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27/03/2024 | FRANCE | N°21/03031

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 27 mars 2024, 21/03031


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



--------------------------







ARRÊT DU : 27 MARS 2024







PRUD'HOMMES



N° RG 21/03031 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MECJ













Monsieur [O] [J]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle partielle numéro 2021/014640 du 01/07/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de BORDEAUX)



c/



S.A.R.L. ADTP













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Nature de la décision : AU FOND

















Grosse délivrée le :



à :

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 28 avril 2021 (R.G. n°F 19/00142) par le conseil de prud'hommes - Formation de départage de PÉRIGUEUX, Section Industrie, sui...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 27 MARS 2024

PRUD'HOMMES

N° RG 21/03031 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MECJ

Monsieur [O] [J]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle partielle numéro 2021/014640 du 01/07/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de BORDEAUX)

c/

S.A.R.L. ADTP

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 28 avril 2021 (R.G. n°F 19/00142) par le conseil de prud'hommes - Formation de départage de PÉRIGUEUX, Section Industrie, suivant déclaration d'appel du 27 mai 2021,

APPELANT :

Monsieur [O] [J]

né le 15 mai 1988 à [Localité 1] de nationalité française, demeurant [Adresse 3]

représenté et assisté de Me Natacha MAYAUD de la SCP CABINET MALEVILLE, avocat au barreau de PERIGUEUX

INTIMÉE :

SARL ADTP, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 2]

représentée et assistée de Me Frédéric COIFFE, avocat au barreau de PERIGUEUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 février 2024 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Sylvie Tronche, conseiller chargé d'instruire l'affaire,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Sylvie Hylaire, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère

Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

Greffier lors des débats : Evelyne Gombaud,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur [O] [J], né en 1988, a été engagé en qualité d'ouvrier manoeuvre par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 13 novembre 2017 par la SARL ADTP qui exerce une activité de travaux publics.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des ouvriers des travaux publics.

Le 11 octobre 2018, une altercation a eu lieu entre M. [J] et M. [X], conducteur de travaux et époux de la gérante de l'entreprise.

Le 12 octobre 2018, un certificat médical faisant état d'une incapacité totale de trois jours a été délivré à M. [J] qui a déposé plainte le même jour auprès de la gendarmerie locale pour des faits de violences commises par M. [X], puis le 23 novembre 2018, pour des faits de harcèlement moral. Ces faits, enregistrés sous une unique procédure, ont fait l'objet d'un classement sans suite le 9 août 2019.

Le salarié a été placé en arrêt de travail à compter du 11 octobre 2018 prolongé jusqu'au 9 novembre 2018.

Le 7 janvier 2019, la caisse primaire d'assurance maladie de la Dordogne (ci-après CPAM) a pris en charge au titre des risques professionnels l'accident du 11 octobre 2018 déclaré par le salarié.

Par courrier daté du 25 octobre 2018, M. [J] a démissionné.

A la date de la fin du contrat de travail, M. [J] avait une ancienneté de 11 mois et la société occupait à titre habituel moins de 11 salariés.

Le 6 août 2019, M. [J] a saisi le conseil de prud'hommes de Périgueux demandant la requalification de sa démission en prise d'acte de rupture aux torts de l'employeur et réclamant des dommages et intérêts pour harcèlement moral, pour licenciement nul et pour travail dissimulé ainsi qu'un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires effectuées de novembre 2017 à septembre 2018 ainsi qu'au titre du temps de travail effectif non rémunéré.

Par jugement rendu en formation de départage le 28 avril 2021, le conseil de prud'hommes a :

- condamné la société ADTP à payer à M. [J] la somme de 588,74 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires outre 58,74 euros à titre de congés payés afférents,

- débouté M. [J] du surplus de ses prétentions,

- débouté les parties de leur demande respective au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné chacune des parties à supporter ses propres dépens.

