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17/04/2024 | FRANCE | N°21/01972

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 17 avril 2024, 21/01972


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



--------------------------







ARRÊT DU : 17 AVRIL 2024







PRUD'HOMMES



N° RG 21/01972 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MBHZ













Monsieur [H] [F]



c/



G.I.E. FILHET [P]

















Nature de la décision : AU FOND



















Grosse délivrée le :





à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 05 mars 2021 (R.G. n°F 19/01097) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section Encadrement, suivant déclaration d'appel du 02 avril 2021,





APPELANT :

Monsieur [H] [F]

né le 30 Mars 1973 à [Localité 4] de nationalité Française, d...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 17 AVRIL 2024

PRUD'HOMMES

N° RG 21/01972 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MBHZ

Monsieur [H] [F]

c/

G.I.E. FILHET [P]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 05 mars 2021 (R.G. n°F 19/01097) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section Encadrement, suivant déclaration d'appel du 02 avril 2021,

APPELANT :

Monsieur [H] [F]

né le 30 Mars 1973 à [Localité 4] de nationalité Française, demeurant [Adresse 2] - [Localité 3]

représenté par Me Nicolas DESHOULIERES de la SAS ENVERGURE AVOCATS, avocat au barreau de TOURS

INTIMÉE :

GIE Filhet [P], pris en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 6] - [Localité 1]

N° SIRET : 752 529 073

représenté par Me Christophe BIAIS de la SELARL BIAIS ET ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 février 2024 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente chargée d'instruire l'affaire, et Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère

Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [H] [F], né en 1973, a été engagé en qualité de directeur des ressources humaines, position H par le groupement d'intérêt économique (GIE) Filhet-[P], par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 9 mai 2016.

M. [F] était soumis à un forfait-jours de 217 jours par an.

Par avenant à son contrat de travail du 14 décembre 2018, sa rémunération annuelle brute a été portée à la somme de 127.278 euros à compter du 1er janvier 2019.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des entreprises de courtage, d'assurances et/ou de réassurance.

Le 4 mars 2019, Mme [I], salariée de la société a rapporté à son employeur avoir déposé une plainte pour violences et agressions sexuelles contre M. [F].

Postérieurement à cet événement, M. [F] a adressé un courrier à son employeur rédigé en ces termes : 'Suite aux événements survenus dernièrement et à nos échanges à ce propos, je souhaite examiner avec vous, comme nous étions convenus de le faire, les possibilités d'un éventuel recours à une rupture conventionnelle.'

Par lettre recommandée avec avis de réception du 25 mars 2019, le GIE Filhet-[P] a proposé au salarié un entretien au salarié fixé au 3 avril 2019 au siège du Medef Gironde.

A défaut d'accord sur les modalités financières, la procédure de rupture conventionnelle n'a pas abouti.

Par lettre datée du 4 avril 2019, M. [F] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 16 avril 2019 avec mise à pied à titre conservatoire.

Le 12 avril 2019, le salarié a demandé que le conseil de discipline se réunisse conformément à l'article 16 de la convention collective applicable à la relation contractuelle.

Par lettre du 18 avril 2019, la société Filhet-[P] a adressé à M. [F] un exposé de la situation de ce dernier au conseil de discipline et a informé le salarié de la date de réunion de ce dernier fixée au 3 mai 2019.

M. [F] a ensuite été licencié pour faute grave par lettre datée du 10 mai 2019.

En dernier lieu, la rémunération mensuelle brute moyenne de M. [F] s'élevait à la somme de 10.776 euros.

A la date du licenciement, M. [F] avait une ancienneté de trois ans et la société occupait à titre habituel plus de dix salariés.

Le 24 juillet 2019, M. [F] a saisi le conseil de prud'hommes de Bordeaux, sollicitant diverses indemnités, notamment l'indemnité conventionnelle de licenciement, outre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

A titre reconventionnel, la société Filhet-[P] a sollicité du conseil la condamnation de M. [F] à des dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire.

Par jugement rendu le 5 mars 2021, le conseil de prud'hommes a :

- dit et jugé que le licenciement de M. [F] pour faute grave notifié le 10 mai 2019 est parfaitement fondé et régulier en la forme,

- dit et jugé que le licenciement de M. [F] repose sur une faute grave.

