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10/04/2024 | FRANCE | N°21/02534

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 10 avril 2024, 21/02534


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



--------------------------







ARRÊT DU : 10 AVRIL 2024







PRUD'HOMMES



N° RG 21/02534 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MCYV













S.A.S. ELRES



c/



Madame [Z] [P] épouse [J]

Fondation MAISON DE SANTÉ PROTESTANTE DE BORDEAUX-BAGATELLE

















Nature de la décision : AU FOND






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Grosse délivrée le :



à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 06 avril 2021 (R.G. n°F 19/00748) par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de BORDEAUX, Section Commerce, suivant déclaration d'appel du 29 avril 2021,





APPELANTE :

SAS Elres, agi...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 10 AVRIL 2024

PRUD'HOMMES

N° RG 21/02534 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MCYV

S.A.S. ELRES

c/

Madame [Z] [P] épouse [J]

Fondation MAISON DE SANTÉ PROTESTANTE DE BORDEAUX-BAGATELLE

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 06 avril 2021 (R.G. n°F 19/00748) par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de BORDEAUX, Section Commerce, suivant déclaration d'appel du 29 avril 2021,

APPELANTE :

SAS Elres, agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 3]

N° SIRET : 662 025 196

représentée par Me Mathilda BONNIN, avocat au barreau de BORDEAUX, assistée de Me Jean-claude SASSATELLI, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMÉES :

Madame [Z] [P] épouse [J]

née le 24 Février 1961 à [Localité 8] de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Iwann LE BOEDEC, avocat au barreau de BORDEAUX

Fondation Maison de Santé Protestante de Bordeaux Bagatelle, prise en la personne de son Directeur domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 2]

non représentée

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 30 janvier 2024 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame ROUAUD-FOLLIARD Catherine, présidente chargée d'instruire l'affaire,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère

Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,

ARRÊT :

- réputé contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

Mme [Z] [P] [J], née en 1962, a été engagée en qualité de femme de ménage par la fondation Maison de Santé Protestante de Bagatelle (MSPB) par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 9 mai 1994.

Le 1er juin 2005, le contrat de travail de Mme [P] [J] a été transféré à la société Compass Group.

Enfin, le 1er décembre 2013 le contrat de travail de Mme [P] [J] était transféré à la société Elres, faisant partie du groupe Elior restauration.

En dernier lieu, Mme [P] [J] exerçait les fonctions d'employée polycompétente de restauration niveau II, statut employé, pour une durée de travail hebdomadaire de 34,5 heures moyennant une rémunération mensuelle brute de 1.865,89 euros outre un 13ème mois.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale du personnel des entreprises de restauration de collectivités du 20 juin 1983.

Le contrat de travail initial de Mme [P] [J] ainsi que les avenants faisant suite aux différents transferts de son contrat de travail prévoyaient une clause dite de non mobilité.

Le 5 novembre 2018, le contrat de prestation de services qui liait la fondation Maison de Santé Protestante de Bagatelle ( MSPB) et la société Elres a pris fin.

La société Compass a succédé à la société Elres.

Une première proposition de reclassement a été faite à Mme [P] [J] par courrier du 23 octobre 2018 pour un poste d'employée polycompétente de restauration à [Localité 5] pour une durée hebdomadaire de 25 heures.

La salariée a refusé cette proposition au motif de la durée de l'emploi proposé.

Par courrier du 29 octobre 2018, la société Elres adressait cinq autres propositions de reclassement à Mme [P] [J] auquel elle n'a pas répondu.

Par lettre du 29 novembre 2018, la société Elres a notifié à Mme [P] [J] son affectation au sein de la polyclinique de [Localité 9] à effet du 6 décembre 2018.

La salariée qui ne s'est pas présentée à son poste de travail a été convoquée à un entretien préalable fixé au 18 décembre 2018.

En dernier lieu, la rémunération mensuelle brute moyenne de Mme [P] [J] s'élevait à la somme de 2.295,68 euros sur les 12 derniers mois, dont le 13ème mois.

Mme [P] [J] a ensuite été licenciée pour cause réelle et sérieuse par lettre datée du 21 décembre 2018.

A la date du licenciement, Mme [P] [J] avait une ancienneté de 24 ans et 7 mois et la société occupait à titre habituel plus de dix salariés.

