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17/04/2024 | FRANCE | N°21/02352

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 17 avril 2024, 21/02352


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



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ARRÊT DU : 17 AVRIL 2024







PRUD'HOMMES



N° RG 21/02352 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MCGN















Madame [S] [M] épouse [H]



c/



S.A.S. NOUVELLE CLINIQUE BORDEAUX TONDU

















Nature de la décision : AU FOND














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Grosse délivrée le :



à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 19 mars 2021 (R.G. n°F 19/00704) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section Activités Diverses, suivant déclaration d'appel du 20 avril 2021,





APPELANTE :

Madame [S] [M] épouse [Y] [H]

née le ...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 17 AVRIL 2024

PRUD'HOMMES

N° RG 21/02352 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MCGN

Madame [S] [M] épouse [H]

c/

S.A.S. NOUVELLE CLINIQUE BORDEAUX TONDU

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 19 mars 2021 (R.G. n°F 19/00704) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section Activités Diverses, suivant déclaration d'appel du 20 avril 2021,

APPELANTE :

Madame [S] [M] épouse [Y] [H]

née le 08 janvier 1963 en CÔTE D'IVOIRE de nationalité française

Profession : auxiliaire de vie, demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Françoise RICHARD, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE :

SAS Nouvelle Clinique Bordeaux Tondu, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 1]

N° SIRET : 353 212 848 00033

représentée par Me Annie TAILLARD de la SCP ANNIE TAILLARD AVOCAT, avocat au barreau de BORDEAUX assistée de Me Louis GAUDIN avocat au barreau de BORDEAUX substituant Me Julien TOURNAIRE de la SELAS BARTHELEMY AVOCATS, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 26 février 2024 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Sylvie Tronche, conseillère chargée d'instruire l'affaire et Madame Bénédicte Lamarque, conseillère,

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Sylvie Hylaire, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère

Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

Madame [S] [M] épouse [H], née en 1963, a été engagée en qualité d'agent de service hospitalier (ASH) par la SAS Nouvelle Clinique de Bordeaux Tondu, par contrat de travail à durée indéterminée du 1er juin 2003, avec reprise d'ancienneté au 28 août 1991.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale de l'hospitalisation privée du 18 avril 2002.

Mme [M] a ensuite été promue au poste d'agent de stérilisation.

A la suite d'un cancer, elle a été placée en arrêt de travail pour longue maladie du 16 novembre 2011 au 16 novembre 2014, avant de reprendre son travail avec un aménagement de poste à temps partiel à 80% et des réserves relatives aux contraintes posturales et charges selon les préconisations du médecin du travail.

Le 20 mai 2015, Mme [M] a été élue membre titulaire de la délégation unique du personnel.

Par courrier du 2 novembre 2015, Mme [N], directrice de la clinique, a annoncé à Mme [M] son changement d'affectation de service en qualité d'ASH au bloc opératoire à compter du 7 décembre 2015, ce que celle-ci a contesté le 4 novembre et refusé le 15 novembre 2015.

Par lettre du 6 novembre 2015, le médecin du travail a fait part de doutes éventuels quant à la compatibilité de ce changement de poste avec l'état de santé de la salariée, notamment en ce qui concernait les contraintes posturales, avant que la société ne procède à une étude de poste le 17 novembre suivant.

À compter du 15 novembre 2015, Mme [M] a été placée en arrêt maladie ensuite "d'un choc émotionnel consécutif à un entretien avec la direction", déclaré au titre d'un accident du travail par l'employeur, que la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde (ci-après CPAM) a refusé de prendre en charge au titre des risques professionnels en l'absence de fait accidentel, décision confirmée par la cour d'appel de Bordeaux dans un arrêt du 2 mai 2019.

Lors des visites de pré-reprise organisées les 27 juillet et 28 août 2017, le médecin du travail a déclaré Mme [M] inapte à son poste de travail ainsi qu'à celui d'agent de nettoyage et a précisé qu'elle pouvait occuper un poste de travail type administratif.