Par déclaration du 27 mai 2021, M. [J] a relevé appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 16 janvier 2024, M. [J] demande à la cour, outre de le déclarer recevable et bien fondé en son appel, de réformer le jugement entrepris et de :

- constater qu'il a été victime de harcèlement moral durant son activité au sein de la société ADTP,

- condamner la société ADTP à lui verser la somme de 9.639,34 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

- requalifier sa démission en prise d'acte de rupture aux torts de l'employeur produisant les effets d'un licenciement nul,

- condamner la société ADTP à lui verser les sommes suivantes :

* 9.639,84 euros à titre de dommages et intérêts,

* 1.606,64 euros bruts à titre d'indemnité de préavis,

* 160,66 euros bruts de congés payés sur préavis,

* 401,66 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,

* 1.128,18 euros bruts à titre de rappel de salaire au titre du temps de travail effectif non rémunéré et 112,81 euros au titre de congés payés y afférents,

* 9.639,84 euros à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé,

- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société ADTP à lui verser la somme de 588,74 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires et 58.74 euros au titre des congés payés y afférents,

- condamner la société ADTP à lui verser la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société ADTP à verser à Maître Mayaud la somme de 2.500 euros en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 17 janvier 2024, la société ADTP demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [J] de ses demandes en reconnaissance d'un harcèlement moral, en requalification de sa démission en licenciement nul avec l'octroi des indemnités de rupture et dommages et intérêts afférents, en paiement d'un rappel de salaire au titre du temps de travail effectif et en reconnaissance d'un travail dissimulé avec l'octroi de l'indemnité afférente,

- débouter M. [J] de ses demandes contraires,

- réformer le jugement déféré en ce qu'il a octroyé à M. [J] la somme de 588,74 euros bruts à titre de rappel d'heures supplémentaires, somme majorée de 58,74 euros bruts au titre des congés payés afférents,

- juger qu'aucune heure supplémentaire n'est due à M. [J],

- débouter M. [J] de sa demande contraire,

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il l'a déboutée de sa demande en remboursement des frais irrépétibles qu'elle a exposés au titre de l'article 700 du code procédure civile,

- lui octroyer la somme de 1.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouter M. [J] de l'intégralité de ses autres demandes,

- condamner M. [J] au paiement de la somme de 1.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens et frais d'exécution éventuels.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 janvier 2024 et l'affaire a été fixée à l'audience du 13 février 2024.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'à la décision déférée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le harcèlement moral

M. [J] sollicite l'allocation de la somme de 9.639,34 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant du harcèlement moral qu'il dit avoir subi.

* * *

Selon les dispositions de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L. 1154-1 prévoit, qu'en cas de litige, si le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement, au vu de ces éléments, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Au soutien de ses prétentions, M. [J] invoque les éléments suivants :

- des reproches répétés et des propos dégradants de la part de M. [X],

- la fourniture de chaussures de sécurité de mauvaise qualité et trop petites,

- l'affichage de son bulletin de salaire dans la salle de repos accompagné de commentaires diffamatoires,

- des violences physiques notamment l'altercation du 11 octobre 2018 et des violences verbales constituant une dégradation de ses conditions de travail ayant porté atteinte à sa santé.

Il verse notamment aux débats les pièces suivantes :

- les plaintes déposées par ses soins les 12 octobre et 23 novembre 2018 aux termes desquels il explique avoir été victime dès son embauche de réflexions désagréables de la part de M. [X] lequel aurait « passé son temps » à le rabaisser, l'aurait pris à partie devant ses collègues pour le réprimander en ces termes : « je vais te faire détester par tout le monde à l'entreprise », lui aurait reproché son mauvais travail qualifié de « déguelasse », l'aurait traité de « gouyassou » et lui aurait fourni des chaussures de sécurité qui n'étaient pas à sa taille. Il y évoque également les violences physiques exercées contre lui depuis 5 mois, M. [X] lui ayant la première fois, posé son avant-bras gauche sur la gorge et l'ayant plaqué au mur ensuite d'une mésentente. Il relate l'altercation du 11 octobre ainsi : « Suite à une mésentente concernant mes horaires (') je suis allé dans la salle de pause et il m'y a rejoint. Quelques jours auparavant, M. [X] avait écrit sur le tableau des chiffres avec mon salaire et des dépenses, et dans les dépenses il a mis « cannabis-300€ ». J'ai été touché déjà par ces faits et lorsqu'il m'a rejoint je lui ai rappelé qu'il avait fait ça. Il m'a dit « t'as quoi pour le prouver » et je lui ai dit que j'avais une photo. Il m'a saisi par le cou avec son avant-bras et m'a étranglé contre le mur. Je l'ai repoussé pour essayer de m'en aller et il m'a re-plaqué au mur. Je me suis dégagé et on s'est fortement disputés. Un collègue nous a séparé et j'ai voulu stopper la discussion et quitter les lieux. Alors que j'étais dans l'encadrement de la porte, il a feint d'être poussé par moi puis est tombé en simulant des violences de ma part. A posteriori j'ai compris qu'il agissait dans le champ de vision d'une caméra de surveillance pour essayer de montrer que je l'avais violenté » ;

