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27/03/2024 | FRANCE | N°21/01621

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 27 mars 2024, 21/01621


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



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ARRÊT DU : 27 MARS 2024







PRUD'HOMMES



N° RG 21/01621 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MAFW













Monsieur [E] [V]



c/



S.A.S. GUINTOLI

















Nature de la décision : AU FOND

















Grosse délivrée le :

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à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 24 février 2021 (R.G. n°F18/00185) par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PERIGUEUX, Section Industrie, suivant déclaration d'appel du 18 mars 2021,





APPELANT :

Monsieur [E] [V]

né le 06 Juillet 1982 à [Localité 8] de nationalité Française P...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 27 MARS 2024

PRUD'HOMMES

N° RG 21/01621 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MAFW

Monsieur [E] [V]

c/

S.A.S. GUINTOLI

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 24 février 2021 (R.G. n°F18/00185) par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PERIGUEUX, Section Industrie, suivant déclaration d'appel du 18 mars 2021,

APPELANT :

Monsieur [E] [V]

né le 06 Juillet 1982 à [Localité 8] de nationalité Française Profession : Chef de poste enrobé mobile, demeurant [Adresse 4]

représenté par Me HERBRETEAU substituant Me Frédérique POHU PANIER, avocat au barreau de PERIGUEUX

INTIMÉE :

SAS Guintoli, prise en la personne de son Président domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 7]

N° SIRET : 447 754 086

représenté par Me Jean-luc HAUGER de l'AARPI LEGALIS, avocat au barreau de LILLE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 22 janvier 2024 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente, chargée d'instruire l'affaire, et Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère

Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

La société Guintoli est une entreprise de travaux publics spécialisée dans les travaux de terrassement, de voirie, d'assainissement et de génie civil.

Monsieur [E] [V], né en 1982, a été engagé en qualité de chef de poste enrobé mobile par la SAS Guintoli, par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 28 juin 2010.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des employés, techniciens et agents de maîtrise des travaux publics du 12 juillet 2006.

À compter du 16 mars 2018, M. [V] a été placé en arrêt maladie, prolongé jusqu'à la fin de la relation de travail.

Par courrier du 24 juillet 2018, l'appelant a sollicité par écrit le paiement d'heures supplémentaires et de majorations pour heures de nuit par l'intermédiaire de son conseil, qui lui a été refusé par la société Guintoli.

Le 30 novembre 2018, M. [V] a saisi le conseil de prud'hommes de Périgueux, , sollicitant la condamnation de son employeur à lui verser à titre principal des rappels de salaires pour heures supplémentaires, une contrepartie forfaitaire de déplacement à titre subsidiaire, et demandant en tout état de cause la résiliation judiciaire de son contrat de travail ainsi que diverses indemnités, dont une pour travail dissimulé et des dommages et intérêts pour non-respect de la législation sur la durée du travail.

Lors de la visite de reprise en date du 2 décembre 2019, M. [V] a été déclaré inapte par le médecin du travail selon lequel 'l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi'.

Par lettre datée du 6 décembre 2019, la société Guintoli a convoqué M. [V] à un entretien préalable après lui avoir notifié son impossibilité de le reclasser par courrier du 3 décembre.

M. [V] a ensuite été licencié pour impossibilité de reclassement après inaptitude par lettre datée du 20 décembre 2019.

A la date du licenciement, il avait une ancienneté de 9 ans et 5 mois, et la société occupait à titre habituel plus de dix salariés.

Le montant de la rémunération mensuelle brute moyenne est discutée.

Par jugement rendu en formation de départage le 24 février 2021, le conseil de prud'hommes a :

- condamné la société Guintoli à payer à M. [V] les sommes suivantes :

* 3.739,02 euros à titre de paiement des heures supplémentaires,

* 373,90 euros au titre des congés payés afférents,

lesdites sommes avec intérêts au taux légal à compter du 28 novembre 2018,

* 700 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné la remise des bulletins de salaire rectifiés mentionnant les heures supplémentaires et d'une attestation Pôle Emploi conforme au présent jugement - rappelé que l'exécution provisoire est de droit sur les condamnations au titre des heures supplémentaires et des congés payés afférents,

- débouté M. [V] du surplus de ses prétentions,

- débouté la société Guintoli de sa demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Guintoli aux dépens.

