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20/03/2024 | FRANCE | N°21/02319

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 20 mars 2024, 21/02319


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



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ARRÊT DU : 20 MARS 2024







PRUD'HOMMES



N° RG 21/02319 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MCDS













Madame [B] [Y]



c/



S.A PRESSE ET EDITION DU SUD OUEST (SAPESO)

















Nature de la décision : AU FOND


















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Grosse délivrée le :



à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 31 mars 2021 (R.G. n°F19/01000) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section Industrie, suivant déclaration d'appel du 19 avril 2021,





APPELANTE :

Madame [B] [Y]

née le 28 novembre 1980 de nationalité...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 20 MARS 2024

PRUD'HOMMES

N° RG 21/02319 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MCDS

Madame [B] [Y]

c/

S.A PRESSE ET EDITION DU SUD OUEST (SAPESO)

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 31 mars 2021 (R.G. n°F19/01000) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section Industrie, suivant déclaration d'appel du 19 avril 2021,

APPELANTE :

Madame [B] [Y]

née le 28 novembre 1980 de nationalité Française Profession : animatrice commerciale, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Emilie VAGNAT de la SELARL EV AVOCAT, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE :

SA Presse et Édition du Sud-Ouest (SAPESO), prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 2]

N° SIRET : 456 204 940 00542

représentée par Me Stéphanie OGEZ de la SELARL SO AVOCATS, avocat au barreau de TOULOUSE

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 12 février 2024 en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Sylvie Hylaire, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère

Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

Madame [B] [Y], née en 1980, a été engagée en qualité d'animatrice commerciale par la SA Presse et Edition du Sud Ouest (ci-après dénommée la SAPESO) par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 8 novembre 2010.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des employés de la presse quotidienne régionale.

Suite à la réorganisation des services de la SAPESO en 2013, Mme [Y] a exprimé le voeu d'évoluer au poste de responsable commerciale des équipes terrain. Le 19 juillet 2013, la société l'a informée la maintenir sur son poste au profit d'un salarié ayant plus d'ancienneté et dont le poste avait été supprimé par la réorganisation.

Le 25 septembre 2013, Mme [Y] a déposé une candidature au départ volontaire qui lui a été refusée par courriers des 20 et 28 novembre 2013 aux motifs que son poste n'était pas supprimé et qu'elle ne pouvait donc y prétendre.

À la fin de l'année 2016, Mme [Y] s'est absentée pour congé maternité, puis a bénéficié d'un congé parental d'éducation à temps partiel renouvelé jusqu'au 31 mai 2018.

Madame [Y] a été placée en arrêt de travail pour maladie à compter du 9 février 2018 régulièrement prolongé jusqu'à la fin de la relation de travail.

Par courrier adressé au service des ressources humaines le 20 février 2018, la salariée a actionné la procédure de résolution directe prévue par la charte de prévention des risques psychosociaux de l'entreprise, évoquant une situation de

harcèlement.

A l'issue d'une visite médicale de pré-reprise le 28 janvier 2019, le médecin du travail a fait état d'une incompatibilité entre l'état de santé de la salariée et son poste de travail.

Lors de la visite de reprise du 7 février 2019, le médecin du travail a conclu à l'inaptitude de Mme [Y], mentionnant que 'l'état de santé de la salariée fait obstacle à tout reclassement dans un emploi', avant d'ajouter que l'incompatibilité s'étendait à tout poste de reclassement au sein des sociétés du groupe Sud-Ouest le 12 février suivant.

Après consultation des délégués du personnel le 26 février 2019, la SAPESO a informé Mme [Y] de l'impossibilité de tout reclassement le 4 mars suivant.

Celle-ci a été convoquée à un entretien préalable par lettre datée du 6 mars 2019 avant d'être licenciée pour inaptitude médicalement constatée et impossibilité de tout reclassement par lettre datée du 22 mars 2019.

A la date du licenciement, Mme [Y] avait une ancienneté de 8 ans et 4 mois et la société occupait à titre habituel plus de 10 salariés.

Le 8 juillet 2019, Mme [Y], contestant à titre principal la validité et, à titre subsidiaire, la légitimité de son licenciement et réclamant diverses indemnités, dont des dommages et intérêts pour harcèlement moral et manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, a saisi le conseil de prud'hommes de Bordeaux qui par jugement rendu le 31 mars 2021, a :

- débouté Mme [Y] de l'intégralité de ses demandes,

- débouté la société SAPESO de sa demande reconventionnelle,

- partagé les dépens entre les parties.

