COUR D'APPEL DE BORDEAUX
3ème CHAMBRE FAMILLE
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ARRÊT DU : 14 MAI 2024
N° RG 21/04122 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MHCQ
[V] [K] [U] [J]
c/
[C] [H] [T]
Nature de la décision : AU FOND
28A
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 01 avril 2021 par le Juge aux affaires familiales de BORDEAUX (RG n° 19/09584) suivant déclaration d'appel du 16 juillet 2021
APPELANTE :
[V] [K] [U] [J]
née le [Date naissance 3] 1979 à [Localité 6]
de nationalité Française
demeurant [Adresse 9]
Représentée par Me Claire DELOIRE, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉ :
[C] [H] [T]
né le [Date naissance 1] 1977 à [Localité 5]
de nationalité Française
demeurant [Adresse 4]
Représenté par Me Elena ALTAPARMAKOVA, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 19 mars 2024 en audience publique, devant la Cour composée de :
Présidente : Hélène MORNET
Conseillère : Danièle PUYDEBAT
Conseillère : Isabelle DELAQUYS
qui en ont délibéré.
Greffière lors des débats : Véronique DUPHIL
Le rapport oral de l'affaire a été fait à l'audience avant les plaidoiries.
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
* * *
EXPOSE DU LITIGE
Mme [V] [J] et M. [C] [T] se sont mariés le [Date mariage 2] 2002 devant l'officier d'état civil de la commune de [Localité 7] (33), un contrat portant adoption du régime de séparation de biens ayant été dressé le 10 septembre 2002 par Maître [S], notaire à [Localité 8] (33).
Par ordonnance de non-conciliation en date du 15 février 2016, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Bordeaux a statué sur les mesures provisoires en tenant compte des éventuels accords.
Par exploit d'huissier délivré le 20 mai 2016, M. [T] a assigné en divorce son épouse auprès du juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Bordeaux.
Par jugement en date du 3 juillet 2018, ce même juge a prononcé le divorce des époux pour acceptation du principe du divorce, et a notamment, au titre des mesures accessoires, déclaré irrecevable la demande en liquidation et partage des intérêts patrimoniaux des époux en les invitant à procéder amiablement et indiqué qu'en cas d'échec, l'époux le plus diligent pourra, en cas d'échec, saisir le juge aux affaires familiales.
Les tentatives pour parvenir à un partage amiable ayant échouées, Mme [J] a, par acte d'huissier délivré le 17 octobre 2019, assigné M. [T] auprès du juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Bordeaux en liquidation-partage sur le fondement des articles 815 du code civil et 1360 du code de procédure civile.
Par jugement en date du 1er avril 2021, ce magistrat a :
- dit n'y avoir lieu à partage,
- débouté Mme [J] de sa demande de créances entre époux,
- condamné Mme [J] aux entiers dépens,
- condamné Mme [J] à régler M. [T] la somme de 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- rappelé que l'exécution provisoire du présent jugement n'est pas de droit.
Procédure d'appel :
Par déclaration au greffe en date du 16 juillet 2021, Mme [J] a formé appel du jugement de première instance en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à partage, qu'il l'a débouté de sa demande de créances entre époux et qu'il l'a condamnée aux entiers dépens et à régler à M. [T] la somme de 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ordonnance en date du 21 février 2023, le président de la chambre de la famille de la cour d'appel de Bordeaux a notamment enjoint aux parties de rencontrer un médiateur et désigné pour y procéder l'association [11]
Il n'a pas été donné suite à l'injonction.