- le certificat médical établi le 12 octobre 2018 faisant mention d'un état de choc émotionnel, d'une contusion de la pomme d'Adam, des hématomes punctiformes multiples face latérale du cou côté droit et d'une lombalgie aigüe sans sciatalgie ayant justifié une incapacité totale de travail de 3 jours, étayant les faits de violences dénoncés et précisant que le salarié venu la veille, présentait les mêmes lésions sauf les hématomes relevés sur le cou ;

- un certificat médical établi le 8 novembre 2018 par le docteur [V] constatant des désordres psychologiques chez un patient sans antécédent psychiatrique, sans autre précision ;

- les attestations de Mme et M. [D], mère et beau-père de M. [J], relatant la dégradation psychologique de ce dernier en lien avec ses conditions de travail et expliquant lui avoir conseillé de démissionner ;

- les attestations de son nouvel employeur, M. [G], qui l'a engagé le 12 novembre 2018 ainsi que de ses nouveaux collègues louant ses qualités professionnelles et son comportement irréprochable ;

- ses analyses de sang du 2 septembre 2020 démontrant l'absence de consommation de produits stupéfiants, mais elles sont postérieures à la rupture du contrat de travail,

- une facture d'achat du 10 novembre 2017 relative à des vêtements de travail dont des chaussures de sécurité, postérieure à la rupture du contrat de travail.

Si aucune pièce ne permet d'étayer les reproches répétés, les propos dégradants ainsi que la fourniture d'équipements inadaptés hormis les seules déclarations du salarié devant les services de gendarmerie, en revanche les autres faits invoqués laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral.

La société tente d'en contester la réalité en expliquant que s'agissant de l'altercation du 11 octobre 2018, le certificat médical produit par M. [J] ainsi que sa prise en charge au titre des risques professionnels par la CPAM ne peuvent constituer une preuve des faits allégués dans la mesure où le salarié a travaillé toute la journée après l'altercation en cause sans que ses collègues ne remarquent de quelconques blessures tandis que M. [X] conteste toute agression physique.

Sont produites les attestations de :

- M. [K], salarié de l'entreprise, indiquant avoir entendu le ton monter entre M. [X] et M. [J] avant qu'une bousculade n'ait eu lieu entraînant la chute de M. [X], sans autre précision, et concluant qu'après cet incident les salariés étaient repartis sur leurs chantiers respectifs ; si cette attestation est taisante quant aux faits de violences dénoncés, en revanche, elle confirme la matérialité de l'altercation ;

- M. [L], conducteur d'engins et chef d'équipe, précisant ne pas avoir été témoin de la « dispute » et n'avoir constaté aucune marque et aucun bleu sur le visage de M. [J] ce qui, toutefois, ne permet pas de contredire les constations médicales du 12 octobre 2018, le médecin ayant pris le soin de préciser que si le 12 octobre le salarié avait présenté outre un choc émotionnel, une contusion de la pomme d'Adam ainsi que des hématomes punctiformes multiples face latérale du cou côté droit, en revanche la veille, jour de l'altercation, il n'avait constaté aucun hématome sur le cou, ce qui n'est pas incompatible avec les déclarations du salarié selon lequel M. [X] l'a saisi par le cou avec son avant-bras et l'a étranglé contre le mur, la localisation des lésions (contusion de la pomme d'Adam) et l'apparition des hématomes le lendemain, en attestant.

S'agissant de l'affichage, dans la salle de repos, du bulletin de salaire de M. [J] accompagné de commentaires quant aux dépenses engendrées par la consommation alléguée de cannabis, l'employeur, sans en contester la matérialité, veut en justifier en rappelant que l'usage de cannabis est un délit présentant un réel danger pour la sécurité des salariés. Pour autant, aucun reproche n'a été adressé au salarié à ce sujet pendant toute la relation contractuelle.