Par déclaration du 18 mars 2021, M. [V] a relevé appel de cette décision, notifiée par lettre adressée aux parties par le greffe le 24 février 2021.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 9 décembre 2021, M. [V] demande à la cour de :

- déclarer recevables et non prescrites ses demandes à compter du 1er janvier 2015,

- réformer le jugement en ce qu'il l'a débouté de ses demandes de rappel de contrepartie financière de déplacement, des dommages et intérêts pour travail dissimulé et pour non-respect de la durée du travail, de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur et de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse et indemnité de préavis,

- le confirmer en ce qu'il a condamné la société Guintoli à lui verser un rappel d'heures supplémentaires et congés payés et 700 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- réformer le quantum du rappel d'heures supplémentaires et congés payés alloués,

En conséquence,

- dire que l'annualisation se calcule en années civiles,

- condamner la société Guintoli à lui verser les sommes suivantes :

* rappel de contrepartie financière de déplacement : 15.012,50 euros bruts,

* congés afférents : 1.501,25 euros bruts,

* rappels d'heures supplémentaires : 7.282,08 euros bruts,

* congés payés afférents : 728,21 euros bruts,

Subsidiairement,

* rappels d'heures supplémentaires 6.363,64 euros bruts,

* congés payés afférents : 636,36 euros bruts,

En tout état de cause,

- dire que la société s'est rendue coupable de travail dissimulé,

- dire qu'elle n'a pas respecté la règlementation relative à la durée du travail,

- dire qu'elle a commis des manquements au contrat de travail d'une gravité particulière justifiant la résiliation du contrat de travail,

- prononcer la résiliation du contrat de travail aux torts de la société Guintoli,

- dire qu'elle produit les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse à effet du 20 décembre 2019,

Subsidiairement, dire que son licenciement pour inaptitude est dû au comportement fautif de l'employeur,

- En conséquence, dire que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- condamner la société Guintoli à lui régler les sommes suivantes :

* dommages et intérêts pour travail dissimulé : 21.666 euros,

* dommages et intérêts pour non-respect de la législation sur la durée du travail : 5.000 euros,

* dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse 32.500 euros,

* préavis (2 mois) : 7.222 euros bruts,

* congés payés afférents : 722,20 euros bruts,

- ordonner la remise sous astreinte de 250 euros par jour de retard à compter de l'arrêt à intervenir d'une attestation Pôle Emploi, un certificat de travail et de bulletins de salaires régularisés,

- condamner la société à lui régler la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dire que toutes les sommes allouées porteront intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 24 juillet 2018 avec capitalisation des intérêts,

- la condamner aux dépens, en ce compris les frais éventuels d'exécution.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 25 février 2022, la société Guintoli demande à la cour de':

- réformer le jugement du conseil de prud'hommes de Périgueux du 24 février 2021 en ce qu'il l'a condamnée au paiement des sommes de 3.739,02 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires, 373 euros à titre de congés payés afférents et 700 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau sur ce point,

A titre principal, débouter M. [V] de ses demandes,

A titre subsidiaire, fixer à la somme de 1.686,22 euros bruts le rappel de salaire pour heures supplémentaires susceptible d'être dû à M. [V], et à la somme de 168,62 euros les congés payés afférents,

- le confirmer pour le surplus,

- débouter M. [V] de l'ensemble de ses demandes,

- le condamner au paiement d'une indemnité de 3.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux frais et dépens en ce compris les frais de signification et d'exécution de l'arrêt à intervenir.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 janvier 2024 et l'affaire a été fixée à l'audience du 22 janvier 2024.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'à la décision déférée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A- l'exécution du contrat de travail

la prescription

M. [V] a saisi le conseil des prud'hommes de Périgueux le 30 novembre 2018 mais demande paiement de sommes dues à compter du 1er janvier 2015 motif pris qu'il ne connaissait le nombre d'heures supplémentaires effectuées exigibles qu'au 31 décembre, date à laquelle il pouvait abonder son compte épargne temps. Selon lui, la note de la direction des ressources humaines est dépourvue d'effet et les accord et avenant de 1997 et 1999 n'indiquent pas une période d'annualisation autre que l'année civile.

La société oppose une prescription de trois ans à compter du 1er mars de l'année 2015, la période d'annualisation prévue par un note de la direction et les accords d'annualisation prévoyant une période allant du 1er mars au 28 février de l'année suivante. Selon l' employeur, les demandes antérieures au 1er mars 2015 sont prescrites.