En conséquence :

- débouté M. [F] de l'intégralité de ses demandes attachées à la rupture du lien contractuel,

- débouté M. [F] de l'ensemble de ses demandes,

- débouté la société Filhet-[P] de ses demandes reconventionnelles,

- condamné M. [F] aux dépens.

Par déclaration du 2 avril 2021, M. [F] a relevé appel de cette décision, notifiée par lettre adressée aux parties par le greffe le 9 mars 2021.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 1er juillet 2021, M. [F] demande à la cour :

- d'infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes du 5 mars 2021,

A titre principal :

- condamner la société Filhet-[P] à verser à M. [F] les sommes suivantes :

- 10.776,20 euros nets, à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 32.328,60 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 3.232,86 euros bruts à titre de congés payés afférents,

- 43.104,80 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

A titre subsidiaire :

- condamner la société Filhet-[P] à verser à M. [F] les sommes suivantes :

- 10.776,20 euros nets à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 32.328,60 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 3.232,86 euros bruts à titre de congés payés afférents,

- 10.776,20 euros nets à titre d'indemnité pour irrégularité de procédure.

En tout état de cause :

- condamner la société Filhet-[P] à verser à M. [F] les sommes suivantes:

- 11.392,35 euros bruts au titre du dépassement forfait-jours,

- 1.139,23 euros bruts à titre de congés payés afférents,

- 3.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Filhet-[P] à remettre sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document, un bulletin de salaire afférents aux créances salariales, une attestation Pôle Emploi et un certificat de travail rectifiés,

- condamner la société Filhet-[P] aux dépens.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 8 février 2022, la société Filhet-[P] demande à la cour de':

- confirmer le jugement sauf en ce qu'il a débouté l'employeur de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive et vexatoire et de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

A titre principal,

- dire et juger le licenciement pour faute grave notifié à M. [F] par la société Filhet-[P] le 10 mai 2019 parfaitement fondé et régulier en la forme.

En conséquence :

- le débouter de l'intégralité de ses demandes attachées à la rupture du lien contractuel,

- débouter le salarié de l'ensemble de ses demandes, irrecevables et mal fondées.

A titre subsidiaire :

- dire et juger que l'irrégularité de procédure prévue par l'article L.1235-2 du code du travail n'est sanctionnée que par l'allocation d'un mois de salaire au maximum,

- dire et juger qu'aucun préjudice n'étant démontré par M. [F], le débouter de sa demande subsidiaire de condamnation à un mois de salaire.

Reconventionnellement, et en tout état de cause :

- condamner M. [F], au bénéfice de la société Filhet-[P] au paiement de la somme de 10.000 euros à titre de dommages intérêts sur le fondement de l'article 1240 du code civil pour procédure abusive et vexatoire, en cela réformer le jugement dont appel,

- condamner M. [F], au bénéfice de la société Filhet-[P] au paiement de la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, dans le cadre de l'affaire devant le conseil de prud'hommes, en cela réformer le jugement dont appel,

- condamner M. [F], au bénéfice de la société Filhet-[P] au paiement de la somme de 8.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, dans le cadre de l'affaire devant la cour.

- condamner M. [F] aux dépens et frais éventuels d'exécution.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 26 janvier 2024 et l'affaire a été fixée à l'audience du 19 février 2024 à 14 heures.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'à la décision déférée.

MOTIFS

le licenciement

la lettre de licenciement est ainsi rédigée :

' Monsieur,

Faisant suite à :

-l'entretien préalable en date du 16 avril dernier à l'occasion duquel vous vous êtes présenté, accompagné de [R] [M], délégué du personnel non cadre du GIE,

-la tenue du Conseil de discipline du 3 mai dernier à l'occasion duquel à l'unanimité ses membres ont émis un vote favorable à votre licenciement à effet immédiat.

Nous sommes amenés, par la présente, à vous notifier votre licenciement à effet immédiat, pour fautes graves, vos explications n'ayant, en aucune manière pu modifier notre appréciation des faits fautifs qui vous étaient reprochés.

Au préalable, nous vous rappelons que vous avez été embauché, par le GIE FILHET [P], par contrat à durée indéterminée à temps complet, en date du 15 avril 2016, à effet au 9 mai suivant, pour exercer au niveau de tout le groupe FILHET-[P] (France), soit environ 1000 salariés, vos fonctions de Directeur des Ressources humaines.