L'attitude de l'employeur a eu incontestablement un impact sur la dégradation de santé de M [J] ainsi qu'en témoignent notamment les éléments médicaux contemporains des faits dénoncés par M. [J].

Au regard de l'ensemble de ses éléments, la société échoue à démontrer que les faits invoqués par M. [J], pris dans leur ensemble, sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral.

Compte tenu de la durée de la période litigieuse et en l'absence d'autres éléments, le préjudice qui en résulte pour M. [J] sera entièrement réparé par l'allocation d'une somme de 4'000 euros. Le jugement sera donc infirmé sur ce point.

Sur la rupture du contrat

M. [J] soutient avoir démissionné dans un contexte de harcèlement moral qui rend sa démission équivoque et conduit à sa requalification en licenciement nul.

En réponse, l'employeur s'en défend en faisant valoir que le salarié a démissionné dans des termes clairs et non équivoques, que sa requête a été déposée plus de 9 mois après sa démission et que les certificats médicaux produits des 29 octobre et 8 novembre 2018, qui ne font pas de lien avec l'environnement professionnel, sont trop éloignés des événements du 11 octobre 2018.

* * *

Une démission doit reposer sur une volonté claire et non équivoque de rompre le contrat.

La démission du salarié consécutive ou concomitante à des faits de harcèlement moral imputables à l'employeur dûment établis, peut être remise en cause et être requalifiée en prise d'acte produisant les effets d'un licenciement nul, faute d'une volonté claire et non équivoque du salarié.

La lettre de démission de M. [J] en date du 25 octobre 2018 n'énonce pas de griefs à l'encontre de l'employeur en ce qu'elle est ainsi rédigée : « Je soussigné, [J] [O], a l'honneur de vous présenter ma démission du poste de man'uvre de votre entreprise ADTP, à compter de la date de ce courrier. Conformément aux termes du contrat de travail et des conventions collectives, j'effectuerai la totalité de mon préavis d'une durée de 15 jours dans ces conditions, mon contrat de travail expirera le 09/11/2018. Le jour de mon départ de l'entreprise, je vous demanderai de bien vouloir me transmettre un reçu pour solde de tout compte, un certificat de travail ainsi qu'une attestation Pôle Emploi ».

Cependant, l'existence des faits de harcèlement dont M. [J] a été victime est reconnue et le salarié a été placé en arrêt de travail à compter du 11 octobre 2018, date de l'altercation retenue au titre du harcèlement moral, arrêt de travail prolongé jusqu'au 9 novembre 2018.

Il en résulte que les faits de harcèlement moral étaient concomitants à la démission du salarié et les arguments selon lesquels la requête du salarié serait tardive et les certificats médicaux constatant une dégradation de son état psychologique, sans faire de lien avec le contexte professionnel, éloignés de la date de l'altercation, ne peuvent y faire échec.

En conséquence, il y a lieu de considérer que la démission de M. [J] est équivoque et que, reposant sur les faits de harcèlement précités, elle doit être requalifiée en prise d'acte de rupture aux torts de l'employeur produisant l'effet d'un licenciement nul.

Le jugement entreprise sera infirmé sur ce point.

Sur les conséquences financières de la requalification en licenciement nul'

Les indemnités légales devant être accordées à M. [J] doivent être calculées sur la base d'un salaire fixé à la somme de 1.606,64 euros bruts.

L'employeur ne conclut pas sur les demandes du salarié à ce titre, autrement qu'en considérant la démission du salarié non équivoque.

Sur l'indemnité compensatrice de préavis

En application de l'article L. 1234-1 du code du travail et de la convention collective applicable, le salarié ayant moins de deux ans d'ancienneté, il convient de condamner la société à lui verser la somme de 1.606,64 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, augmentée d'un montant de 160, 66 euros bruts au titre des congés payés.

Sur l'indemnité légale de licenciement

La convention collective applicable prévoyant un minimum de deux années d'ancienneté pour l'octroi de l'indemnité conventionnelle de licenciement, il sera fait application des dispositions des articles L. 1234-9 et R. 1234-1 à R. 1234-4 du code du travail pour allouer à l'appelant la somme de 401,66 euros à ce titre.