Par déclaration du 19 avril 2021, Mme [Y] a relevé appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 24 octobre 2023, Mme [Y] demande à la cour d'infirmer dans toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Bordeaux, le 31 mars 2021 et de :

- dire qu'elle a été victime de harcèlement moral,

- dire que la société SAPESO a manqué à son obligation de sécurité,

- dire que son licenciement est nul ou, à tout le moins, sans cause réelle et sérieuse,

- condamner la société SAPESO à lui payer les sommes suivantes :

* 16.458 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ou,

à tout le moins, sans cause réelle et sérieuse,

* 8.000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

* 8.000 euros nets à titre de dommage et intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité,

* 4.114,50 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

* 411,45 euros bruts à titre de congés payés afférents,

* 3.000 euros nets à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- la condamner aux dépens.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 18 janvier 2024, la SAPESO demande à la cour de la recevoir en ses écritures, l'y déclarer bien fondée, confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Bordeaux le 31 mars 2021 et, plus précisément, de :

A titre principal,

- juger que Mme [Y] n'a fait l'objet d'aucun agissement de harcèlement moral,

- juger qu'elle n'a pas manqué à son obligation de sécurité ou de prévention,

- juger que le licenciement pour inaptitude est valable et qu'il repose sur une cause réelle et sérieuse,

- juger qu'il n'y a aucun préjudice distinct,

- débouter Mme [Y] de l'intégralité de ses demandes,

A titre reconventionnel,

- la condamner à lui verser la somme de 3.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 janvier 2024 et l'affaire a été fixée à l'audience du 12 février 2024.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'à la décision déférée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'exécution du contrat de travail

Sur le harcèlement moral

Mme [Y] fait état de faits de harcèlement moral de la part de son N+2, M. [W], et de son N+3, M. [N].

L'employeur, tenu d'une obligation de sécurité, doit assurer la protection de la santé des travailleurs dans l'entreprise et notamment prévenir les faits de harcèlement moral.

Dès lors que de tels faits sont avérés, la responsabilité de l'employeur est engagée, ce dernier devant répondre des agissements des personnes qui exercent de fait ou de droit une autorité sur les salariés.

Selon les dispositions de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L. 1154-1 prévoit, qu'en cas de litige, si le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. au vu de ces éléments, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Au soutien de ses prétentions, Mme [Y] invoque divers faits relatés dans son courrier adressé le 20 février à Mme [T], directrice des ressources humaines, par lequel elle a sollicité le déclenchement de la procédure de résolution directe prévue par la charte de prévention des risques psychosociaux, à savoir :

- des humiliations qu'elle dit avoir subies lorsqu'elle qu'elle a demandé le poste de responsable des équipes terrain en 2013 qui lui a été refusé par M. [N], mentionnant également le refus qui lui a été opposé la même année par M. [W] à sa demande de bénéficier d'un plan de départ volontaire.

L'employeur ne conteste pas les demandes faites par la salariée ni les refus qu'il y a opposés.

Ces faits sont établis.

- une augmentation de sa charge travail suite au départ d'une collègue en 2013 par la modification de ses objectifs puis, de nouveau, en 2015, par l'extension de sa zone de commercialisation sans que son salaire n'ait été réévalué.

Mme [Y] produit les courriels échangés avec sa hiérarchie.

Ces faits sont établis.

- des propos humiliants qui auraient été tenus par M. [W] en septembre 2013 selon lesquels elle était 'la poubelle du service'.

Ces faits qui ne reposent que sur la seule déclaration de la salariée, apparaissent en outre comme ayant été déformés, M. [W] reconnaissant lui avoir dit « tu ne dois pas être la poubelle du service », pour lui signifier qu'elle devait se concentrer sur ses missions et ne pas céder aux demandes de certains collègues ou clients.

Ces faits ne sont pas établis.

- la demande faite par M. [W], lors de son premier entretien professionnel, de ne pas parler avec ses collègues.

Ces faits qui résultent du seul courrier de la salariée ne sont pas établis.

- les propos tenus par M. [W] en réunion en mars 2016 au sujet d'objectifs fixés sur un produit non encore commercialisé : 'si vous n'êtes pas contentes, vous pouvez dégager'.