Ce délai de prescription de trois ans court à compter du jour où le salarié avait ou aurait dû avoir connaissance de ses droits.

La pièce 25 de la société est une note de la direction des ressources humaines, mise à jour en octobre 2015, mentionnant que la période d'annualisation débute le 1er mars et prend fin le 28 février de chaque année mais elle n'est pas un accord d' entreprise.

L'accord d'entreprise sur la réduction du temps de travail et l'annualisation (pièce 6 de la société) signé le 8 janvier 1997 fait état d'un compte épargne temps alimenté par décision du salarié valant pour l'année civile et transmise au plus tard le 31 décembre de l'année précédente. Aucune référence n'est faite à une période située entre le 1er mars et le 28 février suivant.

L'avenant du 24 février 1999, peu important sa date d'effet, et 11 septembre 2011 à cet accord ne l'indiquent pas non plus, peu important la date d'effet.

Dans ces conditions, il doit être retenu que le salarié n'était informé du nombre d'heures retenues comme étant réalisées qu'au 31 décembre de l'année en sorte que ces demandes peuvent inclure les heures effectuées au cours de toute l'année 2015.

la contrepartie financière des trajets

M. [V] fait valoir qu'en tant que salarié non sédentaire, il aurait dû percevoir une contrepartie financière lorsque le temps pour se rendre sur le chantier dépassait le temps normal de trajet entre son domicile et le lieu de travail habituel, l'indemnité forfaitaire prévue à l'article 7.1.2 de la convention collective et les indemnités de transport et de repas allouées aux ouvriers non sédentaires des entreprises de travaux publics (article 7.1.9 de la convention collective ETAM). Le paiement de l'indemnité de grand déplacement versée par l' employeur ne l'aurait pas rempli de ses droits.

Pour l'essentiel, la société répond que M. [V] a perçu des indemnités de grand déplacement destinées à indemniser ses dépenses supplémentaires à savoir, ses trajets, ses frais de repas et ses frais de logement sur place pour tous les jours de la semaine; que M. [V] a fait le choix de rentrer à son domicile chaque soir sans y être contraint et en bénéficiant du véhicule de la société et d'une carte d'essence et de péage.

Aux termes de l' article L.3121-4 du code du travail, le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d'exécution du contrat de travail n'est pas un temps de travail effectif.

Toutefois, s'il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, il fait l'objet d'une contrepartie soit sous forme de repos, soit sous forme financière.

En vertu des dispositions de l' article 7.1.2 de la convention collective des ETAM, l'employé dont le contrat de travail mentionne qu'il doit travailler tout ou partie de l'année en déplacement continu a droit à une indemnité forfaitaire définie préalablement pendant la durée de ce déplacement.

Aux termes de l' article 7.1.9 spécifique aux déplacements quotidiens des ETAM non sédentaires des entreprises de travaux publics, ceux -ci bénéficient, aux mêmes conditions, des indemnités de transport et de repas allouées aux ouvriers non sédentaires des entreprises de travaux publics sauf accord d' entreprise prévoyant des modalités plus favorables.

Selon l' article 8.13 de la convention collective des ouvriers des travaux publics

, l'ouvrier envoyé en grand déplacement par son entreprise, soit du siège social dans un chantier, ou inversement, soit d'un chantier dans un autre, reçoit, indépendamment du remboursement de ses frais de transport:

-pour les heures comprises dans son horaire de travail non accomplies en raison de l'heure de départ ou de l'heure d'arrivée, une indemnité égale au salaire qu'il aurait gagné s'il avait travaillé;

- pour chaque heure de trajet non comprises dans son horaire de travail, une indemnité égale à 50% de son salaire horaire, compensatrice des frais complémentaires que peut impliquer le voyage de déplacement sauf si ces frais sont directement remboursés par l' entreprise.

Il revient à la cour de dire si les temps de trajet domicile - chantier dépassait le temps normal visé à l ' article L.3121-4 du code du travail.

M. [V] était domicilié à [Localité 10], à 50 kms de [Localité 6] soit 40 minutes de trajet. La pièce 25 du salarié relative à la longueur et à la durée des trajets domicile - travail dans la région du libournais, mentionne, s'agissant du secteur de la construction, que la durée moyenne du trajet est de 15 minutes. En Dordogne,où résidait le salarié, cette durée moyenne est de 13 minutes ( pièce 26). La cour considère que le temps de trajet 'normal ' est de 30 minutes.