Sur les dommages et intérêts pour'licenciement'nul

Selon l'article L. 1235-3-1 du code du travail, en cas de nullité du licenciement, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

M. [J] a été placé en arrêt de travail pour maladie jusqu'au 9 novembre 2018 et a retrouvé un emploi dès le 13 novembre suivant.

Eu égard aux circonstances du licenciement et à la situation postérieure de M. [J], il sera alloué à ce dernier une indemnité de 9.639,84 euros, soit 6 mois de salaire.

Sur la demande au titre du temps de travail effectif

Pour réclamer le paiement de la somme de 1.128,18 euros à titre de rappel de salaire de novembre 2017 à septembre 2018, M. [J] soutient que tous les matins, à la demande de l'employeur, il se présentait à 7h15 au siège de l'entreprise pour arriver ensuite à 8 heures sur les chantiers de sorte que la société restait redevable de 45 mn journalières de temps de travail effectif non rémunérées.

En réplique, la société avance que les temps de déplacement-entreprise-chantier ont toujours été intégrés dans le temps de travail de sorte que la demande du salarié à ce titre ne pouvait prospérer.

* * *

L'article L. 3121-4 du code du travail précise que le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d'exécution du contrat de travail n'est pas un temps de travail effectif.

En revanche, le salarié d'une entreprise de bâtiment, contraint de passer au siège social de la société ou dans un établissement de l'entreprise avant de se rendre sur un chantier ou de rejoindre son domicile, pour notamment récupérer ou/et transporter du matériel ou/et des collègues, bénéficie pour ces trajets de la rémunération d'un temps de travail effectif, le salarié étant à la disposition de son employeur sans pouvoir vaquer à ses occupations personnelles.

A l'appui de sa demande, M. [J] ne produit aucun décompte et ses affirmations sont combattues par les attestations des salariés précisant d'une part, que le rendez-vous à l'entreprise était fixé à 8h00 le lundi matin et à 7h30, le reste de la semaine, et d'autre part, qu'ils véhiculaient M. [J] jusqu'au dépôt car il n'était pas titulaire du permis de conduire, sans être contredits sur ce point.

Par ailleurs la lecture des tableaux de pointage produits ne permet pas de relever que les temps de trajets entre le dépôt et le chantier n'étaient pas comptabilisés comme du temps de travail effectif.

Dès lors M. [J] sera débouté de sa demande à ce titre et la décision de première instance sera confirmée.

Sur la demande au titre des heures supplémentaires

Aux termes de l'article L. 3171-2 alinéa 1er du code du travail lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. L'employeur tient à la disposition de l'inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.

Selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées.

* * *

Au soutien de la confirmation de la décision de première instance qui lui a alloué la somme de 588,74 euros au titre des heures supplémentaires accomplies, M. [J] verse notamment aux débats des tableaux de pointage établis par l'employeur pour la période comprise entre novembre 2017 et septembre 2018 ainsi que les bulletins de salaire correspondants sur lesquels ne figurent pas le paiement de ces heures supplémentaires (pièces 14 à 37).

La société considère que le salarié a réalisé 42,50 heures supplémentaires et non 44 heures telles que réclamées mais conclut au rejet de la demande tendant à leur paiement dans la mesure où elles auraient été compensées par des jours de repos accordés à M. [J].

Pour ce faire, elle argue d'un accord du 6 novembre 1998 mis en 'uvre dans les entreprises du bâtiment et des travaux publics prévoyant la modulation annuelle du temps de travail. Elle affirme que cet accord est d'application directe après information préalable des salariés dans les entreprises dépourvues de délégué syndical ou de représentant du personnel et ajoute en avoir avisé, en son temps, le personnel ainsi que M. [L], salarié le plus ancien, en atteste.

* * *

Un accord national relatif à l'organisation et la réduction du temps de travail a été signé par les partenaires sociaux le 6'novembre'1998. Cet accord prévoit un dispositif de modulation du temps de travail par lequel la durée hebdomadaire de travail varie sur l'ensemble de l'année de façon à ce que les semaines de haute activité soient compensées par les semaines de moindre activité.