Selon dernières conclusions en date du 18 mars 2024, Mme [J] demande à la cour d'ordonner le rabat de l'ordonnance de clôture au jour des plaidoiries et de :
- réformer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Bordeaux le 1 avril 2021 ' RG n° 19/09584 en ce qu'il a :
* dit n'y avoir lieu à partage,
* débouté Mme [J] de sa demande de créances entre époux,
* condamné Mme [J] aux entiers dépens,
* condamné Mme [J] à régler à M. [T] la somme de 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
* rappelé que l'exécution provisoire du présent jugement, n'est pas de droit,
Et statuant à nouveau,
A titre principal,
- condamner M. [T] à verser à Mme [J] la somme de 26.550 euros en vertu de l'obligation de remboursement lui incombant en vertu du contrat de prêt au visa de l'article 1902 du code civil,
A titre subsidiaire,
- condamner M. [T] à verser à Mme [J] la somme de 26.550 euros sur le fondement de l'enrichissement injustifié au visa des articles 1303 et suivants du code civil,
En tout état de cause,
- juger irrecevable, la demande formée à titre subsidiaire par l'intimé tendant à la voir condamner à lui rembourser la somme de 48.010,06€ à titre de créance entre époux de M. [T], pour avoir été formée le jour de l'ordonnance de clôture et prescrite s'agissant d'une demande de créance entre époux,
- subsidiairement, de le débouter de sa demande à titre subsidiaire tendant à voir condamner Mme [J] à lui rembourser la somme de 48.010,06€ à titre de créance entre époux,
- condamner M. [T] à verser à Mme [J] la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
Selon dernières conclusions en date du 18 mars 2024, M. [T] demande à la cour d'ordonner le rabat de l'ordonnance de clôture au jour des plaidoiries et de :
- confirmer le jugement rendu par le juge aux affaires familiales près le tribunal judiciaire de Bordeaux le 1er avril 2021 en toutes ses dispositions,
- débouter Mme [J] de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions,
- à titre subsidiaire, en cas de reconnaissance de l'existence d'une créance de 24.050 euros au profit de Mme [J] à titre de prêt, condamner Mme [J] à rembourser à M. [T] la somme 48.010,06 euros à titre de créance entre époux qu'il détient sur Mme [J],
- y rajoutant, condamner Mme [J] au paiement de la somme de 4.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, qui viendront se rajouter à la condamnation en première instance,
- la condamner aux entiers dépens,
- à titre infiniment subsidiaire, dire que chaque partie conservera la charge de ses frais irrépétibles et dépens.
Pour un plus ample exposé des moyens et de l'argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures déposées.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 mars 2024.
L'affaire a été fixée à l'audience collégiale du 19 mars 2024 et mise en délibéré au 14 mai 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
- Sur la révocation de l'ordonnance de clôture
En application des dispositions des articles 907 et 802 du code de procédure civile, après l'ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office.
Aux termes de l'article 803 du code de procédure civile, l'ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s'il se révèle une cause grave depuis qu'elle a été rendue.
En l'espèce, les deux parties sollicitent le rabat de l'ordonnance de clôture au jour des plaidoiries afin de produire de nouvelles conclusions.
Afin de mettre dans le débat les pièces récemment versées et de respecter ainsi le principe du contradictoire entre les parties, il y a lieu de faire droit à leur demande.
- Sur la demande de partage
Aux termes de l'article 1536 du code civil, les règles de l'article 1479 sont applicables aux créances que l'un des époux peut avoir à exercer contre l'autre.
Les créances entre époux ont pour objet de rétablir les transferts de valeur intervenus entre les patrimoines propres des époux. Elles sont régies par le droit commun des obligations.
Il est ainsi de jurisprudence constante que le règlement des créances entre époux ne constitue pas une opération de partage.
La cour constate que l'appelante ne critique plus dans ses dernières conclusions la décision qui a dit n'y avoir lieu à partage. Elle sera donc confirmée.
- Sur la demande de créance entre époux
Sur l'existence d''un prêt
Au visa de l'article 1902 du code civil qui dispose que l'emprunteur est tenu de rendre les choses prêtées, en même quantité et qualité, et au terme convenu, Mme [J] soutient à titre principal qu'elle détient à l'encontre de son époux une créance de 26.550 euros au titre du solde d'un prêt de 50.000 euros qui s'est concrétisé par deux virements de 1 250 euros puis 48 750 euros effectués depuis son compte personnel vers celui de son époux au début mars de l'année 2015, et ce sans accord, son époux ayant opéré les virements seuls.