M. [V] a été affecté à des chantiers distants de son domicile d'une heure ([Localité 2] et [Localité 11]), 1h30 ( [Localité 1]), 1h45 ( [Localité 9]) et 5 heures ([Localité 3]). Seul le chantier de [Localité 5] n'était pas distant de plus de 30 minutes.

Dans ces conditions, il devait bénéficier de l'indemnité forfaitaire de l'article 7.1.2 de la convention collective des ETAM qui sera évaluée au regard des dispositions conventionnelles des ouvriers (article 8.13 de la convention collective des travaux publics)

M. [V] produit un tableau récapitulatif de ses missions indiquant, semaine par semaine, les heures de production à partir des rapports de fabrication, le lieu du chantier et les temps de trajet effectués dans la semaine. La société ne verse aucun élément contraire.

Les temps de trajet effectués pendant le temps de travail doivent être indemnisés à hauteur de 100% du salaire et la somme due est de 2 411,89 euros au titre des années 2015 à 2018 (février).

La société sera aussi condamnée à indemniser M. [V] du temps de trajet effectué hors les horaires de travail à hauteur de 50%.

À ce titre, elle lui doit la somme de 2 319,06 euros.

S'agissant de la demande de contrepartie des temps de trajet quotidiens aller- retour entre le domicile et le chantier, la société fait valoir que M. [V] n'était pas contraint de rentrer chez lui parce qu'il percevait une indemnité de grand déplacement journalière de 39,50 euros couvrant le prix d'un logement pris seul ou partagé avec des collègues et ses trois repas quotidiens.

Les indemnités journalières de grand déplacement, fixées par la voie d'accords collectifs, ne peuvent être inférieures aux dépenses journalières engagées par le salarié : second logement, dépenses supplémentaires de nourriture, autres dépenses supplémentaires qu'entraînent pour lui l'éloignement de son foyer.

Les pièces versées par l'employeur, relatives au prix de la location d'une chambre ou d'un logement partagé et d' un repas par jour n'établissent pas que le montant de l'indemnité journalière de grand déplacement couvrait les dépenses sus visées ; la société reconnaît par ailleurs que les petites villes étant dépourvues de capacités de logements, ceux - ci étaient éloignés de prés d'une demi- heure de trajet du chantier. Enfin , aucun texte ne prévoit que le salarié ait l' obligation de dormir dans une caravane.

Dans ces conditions, une contrepartie financière doit être allouée à M. [V] qui rejoignait son domicile chaque jour, peu important qu'il ait utilisé la voiture et la carte d'essence de la société dès lors que la contrepartie dont il demande le paiement porte sur un temps de trajet et non le coût de ce dernier.

La société devra donc verser à M. [V] une somme qui, après déduction des trajets effectués les lundi et vendredi, sera fixée à hauteur de 10 281,55 euros.

De nature indemnitaire, cette somme ne génère pas de congés payés afférents.

les heures supplémentaires

Aux termes de l' article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l' employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

Le juge forme sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Si la preuve des horaires effectués n'incombe ainsi spécialement à aucune des parties et si l' employeur doit être en mesure de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l' employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

M. [V] demande paiement d' heures supplémentaires calculées au regard des rapports de fabrication remplis par le salarié et que l' employeur a utilisé en omettant certains éléments.

Il verse sous cote 8, des temps de travail relevés semaine par semaine du 1er janvier 2015 au 19 mars 2018, les temps de travail journaliers étant notés.

Ces éléments sont suffisamment précis pour permettre à l' employeur de fournir les horaires effectivement réalisés. Ce dernier verse des bulletins de paye et

des relevés de dépenses incomplets et parfois contradictoires de sorte qu'il ne combat pas utilement l'évaluation très précise effectuée par le salarié qui a défalqué les jours de RTT pris à concurrence de 7 heures par jour. La cour ne peut retenir les 90 heures de trajet pour se rendre et revenir du chantier de [Localité 3] dès lors qu'elles ont été accomplies pendant les heures de travail et ne peuvent l' être une seconde fois.