Le 28 mai 2019, Mme [P] [J] a saisi le conseil de prud'hommes de Bordeaux en contestant la légitimité de son licenciement et réclamant le paiement de diverses indemnités.

La société Elres a saisi le conseil de prud'hommes par requête aux fins de convocation de la fondation Maison de Santé Protestante de Bagatelle et de la société Compass group France en vue d'une intervention forcée de ces dernières dans le cadre de l'affaire l'opposant à Mme [P] [J].

Par jugement rendu en formation de départage le 6 avril 2021, le conseil de prud'hommes a :

- ordonné la jonction entre la requête du 26 janvier 2021 de la société Elres et l'affaire enrôlée sous le n°19/00748,

- déclaré irrecevable la requête de la société Elres en intervention forcée de la société Compass group France et de la fondation Maison de santé protestante de Bagatelle,

- dit n'y avoir lieu de surseoir à statuer,

- dit que le licenciement de Mme [P] [J] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- condamné la société Elres à payer à Mme [P] [J] les sommes de :

- 36.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 500 euros à titre de dommages et intérêts du fait du différé d'indemnisation de pôle emploi en raison de l'irrégularité de l'attestation pôle emploi,

- 2.289,30 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et 228,93 euros au titre des congés payés afférents,

- 420,17 euros au titre de la prime d'ancienneté et 42,01 euros au titre des congés payés afférents,

- débouté Mme [P] [J] de sa demande de communication de pièces sous astreinte,

- ordonné le remboursement par la société Elres aux organismes concernés des indemnités de chômage qu'ils ont versées le cas échéant à Mme [P] [J] à compter du jour de son licenciement et ce à concurrence de six mois,

- rappelé que l'exécution provisoire est de droit pour le paiement de l'indemnité compensatrice de préavis de l'indemnité compensatrice de congés payés, et de l'indemnité de licenciement dans la limite maximum de 9 mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire, soit 2.238,34 euros,

- ordonné l'exécution provisoire pour le surplus des condamnations,

- condamné la société Elres à payer à Mme [P] [J] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Elres aux dépens.

Par déclaration du 29 avril 2021, la société Elres a relevé appel de cette décision, notifiée par lettre adressée aux parties par le greffe le 12 avril 2021.

Par ordonnance du 12 janvier 2022, le conseiller de la mise en état a constaté l'extinction de l'instance d'appel et de l'action engagée par la société Elres à l'égard de la société Compass group France et de la fondation Maison de santé protestante de Bagatelle.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 17 novembre 2023, la société Elres demande à la cour

- d'accueillir la société Elres en son appel du jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Bordeaux, formation de départage, du 6 avril 2021, minute n°21/00283,

- le déclarer régulier en la forme et bien fondé,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- dit que le licenciement de Mme [P] [J] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- condamné Elres à payer à Mme [P] [J] les sommes de :

* 36.000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 500 euros de dommages-intérêts du fait du différé d'indemnisation de pôle emploi en raison de l'irrégularité de l'attestation pôle emploi,

* ordonné le remboursement par la société Elres aux organismes concernés des indemnités de chômage qu'ils ont versées le cas échéant à Mme [P] [J] à compter du jour de son licenciement et ce, à concurrence de 6 mois,

* rappelé que l'exécution provisoire est de droit pour le paiement de l'indemnité compensatrice de préavis, de l'indemnité compensatrice de congés payés et de l'indemnité de licenciement dans la limite maximum de 9 mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire, soit 2.238,84 euros,

* ordonné l'exécution provisoire pour le surplus des condamnations,

* condamné société Elres à payer à Mme [P] [J] 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

* condamné la société Elres aux dépens.

- le confirmer pour le surplus.