La société Nouvelle Clinique Bordeaux Tondu a proposé deux postes d'agent d'accueil/ admission, l'un situé en Seine et Marne, l'autre au sein de l'établissement, postes jugés par le médecin du travail compatibles avec l'état de santé de la salariée que celle-ci a déclinés.

Par courrier du 6 décembre 2017, la société a informé Mme [M] des motifs s'opposant à son reclassement et l'a convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement le 19 décembre 2017. Les délégués du personnel ont été consultés à ce sujet les 11 janvier et 22 février 2018.

L'inspection du travail a autorisé le licenciement de Mme [M] le 31 mai 2018, auquel la société a procédé par lettre datée du 4 juin 2018 pour inaptitude non professionnelle et impossibilité de reclassement.

A la date du licenciement, Mme [M] avait une ancienneté de 26 ans et 9 mois et la société occupait à titre habituel plus de 10 salariés.

Le 15 mai 2019, Mme [M] a saisi le conseil de prud'hommes de Bordeaux pour solliciter notamment des indemnités liées aux manquements de son employeur à l'origine de son inaptitude, dont des dommages et intérêts en réparation de la perte de revenus, de la perte de chance de retrouver un travail, du préjudice moral et de la discrimination.

Par jugement rendu le 19 mars 2021, le conseil de prud'hommes a :

- maintenu la qualification de licenciement pour inaptitude à la rupture du contrat de travail à durée indéterminée de Mme [M],

- débouté Mme [M] de toutes ses demandes, laissant les dépens à sa charge,

- débouté la société Nouvelle Clinique Bordeaux Tondu de sa demande indemnitaire reconventionnelle fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration du 20 avril 2021, Mme [M] a relevé appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 29 septembre 2023, Mme [M] demande à la cour, outre de la déclarer recevable et bien fondée en sa qualité d'appelante principale et d'intimée sur appel incident et de déclarer aussi irrecevable que mal fondé l'appel incident de la société Nouvelle Clinique Bordeaux Tondu et l'en débouter, de :

Sur la compétence de la cour d'appel de Bordeaux,

- juger que l'autorisation de licenciement donnée par l'inspecteur du travail ne fait pas obstacle à ce qu'elle fasse valoir devant les juridictions judiciaires tous les droits résultant de l'origine de l'inaptitude qu'elle attribue aux manquements de l'employeur à ses obligations,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il s'est déclaré compétent pour statuer et a débouté la société Nouvelle Clinique Bordeaux Tondu de sa demande en paiement de la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- se déclarer compétente pour juger les fautes commises par l'employeur pendant la période antérieure au licenciement,

Sur le fond,

- débouter la société Nouvelle Clinique Bordeaux Tondu de toutes ses demandes,

- infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de toutes ses demandes,

- juger que c'est le traitement qu'elle a subi du fait de Mme [N] en qualité d'employeur, durant l'entretien du 31 octobre 2015 et le changement d'affectation qui lui a été imposé au cours de ce même entretien qui ont déclenché son effondrement psychologique puis son inaptitude professionnelle,

- juger que le changement d'affectation qui lui a été imposé le 31 octobre 2015 était non seulement illégal mais en contradiction avec les préconisations du médecin du travail sur la préservation de son état de santé,

- juger que le harcèlement managérial de Mme [N] à l'encontre des salariés était dénoncé par les représentants du personnel en 2014/2015 et juger qu'il a été reconnu par le président directeur général de la société Nouvelle Clinique Bordeaux Tondu dans la lettre de licenciement pour faute grave qui a été adressée à Mme [N] du 31 août 2020,

- juger que son licenciement pour inaptitude est sans cause réelle et sérieuse en raison des manquements de l'employeur à ses obligations de sécurité et de formation et d'adaptabilité, sur le fondement des articles L. 4121-1, L. 6321-1 alinéa 1, L. 1226-2 du code du travail et L. 1 232-1 du code du travail,

- retenir la responsabilité de la société Nouvelle Clinique Bordeaux Tondu,

- juger n'y avoir lieu à appliquer le barème fixé par l'article L. 1235-3 du code du travail,

