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17/04/2024 | FRANCE | N°21/02202

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 17 avril 2024, 21/02202


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



--------------------------







ARRÊT DU : 17 AVRIL 2024







PRUD'HOMMES



N° RG 21/02202 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MBXY













S.A.R.L. YAKEME SGS



c/



Madame [K] [E]

















Nature de la décision : AU FOND



















Grosse délivrée le :





à :

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 10 mars 2021 (R.G. n°F 19/00139) par le conseil de prud'hommes - Formation paritaire de LIBOURNE, Section Activités Diverses, suivant déclaration d'appel du 14 avril 2021,





APPELANTE :

SARL Yakeme SGS, établissement principal exerçant sous l'enseigne Fitne...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 17 AVRIL 2024

PRUD'HOMMES

N° RG 21/02202 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MBXY

S.A.R.L. YAKEME SGS

c/

Madame [K] [E]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 10 mars 2021 (R.G. n°F 19/00139) par le conseil de prud'hommes - Formation paritaire de LIBOURNE, Section Activités Diverses, suivant déclaration d'appel du 14 avril 2021,

APPELANTE :

SARL Yakeme SGS, établissement principal exerçant sous l'enseigne Fitnea, agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social sis [Adresse 1]

N° SIRET : 448 396 325

représentée par Me Yannick HELIAS, avocat au barreau de LIBOURNE

INTIMÉE :

Madame [K] [E]

née le 01 février 1985 à [Localité 3] de nationalité française

Profession : Coach sportif, demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Laure LABARRIERE, avocat au barreau de LIBOURNE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 mars 2024 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Sylvie Hylaire, présidente chargée d'instruire l'affaire, et Madame Sylvie Tronche, conseillère

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Sylvie Hylaire, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère

Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

Madame [K] [E], née en 1985, a été engagée par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 3 janvier 2017 par la SARL Yakeme SGS, qui exploite un centre de remise en forme sous l'enseigne Fitnea, en qualité de 'coach sportif', groupe 3 de la convention collective nationale du sport.

Par avenant contractuel du 18 février 2017, il a été convenu qu'en plus de ses missions d'éducatrice sportive, Mme [E] remplirait la fonction de manager Fitness, consistant à encadrer et animer l'équipe, organiser le travail de chacun, gérer le planning de présence de l'équipe, préparer le programme des cours, veiller au bon fonctionnement de la salle, organiser les événementiels du centre et déterminer avec la direction une stratégie commerciale et de marketing.

En contrepartie de ces prestations, il était prévu le versement à la salariée d'une prime mensuelle de 323,50 euros, s'ajoutant au salaire contractuel initialement convenu de 1.940 euros bruts, cette prime devant être revue au mois de septembre 2017.

Par lettre du 28 juin 2019, l'employeur a indiqué à Mme [E] qu'il mettait fin à ses fonctions de manager; invoquant des raisons 'd'insuffisance professionnelle et économique' et précisant que l'avenant de février 2017 devenait caduc à partir du 1er juillet 2019.

Par lettre remise en main propre le 22 juillet 2019, la société a convoqué la salariée à un entretien pour 'une mise au point', fixé au 25 juillet suivant.

Par lettre du 23 juillet, Mme [E] a sollicité le report de l'entretien au motif, d'une part, que l'objet de celui-ci n'était pas précisé et que, d'autre part, le délai n'était pas suffisant pour lui permettre de se faire assister et a précisé transmettre ces courriers à l'inspection du travail.

La date de l'entretien a été reportée au 3 septembre 2019 par lettre de l'employeur du 24 juillet 2019.

Le 25 juillet 2019, la société a reçu la visite de l'inspection du travail qui lui a adressé le 2 août 2019 un courrier relevant des irrégularités concernant notamment la situation de Mme [E], à savoir, baisse de sa rémunération, non-versement de la prime manager et non-paiement de la prime conventionnelle d'ancienneté.

Mme [E] a été placée en arrêt de travail pour maladie du 1er au 9 août puis en congés payés du 12 au 31 août 2019.

Par lettre datée du 9 août 2019, la salariée a contesté la 'rétrogradation' résultant du courrier du 28 juin 2019 et sollicité des régularisations de sa rémunération sous huitaine, évoquant des soldes de salaire dûs au regard du contrat, soit 58,40 euros en 2017, 536,40 euros en 2018 et 112,36 euros en 2019, le non-respect du maintien du salaire lors de deux arrêts de travail pour maladie en février et mai représentant des sommes dues de 98,21 et 223,87 euros et, enfin, le non-paiement de la prime d'ancienneté en 2019, soit une somme due de 119,13 euros.