Ces propos, contestés par M. [W] selon les termes mêmes du courrier de Mme [Y] le 20 février 2018, auraient en outre été adressés à tous les agents commerciaux et ne visaient donc pas uniquement Mme [Y].

Mme [Y] verse par ailleurs aux débats des échanges de courriels du 11 août 2016 à l'initiative d'une collègue Mme [R], proposant à plusieurs salariés de se réunir pour partager leurs difficultés avec M. [W]. Ce courriel ne fait pas référence à des faits précis.

Ces faits ne sont pas établis.

- un changement de comportement de M. [W] depuis l'annonce de sa grossesse au printemps 2016, qui ne répondait plus à ses demandes.

Mme [Y] ne produit aucune pièce permettant de retenir le refus de M. [W] de répondre à ses demandes ni le changement de comportement allégué.

- le versement partiel de la prime en 2017 en raison de sa grossesse.

Mme [Y] produit des courriels et courriers échangés :

* le courrier du 16 mai 2017 de M. [N], directeur des ventes, lui faisant part de ce qu'elle pourra bénéficier de la prime annuelle d'objectifs de 2017 à 100% mais au prorata de son temps de présence pour l'année 2017, compte tenu de son congé maternité du 19 avril de la même année ;

ce courrier, rédigé sur un ton administratif, comportait la mention erronée d'une proratisation, ce qu'a relevé la DRH dans des échanges de courriels du 8 juin 2017, celle-ci précisant que ce n'était pas du fait de M. [N], mais de l'utilisation d'un ancien modèle 'dans lequel nos dernières discussions relatives aux objectifs et aux primes d'objectifs des salariés absents en cours d'année (maladie, maternité...) n'étaient pas intégrées' ; Mme [Y] verse une nouvelle version de ce courrier modifié en ce sens, en date du 9 juin 2017, signé par M [N].

* le courriel de M. [U], délégué syndical, étant intervenu auprès de la DRH pour modification de l'attribution de la prime annuelle sur 2017 évoque 'une nouvelle tentative de discrimination médicale de la part de la direction des ventes à l'égard de la salariée en l'occurrence Mme [Y]', mais ces propos, tenus dans le cadre d'une défense syndicale, n'ont pas été corroborés par les faits dès lors que la DRH a reconnu l'erreur du service des ressources humaines.

Ce fait, reposant manifestement sur une erreur d'appréciation de la règle applicable qui a été rectifiée quelques jours plus tard, ne peut être retenu comme un acte de harcèlement au sens des textes susvisés.

La cour note par ailleurs que les bulletins de paie de la salariée font état du versement de la prime maximale annuelle d'objectifs contractuellement prévue ainsi que d'une prime 'Inventive-Challenge' payée en 2013.

- des propos 'sexistes', tenus par M. [W] lors d'une réunion du 10 janvier 2018, commentant les objectifs non réalisés et indiquant qu'ils étaient dus à des 'perturbations involontaires' pour Mme [V], qui avait été absente suite à un accident domestique, et des 'perturbations volontaires' pour Mme [Y], faisant référence à son congé maternité.

Mme [V], ayant assisté à la réunion, atteste des propos tenus ; elle confirme également que Mme [Y] a fait état de ses craintes quant à la taille de son secteur, ce à quoi M. [N] a répondu :'si ton secteur est trop grand, je peux envisager une mutation dans le Lot et Garonne'. Elle confirme avoir 'vu Mme [Y] trembler et essayer de se contenir pour finir par fondre en larmes'.

Ces faits sont établis.

- l'absence de prise en compte de ses observations lors du second entretien d'évaluation.

Mme [Y] produit des échanges de courriels adressés à M. [W] entre le 28 juillet et le 28 décembre 2017 dans lesquels elle lui demande de bien vouloir revoir la rédaction de la synthèse de l'entretien d'évaluation réalisé le 3 juillet, notamment la partie évolution de carrière, confirmant que son projet ne se résumait pas à une simple candidature à un poste dans le marketing numérique.

M. [W] lui indique qu'il existait des offres de postes qui auraient pu lui correspondre

mais sur lesquels elle n'a pas postulé.