- condamner la société Nouvelle Clinique Bordeaux Tondu à lui payer les sommes suivantes :

* 2.534 euros outre les intérêts au taux légal à compter du 4 juin 2018, à titre d'indemnité de préavis en application de l'article L. 1234-5 alinéa 1 du code du travail,

* 16.681 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la perte de son emploi et de revenus sur le fondement de l'article 1240 du code civil,

* 50.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la perte de chance de retrouver un travail en qu'agent administratif en violation de l'obligation de formation et d'adaptabilité de la salariée par l'employeur sur le fondement de l'article 1240 du code civil,

* 15.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice pour violation de l'obligation de sécurité par l'employeur sur le fondement de l'article 1240 du code civil,

* 15.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la discrimination subie du fait de son âge, de son état de santé et de son activité syndicale sur le fondement de l'article 1240 du code civil,

* 5.000 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 18 octobre 2023, la société Nouvelle Clinique Bordeaux Tondu demande à la cour de :

A titre principal,

- infirmer le jugement en ce que le conseil de prud'hommes s'est déclaré compétent et a écarté la demande de condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- se déclarer incompétente,

- inviter Mme [M] à se pourvoir :

* devant le tribunal administratif de Bordeaux concernant les demandes de requalification du licenciement en licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ainsi que celles relatives au manquement à l'obligation de formation et d'adaptabilité, relatives à la perte de revenus, relatives à la discrimination,

* devant le tribunal judiciaire de Bordeaux concernant la demande indemnitaire au titre de la perte de chance de retrouver un emploi,

A titre subsidiaire, si le jugement devait être confirmé et la cour d'appel devait s'estimer compétente,

- débouter Mme [M] de l'intégralité de ses demandes,

En tout état de cause,

- la condamner à lui payer la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 2 février 2024 et l'affaire a été fixée à l'audience du 26 février 2024.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'à la décision déférée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la compétence des juridictions judiciaires

Mme [M] considère que l'autorisation de licenciement donnée par l'autorité administrative ne fait pas obstacle à ses demandes.

En réplique, la société argue de l'incompétence de la juridiction judiciaire, au regard d'une part, du statut de salarié protégé dont bénéficie Mme [M], l'empêchant de revenir sur l'appréciation du bien-fondé du licenciement autorisé par l'administration et d'autre part, du dispositif des écritures de la salariée aux termes duquel elle sollicite que son licenciement soit jugé sans cause réelle et sérieuse.

* * *

En l'état d'une autorisation administrative qui est accordée à l'employeur de licencier un salarié protégé, le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, apprécier le caractère réel et sérieux des motifs retenus pour justifier le licenciement ; par conséquent, la demande de Mme [M] au titre de l'absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement ne peut prospérer, la salariée ne pouvant solliciter le cas échéant que la réparation du préjudice résultant de la perte d'emploi.

Si, comme en l'occurrence, la demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé est motivée par son inaptitude physique, il appartient à l'administration du travail de vérifier que celle-ci est réelle et justifie son licenciement ; il ne lui appartient pas en revanche, dans l'exercice de ce contrôle, de rechercher la cause de cette inaptitude.

L'appréciation du comportement de l'employeur avant le licenciement demeure donc de la compétence du juge judiciaire.

Ainsi, le juge judiciaire est compétent pour apprécier les manquements de l'employeur à ses obligations, y compris ceux susceptibles d'être à l'origine de l'inaptitude ayant entraîné le licenciement mais aussi pour répondre à une demande en réparation du préjudice résultant d'une discrimination invoquée par le salarié quant au déroulement de sa carrière.

La juridiction judiciaire est par conséquent compétente pour connaître des demandes de Mme [M] qui sollicite la réparation des conséquences du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité et à son obligation de formation et d'adaptabilité, à l'origine de son inaptitude ayant entraîné son licenciement, soutenant par ailleurs avoir été victime de discrimination.

Le jugement déféré, qui n'est pas très explicite sur la question de la compétence de la juridiction, sera complété ainsi que précisé au dispositif du présent.