Le 22 août 2019, l'employeur lui a répondu qu'il lui fallait du temps pour apporter des réponses précises à ses doléances dont certaines lui semblaient sans fondement.

Par lettre en date du 3 septembre 2019, Mme [E] a pris acte de la rupture de son contrat de travail et a ensuite été placée en arrêt de travail pour maladie jusqu'au 28 septembre.

A la date de la prise d'acte de la rupture de son contrat, Mme [E] , elle avait une ancienneté de 2 ans et 8 mois et la société occupait à titre habituel moins de 11 salariés.

Le 6 novembre 2019, Mme [E] a saisi le conseil de prud'hommes de Libourne, soutenant que la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail doit produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et réclamant diverses indemnités, dont des dommages et intérêts pour licenciement abusif, un rappel de salaires contractuel, un complément de salaire pour les arrêts de travail, un rappel de prime d'ancienneté et un reliquat restant dû sur l'indemnité de congés payés versée lors du solde de tout compte.

Par jugement rendu le 10 mars 2021, le conseil de prud'hommes a :

- dit que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail liant les parties est prononcée aux torts de l'employeur,

- s'est déclaré en partage des voix sur le surplus des demandes et a renvoyé les parties à une audience ultérieure tenue sous la présidence du juge départiteur, à laquelle les parties se présenteront sur convocation du greffe,

- réservé les dépens.

Par déclaration du 14 avril 2021, la société Yakeme SGS a relevé appel de cette décision en ces termes :

« Appel limité aux chefs de jugement expressément critiqués L'appel tend à la réformation des chefs de jugement ci-après énoncés en ce qu'il a :

Dit que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail qui liait les parties est prononcée aux torts de l'employeur

S'est déclaré en partage de voix sur le surplus des demandes et renvoyé les parties à une audience ultérieure qui sera tenue sous la présidence du juge départiteur, à laquelle les parties se présenteront sur convocation au greffe,

- Et par voie de conséquence débouté la SARL YAKEME SGS des demandes suivantes :

- Débouter Mme [E] de ses demandes, fins et prétentions

- Juger que Mme [E] a été parfaitement remplie de ses droits

- Juger que l'employeur n'a pas commis de manquements graves à ses obligations

- Juger que l'employeur de bonne foi a régularisé à première demande de la salariée - Juger que l'employeur n'a commis en définitive que des erreurs minimes

- Juger que Mme [E] s'est comportée de façon déloyale

- Juger que la prise d'acte s'analyse en une démission brutale

- En tirer les conséquences de droit

- Condamner Mme [E] au montant de l'indemnité de préavis, soit 4.561,02 € au profit de la SARL YAKEME SGS - Condamner Mme [E] à 2.400,00 € TTC sur le fondement de l'art 700 du Code de procédure civile ».

Par jugement rendu en formation de départage le 22 novembre 2021, le conseil de prud'hommes de Libourne a ordonné son dessaisissement au profit de la cour d'appel de Bordeaux, a condamné les parties à payer les dépens chacune par moitié et les a déboutées de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 19 septembre 2023, la société Yakeme SGS demande à la cour de débouter Mme [E] de ses demandes et de :

- juger que l'employeur n'a pas commis de manquements graves à ses obligations,

- juger que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail qui liait les parties s'analyse en une démission,

- condamner Mme [E] au montant de l'indemnité de préavis soit 4.561,02 euros à son profit,

- juger que Mme [E] a été intégralement remplie de ses droits par le versement de la somme de 314,34 euros bruts soit 247,92 euros nets,

- la condamner à lui payer la somme de 2.400 euros TTC sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 23 septembre 2021, Mme [E] demande à la cour de :

In limine litis,

- constater que la société Yakeme SGS a notamment interjeté appel des chefs de jugements expressément critiqués suivants :

* 's'est déclaré en partage de voix sur le surplus des demandes et renvoyé les parties à une audience ultérieure qui sera tenue sous la présidence du juge départiteur, à laquelle les parties se présenteront sur convocation au greffe,

* Et par voie de conséquence débouté la société Yakeme SGS des demandes suivantes :

* débouter Mme [E] de ses demandes,

* juger que Mme [E] a été parfaitement remplie de ses droits,

* juger que l'employeur n'a pas commis de manquements graves à ses obligations,

* juger que l'employeur de bonne foi a régularisé à première demande de la salariée,