De ce poste, classifié position H de notre convention collective, se détachent les attributions et responsabilités suivantes:

- d'être l'interlocuteur privilégié de nos collaborateurs,

- de représenter les représentants légaux des sociétés du groupe devant nos instances représentatives du personnel,

- d'exercer pour le compte de nos représentants légaux le pouvoir disciplinaire sur l'ensemble de nos collaborateurs,

- d'être non seulement à l'initiative du recrutement de nos employés mais aussi de l'évolution de leur carrière,

- d'être le garant de nos procédures internes, du respect du règlement intérieur et du respect de la dignité humaine.

- d''uvrer coûte que coûte dans le sens de la protection physique et mentale de nos salariés, en vertu des dispositions de l'article L4121 -1 du Code du travail.

Au terme de votre contrat de travail, il est aussi rappelé que vous vous engagez à respecter une obligation de discrétion absolue en ce qui concerne toutes informations dont la divulgation serait de nature à préjudicier aux intérêts du groupe.

Or, vous avez commis à plus d'un titre des manquements et des fautes professionnelles et contractuelles qui rendent impossible votre maintien dans l'entreprise et ce même pendant la durée du préavis, compte tenu du poste à responsabilités que vous occupez et de la position hiérarchique que vous tenez au sein du groupe.

En effet, vous avez entretenu des relations très intimes avec l'une de nos salariées, en la personne de Mme [U] [I], ce que vous ne contestez pas.

Cette relation personnelle a pris, selon elle, une tournure qui a eu des conséquences tant inattendues que néfastes sur le déroulement de ses prestations de travail et sur son positionnement vis-à-vis de vous-même dans le cadre professionnel de l'entreprise.

Celle-ci s'est ainsi déclarée victime de faits qui ont été, selon elle, commis dans la nuit du dimanche 3 mars 2019 au lundi 4 mars 2019 à votre domicile personnel.

Cela a conduit Mme [I] à déposer plainte contre vous auprès des services de Police, le jour-même par PV n° 2019/013656.

Vous avez été entendu par la Police dans la journée du lundi 4 mars 2019.

Vous vous êtes bien dispensé de nous faire part de cette journée d'absence passée auprès de la Police et de la situation qui concernait deux salariés du groupe.

De par l'extrême gravité des faits qu'elle vous reprochait, Madame [I] a jugé nécessaire de m'informer de la situation qui rejaillissait sur vous-même en qualité de DRH par conséquent sur la société.

Elle a également pris la décision de me transmettre son dépôt de plainte consciente que ces faits concernaient sans conteste la société.

Toutes affaires cessantes, je vous ai reçu dès le lendemain, soit le mardi 5 mars, pour appréhender avec gravité les éléments constitutifs de ce conflit majeur.

Vous avez tout d'abord nié les faits pour ensuite vous retrancher derrière le fait que cette affaire ne regardait personne d'autre que vous.

Si effectivement ces faits relèvent de votre vie privée, ces derniers ont eu clairement des conséquences fort préjudiciables tant pour Mme [I] concernant la poursuite de son contrat de travail que pour le reste du personnel.

En effet, vous avez entretenu une relation extraconjugale avec cette salariée de l'entreprise qui s'est déclarée victime de violences et d'agression sexuelle, qui est venue m'alerter et qui m'a supplié de régler le grave problème auquel elle était confrontée.

Je l'ai en effet rencontrée le 7 mars 2019 en présence de Mme [L] [Z] ; elle m'a donné en plus de son dépôt de plainte, un témoignage d'un de ses amis ainsi qu'un certificat médical établi par le CAUVA (Centre d'Accueil en [7]) du CHU Hôpitaux de [Localité 5].

De surcroît, elle a pris la peine de montrer son bras couvert de bleus.

Cette collaboratrice m'a paru très perturbée (pour ne pas dire dévastée) par ce que vous lui aviez fait subir.

Il ressort de ses déclarations et de l'examen de son dépôt de plainte que les actes (au delà de leur qualification pénale) dont elle vous a accusés sont attentatoires à son intégrité physique et mentale ainsi qu'à sa dignité humaine.

Ils témoignent, en outre, pour ce qui concerne directement votre contrat de travail et son exécution de bonne foi, de l'absence totale de discernement et de distance dont VOUS avez fait preuve, au-delà du manquement avéré à votre devoir d'exemplarité.