Par ailleurs, la société verse aux débats les comptes-rendus d'entretiens professionnels de 2014, 2016 et 2017 dans lesquels les souhaits d'évolution de carrière de Mme [Y] apparaissent de manière expresse.

Ces faits ne sont pas établis, M. [W] ayant procédé aux modifications demandées, comme il résulte des courriels et du compte rendu de la réunion d'évaluation.

- la décision de M. [W] de fixer une réunion importante à laquelle elle devait être présente, le vendredi 20 octobre 2017, jour de son temps partiel.

Les échanges de courriels produits permettent de retenir ce fait.

- le comportement de M. [W] évoqué par d'autres salariés, par la production de plusieurs pièces :

* un courriel en date du 15 juin 2017 adressé par M. [U], délégué syndical, à la DRH, dénonçant les insultes de M. [W] et M. [N] à l'égard de Mme [E].

Ces faits ne concernent toutefois pas Mme [Y] et ne peuvent être retenus.

* l'attestation de M. [G] ayant partagé le bureau de Mme [Y] de 2013 à 2015, 'témoin direct de la dégradation progressive de son état d'esprit au fur et à mesure des incidents avec son responsable hiérarchique', qu'elle revenait abattue de rendez-vous professionnels ne débouchant sur rien et lui avoir subi des propos outrageants ; le témoin ajoute avoir pris un mandat syndical afin de pouvoir protéger les salariés de leurs responsables et que la situation de Mme [Y] n'était pas isolée.

Toutefois, M. [G], bien qu'ayant partagé le bureau de Mme [Y], ne témoigne pas de propos humiliants ou dégradants. Il ne fait que relater le constat de la dégradation de l'état de Mme [Y] qui n'était pas satisfaite de son évolution dans le cadre professionnel. M. [G] n'est par ailleurs jamais intervenu au soutien de Mme [Y] auprès de la direction pendant la durée d'exécution du contrat de travail.

* l'attestation de Mme [E], qui travaillait sous l'autorité de M. [W] et a été licenciée le 13 avril 2019 pour inaptitude, aux termes de laquelle elle dit avoir été victime d'insultes, d'intimidations, de manipulations et mensonges à son encontre, également perpétrés envers les membres de son équipe et les autres salariés du service des ventes. Mme [E] a dénoncé une agression verbale accompagnée d'une attitude physique très menaçante de M. [N] en présence de M. [W].

Les faits décrits par Mme [E] ne permettent pas d'établir la réalité de faits commis à l'égard de Mme [Y], étant observé que ce témoin, qui avait saisi également la juridiction prud'homale pour des faits de harcèlement, a été déboutée de sa demande à ce titre par arrêt rendu le 20 juillet 2023.

* l'attestation de Mme [M] qui dit avoir été victime de harcèlement sous différentes formes de la part de M. [W] et M. [N], de conditions de travail indécentes et discriminatoires, dénonce l'utilisation d'un langage ordurier, méprisant, d'insultes verbales récurrentes (tu me casses les couilles, casse toi, tu devrais prendre des cours de lecture).

Les faits dénoncés par Mme [M] sont de nature différente et ne concernent pas Mme [Y], cette dernière ne faisant état d'aucune insulte de ce type.

En outre, de la même manière que Mme [E], Mme [M] a été déboutée de sa demande au titre du harcèlement par jugement rendu par le conseil de prud'hommes le 12 octobre 2018.

- les nombreuses alertes auprès de la DRH sur ces faits et son mal-être.

Mme [Y] ne produit aucun autre courrier que celui du 20 février 2018.

Ce fait n'est pas établi.

- la dénonciation des faits lors des réunions du CHSCT.

Les quatre procès verbaux de réunions du CHSTC tenues au cours de l'année 2018 (18 janvier, 19 avril, 19 juillet et 18 octobre) font état d'une augmentation du nombre des arrêts de travail, des avis d'inaptitude et de la mobilisation répétée du dispositif RPS.

Ils témoignent cependant de discussions ouvertes avec la direction suite à un groupe de travail mis en place sur les charges émotionnelles liées à l'ambiance générale au travail dressant le constat de 12 personnes ayant déclaré une charge émotionnelle dont 7 pour des problèmes organisationnels et 3 pour de problèmes relationnels hiérarchiques.

Ces comptes rendus ne nomment jamais Mme [Y] et font état d'une prise de conscience plus générale au sein de la société des risques psychosociaux sans que soit établi le lien avec M. [W] ou M. [N].