* juger que l'employeur n'a commis en définitive que des erreurs minimes,

* juger que Mme [E] s'est comportée de façon déloyale,

* juger que la prise d'acte s'analyse en une démission brutale,

* en tirer les conséquences de droit,

* condamner Mme [E] au montant de l'indemnité de préavis, soit 4.561,02 euros au profit de la société Yakeme SGS,

* la condamner à 2.400 euros tout compris sur le fondement de l'art 700 du code de procédure civile »,

- constater que l'appel n'est pas une voie de recours recevable sur la déclaration de partage des voix et que le jugement dont appel ne contient aucune chef de débouté,

- la déclarer et la juger irrecevable en conséquence,

En tout état de cause,

- déclarer et juger la société Yakeme SGS recevable en son appel limité au chef de jugement : « dit que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail est prononcée aux torts de l'employeur » mais mal fondée en ses demandes,

- déclarer et juger Mme [E] recevable et bien fondée en ses demandes et son appel incident,

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

- juger que la prise d'acte de rupture du contrat de travail du 3 septembre 2019 produit les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- condamner la société Fitnea Yakeme SGS à lui régler les sommes suivantes :

* indemnité de licenciement : 1.567,50 euros nets (sauf à parfaire),

* indemnité compensatrice de préavis : 4.561,02 euros bruts (2 mois selon CCN applicable) outre les congés payés afférents : 456,10 euros bruts,

* dommages et intérêts liés au licenciement abusif : 7.981,78 euros nets (équivalent à 3,5 mois de salaires),

* rappel de salaire contractuel pour la période de février 2017 au 3 septembre 2019 : 436,05 euros bruts outre 43,06 euros bruts de congés payés afférents,

* rappel de complément sur salaire durant les arrêts de travail de février et mai 2019 : 585,24 euros bruts,

* rappel de prime d'ancienneté de janvier à septembre 2019 : 16,56 euros bruts,

* reliquat sur l'indemnité compensatrice de congés payés : 357,28 euros bruts,

- la condamner à lui remettre les bulletins de paie rectifiés pour la période de février 2017 à septembre 2019, le tout sous astreinte de 100 euros par jour de retard,

- déduire la somme nette de 247,92 euros payée par l'employeur le 27 août 2020 par chèque CARPA,

- débouter la société Yakeme SGS de l'intégralité de ses demandes,

- la condamner à lui verser une somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- la condamner aux dépens de première instance et d'appel et frais éventuels d'exécution.

La médiation proposée aux parties le 19 mai 2021 par le conseiller de la mise en état n'a pas abouti.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 9 février 2024 et l'affaire a été fixée à l'audience du 4 mars 2024.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'à la décision déférée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la recevabilité de l'appel

L'appel d'un jugement mixte rendu par le conseil de prud'hommes, qui statue sur une question de fond et renvoie l'examen du surplus des demandes devant la formation présidée par le juge départiteur, a pour effet de dessaisir la juridiction de première instance, la cour étant, par l'effet de l'appel, saisie de l'entier litige, ce que le conseil de prud'hommes, statuant en formation de départition, a relevé à juste titre dans le jugement rendu le 22 novembre 2021.

Il y a lieu en conséquence de débouter Mme [E] de sa demande tendant à voir déclarer irrecevable l'appel formé par la société en ce qu'il porte sur la déclaration de partage des voix.

Sur la prise d'acte de la rupture

Mme [E] sollicite la confirmation du jugement, qui a 'dit que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail liant les parties est prononcée aux torts de l'employeur', et demande à la cour de juger que la prise d'acte de la rupture de son contrat produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Au soutien de sa demande, elle invoque plusieurs manquement de la société à ses obligations :

- le non-respect du salaire contractuel,

- le non-paiement de la prime d'ancienneté,

- l'absence de complément de salaire durant ses arrêts de travail pour maladie,

- la rétrogradation subie le 28 juin 2019,

- la modification de ses conditions de travail avec le non-respect des délais de prévenance lors des modifications des plannings au cours de l'été 2019.

La société demande à la cour de juger qu'elle n'a pas commis de manquements graves à ses obligations, s'attachant à évoquer la chute, au cours de l'année 2019, du chiffre d'affaires de plus de 20%, liée à la résiliation de leurs abonnements par 268 clients, situation qu'elle impute à Mme [E], qui ne remplissait pas, selon elle, le rôle de manager qui lui avait été confié de façon temporaire et sous réserve d'une évaluation au cours d'un entretien.