Cette relation dévastatrice a amené Mme [I] à être placée en arrêt de travail et à ne plus être en mesure de revenir travailler sur le site de FILHET-[P], de peur d'avoir à vous côtoyer de nouveau et notamment à être soumise A un lien de subordination ou hiérarchique, en votre qualité de D.R.H du groupe.

Il est évident que vous n'auriez pu sereinement gérer les intérêts sociaux de cette employée, compte tenu de l'état de vos relations privées.

Mme [I] a jugé nécessaire et indispensable de saisir plusieurs représentants du personnel, dès le 5 mars 2019, estimant que les faits relevant de sa vie privée avaient des conséquences directes sur sa vie professionnelle, du fait de votre position dans le groupe.

Grâce notamment aux réseaux sociaux, nombre de nos collaborateurs (et c'est un doux euphémisme) ont eu vent de l'affaire, étant précisé que plusieurs salariés connaissaient déjà l'existence de cette relation sentimentale et se trouvaient très mal à l'aise avec cette information.

Toujours est-il que l'affaire a été à tel point ébruitée et a eu un tel retentissement, telle une traînée de poudre, qu'il ne me paraît pas envisageable et inimaginable un seul instant tant en termes d'image et de crédibilité (en interne mais aussi vis-à-vis de nos clients, de nos partenaires et de nos interlocuteurs privilégiés) qu'au regard du poste que vous occupez que vous puissiez être maintenu à votre poste de DRH groupe et ce même pendant la durée de votre préavis.

Comment pourriez-vous sereinement, objectivement et décemment réintégrer votre poste en contemplation de cette affaire et de ce spectacle affligeant '

Votre total manque de discernement et de discrétion (obligation contractuelle à laquelle vous êtes tenu, dois-je vous le rappeler) et les incidences de cette affaire ne sont pas sans risques graves pour toute l'organisation du groupe et sa stabilité sociale et humaine.

L'obligation de sécurité qu'un employeur doit respecter vis-à-vis de son personnel sur le fondement des dispositions de l'article L 4121-1 du code du travail m'oblige aussi A agir dans le sens de cette procédure.

Même si vous bénéficiez de la présomption d'innocence, il n'est pas pensable un seul instant que je conserve un salarié de votre rang et avec vos pouvoirs qui est capable d'un tel mélange des genres et surtout de prendre de tels risques tant pour sa personne que pour nos collaborateurs.

D'ailleurs vous en avez convenu puisque vous avez réclamé, le 14 mars dernier, la rupture conventionnelle de votre contrat de travail, admettant, selon vos dires, que votre carrière ici était déjà loin derrière vous.

Ce n'est pas votre ultime tentative auprès de Madame [I] qui a adressé un courrier dactylographié en date du 22 avril lequel contient étrangement toutes les éléments de contexte et de langage que vous m'avez présentés lors de nos différents entretiens qui changera notre appréciation du caractère fautif de votre comportement, lequel a d'ores et déjà affecte grandement le bon fonctionnement de la Direction du groupe et en particulier la Direction des ressources humaines.

Nous vous reprochons également de vous soustraire régulièrement voire systématiquement aux procédures internes et aux dispositions du règlement intérieur, alors que vous en êtes le gardien de par votre fonction et que vous êtes en charge de les faire appliquer auprès de l'ensemble du personnel, à savoir :

- de poser sur le système intranet à jour passé vos congés payés, ce qui m'interdit de vérifier la véracité de vos saisines, alors que vous êtes à l'origine d'une note interne précisant que l'ensemble du personnel doit prendre ses congés avant le 31 mai et qu'aucun report n'est possible au-delà de cette date. Encore une fois, je pense que vous manquez à votre devoir d'exemplarité.

- de ne pas badger chaque journée travaillée, ce qui vous amène à nous faire croire qu'on vous doit des jours de repos en application de votre forfait jours, ce qui est faux et mensonger et de surcroît contraire à l'art. 9, « discipline collective concernant la durée du travail et des horaires » du règlement intérieur de notre entreprise. Votre position H ne vous permet pas de vous évincer des dispositions du règlement intérieur à ce titre-là.

- A rendre inaccessible votre agenda professionnel qui est censé pouvoir être partagé avec vos équipes, ce qui vous amène A nous faire croire que vous n'êtes pas en congés ou en jour de repos et surtout A ce que vos équipes ignorent on vous êtes et ce que vous faites....