Ces faits ne peuvent être retenus.

- la dégradation de son état de santé et une situation de souffrance médicalement constatée attestées notamment par les pièces suivantes produites par Mme [Y] :

* Les notes du médecin dans son dossier médical service de santé au travail du 15 mai 2017 mentionnant : 'stress à la reprise. Ambiance de travail délétère', puis lors de la visite du 6 février 2018 : 'me dit que depuis 4 ans, ses relations sont très tendues avec N+2 et N+3. Evoque des propos humiliants/parle de menaces. Eté 2016 : rencontre avec RH pour lui exposer sa situation. Pas d'action concrète'.

* Le courrier du médecin du travail en date du 6 février 2018, lequel relate les propos de Mme [Y], décrivant des relations conflictuelles depuis quatre ans :'Elle me parle de propos humiliants, une pression constante et évoque des insultes. Elle me dit être à bout de cette situation et n'arrive plus à y faire face. A plusieurs reprises, la salariée a alerté le service RH et a déploré un non changement de comportement des responsables.'

Le médecin constate lors de l'entretien 'des symptômes anxieux sévères avec troubles du sommeil elle a une perte de confiance en elle' et a invité Mme [Y] à déclencher la procédure d'alerte des risques psycho sociaux.

* Des prescriptions médicamenteuses.

* L'attestation de Mme [S], psychologue clinicienne qui suit Mme [Y] depuis le 6 mars 2018, aux termes de laquelle : 'la problématique dépressive à l'origine de la demande de Mme [Y] s'est très vite révélée en lien avec une situation très difficile au travail, issue de ce qui semblerait être du harcèlement au sein du milieu professionnel'.

* Le rapport d'expertise de Mme [I], psychologue du travail, réalisé à partir de tests après deux rendez-vous avec Mme [Y] les 27 novembre et 3 décembre 2018, concluant que la salariée présente une 'très faible estime de soi, des troubles anxio-dépressifs et un indice de détresse psychologique élevé, associés à un sentiment de découragement et de solitude, des troubles du sommeil et de l'appétit, de l'irritabilité, des troubles cognitifs et musco-squelettiques.

On relève également un processus de burn-out très avancé, caractérisé par des scores très élevés de la dimension épuisement professionnel' et de la dimension 'dépersonnalisation'.

* son avis d'inaptitude en date du 7 février 2019, précisant que 'l'état de santé de la salariée fait obstacle à tout reclassement dans un emploi'.

Cette situation a ainsi conduit Mme [Y] à déclencher la procédure d'alerte.

Au terme de cet examen, parmi les faits présentés, sont établis :

- le refus opposé à Mme [Y] de sa nomination sur un autre poste et de lui permettre de bénéficier du plan de départ volontaire,

- l'augmentation de ses objectifs et de ses secteurs, l'augmentation de sa charge de travail n'étant toutefois pas étayée,

- la décision de M. [W] de fixer une réunion le jour un jour correspondant à l'absence de Mme [Y] pour temps partiel,

- les propos tenus par M. [W] et M. [N] lors de la réunion du 10 janvier 2018.

Les faits établis, pris dans leur ensemble, laissent présumer une situation de harcèlement moral.

Il appartient donc à la société d'établir que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral.

- Sur les refus opposés à la nomination de Mme [Y] sur un autre poste et de lui permettre de bénéficier du plan de départ volontaire

Suite à la réorganisation des services de la SAPESO en 2013, Mme [Y] a candidaté le 18 juin 2013 au poste de responsable commerciale des équipes terrain.

M. [C], directeur des ventes depuis 2009, qui avait candidaté dans les mêmes délais, a été nommé à ce poste, au vu de son ancienneté plus importante.

Par courrier du 19 juillet 2013, la direction a confirmé Mme [Y] dans ses anciennes attributions dès lors que dans le cadre de la réorganisation, son poste était maintenu.

Le 24 septembre 2013, Mme [Y] a déposé une candidature au départ volontaire, qui a été refusée par la direction, après avis défavorable de la commission paritaire, par courriers des 20 et 28 novembre 2013 aux motifs que la société avait dû sélectionner les candidatures au regard des critères de départage fixés dans le plan de sauvegarde de l'emploi et que son poste n'étant pas supprimé, elle ne pouvait pas prétendre à un départ volontaire.