Et, statuant de nouveau :

- juger que la perte de marché ne constitue pas un motif économique de licenciement,

- constater que la société Elres a respecté l'ensemble des obligations lui incombant à l'égard de Mme [P] [J],

- constater que Mme [P] [J] est de mauvaise foi,

- juger inopposable et réputée non-écrite comme étant dépourvue d'objet et vidant de sa substance l'obligation essentielle du contrat de travail de la société Elres et de Mme [P] [J] la clause de non-mobilité de cette dernière,

- juger que le licenciement de Mme [P] [J] est justifié par une cause réelle et sérieuse,

En conséquence,

- débouter Mme [P] [J] de l'ensemble de ses demandes,

A titre subsidiaire :

- juger que Mme [P] [J] n'apporte pas la preuve du préjudice qu'elle invoque, tant dans son existence que dans son étendu, au titre du prétendu licenciement abusif,

En conséquence,

- débouter Mme [P] [J] de sa demande de paiement de la somme de 57.392 euros de dommages-intérêts à ce titre, et à tout le moins, la réduire à de plus justes proportions conformément au barème de l'article L.1235-3 du code du travail, sans pouvoir excéder la somme de 40.174 euros ; sous réserve que Mme [P] [J] justifie de l'existence et de l'étendue du préjudice qu'elle invoque.

En outre :

- débouter Mme [P] [J] de sa demande de paiement de la somme de 7.000 euros de dommages-intérêts pour attestation pôle emploi irrégulière,

- donner acte à la société Elres de ce qu'elle a réglé à Mme [P] [J] conformément à l'exécution du jugement dont appel les sommes suivantes, dont elle se reconnaît débitrice :

- 420,17 euros au titre de la prime d'ancienneté,

- 2.289,30 euros à titre de rappel de salaire sur l'indemnité compensatrice de préavis,

- 228,93 euros au titre des congés payés afférents,

- débouter Mme [P] [J] de ses autres demandes.

En tout état de cause :

- débouter Mme [P] [J] de ses demandes,

- condamner Mme [P] [J] au paiement de la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de l'instance.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 6 novembre 2023, Mme [P] [J] demande à la cour de':

- dire et juger Mme [P] [J] recevable et bien fondée en ses demandes,

- confirmer le jugement en ce que le licenciement de Mme [P] [J] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

-confirmer le jugement en ce qu'il a été considéré que le retard dans l'établissement et la transmission d'une attestation pôle emploi régulière était cause de préjudice pour la salariée,

- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Elres à verser à la salariée 2.289,30 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 228,93 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,

Statuant à nouveau,

- condamner la société Elres au versement des sommes suivantes, au bénéfice de Mme [P] [J] :

- 57.392 euros à titre d'indemnité, en réparation des préjudices nés du licenciement abusif,

- 7.000 euros à titre de dommages et intérêts du fait de la rédaction irrégulière de l'attestation pôle emploi,

- 1.017,36 euros à titre de prime d'ancienneté outre 101,73 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés,

- 8.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouter l'appelante de l'ensemble de ses demandes,

- condamner l'appelante aux dépens et aux éventuels frais d'exécution forcée,

- ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir.

La médiation proposée aux parties le 30 mars 2022 par le conseiller de la mise en état n'a pas abouti.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 janvier 2024 et l'affaire a été fixée à l'audience du 30 janvier 2024 à 14 heures.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'à la décision déférée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le bien-fondé du licenciement

La société Elres fait valoir que :

- en application des dispositions de l' article 1210 du code civil, les engagements perpétuels sont prohibés, chaque partie pouvant y mettre fin ;

-est réputée non écrite une clause contractuelle empêchant le salarié de travailler ou l' employeur de lui fournir du travail ;

- en tout cas, un licenciement est légitime si des circonstances étrangères à l' employeur ne permettent plus la poursuite du contrat de travail : la disparition/ cessation d'exploitation de la cafétéria ne permettait pas la poursuite du contrat de travail ;

-l'application d'une clause contractuelle peut être écartée en cas de mauvaise foi et Mme [P] [J] a refusé tout poste en sachant qu'elle ne pouvait plus travailler à la cafétéria ; le juge des référés, juge de l'évidence, a posé que la cafétéria n'était plus exploitée ;

-la perte d'un marché ne constitue pas en soi un motif économique de licenciement, peu important l'origine de la rupture d'un contrat de prestation de services ; elle n'avait pas à recourir à un licenciement économique ;

-lorsqu' un salarié refuse une modification de son contrat de travail, il revient au juge de rechercher si le motif de cette modification constitue ou non une cause réelle et sérieuse de licenciement; la société ne pouvait pas proposer un poste dans les conditions de la clause de non mobilité ;

-il n'y a aucun lien entre la cessation du contrat de prestation de service et la destruction ou la cessation d'exploitation de la cafétéria et la première ne peut lui être reprochée ; il s'agissait ici d'un projet de rénovation dit Bahia regroupant la MSPB et l'hôpital [10] et qui prévoyait la démolition du bâtiment 24 sur le site de [Localité 12] où se situait la cafétéria qui ne faisait pas partie de l'appel d'offres et dont les salariés n'ont pas été repris par la société entrante Compass: ;il ne pouvait lui être reproché de ne pas avoir respecté les règles relatives au transfert des contrats de travail qui n'auraient intéressé que la société entrante

- elle ne pouvait pas proposer un poste compatible avec la clause de non mobilité.