Ces faits-là font directement écho à votre volonté de vous croire au-dessus des règles et des lois et de gérer votre vie professionnelle et a priori votre vie personnelle en totale opacité, à nos dépens.

Au vu de tout ce qui précède, l'ensemble de ces faits qui vous sont personnellement imputables et qui sont matériellement établis constituent un non-respect flagrant de vos obligations contractuelles et professionnelles et sont d'une gravité telle qu'ils empêchent le maintien de votre contrat de travail et ce même pendant la période de préavis, comme en a jugé d'ailleurs le Conseil de discipline dont vous avez demandé la réunion ».

En premier, lieu M. [F] fait valoir que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse motif pris de ce que le procès- verbal de la réunion du conseil de discipline prévu par l' article 16 de la convention collective ne lui a jamais été remis ; qu'il s'agit là d'une violation d' une garantie de fond.

Le GIE répond que les dispositions de l' article L.1235-2 du code du travail, dans leur rédaction issue de l'ordonnance du 20 décembre 2017 rendent caduque la jurisprudence antérieure, le non-respect de la procédure conventionnelle de consultation du conseil de discipline ne pouvant constituer qu'une irrégularité de forme susceptible d'ouvrir droit à une indemnité ne pouvant être supérieure à un mois de salaire.

Aux termes de l' article 16 de la convention collective nationale des entreprises de courtage d'assurances et / ou de réassurances du 18 janvier 2002, le conseil de discipline est chargé de rendre un avis consultatif sur le projet de licenciement pour faute. L' employeur doit remettre par écrit toutes les explications utiles aux participants ainsi qu'au salarié visé par la procédure, au moins deux jours francs ouvrés avant la date de réunion. Le procès- verbal de délibération du conseil de discipline dressé par le secrétaire de séance, doit être approuvé par les membres du conseil auxquels il est diffusé. Ce procès- verbal est également remis au salarié concerné par un représentant de l'employeur.

Aux termes de l' article L.1235-2 du code du travail, dans sa rédaction ici applicable, lorsqu'une irrégularité de la procédure, notamment si le licenciement intervient sans que la procédure conventionnelle de consultation préalable au licenciement ait été respectée, mais pour une cause réelle et sérieuse, le juge accorde au salarié, à la charge de l'employeur, une indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire.

À la demande de M. [F], le GIE a saisi le conseil de discipline dont les membres ont été informés des faits visés dans la lettre de licenciement. Un procès-verbal de délibération de ce conseil a émis un avis favorable au licenciement de M. [F]. Le défaut de remise de ce procès- verbal à ce dernier, constitue une irrégularité ne privant pas le licenciement de cause réelle et sérieuse.

M. [F] sera débouté de sa demande à ce titre et il reviendra à la cour d'examiner la demande en paiement d' une indemnité pour procédure irrégulière à l'issue de l'examen du bien- fondé du licenciement.

En second lieu, M. [F] conteste les faits et fait valoir que l'employeur a méconnu la présomption d'innocence y compris après avoir été informé du retrait de sa plainte par Mme [I] ; qu'il a été relaxé par le tribunal correctionnel; que la perturbation de l'entreprise ne lui serait pas imputable parce qu'il n'était pas responsable des déclarations mensongères de cette dernière.

L' employeur répond pour l'essentiel que Mme [I] a informé son dirigeant (M. [P]), ainsi qu'une déléguée du personnel, avoir déposé une plainte contre M. [F] pour des faits de violences volontaires, agressions sexuelles, voire de viol, que M. [P] a pu constaté des hématomes sur ses bras ; que M. [F] a sollicité une rupture conventionnelle ; que le retrait de plainte émane d'une salariée manipulée et qu'elle devait respecter son obligation de sécurité, qu'au regard de ses fonctions, M. [F] ne pouvait plus exercer ses prérogatives à l'égard de la salariée ; que le personnel a été choqué par les accusations portées par cette dernière.

L'existence d'une discussion entre le GIE et M. [F], relativement à une rupture conventionnelle qui n'a pas abouti n'établit ni la reconnaissance par ce dernier de la réalité des faits motivant le licenciement ou de la nécessité de rompre le contrat de travail ni celle de l'employeur de renoncer à une mesure de licenciement disciplinaire. Ce moyen de l'employeur est inopérant.