Sur le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité en lien avec l'inaptitude de la salariée

Au soutien de l'infirmation de la décision entreprise, Mme [M] invoque, au titre des manquements de l'employeur à l'origine de son inaptitude, les faits suivants :

- l'entretien du 31 octobre 2015 avec Mme [N] au cours duquel elle a fait l'objet d'une rétrogradation au poste d'agent de nettoyage, en dehors de toute procédure disciplinaire, au motif d'un manque de compétence et de productivité au service de stérilisation,

- le stress généré par son affectation à un poste incompatible avec son état de santé qui avait pourtant justifié un aménagement de poste,

- un harcèlement managérial de la directrice, Mme [N], à l'encontre de l'ensemble des salariés, laquelle a ensuite été licenciée pour faute grave.

En réplique, l'employeur conteste tout manquement à son obligation de sécurité ainsi que le harcèlement managérial invoqué.

Selon les dispositions de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Les méthodes de gestion mises en oeuvre par un supérieur hiérarchique peuvent caractériser un'harcèlement'moral dès lors qu'elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés répondant à la définition de l'article L. 1152-1.

Méconnaît l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment en matière de'harcèlement'moral, l'employeur qui ne justifie pas avoir pris toutes les mesures de prévention des'articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail'et n'a pas pris les mesures immédiates propres à le faire cesser.

L'article L. 1154-1 prévoit, qu'en cas de litige, si le salarié concerné présente des faits laissant présumer l'existence d'un harcèlement, au vu de ces éléments, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

A l'appui des faits invoqués, Mme [M] verse notamment aux débats':

- le courrier de Mme [N], directrice de l'établissement, du 2 novembre 2015 qui précise : « comme évoqué lors de notre entretien du 31 octobre ['] je vous confirme qu'à compter du lundi 7 décembre, vous serez affectée comme ASH au bloc opératoire. Votre salaire et votre coefficient resteront inchangés » ;

- le courrier du 6 novembre 2015 adressé à l'employeur par le médecin du travail, qui, informé de l'affectation future de la salariée, agent de stérilisation, au bloc opératoire en qualité d'ASH, indique : « je ne suis pas sûre que ce poste soit compatible avec son état de santé aussi bien en manutention et port de charges qu'en contraintes posturales » ;

- un compte rendu de la réunion extraordinaire du comité d'entreprise du 9 novembre 2015 à laquelle la salariée a participé en s'émouvant de ce changement de service annoncé ; il lui a été répondu par Mme [N] qu'il lui appartenait de s'adresser au médecin du travail pour la compatibilité de son état de santé avec le poste, que cette mesure visait à préserver l'efficacité du bloc suite à des plaintes répétées des IDE de sorte que les cadres avaient alors proposé de repositionner les personnels de stérilisation considérés les plus en difficultés sur des postes d'ASH de bloc, il était également indiqué à Mme [M] par Mme [N] qu'il n'y aurait pas d'autre poste proposé si elle refusait son changement de service ;

- la déclaration d'accident du travail établie par l'employeur faisant état d'un choc émotionnel le 31 octobre 2015 ;

- les attestations d'anciens salariés, M. [C], Mme [W], ainsi que celle de son compagnon, qui ont tous constaté l'état de désarroi et l'effondrement de Mme [M] à la suite de cet entretien ;

- l'attestation de Mme [X], ancienne salariée, faisant état de la désorganisation du service de stérilisation liée à de nombreux arrêts maladie générant de fortes tensions avec l'équipe du bloc opératoire, des erreurs liées à de mauvaises conditions de travail, de la pression exercée par la hiérarchie pour trouver une solution aux dysfonctionnements et de l'organisation par Mme [N] d'un entretien le 30 octobre 2015 avec Mme [M] et Mme [O] pour leur faire part d'un changement de service ;