L'article 3 de cet accord prévoit que : « dans les entreprises ou établissements non dotés de représentants du personnel, la mise en 'uvre de la modulation instituée par le présent accord national doit faire l'objet d'une information préalable des salariés concernés ».

Les obligations mises à la charge d'un salarié par un accord collectif ne lui sont opposables que s'il a été informé de son existence et mis en mesure d'en prendre connaissance.

En l'espèce, l'employeur produit l'attestation de M. [L] affirmant que lors du passage aux 35 heures, un accord d'entreprise avait été signé par le personnel, ce qui est insuffisant à établir que la société a informé M. [J] de l'application de la modulation du temps de travail au sein de l'entreprise.

En effet, aucune clause contractuelle, y compris celle intitulée « durée de'travail », laquelle mentionne que « M. [J] s'engage sur demande de l'employeur et compte tenu des besoins de l'entreprise, à effectuer des heures supplémentaires au-delà de la durée collective de travail » ne constitue une modalité de l'information du salarié de la mise en oeuvre de ladite modulation.

M. [J] est en conséquence fondé à solliciter la rémunération des heures supplémentaires qu'il prétend avoir effectuées conformément au droit commun.

Le décompte qu'il produit au titre des heures supplémentaires est suffisamment précis pour permettre à l'employeur d'y répondre.

La société, à laquelle incombe le contrôle des heures de travail effectuées, ne justifie pas des horaires réalisés par M. [J].

En considération des explications et pièces produites, la cour a la conviction que M. [J] a accompli des heures supplémentaires non rémunérées et confirme la décision de première instance qui a alloué à l'appelant la somme de 588,74 euros à ce titre outre celle de 58,87 euros au titre des congés payés afférents.

Sur l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé

M. [J] sollicite le paiement de la somme de 9.639,84 euros au titre de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé.

La société conclut au rejet de la demande à ce titre en invoquant l'accord relatif à la modulation du temps de travail et conteste le caractère intentionnel de la dissimulation d'emploi.

* * *

M. [J] qui n'avait, jusqu'à l'engagement de la procédure prud'homale, émis aucune réclamation notamment quant aux heures supplémentaires effectuées, n'obtient gain de cause que partiellement quant aux différents rappels de salaire qu'il sollicite et seulement aux termes d'un long débat judiciaire.

L'élément intentionnel requis par l'article L. 8221-5 du code du travail étant insuffisamment établi, M. [J] sera débouté de sa demande en paiement de l'indemnité forfaitaire prévue par l'article L. 8223-1.

La décision entreprise sera confirmée.

Sur les autres demandes

La société, partie perdante à l'instance sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'à payer au conseil de M. [J], bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700. 2° du code de procédure civile, dans les conditions prévues par l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, en contrepartie de sa renonciation à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.

La demande de M. [J] au titre de l'article 700 du code de procédure civile sera rejetée en ce qu'il ne justifie pas de frais qu'il aurait exposés pour sa défense autres que les sommes allouées à son conseil au titre de l'article 700. 2° du même code.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Confirme la décision déférée en ce qu'elle a :

- condamné la société ADTP à payer à M. [J] la somme de 588,74 euros au titre des heures supplémentaires accomplies outre la somme de 58,74 euros au titre des congés payés afférents,

- débouté M. [J] de sa demande de rappel de salaire au titre du temps de travail effectif non rémunéré et de celle relative à l'indemnité forfaitaire de travail dissimulé,

L'infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Constate que M. [J] a été victime de harcèlement moral,

Requalifie la démission de M. [J] en date du 25 octobre 2018 en prise d'acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur produisant l'effet d'un licenciement nul,

Condamne la société ADTP à payer à M. [J] les sommes suivantes :

- 4.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant du harcèlement moral,

- 1.606,64 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 160,66 euros bruts au titre des congés payés afférents,

- 401,66 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,

- 9.639,84 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

Condamne la société ADTP à verser à Maître Mayaud, conseil de M. [J], la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700. 2° du code de procédure civile, dans les conditions prévues par l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, en contrepartie de sa renonciation à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

Condamne la société ADTP aux dépens de première instance et d'appel.

Signé par Sylvie Hylaire, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Sylvie Hylaire


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 21/03031
Date de la décision : 27/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-27;21.03031 ?
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