Au contraire, la société se serait aperçue au fil du temps que Mme [E] dénigrait tout à la fois son employeur, ses collègues et les adhérents et qu'elle avait manifestement l'intention de quitter l'entreprise, ce qui l'a amenée à convoquer la salariée, mais sans motif disciplinaire envisagé, la société soulignant avoir accepté de reporter la date de l'entretien.

Le jour de sa reprise le 2 septembre 2019, Mme [E], se heurtant à une difficulté pour faire fonctionner un micro, qu'un collègue est venu brancher, aurait été blessée par la réaction des adhérents qui l'ont huée, ce qui expliquerait la prise d'acte de la rupture de son contrat dès le lendemain.

Suit ensuite dans les écritures de la société une critique du jugement quant aux manquements qui ont été retenus.

***

La prise d'acte de la rupture de son contrat de travail par un salarié produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués par le salarié sont établis et caractérisent des manquements suffisamment graves de l'employeur à ses obligations empêchant la poursuite de la relation contractuelle. A défaut, la prise d'acte de la rupture produit les effets d'une démission.

Sur le non-respect du salaire contractuel

Mme [E] sollicite à ce titre le paiement d'une somme de 436,05 euros bruts outre les congés payés afférents à hauteur de 43,06 euros, exposant avoir constaté des différences de montant en sa défaveur entre le salaire contractuel prévu et celui qui lui a été effectivement versé durant les trois années de la relation contractuelle, s'élevant à 58,40 euros en 2017, 536,40 euros en 2018 et 112,36 euros en 2019 [soit en réalité un total de 707,16 euros].

La société, se prévalant d'un salaire net de 1.500 euros qui aurait ensuite, selon ses dires, été porté à 1.750 euros, soutient qu'après vérification par un expert comptable, le total à régulariser n'était que de 247,92 euros nets qui ont été réglés en juillet 2020.

***

Le contrat de travail conclu entre les parties prévoyait un salaire brut de 1.940 euros par mois.

Les bulletins de paie produits par la salariée pour la période de mars 2017 à septembre 2019 témoignent de ce que le salaire contractuel prévu n'a pas été versé par la société, s'élevant selon les mois, à 1.935,60 euros (de mars 2017 à décembre 2017),soit un manque à gagner de 44 euros bruts en 2017, puis à 1.925,60 euros (de janvier à décembre 2018) soit un manque à gagner de 172,80 euros bruts pour l'année 2018, de janvier à juin 2019, à 1.925,60 euros, soit un manque à gagner de 86,40 euros et, enfin, en juillet et août 2019, à 1.935,60 euros, soit un manque à gagner de 9,40 euros bruts.

Le manquement de la société à ce sujet est donc établi et il sera alloué à Mme [E] la somme de 312,60 euros bruts outre 31,26 euros bruts pour les congés payés afférents, sous déduction de la somme de 247,92 euros nets réglée par la société mais seulement en juillet 2020, soit près d'un an après la prise d'acte de la rupture de son contrat par la salariée.

Le manquement à l'obligation de l'employeur de payer la rémunération convenue est donc établi.

Sur la prime d'ancienneté

Mme [E] sollicite le paiement de la somme de 16,56 euros bruts à ce titre correspondant à la prime d'ancienneté conventionnelle due, soit 1% du salaire minimum résultant également des dispositions de la convention collective applicable, somme calculée comme suit :

- 136,08 euros (17,01 euros x 8 mois) - 119,13 euros (régularisation août 2019) - 0,39 euros (régularisation septembre 2019).

La société reconnaît avoir 'oublié' de payer cette prime mais invoque la régularisation effectuée après l'analyse faite par l'expert comptable.

***

Aux termes de l'article 9.2.3.1 de la convention collective applicable, le salarié, justifiant d'une ancienneté de 24 mois, a droit a une prime d'ancienneté de 1% du salaire minimum conventionnel, fixé par l'article 9.2.1 (soit 1.447,53 euros majoré de 17,57% pour le groupe 3 dont relevait Mme [E]].

Au vu des bulletins de paie, il sera fait droit à la demande en paiement de Mme [E], la base de prime retenue par l'expert comptable n'étant pas celle résultant de la convention collective.

Le manquement de l'employeur à ce titre est établi.