- le procès-verbal de la réunion du CHSCT du 24 novembre 2016 et la synthèse de l'enquête menée par celui-ci évoquant des problèmes de management en ces termes : certains font preuve d'abus de pouvoir et d'autoritarisme : « c'est comme ça et pas autrement », un manque de considération : « tout est fait comme la direction veut sans regarder les conséquences sur le personnel », une surcharge de travail pour le personnel en sous-effectif, des problèmes d'organisation, de communication et d'encadrement et concluant que le personnel est en souffrance ;

- des articles de presse sur un mouvement de grève des salariés de la société du 28 novembre au 1er décembre 2017,

- la lettre de licenciement pour faute grave de Mme [N] en date du 31 août 2020, l'employeur lui reprochant d'être l'objet de procédures prud'homales de la part de plusieurs salariés, dont Mme [M], consécutives à ses graves défaillances caractérisées par': « votre incapacité à exercer de façon satisfaisante vos fonctions par manque de compétences managériales évidentes nuisant à la bonne marche de l'établissement. Selon toute vraisemblance, vos méthodes de communication et de gestion du personnel prennent la forme de pression continuelle envers vos équipes et de reproches incessants ainsi que d'ordres et de contre-ordres. Votre comportement est contradictoire avec notre obligation de garantir la sécurité et donc de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de nos collaborateurs » ;

- les certificats médicaux de son médecin traitant des 27 novembre 2015, 5 janvier 2016 et le 18 janvier 2017 relevant un état dépressif survenu à distance d'un choc émotionnel ;

- le certificat établi le 30 juin 2016 par un psychiatre attestant recevoir la salariée en psychothérapie depuis le 24 mars 2016 et évoquant un malmenage professionnel qui a nécessité un arrêt de travail en novembre 2015 ;

- un courrier adressé le 7 décembre 2015 à son médecin traitant par le service des pathologies professionnelles du CHU de Bordeaux rappelant les antécédents de néoplasie en 2011, la reprise du travail en novembre 2014 dans le cadre d'un temps partiel thérapeutique, l'entretien du 31 octobre 2015 et les conséquences de cette annonce sur l'état de santé de Mme [M] qui se serait sentie diminuée, cassée et démunie face à cette situation, le médecin concluant que l'état de santé actuel de la salariée ne lui paraît pas compatible avec un poste d'agent de service hospitalier standard du fait de l'exposition à des mouvements répétitifs, du port des charges lourdes et des mouvements au-delà du plan des épaules et que son état de santé serait davantage compatible avec un poste administratif.

La salariée produit ainsi des éléments de fait qui, pris dans leur ensemble, laissent présumer l'existence d'un harcèlement moral de la part de l'employeur.

En réplique, l'employeur indique que Mme [M], en contact avec Mme [N] de novembre 2014 au 15 novembre 2015, ne justifie pas avoir pas été personnellement victime des agissements de cette dernière, que le projet de changement de ses conditions de travail évoqué au cours de l'entretien du 31 octobre n'a jamais été mis en 'uvre et ne saurait constituer une rétrogradation, que la qualification d'accident du travail, donnée par la salariée à cet entretien, a été écartée tant par la CPAM que par la juridiction judiciaire et que les éléments médicaux produits par Mme [M] ont été établis sur la base de ses déclarations. Il ajoute que l'attestation de Mme [X] ne fait état que d'un changement de service, lequel répondait à un besoin collectif et n'était pas dirigé contre Mme [M]. Il conteste les arguments tirés du procès-verbal de réunion du CHSCT en ce qu'il ne fait pas état de la situation de la salariée et n'est pas contemporain de l'entretien du 31 octobre 2015 car visant des auditions du personnel recueillies entre juin et octobre 2016.

Cependant la cour constate, à l'examen des pièces versées à la procédure, que lors de l'entretien du 31 octobre 2015, il a été annoncé à Mme [M] son changement d'affectation de service vers celui du bloc opératoire, alors qu'aucun reproche ne lui a été notifié, cette nouvelle affectation comportant des contraintes posturales et de port de charges ainsi que l'a rappelé le médecin du travail dans son courrier du 6 novembre 2015, ce qui ne pouvait ignorer Mme [N] dans la mesure où Mme [M] avait repris son travail moins d'un an auparavant dans le cadre d'un aménagement en terme de temps et de conditions de travail.