Mme [P] [J] répond que :

- il n'y a pas eu perte de marché, la société appelante ayant mis fin au contrat la liant à la Fondation Bagatelle considération prise de l'insuffisance de ses profits ;

-l' employeur a violé les dispositions de la convention collective relatives au transfert des contrats de travail; son contrat de travail devait se poursuivre au sein de la société entrante Compass ;

- la destruction de la cafétéria de la Fondation, non démontrée par l'appelante, serait la conséquence de la décision de cette dernière de mettre fin au contrat de prestation de service ;

-la société a méconnu la clause contractuelle de non mobilité alors qu'elle devait assumer les conséquences de la rupture du contrat de prestation de services.

La lettre de licenciement est ainsi rédigée :

' (...) en date du 5 novembre 2018 au soir, le contrat de prestation de services entre la société Elior et le client- Fondation de Bagatelle- a pris fin.

Le successeur d'Eliora décidé de passer d'un mode de production sur place par la livraison de repas à partir d'une unité de production leur appartenant. Conformément aux dispositions de la convention collective nationale pour le personnel des entreprises de restauration de collectivités, le personnel dit cuisinant n'est pas transféré auprès du successeur d'Elior.

De plus, le client - Fondation de Bagatelle- profite de cette situation afin de détruire la cafétéria au lendemain de la cessation du contrat entre Elres et le client soit le 6 novembre 2018.

À noter que vous êtes soumise à une clause de non mobilité qui est la suivante: ' conformément aux accords avec votre ancien employeur , vous ne pourrez pas faire l'objet d'une affectation sur un établissement non rattaché à la Fondation Bagatelle sans votre accord express sur proposition de votre employeur ou à votre demande '. Cette clause a été maintenue suite à la reprise de votre contrat de travail par le prédécesseur d'Elior.

De plus, la cafétéria ayant pour projet d'être détruite, le successeur d'Elior n'a pas pour obligation de reprendre votre contrat de travail et ne vous a pas proposé de poste au sein des établissements de la Fondation Bagatelle.

Aussi, en date du 25 octobre 2018, le client - Fondation Bagatelle - vous a reçue en entretien afin d'envisager ou non un emploi dans ses effectifs. Le client ne vous a pas proposé de poste au sein des établissements de la Fondation Bagatelle.

Ainsi, afin de conserver votre emploi et ce malgré la clause de non mobilité présente dans votre contrat de travail , le société vous a formulé par courrier en date du 23 octobre, le seul poste vacant dans le département d'origine ( Gironde 33) : employé polycompétent de restauration (département 33 ) - temps partiel 25h/semaine.

En date du 29 octobre 2018, vous avez répondu à la proposition de poste ... défavorablement ( ...).

Consciente que ce poste ne correspond pas à votre emploi actuel, la société a élargi les propositions de postes à la région Sud Ouest. En date du 29 octobre 2018, la société vous a formulé cinq propositions de postes vacants :

- responsable de salle (31) - temps plein;

- 3 postes d'employé responsable (31) - temps plein,

-employé de restauration (64) - temps plein

N'ayant aucune réponse de votre part, nous vous avons affectée sur un site Elres dans le département des Pyrénées Atlantiques (64) : la polyclinique de Navarre, matérialisé par une lettre d'affectation en date du 29 novembre 2018 pour une affectation au 6 décembre 2018.

Le 6 décembre 2018, vous ne vous êtes pas présentée sur le site.

Lors de l'entretien du 18 décembre 2018, vous avez répondu que vous subissez la dénonciation du contrat par Elior et que la perte de votre emploi en est la conséquence. Vous refusez d'être mutée sur le site de la Polyclinique de Navarre au regard de votre clause de non mobilité.