Au regard des taux horaires, la société sera condamnée à payer à M. [V] la somme de 4 657,45 euros majorée de congés payés afférents (465,75 euros).

le travail dissimulé

Aux termes de l' article L. 8221-5 du code du travail, est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur de se soustraire intentionnellement à la délivrance d'un bulletin de paye ou de mentionner un nombre d'heures inférieur à celui réellement accompli;

Aux termes de l' article L. 8223- 1 du code du travail, en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l' article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

La mention sur les bulletins de paye d'un nombre d'heures de travail inférieur à celui effectivement réalisé, l'absence de réponse de l' employeur aux interrogations du salarié n'établissent pas l'élément intentionnel de sorte que le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté M. [V] de cette demande.

le non- respect de la règlementation de la durée du travail

Au visa de l' article 4.1.6 de la convention collective, M. [V] fait valoir que la société n'a pas respecté la durée de travail maximale quotidienne de 10 heures et la durée maximale hebdomadaire de 48 heures, qu'il n'a pas donné son accord sur le dépassement de ces durées et qu'en tout état de cause, la durée de 12 heures quotidiennes a été dépassée; il conteste avoir été maître de son temps de travail dès lors, qu'en charge de la production d'enrobé,il dépendait des ordres des chefs de chantier qui l'appliquaient..

M. [V] estime que ces dépassements de durées maximales de travail l'ont conduit à un état de fatigue extrême à l'origine d'un accident de la circulation survenu le 23 octobre 2013.

La société oppose que l'accord d'aménagement et d'annualisation du temps de travail signé en 1997 prévoit que la durée quotidienne de travail pouvait être portée à 12 heures avec l'accord du salarié, que M. [V] était maître de son temps en sa qualité de chef de poste et qu'en tout état de cause, les dépassements étaient rares, enfin, que le salarié ne démontre aucun préjudice.

Aux termes de l' article 4.1.6 de la convention collective des Etam, les durées maximales de travail applicables aux ETAM dont le temps de travail est annualisé en application de l'accord national du 6 novembre 1998, relatif à l'organisation, à la réduction du temps de travail et à l'emploi dans le bâtiment et les travaux publics, sont fixées par le dit accord. Les durées maximales de travail applicables aux ETAM sont :

- de 10 heures par jour ;

- de 48 heures au cours d'une même semaine.

La société oppose en vain l'accord antérieur du 8 janvier 1997 dès lors qu'aucun accord de M. [V] n'est produit qui aurait permis une durée journalière de travail de 12 heures.

Il revient à l'employeur d'établir le respect des durées de travail maximales quotidiennes et hebdomadaires.

Ensuite, M. [V] était en charge de la production d'enrobé et l'attestation de M. [W] établit que le salarié ne pouvait lancer la production des enrobés lorsque l'avancée du chantier ne le permettait pas, les travaux planifiés n'étant pas en adéquation avec la réalité du terrain. M. [V] n'était donc pas maître de sont temps.

La société n'apporte pas de contradiction utile aux temps de travail évalués par le salarié et qui indiquent de nombreux dépassements de la durée maximale de travail. Sur la période dédiée au chantier de [Localité 3], la durée hebdomadaire de travail, a dépassé 48 heures pendant six semaines.

La société oppose donc en vain le faible nombre de dépassements des durées maximales qui ont impacté la vie familiale et sociale du salarié, peu important l'absence de lien avéré entre ces temps de travail et l'accident de la voiture conduite par M. [V] le 23 octobre 2013.

En réparation du préjudice causé à M. [V], la société sera condamnée à lui verser des dommages et intérêts à hauteur de 3 000 euros.

B- la rupture du contrat de travail

M. [V] fait valoir qu'il a régulièrement demandé à l' employeur le paiement des heures de travail accomplies, qu'il s'est épuisé au travail notamment après l'absence non remplacée de septembre 2016 à janvier 2018 de M. [X] dont il a dû exercer les missions d'opérateur de la centrale en plus de ses propres fonctions.

La société répond que l'éloignement géographique des chantiers était inhérente aux fonctions du salarié qui a par ailleurs préféré rentrer chez lui le soir, que son arrêt de travail faisait suite à un congé de près d'un mois dont sept jours de RTT ; que les heures supplémentaires étaient compensées par des absences rémunérées ou des RTT et qu'elle n'avait pas à donner de suite favorable aux réclamations du salarié ou de son conseil. La société ajoute qu'en tout état de cause, le nombre d' heures supplémentaires ou des dépassements des durées maximales de travail est limité.