Sur l'absence de complément de salaire durant les arrêts de travail pour maladie

Mme [E] sollicite le paiement de la somme de 585,24 euros bruts au titre du complément de salaire qui aurait dû lui être versé durant ses arrêts de travail des mois de février (du 28 janvier au 2 février) et mai 2019 (du 11 avril au 4 mai) soit 99,77 euros dûs pour les 31 janvier et 1er et 2 février et 485,47 euros pour la période du 14 avril au 4 mai 2019, déduction faite du délai de carence, les sommes dues étant calculées sur un salaire brut de 2.280,51 euros.

L'employeur, soutenant avoir maintenu le salaire de Mme [E], conclut à la confirmation du jugement qui aurait rejeté cette demande.

***

Il sera relevé que le conseil de prud'hommes n'a pas statué sur cette demande.

Contrairement à ce que prétend l'employeur, les bulletins de paie des mois concernés font état des éléments suivants :

- en janvier : retenue de 27 heures soit 342,79 euros,

- en février : retenue de 7 heures soit 88,37 euros,

- en avril : maintien de salaire à hauteur de 1.051,39 euros et régulation de +67,04 euros 'salaire février' et retenue de 100,50 heures pour maladie,

- en mai : maintien de salaire à hauteur de 269,31 euros et retenue de 22 heures pour maladie.

En vertu de l'article 4.3.1 de la convention collective applicable, tout salarié ayant un an d'ancienneté bénéficie à compter du 4ème jour d'arrêt du maintien de son salaire net.

Sur la base d'un taux horaire de 15,036 euros [(1940 + 323.50 + 17,01) / 151,67] et, au vu de l'analyse faite par l'expert comptable, les sommes dues sont les suivantes :

- du 31 janvier au 2 février : 173,82 euros bruts [(105,25 - 36,90 -10,41) x 3] soit, déduction faite de la régularisation effectuée en avril, une somme due de 106,78 euros,

- du 14 avril au 4 mai : [(105,25 x 21) - 580,55 - 163,74 - 136;60 - 38,53 (IJSS) - 1.051,39 - 269,31 (maintien de salaire versé)] soit un trop versé de 29,87 euros.

La société sera en conséquence condamnée à payer à Mme [E] la somme de 76,91 euros bruts.

Ce manquement de l'employeur à ses obligations est donc également établi.

Sur la rétrogradation

Mme [E] soutient que la rétrogradation subie le 28 juin 2019, par la suppression de son statut de manager, doit s'analyser en une sanction disciplinaire déguisée, que cette modification de son contrat de travail nécessitait son accord, contestant par ailleurs avoir eu un entretien avec l'employeur le 26 juin, contrairement à ce qui est mentionné dans la lettre qui lui a été adressée par celui-ci le 28 juin.

La société fait valoir que malgré cette lettre, le statut et la rémunération résultant de l'avenant ont été maintenus et ajoute que la convocation adressée à Mme [E] le 22 juillet n'avait pas de caractère disciplinaire.

***

D'une part, contrairement à ce que prétend la société, il n'était pas contractuellement prévu que les prérogatives de manager attribuées à Mme [E] par l'avenant conclu entre les parties le 18 février 2017 fassent l'objet d'une réévaluation, seulement prévue pour le montant de la prime accordée en contrepartie.

D'autre part, malgré les dénégations de la société, la lettre qu'elle a adressée à Mme [E] le 28 juin 2019 ne peut s'analyser que comme une rétrogradation de la salariée, par la suppression de son statut de manager, en raison, selon les propres termes du courrier 'd'insuffisance professionnelle et économique'.

La décision de l'employeur emportait modification du contrat de la salariée et supposait son accord préalable.

Or, si la société soutient que cette modification n'a pas été mise en oeuvre dans les faits, la prime correspondante, qui a effectivement été versée en juillet n'était pas à hauteur du montant contractuel prévu (320 euros au lieu de 323,50) et, pour le mois d'août 2019, a été proratisée et ainsi diminuée durant la période de congés payés de l'intéressée.

Par ailleurs, l'affirmation selon laquelle la salariée aurait continué à exercer ses prérogatives de manager n'est pas justifiée, Mme [E] ayant, au contraire et sans être démentie, déploré dans son courrier du 9 août 2019 qu'alors qu'elle souhaitait évoquer avec le gérant la question du remplacement d'un collègue démissionnaire, il l'avait tenu isolée, lui indiquant que cela ne la regardait pas, Mme [E] exposant en outre, qu'à son retour de congés le 3 septembre, elle n'a pu que constater que l'organisation de la rentrée s'était faite sans qu'elle soit consultée.