En outre, les réponses apportées par la directrice aux questions de la salariée au cours de la réunion du CE du 9 novembre 2015, concluant qu'il n'y aurait pas d'autre poste proposé, n'ont pu qu'altérer l'état de santé de la salariée.

Il résulte par ailleurs tant des attestations produites, qui ne souffrent d'aucune irrégularité, que des éléments médicaux, que Mme [M] a présenté ensuite de cet entretien un état dépressif ayant abouti à une déclaration d'inaptitude.

L'employeur échoue à démontrer que les agissements visés ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le défaut de préservation de la santé de Mme [M], constitue un manquement à l'obligation de sécurité qui est à l'origine de l'inaptitude de la salariée ayant entraîné son licenciement.

En conséquence, il conviendra d'allouer à Mme [M] la somme de 10.000 euros au titre du préjudice qui en est résulté. La décision déférée sera infirmée sur ce point.

Sur le manquement de l'employeur à son obligation de formation et d'adaptabilité de la salariée

Mme [M] reproche à la société de l'avoir rétrogradée sur un poste inadapté à sa situation personnelle puis de lui avoir proposé des postes administratifs qu'elle ne pouvait exercer, faute de formation préalable durant les 10 mois qui ont suivi la reprise de son activité.

L'employeur rétorque que des postes de reclassement qui lui ont été proposés étaient conformes à l'avis médical et compatibles avec la qualification de Mme [M]. Il ajoute que l'autorité administrative a procédé à un contrôle de loyauté et d'adaptation des postes en cause et prétend qu'il lui a été difficile d'organiser une formation dans la mesure où Mme [M], qui n'en avait jamais sollicité, a été présente dans l'établissement moins d'un an, entre 2011 et 2018.

* * *

Selon l'article L.4121-1 du code du travail, l'employeur doit assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs par des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l'article L. 4161-1, par des actions d'information et de formation, et par la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

Par ailleurs, en vertu de l'article L. 6321-1, l'employeur doit veiller à l'adaptation du salarié à son poste de travail et au maintien de ses capacités à occuper un emploi.

En l'espèce, il ressort des pièces et des explications fournies par les parties que l'appelante a refusé les deux postes administratifs de secrétaire proposés, conformes aux prescriptions du médecin du travail et validés par l'inspection du travail.

Si Mme [M] a pu légitimement refuser la première proposition d'un contrat de travail à durée déterminée basé en Seine et Marne en revanche, elle ne saurait se prévaloir d'une absence de formation dans les 10 mois séparant sa reprise du travail de son licenciement pour refuser et affirmer que le poste d'agent d'accueil/admission dans le même établissement qui lui a été proposé n'était pas compatible avec sa qualification.

Par voie de conséquence, aucun manquement à ce titre ne peut être reproché à l'employeur, la décision déférée étant confirmée de ce chef ainsi qu'en ce qu'elle a débouté la salariée de sa demande indemnitaire en réparation du préjudice résultant de la perte de chance de retrouver un emploi d'agent administratif.

Sur la discrimination

En application des dispositions de l'article L. 1132-1 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en raison de son'état'de santé, de son âge ou de de ses activités syndicales.

L'article L. 1134-1 du code du travail prévoit qu'en cas de litige relatif à l'application de ce texte, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, au vu desquels, il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, et le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

* * *

Mme [M] considère que son licenciement est en lien avec son état de santé, son âge et son mandat de déléguée du personnel ce que réfute l'employeur arguant de l'autorisation donnée par l'inspection du travail de la licencier sans établir de lien entre la demande pour inaptitude et le mandat de Mme [M]. Il affirme que le projet de changement de service était motivé par un besoin de main-d''uvre sans lien avec l'âge ou l'état de santé de Mme [M].

En produisant un seul document, à savoir un compte rendu de la réunion du comité d'entreprise du 24 mai 2011 -non contemporain des faits dénoncés- sur les inégalités de salaire qui auraient été mis en avant par la salariée, cette dernière échoue à présenter des éléments de fait laissant présumer l'existence d'une discrimination.