Elle affirme que ce prêt aurait connu un début de remboursement par trois virements successifs, d'un montant total de 25.950 euros, mais serait à ce jour non intégralement remboursé.
Elle précise que cet argent, dont elle disposait suite à un don manuel de 100 000 euros dont l'a gratifié son père le 24 décembre 2012, aurait été destiné à s'associer dans une société créée par son époux, la SARL [10] à parts égales, chacun effectuant un apport en numéraire d'un montant de 50.000 euros.
Pour débouter Mme [J] de ses demandes, le Juge de première instance a retenu que si des mouvements sortants et entrants ont pu être observés sur le compte personnel de l'épouse, celle-ci n'apportait pour autant pas la preuve de l'existence d'un prêt corrélatif au profit de Monsieur, à charge pour lui donc de restituer cet argent, car la seule remise de fonds à une personne ne suffit pas à justifier l'obligation pour celle-ci de les restituer.
Le jugement entrepris a par ailleurs considéré que la cause invoquée pour retenir l'existence d'un prêt au profit de l'époux, est contredite ou démentie par les pièces produites par la demanderesse elle-même.
En application des articles 1479 et 1353 du code civil, il appartient à celui qui se prétend créancier envers son époux de rapporter la preuve qu'il a fourni des fonds propres à son conjoint et de l'obligation de restitution des fonds avancés.
L'appelante ne peut valablement soutenir, tel qu'elle le fait dans ses dernières conclusions, qu'il existe une présomption de prêt entre époux, et qu'il appartient au bénéficiaire de ce prêt de rapporter la preuve de la libéralité de l'opération pour échapper à son remboursement.
Il est au contraire de jurisprudence constante que la preuve de la remise des fonds à une personne ne suffit pas à justifier l'obligation pour celle-ci de les restituer et que la preuve du prêt incombe donc à l'époux qui en réclame le remboursement. Il n'existe pas à cet égard de régime dérogatoire au droit commun au bénéfice d'époux séparés permettant un renversement de la charge de la preuve.
C'est donc à bon droit que le premier juge a affirmé que la seule remise de fonds à M. [T] par les virements opérés à partir du compte bancaire de son épouse ne pouvait suffire à justifier l'obligation pour celui-ci de lui restituer les sommes reçues.
A ce motif Mme [J] soutient qu'elle n'a d'autre preuve de l'obligation, ayant été dans l'impossibilité morale de se procurer un écrit pour matérialiser le prêt accordé eu égard à sa relation maritale.
A ce stade il convient de rappeler qu'aux termes de l'article 1359 alinéa premier du code civil et de l'article premier du décret du 15 juillet 1980, l'acte juridique portant sur une somme ou une valeur excédant un montant de 1.500 euros doit être prouvé par écrit sous signature privée ou authentique.
Il s'ensuit que le prêt allégué devait être passé par écrit.
En l'espèce, il n'est pas discuté qu'aucun écrit n'a été établi entre Mme [J] et M. [T] concernant le prêt que celle-ci prétend lui avoir consenti.
Aux termes de l'article 1360 du code civil, les règles prévues à l'article précédent reçoivent exception en cas d'impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit, s'il est d'usage de ne pas établir un écrit, ou lorsque l'écrit a été perdu par force majeure.
L'article 1361 du code civil ajoute qu'il peut être suppléé à l'écrit par l'aveu judiciaire, le serment décisoire ou un commencement de preuve par écrit corroboré par un autre moyen de preuve, étant précisé par l'article 1362 du code civil que constitue un commencement de preuve par écrit tout écrit qui, émanant de celui qui conteste un acte ou de celui qu'il représente, rend vraisemblable ce qui est allégué.
En l'espèce, outre l'absence pour Mme [J] de démontrer l'impossibilité morale pour elle de matérialiser un prêt écrit au profit de son époux du seul fait de sa situation maritale, et ce alors que les époux mariés sous le régime de la séparation de biens, l'attestation produite par Mme [J] et qui émane d'une amie à elle, Mme [I], et qui vise à palier à cette absence d'écrit, est impropre à caractériser un commencement de preuve dès lors qu'il s'agit d'une personne étrangère à l'opération juridique alléguée.