Enfin, si la société estimait que Mme [E] n'exécutait pas ses prestations de manière loyale et sérieuse, elle devait engager une procédure disciplinaire ou, encore, si elle rencontrait des difficultés économiques, se devait de lui proposer une modification de contrat pour ce motif mais ne pouvait pas procéder à la suppression du statut de manager de la salariée sans son consentement.

Par ailleurs, la lettre adressée le 22 juillet 2019 à Mme [E], portant la mention que l'entretien est destiné à 'une mise au point' mais aussi de la faculté de la salariée d'être assistée, doit conduire à considérer que cet entretien avait une nature disciplinaire.

Le manquement de l'employeur à ses obligations est ainsi établi.

***

Au regard des éléments qui précèdent, et sans qu'il soit nécessaire d'examiner le dernier grief invoqué par Mme [E], les manquements de l'employeur à son obligation de lui payer la rémunération convenue et à l'obligation d'exécution loyale du contrat de travail sont établis et, s'agissant spécialement de la rétrogradation, sont d'une gravité suffisante pour justifier la prise d'acte de la rupture du contrat, qui doit donc produire les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur les demandes pécuniaires au titre de la rupture du contrat de travail

La rupture du contrat produisant les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, Mme [E] est fondée dans ses demandes en paiement de l'indemnité compensatrice de préavis, des congés payés afférents et de l'indemnité légale de licenciement qui, compte tenu de son ancienneté et du salaire de référence, soit 2.280,51 euros, seront fixées aux sommes qu'elle sollicite que la société sera condamnée à lui payer.

Mme [E] sollicite le paiement de la somme de 357,28 euros bruts au titre du reliquat dû sur l'indemnité de congés payés qui lui a été réglée dans le cadre du solde de tout compte, exposant que le calcul a été effectué sur un montant minoré de sa rémunération.

Au vu des modalités de calcul détaillées par la salariée dans ses écritures, il sera fait droit à sa demande.

***

Mme [E] sollicite enfin le paiement de la somme de 7.981,78 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Compte tenu de son ancienneté et de la taille de l'entreprise, l'indemnité prévue par l'article L. 1235-3 du code du travail est comprise entre 0,5 et 3,5 mois de salaire brut.

Mme [E] a retrouvé un emploi en décembre 2019.

Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à Mme [E], de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, la cour est en mesure de lui allouer la somme de 2.500 euros bruts à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur les autres demandes

La société devra délivrer à Mme [E] un bulletin de salaire récapitulatif des sommes allouées établi en considération des condamnations prononcées et ce, dans le délai de deux mois à compter de la signification de la présente décision, la mesure d'astreinte sollicitée n'étant pas en l'état justifiée.

La société, qui succombe à l'instance sera condamnée aux dépens ainsi qu'à payer à Mme [E] la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Déboute Mme [E] de sa demande tendant à voir déclarer irrecevable l'appel formé par la société Yakeme SGS,

Infirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a dit que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail liant les parties est prononcée aux torts de l'employeur,

Statuant à nouveau,

Dit que la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail par Mme [E] produit les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

Condamne la société Yakeme SGS à payer à Mme [E] les sommes suivantes :

- 312,60 euros bruts à titre de rappel de salaire outre 31,26 euros bruts pour les congés payés afférents, sous déduction de la somme de 247,92 euros nets réglée par la société en juillet 2020,

- 16,56 euros bruts au titre de la prime d'ancienneté,

- 76,91 euros bruts au titre du maintien de salaire,

- 4.651,02 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 456,10 euros pour les congés payés afférents,

- 1.567,50 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

- 357,28 euros bruts au titre du reliquat dû sur l'indemnité de congés payés,

- 2.500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement,

Dit que la société Yakeme SGS devra délivrer à Mme [E] un bulletin de salaire récapitulatif des sommes allouées établi en considération des condamnations prononcées et ce, dans le délai de deux mois à compter de la signification de la présente décision,

Déboute les parties du surplus de leurs prétentions,

Condamne la société Yakeme SGS aux dépens ainsi qu'à verser à Mme [E] la somme de 2.500 euros au titre des frais irrépétibles exposés.

Signé par Sylvie Hylaire, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Sylvie Hylaire


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 21/02202
Date de la décision : 17/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 23/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-17;21.02202 ?
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