Par voie de conséquence, sa demande indemnitaire à ce titre sera rejetée par confirmation de la décision entreprise.

Sur les demandes au titre de la perte d'emploi et des revenus

La salariée sollicite l'allocation d'une somme de 16.681 euros au titre de la perte de revenus entre le 1er janvier 2016 et le 30 septembre 2017, période pendant laquelle elle a été malade et n'a pas été rémunérée à 100% de son salaire, préjudice résultant des agissements de l'employeur qui, n'ayant pas respecté son obligation de sécurité, est à l'origine des arrêts de travail qu'elle a subis.

La société fait valoir que l'autorisation de licenciement n'ayant pas été annulée, la demande pour perte de revenus doit être écartée ainsi que celle présentée au titre de la perte de chance de retrouver un emploi relevant d'une rente servie en matière de faute inexcusable.

* * *

En l'espèce, il a été retenu ci-avant que l'employeur avait violé son obligation de sécurité à l'égard de Mme [M].

Or, en manquant à son obligation de sécurité, l'employeur a causé un préjudice direct à la salariée qui perdu une'chance'd'être rémunérée de l'intégralité de son salaire, ce dont il est justifié par la production de ses avis d'imposition pour les années 2017 et 2018 desquels il résulte qu'elle a perçu 10.641 euros en 2016 et 2017. La somme sollicitée a été calculée comme suit: (1.267,05/30) x 647 jours - 10.641 euros.

En conséquence, la société sera condamnée à verser à Mme [M] la somme de 16.681 euros au titre de la perte de revenus subie au regard du délai écoulé entre le début de son arrêt de travail pour maladie (15 novembre 2015) et la date de son licenciement (4 juin 2018) et ce, dans la limite de la demande.

La décision de première instance sera infirmée sur ce point.

Sur la demande au titre de l'indemnité compensatrice de préavis

Mme [M] sollicite l'allocation d'une somme de 2.534 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis sur le fondement de l'article L.1234-5 du code du travail.

L'employeur oppose à cette demande les dispositions de l'article L.1226-4 du code du travail relative à une inaptitude consécutive à une maladie ou un accident non professionnel, selon lesquelles en cas de licenciement, le préavis n'est pas exécuté et le contrat de travail est rompu à la date de la notification du licenciement.

* * *

Si en cas d'inaptitude, le salarié licencié ne peut prétendre au paiement du préavis qu'il n'est pas en mesure d'exécuter, l'employeur est tenu au paiement des sommes dues à ce titre lorsqu'il est à l'origine de l'inaptitude par des manquements à ses obligations.

La société sera en conséquence condamnée à payer à Mme [M] la somme de 2.534 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis.

Sur les autres demandes

Partie partiellement perdante, l'employeur sera condamné aux dépens ainsi qu'à verser à Mme [M] la somme de 1.500 euros au titre des frais exposés en première instance et en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Dit que la juridiction judiciaire n'a pas compétence pour apprécier le caractère réel et sérieux du licenciement de Mme [M] et ses demandes à ce titre,

Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté Mme [M] de ses demandes au titre':

- de la discrimination,

- de la réparation du préjudice résultant la perte de chance de retrouver un emploi d'agent administratif en raison d'un manquement de l'employeur à ses obligations de formation et d'adaptation,

L'infirme pour le surplus,

Statuant de nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Dit que le manquement de la société Nouvelle Clinique Bordeaux Tondu à son obligation de sécurité est à l'origine de l'inaptitude de Mme [M] ayant entraîné son licenciement,

Condamne la société Nouvelle Clinique Bordeaux Tondu à verser à Mme [M] les sommes suivantes':

- 2.534 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 10.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant du manquement à l'obligation de sécurité,

- 16.681 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la perte d'emploi et de revenus,

- 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Nouvelle Clinique Bordeaux Tondu aux dépens.

Signé par Sylvie Hylaire, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Sylvie Hylaire


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 21/02352
Date de la décision : 17/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 23/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-17;21.02352 ?
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