Au demeurant ce témoin affirme seulement que Mme [J] se serait effectivement proposée d'aider financièrement son époux pour qu'il ait enfin 'sa boîte', grâce à l'argent qu'elle avait reçu de son père, mais le témoin ne fait mention ni des sommes prêtées ni d'une quelconque date du prêt prétendu.
Par suite l'attestation produite est impropre à apporter la preuve du prêt prétendument accordé.
L'appelante avance alors que les trois virements effectués par M. [T] sur son compte bancaire pour un montant de 25.950 euros doivent être assimilés à une reconnaissance de dette tacite.
Mais outre qu'en application des articles 1359 et 1376 du code civil, l'engagement de payer une somme d'argent déterminée doit être constaté par un titre contenant la mention, écrite du débiteur, de la somme en toutes lettres et en chiffres et que par suite une reconnaissance de dette ne saurait être tacite, Mme [J] échoue à démontrer que ces virements seraient en lien avec le prétendu prêt accordé dès lors que pour deux d'entre au moins, l'un de 8.600 euros, l'autre de 14.800 euros, leur date d'émission est antérieure aux virements provenant du compte de l'appelante. Ils ont été émis le 1er mars 2015, alors que la somme de 48.750 euros ne l'a été que 4 mars 2015. Il ne peut donc s'agir d'un début de remboursement anticipé, contrairement à ce que tente de faire croire Mme [J], car ainsi que le souligne l'intimé, la notion même de remboursement suppose que le débiteur ait préalablement reçu les sommes, à charge de les rembourser. Or tel n'est pas le cas.
L'existence d'un prêt n'est ainsi pas démontrée.
Par suite, sans qu'il soit besoin de rechercher les motifs des virements effectués, le jugement est donc confirmé en ce qu'il a débouté Mme [J] de sa demande de créance au titre d'un remboursement de prêt non réalisé.
- Sur l'enrichissement sans cause
Mme [J] formule à titre subsidiaire, par un nouveau moyen développé en cause d'appel, une demande en paiement de la somme de 26.550 euros sur le fondement de l'enrichissement injustifié, en prétendant à la réunion des trois conditions nécessaires pour retenir un tel enrichissement, à savoir :
- L'appauvrissement du patrimoine de l'un des époux (Madame),
- L'enrichissement sans cause du patrimoine de l'autre époux (Monsieur),
- Une corrélation entre les deux.
Or, en application d'une jurisprudence constante de la cour de cassation sur la règle de subsidiarité qui s'attache à l'action de in rem verso (civ 1ère 9 décembre 2010, n° 0916795), dès lors qu'elle a invoqué à titre principal l'existence d'un prêt mais qu'elle n'a pas apporté la preuve d'une obligation de remboursement par M. [T] des sommes perçues, l'appelante ne saurait être admise à invoquer subsidiairement l'enrichissement injustifié pour pallier sa carence dans l'administration d'une telle preuve.
En conséquence, il ne peut être fait droit à la demande de Mme [J] qui en sera déboutée.
- Sur les autres demandes
Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.
Mme [J], qui succombe, supportera charge des dépens.
Il apparaît en outre conforme à l'équité que Mme [J] soit condamnée à verser à M. [T] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Ordonne le rabat de l'ordonnance de clôture au jour des plaidoiries,
Confirme dans les limites de l'appel le jugement rendu par le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Bordeaux le 1 avril 2021,
Y ajoutant,
Déboute Mme [J] de sa demande en paiement de la somme de 26.550 euros sur le fondement de l'enrichissement injustifié, au visa des articles 1303 et suivants du code civil ;
Condamne Mme [V] [J] aux dépens ;
Condamne Mme [V] [J] à verser à M. [C] [T] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par Hélène MORNET, présidente, et par Véronique DUPHIL, greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Président,