Nous vous avons rétorqué que la société Elior n'est pas à l'origine de la destruction de la cafétéria par le client et que, n'étant plus le prestataire de services de la Fondation Bagatelle, - pour rappel, vous êtes soumise à une clause de non mobilité- la société Elior n'était pas habilitée de vous affecter sur l'un des établissements de la Fondation Bagatelle. Nous subissons également la destruction de la cafétéria et la clause de non mobilité à laquelle vous êtes rattachée.

Ainsi, nous sommes amenés par la présente à vous notifier votre licenciement pour cause réelle et sérieuse, avec un préavis de un mois que nous vous dispensons d'effectuer (...).

*****

Dans le cadre d'un accord de fin de conflit en date du 15 mars 2007, la société Compass Group France, alors prestataire de services, a confirmé la clause de non mobilité contractualisée dans le cadre des relations entre la MSPB et la salariée, aux termes de laquelle : ' nous vous rappelons que vous ne pourrez pas faire l'objet d'une affectation sur un établissement non rattaché à MSPB sans votre accord express sur proposition du CGF ou à votre demande' et ' il est précisé qu'en cas de refus du salarié, aucune mesure disciplinaire ne sera prise à son encontre'.

Cette clause claire et précise a été reprise aux termes de l'avenant signé le 20 novembre 2013 avec la société Elres (groupe Elior), société entrante dans le cadre d'un contrat de prestation de services.

La liberté de mettre fin à un engagement souscrit dans le cadre des contrats de droit civil, telle qu'édictée aux articles 1210 et 1211 du code civil, est susceptible de modération en ce que le juge, examinant les circonstances de la rupture, peut retenir qu'elle est abusive ; en tout état de cause, la rupture des contrats de travail obéit à des règles protectrices particulières dont le respect constitue l'objet du présent litige.

Les développements relatifs au caractère économique du licenciement sont inopérants dès lors que la lettre de licenciement ne porte pas mention de motifs y afférents (difficultés économiques, sauvegarde de la compétitivité, mutations technologiques...)et que la perte d'un marché ne peut, à elle seule, fonder un licenciement pour motif économique.

Les développements relatifs au transfert du contrat de travail de Mme [P] [J] à la société entrante Compass le sont aussi, cette dernière n'ayant pas été attraite par Mme [P] [J].

Si le salarié est en droit de refuser la modification de son contrat de travail proposée par l' employeur, le licenciement consécutif à ce refus de modification n'est pas pour autant dépourvu de cause réelle et sérieuse. Il revient au juge de rechercher si le motif de la modification constitue une cause réelle et sérieuse.

Le motif de la modification du lieu de travail de Mme [P] [J] est l'impossibilité de respecter la clause de non mobilité suite à la destruction/ cessation d'exploitation de la cafétéria à laquelle était affectée la salariée.

La société n'établit pas que la cafétéria à laquelle était affectée Mme [P] [J] a été détruite ou que son exploitation a cessé dans le temps du licenciement. Le projet Bahia auquel la société se réfère, prévoit la démolition du bâtiment 24 dont il est écrit qu'il s'agit 'du bâtiment des hospitalisations, connecté au plateau médico- technique et au bâtiment hospitalier d'origine, ce site disposant également d'un institut de Formation des Soins Infirmiers et du Bâtiment Bosc 'sans mention d'une cafétéria. La circonstance qu'une décision de destruction ait pu être mentionnée dans un arrêt statuant sur ordonnance de référé ne constitue pas non plus une preuve d'une telle destruction ou cessation d'exploitation.

Il s'y ajoute qu'aux termes du contrat de prestations conclu entre la MSPB et la société Elior en 2013, la première a confié à la seconde des services au profit des établissements :

- hôpital [4], la crèche, le centre de loisirs situés [Adresse 11] à [Localité 12],

- [7] et le Relais situés à [Localité 6],

établissements rattachés à la MSPB,

et que la clause de non mobilité fait référence à 'une affectation sur un établissement non rattaché à la Fondation Bagatelle', sans qu'il soit établi qu'il ne pouvait être proposé à Mme [P] [J] aucun de ces sites rattachés à la MSPB.

La société ne peut donc valablement établir l'impossibilité d'affecter Mme [P] [J] à un des sites en conformité avec la clause de non mobilité.