M. [F] a été relaxé du chef de violence suivie d'incapacité n'excédant pas huit jours par une personne étant ou ayant été conjoint, concubin ou partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité.

La présomption d'innocence et cette décision de relaxe ne permettent pas de fonder légitiment le licenciement sur des faits de violences sur la personne de Mme [I].

Ensuite, l' employeur ne pouvant s'immiscer dans la vie privée d'un salarié, la seule existence d'une relation intime entretenue par ce dernier avec une salariée de l'entreprise ne peut fonder un licenciement disciplinaire sauf en cas de manquement de l'intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail.

Cela étant posé, M. [F] exerçait des fonctions de directeur des ressources humaines position H de la convention collective des entreprises de courtage, d'assurances et/ ou de réassurances. À ce titre, il supervisait voire intervenait dans l'exercice des fonctions de responsable des ressources humaines prenant part, même à titre consultatif, aux décisions relatives aux procédures et décisions disciplinaires et à l'évolution de la carrière des salariés.

En entretenant une relation intime avec Mme [I], salariée de l' entreprise, M. [F] a contrevenu à l' obligation de neutralité pesant sur un directeur des ressources humaines et manqué à l'obligation de loyauté à l'égard de son employeur qu'il n'avait pas informé de sa situation personnelle et des conséquences de celles-ci sur l'exercice de ses fonctions.

S'y ajoute l'attestation de Mme [K] aux termes de laquelle l'assiduité de Mme [I] s'est dégradée du fait de sa séparation d'avoir son époux, qu'avant même le 3 mars 2019, ' la situation commençait à devenir intenable pour l'équipe particulièrement pour les collaborateurs du pôle et pour son manager direct, Mme [O] [G] qui avait dû la recadrer plusieurs fois'.

Dans ces conditions, le grief reposant sur la relation intime entre M. [F] et une salariée de l' entreprise constitue un motif légitime de licenciement.

Aux termes de la lettre de licenciement, il est aussi reproché à M. [F] de s'être soustrait régulièrement voire systématiquement aux procédures internes et aux dispositions du règlement intérieur qu'il doit faire appliquer par l'ensemble du personnel. Il est reproché à M. [F] d'avoir posé sur le système intranet à jour passé ses congés payés, ce qui ne permettait pas à l' employeur de vérifier la réalité de ses saisines, de n'avoir pas badgé chaque journée travaillée et d'avoir rendu inaccessible son agenda professionnel.

M. [F] répond que ce grief est imprécis quant à sa date, que ces faits seraient prescrits pour être antérieurs de plus de deux mois à l'engagement de la procédure de licenciement; qu'en tout état de cause, aucun cadre de position H ne badgeait , que la société était informée de ses congés payés d'autant que ceux ci lui ont été rémunérés dans le cadre du solde de tout compte, qu'enfin, son agenda était accessible à tous et que l' employeur n'établit pas la réalité des griefs.

La société conteste la prescription de manquements continus et poursuivis jusqu'a la procédure de licenciement. Elle fait valoir que M. [F] était le rédacteur de notes internes dont il n'appliquait pas les obligations.

Aux termes de l' article L.1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l' employeur en a eu connaissance. L'employeur peut cependant sanctionner un fait fautif qu'il connaît depuis plus de deux mois si le comportement du salarié s'est poursuivi ou s'est réitéré dans ce délai et s'il s'agit de faits de même nature.

Le dernier jour de congés payés mentionné sur le tableau établi par M. [F] étant daté du 24 décembre 2018 et le GIE ne prouvant pas l'avoir découvert dans le délai de deux mois précédent la convocation à entretien préalable du 4 avril 2019, ce grief est prescrit.

Les deux autres manquements, à les supposer établis, se sont poursuivis dans le délai de deux mois précédant la convocation à l' entretien préalable de sorte que le moyen tiré de la prescription est inopérant les concernant.

L' article 9 du règlement intérieur mentionne que tout salarié, y compris les cadres au forfait et itinérants, est tenu de badger électroniquement à chaque entrée et sortie de l' entreprise. Le statut de cadre niveau H n'exonérait pas M.

[F] de cette obligation et il ne produit pas d'élément établissant le défaut de badgeage des cadres de niveau H.

Le défaut de partage de l'agenda est établi par l'attestation de M. [X].

