien régional de France, et que le syndicat avait alerté de la difficulté avant d'engager la présente procédure, a porté une atteinte grave aux intérêts collectifs de la profession représentée par le syndicat, dont le préjudice a été évalué à juste titre par les premiers juges à la somme de 5.000 euros.

Sur les autres demandes

La société SAPESO, partie perdante à l'instance, sera condamnée aux dépens ainsi qu'à payer au SNJ la somme complémentaire de 4.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel, en sus de la somme allouée à ce titre en première instance.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a débouté le syndicat national des journalistes de sa demande de nullité de l'article 4 de l'accord du 27 avril 2018 et en ce qu'il a ordonné à la société anonyme de presse et d'édition du Sud-Ouest de faire bénéficier les journalistes rémunérés à la pige de cet accord,

Infirmant la décision de ces chefs et y ajoutant,

Déclare nul l'article 4 de l'accord,

Déclare irrecevable la demande du syndicat national des journalistes tendant à voir ordonner à la société anonyme de presse et d'édition du Sud-Ouest de faire bénéficier les journalistes rémunérés à la pige de l'accord du 27 avril 2018 et de la répartition de la réserve spéciale de participation,

Déboute les parties du surplus de leurs prétentions,

Condamne la société anonyme de presse et d'édition du Sud-Ouest aux dépens ainsi qu'à payer au syndicat national des journalistes la somme complémentaire de 4.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.

Signé par Sylvie Hylaire, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Sylvie Hylaire


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 21/02992
Date de la décision : 22/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 02/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-22;21.02992 ?
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