La société dit qu'ayant perdu ce marché, elle n'était pas habilitée à affecter la salariée sur l'un des établissements de la Fondation Bagatelle, mais, étant à l'origine de la rupture du contrat de prestation dont elle ne dit pas qu'elle a été décidée à la hâte, elle aurait pu rechercher - avant celle-ci- un poste compatible avec la clause dont elle ne pouvait, selon elle, contourner l'application.

Le moyen de la société qu'en vertu de l' article 1170 du code civil- la clause de non mobilité doit être réputée non écrite car vidant de sa substance l' obligation essentielle de l'employeur de fournir du travail au salarié ou à ce dernier d'exécuter une prestation de travail, outre qu'il intéresse le droit des contrats , est dès lors inopérant.

Compte-tenu de ces développements, il ne peut non plus être retenu que la salariée a agi de mauvaise foi.

Dans ces conditions, il sera retenu que le motif de la modification ne constituait pas une cause réelle et sérieuse et que Mme [P] [J] ne pouvait être licenciée pour avoir refusé de se présenter au poste de la polyclinique de Navarre situé dans le département des Pyrénées Atlantiques, ne répondant pas aux exigences résultant de la clause contractuelle.

Le licenciement de Mme [P] [J] est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences financières de la rupture du contrat de travail

les dommages et intérêts pour licenciement abusif

Mme [P] [J] fait valoir qu'ayant une ancienneté de 25 ans, âgée de 58 ans, et reconnue travailleuse handicapée, elle a épuisé ses droits aux indemnités de chômage en 2022, puis travaillé à temps partiel pour une rémunération mensuelle de 200 euros par mois jusqu'à la date à laquelle elle a pu faire valoir ses droits à la retraite liquidés à taux réduit.

Mme [P] [J] demande le paiement de dommages et intérêts correspondant à 25 mois de salaire en demandant d'écarter le maximum prévu au 'barème Macron'.

La société oppose la conventionnalité du dit barème et l'absence de recherche d'emploi et de preuve de la situation sus évoquée.

D'une part, les dispositions de la Charte sociale européenne selon lesquelles les Etats contractants ont entendu reconnaître des principes et des objectifs poursuivis par tous les moyens utiles, dont la mise en oeuvre nécessite qu'ils prennent des actes complémentaires d'application et dont ils ont réservé le contrôle au seul système spécifique visé par la partie IV, ne sont pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.

L'invocation de son article 24 ne peut dès lors pas conduire à écarter l'application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017.

D'autre part, les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail, qui octroient au salarié, en cas de licenciement injustifié, une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l'ancienneté du salarié permettent raisonnablement l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi, étant observé que celles de l'article L 1235-3-1 du même code prévoient que, dans des cas limitativement énumérés entraînant la nullité du licenciement, le barème ainsi institué n'est pas applicable.

Le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l'employeur est en outre assuré par l'application, d'office par le juge, des dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail, aux termes desquelles le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé.

Les dispositions des articles L. 1235-3, L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du code du travail sont ainsi de nature à permettre le versement d'une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'OIT.

Il en résulte que les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l'article 10 de la convention précitée.

Mme [P] [J] verse des attestations de paiement du Pôle Emploi sur la période de 2019 à 2022. Elle ne produit pas de reconnaissance de sa qualité de travailleuse handicapée, de recherche d'emploi ou de pièce qui confirmerait une rémunération mensuelle de 200 euros versée par une association.

Considération prise de sa rémunération mensuelle moyenne, de son ancienneté, de son âge et des éléments produits, le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société à payer à Mme [P] [J] la somme de 36 000 euros en réparation du préjudice résultant de la perte d'emploi.

la délivrance d'une attestation Pôle Emploi non conforme

Mme [P] [J] demande aussi le paiement de la somme de 5 000 euros au motif que l'attestation Pôle Emploi délivrée par l' employeur indiquait à tort la somme de 18 000 euros mentionnée dans une transaction non finalisée.

Elle aurait été privée de cinq mois d'allocations de chômage représentant 150 jours de différé spécifique.

La société répond qu'elle a établi une attestation Pôle Emploi rectifiée en 2020 et demandé à cet organisme la suppression du différé d'indemnisation que la salariée a sûrement obtenue et qu'en tout état de cause, ce différé pourrait s'expliquer par la perception d'une indemnité de congés payés.