M. [V] a sollicité le prononcé de la résiliation de son contrat de travail avant d'être licencié. La cour doit examiner la première demande et, si elle n'est pas fondée, la validité du licenciement.

Les manquements de l' employeur susceptibles de justifier la résiliation judiciaire de son contrat de travail doivent être d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite de la relation de travail.

La cour a retenu que M. [V] a réalisé des heures de trajet excédant une durée normale, des heures supplémentaires nombreuses dont la société n'établit pas qu'elles ont été récupérées ou réglées et l'existence de nombreux dépassements des durées maximales journalière et hebdomadaire de travail.

La circonstance de l'éloignement géographique des chantiers, qui serait la norme dans le cadre des fonctions exercées par le salarié, n'exonérait pas la société de ses obligations dont le non - respect a été retenu supra par la cour et d'examiner sérieusement les réclamations (au pluriels, selon la société, donc antérieures à la lettre du conseil de M. [V] du 24 juillet 2018) de M. [V] en dépit notamment de sa reconnaissance des durées maximales de travail.

La société n'a pas régularisé les prétentions légitimes du salarié avant de le licencier. Ces manquements n'étaient pas anciens puisqu'ils ont perduré jusqu'au mois de février 2018 soit le mois précédent l' arrêt de travail.

Ces manquement étaient d'une gravité suffisante ne permettant pas la poursuite du contrat de travail.

La cour ordonnera la résiliation judiciaire du contrat de travail dont la date sera celle du licenciement soit le 20 décembre 2019.

Le salaire mensuel moyen de M. [V] doit être calculé sur la base des bulletins de paye des mois entiers précédant le licenciement soit le mois de février 2018 en tenant compte des heures supplémentaires.

Le salaire de référence le plus avantageux s'élève à la somme de 3 611,2 euros dans la limite de la demande.

M. [V] ne produit pas d'élément relatif à sa situation financière et professionnelle ou de recherche d'emploi.

Dans ces conditions, considération prise du montant de sa rémunération et de son ancienneté, la société sera condamnée à lui payer des dommages et intérêts à hauteur de 12 000 euros.

La société sera aussi condamnée à payer à M. [V] l' indemnité compensatrice de préavis d'un montant de 7 222 euros majorée des congés payés afférents ( 722,20 euros).

Il n'y a pas lieu de déroger aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil en application desquelles les créances salariales produisent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le conseil de prud'hommes et les créances indemnitaires produisent intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant, la capitalisation des intérêts étant ordonnée conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil.

La société devra délivrer à M. [V] un bulletin de paye rectificatif, une attestation France Travail et un certificat de travail conformes à l'arrêt dans le délai de deux mois à compter de la signification de ce dernier, sans que le prononcé de l'astreinte ne soit nécessaire.

Vu l'équité, la société sera condamnée à payer à M. [V] la somme complémentaire de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles exposés dans le cadre de la procédure d'appel.

Partie perdante, la société supportera les dépens des procédures de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

la cour,

Infirme le jugement sauf en ce qu'il a :

-débouté M. [V] de sa demande relative au travail dissimulé ;

- condamné la société Guintoli au paiement de la somme de 700 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau des autres chefs,

Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [V] à la date du 20 décembre 2019 ;

Condamne la société Guintoli à payer à M. [V] les sommes suivantes :

- 15 012,50 euros au titre de la contrepartie financière des temps de trajet ;

- 4 657,45 euros et congés payés afférents ( 465,74 euros) au titre des heures supplémentaires ;

-3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non respect des durées maximales de travail ;

-12 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 7 222 euros et 722,20 euros au titre de l' indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents ;

Dit n'y avoir lieu de déroger aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil en application desquelles les créances salariales produisent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le conseil de prud'hommes et les créances indemnitaires produisent intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant, la capitalisation des intérêts étant ordonnée conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil ;

Dit que la société Guintoli devra délivrer à M. [V] un bulletin de paye, une attestation France Travail et un certificat de travail conformes au présent arrêt dans le délai de deux mois à compter de la signification de l'arrêt ;

Condamne la société à payer à M. [V] la somme complémentaire de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles exposés dans le cadre de la procédure d'appel ;

Condamne la société Guintoli aux dépens des procédures de première instance et d'appel et les frais éventuels d'exécution.

Signé par Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Catherine Rouaud-Folliard


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 21/01621
Date de la décision : 27/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-27;21.01621 ?
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