En définitive, les griefs relatifs à la liaison de M. [F] avec une salariée de l' entreprise, au défaut de badgeage et de partage de l'agenda sont établis. Ces manquements ont duré plusieurs mois avant l'engagement de la procédure de licenciement.

Mme [I] a rencontré M. [P] le 4 mars 2019 puis s'est rétractée le 20 mars suivant et un entretien entre l'employeur et le salarié a eu lieu le 3 avril 2019 au sujet d'une éventuelle rupture conventionnelle, de sorte que le licenciement n'est pas tardif.

Les manquements continus de M. [F] étaient d'une gravité telle qu'elle ne permettait pas le maintien de ce dernier dans l'entreprise et le licenciement pour faute grave est justifié.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté M. [F] de ses demandes en paiement de dommages et intérêts et indemnités de rupture.

Le licenciement étant fondé, il revient à l'employeur d'indemniser M. [F] du préjudice résultant du défaut de remise du procès- verbal de délibération du conseil de discipline. M. [F] n'explicite pas ce procédure et sera débouté de ce chef.

le rappel de salaire

M. [F] dont le contrat de travail prévoyait un forfait de 217 jours, demande le paiement de 216,5 jours de travail. Selon lui, il n'y a pas eu d'entretien, l'employeur n'établit pas avoir respecté les stipulations de l'accord collectif et qu'il revient au GIE de justifier des jours travaillés.

Le GIE oppose que M. [F] gérait librement ses temps de travail dans l'entreprise et ne peut démontrer qu'il travaillait plus de 217 jours par an. M. [F] n'aurait pas fait de demande à ce sujet au cours de la relation de travail.

Ce dernier point est inopérant, le défaut de réclamation antérieure ne privant pas le salarié de son droit à solliciter le paiement devant la juridiction prud'homale.

M. [F] ne demande pas à la cour de dire la clause de forfait jours nulle ou privée d'effet.

En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre de jours travaillés, le salarié produit des éléments précis permettant à l'employeur de produire les jours effectivement travaillés par le salarié.

M. [F] fait état de 12,5 jours travaillés en 2017 et 14,5 jours en 2018.

Le tableau coté 12 est un élément suffisamment précis et le GIE ne produit pas les jours de travail effectivement effectués.

Ce dernier sera condamné à payer à M. [F] la somme de 11 392,35 euros majorée des congés payés afférents (1 139,23 euros).

Le GIE devra délivrer un bulletin de paye et une attestation France Travail conformes à l'arrêt dans le délai de deux mois à compter de la signification de l'arrêt, le prononcé d'une astreinte n'étant pas nécessaire.

la procédure abusive

Le GIE fait valoir qu'il a été privé d'un directeur des ressources humaines jusqu'au mois d'octobre 2019, qu'il a dû gérer la terreur de Mme [I] et que M. [F] n'a restitué son téléphone professionnel que le 22 juin 2020 sans qu'elle puisse récupérer des informations professionnelles.

Le GIE ayant choisi de licencier M. [F] pour faute grave, elle ne peut solliciter la réparation du préjudice résultant de l'absence de directeur des ressources humaines pendant plusieurs mois.

Les faits de violence n'étant pas retenus, le GIE ne peut revendiquer le préjudice résultant de l'aide apportée à Mme [I] qui s'en est plainte.

Le GIE sera débouté de cette demande.

Vu l'équité, le GIE devra verser à M. [F] la somme totale de 3 500 euros au titre des frais irrépétibles engagés dans le cadre des procédures de première instance et d'appel.

Partie perdante, le GIE supportera les dépens des procédures de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

la cour,

Confirme le jugement sauf en ce qu'il a débouté M. [F] de sa demande de paiement d'un rappel de salaire,

statuant à nouveau de ce chef,

Condamne le GIE Filhet-[P] à payer à M. [F] la somme de 11 392,25 majorée des congés payés afférents(1 139,23 euros) à titre de rappel de salaire;

Dit que le GIE Filhet- [P] devra délivrer à M. [F] un bulletin de paye et une attestation France Travail dans le délai de deux mois à compter de la signification de l'arrêt ;

Condamne le GIE Filhet -[P] à payer à M. [F] la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne le GIE Filhet- [P] aux entiers dépens des procédures de première instance et d'appel.

Signé par Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Catherine Rouaud-Folliard


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 21/01972
Date de la décision : 17/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 23/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-17;21.01972 ?
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