Le différé de cinq mois est établi par la lettre du Pôle Emploi du 1er avril 2019 mentionnant une indemnisation à compter du 26 août 2019, ce point de départ tenant compte de 58 jours de différé calculés à partir des indemnités compensatrice de congés payés et de 150 jours de différé spécifique calculés à partir des indemnités de rupture enfin, d'un délai d'attente de sept jours.

À supposer que Mme [P] [J] ait obtenu la suppression du différé, elle a été privée pendant 150 jours d'allocations en raison de le mention du montant de la transaction non aboutie. L'intervention de la société auprès de l'organisme a été tardive.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société au paiement d'une somme de 500 euros.

l'indemnité compensatrice de préavis

Mme [P] [J] fait valoir que son ancienneté lui ouvrait droit à une indemnité compensatrice de préavis correspondant à deux mois de salaire et que la société ne lui a versé qu'un mois de préavis, qu'il lui reste dû un solde de 2 289,30 euros majoré des congés payés afférents (228,93 euros).

La société prend acte de ce qu'elle doit le versement de la somme de 2.289,93 euros outre 228,93 euros au titre des congés payés afférents à la salariée. Elle demande la confirmation du jugement sur ce point.

le rappel de salaire au titre de la prime d'ancienneté

La salariée soutient qu'elle aurait dû percevoir une prime d'ancienneté à hauteur de 4% de sa rémunération mensuelle brute sur ses trois dernières années dans l'entreprise. Elle demande paiement de la somme de 1 017,36 euros majorée des congés payés afférents.

La société Elres reconnaît devoir à la salariée un arriéré au titre de la prime d'ancienneté mais à hauteur de 420,17 euros brut outre les congés payés. Selon elle, le calcul doit être opéré sur la base du salaire minimum mensuel tel que prévu par la convention collective et une prime d' ancienneté spéciale a été versée dont il convient de tenir compte.

La convention collective prévoit le paiement d'une prime d' ancienneté calculée sur le salaire minimum et un pourcentage de 1%, 2%, 3 % et 4% pour une ancienneté de cinq, dix, quinze et vingt années.

Au cours des trois dernières années, l' ancienneté de Mme [P] [J] était de plus de vingt années et le taux applicable était de 4% ; les bulletins de paye mentionnent une prime d' ancienneté de 49,97 euros et une prime complémentaire d'ancienneté variable.

Cette prime devant être calculée sur le salaire minimum, le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société au paiement de la somme de 420,17 euros et congés payés afférents (42,01 euros).

le remboursement des indemnités au Pôle Emploi

La société Elres soutient que pour se voir condamner au remboursement des indemnités, un comportement fautif de l'employeur doit être démontré, distinct de l'éventuelle illécéité du licenciement.

Mme [P] [J] ne conclut pas sur ce point.

Aux termes de l' article L.1235-4 du code du travail, dans les cas prévus à l' article L.1235-3, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié du jour de son licenciement dans la limite de six mois d' indemnités.

Le licenciement sans cause réelle et sérieuse de Mme [P] [J] a donné lieu à l'application des dispositions de l' article L.1235-3 du code du travail, l' employeur n'ayant pas respecté une obligation contractuelle.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a ordonné le remboursement au Pôle Emploi des indemnités versées à Mme [P] [J] depuis son licenciement dans la limite de six mois.

Vu l'équité, la société sera condamnée à payer à Mme [P] [J] la somme complémentaire de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés dans le cadre de la procédure d'appel.

Partie perdante, la société supportera les entiers dépens des procédures de première instance et d'appel et les éventuels frais d'exécution forcée.

PAR CES MOTIFS

la cour,

Constate la mise hors de cause de la société Compass Group et de la Fondation Maison de la Santé Protestante de Bordeaux-Bagatelle ;

Confirme le jugement en ses autres dispositions ;

y ajoutant,

Condamne la société Elres à payer à Mme [P] [J] la somme complémentaire de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles engagés dans le cadre de la procédure d'appel;

Condamne la société Elres aux entiers dépens et aux éventuels frais d'exécution forcée.

Signé par Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Catherine Rouaud-Folliard


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 21/02534
Date de la décision : 10/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 20/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-10;21.02534 ?
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