Ces refus sont donc justifiés par des éléments objectifs étrangers à un harcèlement.

- Sur les modifications de secteur et objectifs

La société verse aux débats des courriels échangés entre la gestionnaire des ressources humaines et M. [N] en mars 2013 fixant les objectifs des équipes terrain pour l'année, puis les modifiant, le 23 octobre 2013, pour 'rebasculer' un ancien secteur supprimé suite à la restructuration de la société sur les nouveaux secteurs pour le deuxième semestre de l'année, sans que Mme [Y] ne soit spécialement visée par modifications qui concernaient tous les animateurs commerciaux.

La société produit également un courriel de la direction en date du 4 juin 2015 relatif à la modification des secteurs, suite au départ d'une salariée, qui concernait 6 des 7 animateurs commerciaux, Mme [Y] prenant l'ensemble de la zone couverte par le dépôt de [Localité 4] et [Localité 5] à la place de celui du dépôt de [Localité 3] et du Médoc, modification qui a par ailleurs fait l'objet d'un avenant à son contrat de travail, signé le 23 septembre 2015.

La société verse par ailleurs aux débats le procès verbal du comité d'entreprise du 18 juin 2015 au cours duquel la nouvelle répartition des secteurs a été abordée sans que la salariée soit la seule visée par cette restructuration, aucune observation n'ayant été portée par les représentants du personnel.

Mme [Y] ne produit aucun élément étayant le caractère excessif de sa charge de travail qu'auraient entraîné ces changements de secteur, non plus que la modification de ses objectifs en découlant, ni sur des demandes faites en ce sens à la DRH.

La société justifie que l'augmentation de la charge de travail, consécutive d'une part, à une réorganisation puis, d'autre part, à une réduction d'effectif, a été lissée sur l'ensemble des animateurs commerciaux.

Le caractère excessif de la charge de travail en résultant n'est pas établi, la société soulignant que le nouveau secteur attribué à Mme [Y] était plus proche de son domicile et que le nombre de visites réseaux restait le même.

Elle ajoute, sans être contredite, que seulement deux des salariés concernés ont, en raison de leur situation particulière, ont obtenu une prime.

Les modifications alléguées sont ainsi justifiées par des éléments objectifs étrangers à du harcèlement;

- Sur la décision de M. [W] de fixer une réunion un jour correspondant à l'absence de Mme [Y] pour temps partiel

Des échanges de courriels produits, la réunion fixée au vendredi 20 octobre 2017 concernait 6 salariés et Mme [Y] n'était pas la seule à être gênée par cette date, Mme [D] ayant relevé dans un courriel que c'était un jour de départ en vacances.

M. [C], son supérieur, confirmait en réponse qu'il était difficile de trouver un autre créneau, qu'il s'engageait à ce que la réunion se termine à 15h et il a ensuite pu finalement décaler la réunion sur un lundi.

Ce fait est ainsi objectivé comme concernant plusieurs salariés et aucun élément ne permet de retenir que M [W] a cherché à écarter Mme [Y] de cette réunion. Celle-ci a en outre été déplacée à une date à laquelle la salariée a pu participer, de sorte que ce fait ne peut être retenu comme constitutif de harcèlement au sens des dispositions susvisées.

- S'agissant des propos 'sexistes' tenus par M. [W] et de ceux attribués à M. [N]

Lors d'une réunion du 10 janvier 2018, M. [W], commentant les objectifs non réalisés, a indiqué qu'ils étaient dus à des 'perturbations involontaires' pour Mme [V] qui avait été absente suite à un accident domestique et des 'perturbations volontaires' pour Mme [Y], faisant référence à son congé maternité.

Ces propos, non contestés par M. [W], relevaient de la vie privée de Mme [Y] et de son souhait de bénéficier d'un temps partiel à 80 % pour s'occuper de ses enfants, résultant d'un choix personnel.

Mais, bien que maladroits, ils visaient justement à ne pas remettre en cause les qualités professionnelles de la salariée.

S'agissant de la réaction de M. [N], si elle a pu apparaître à Mme [Y] peu appropriée alors qu'elle se trouvait dans une situation émotionnelle sensible, craignant une augmentation de sa charge de travail dont il a été relevé ci-avant qu'elle n'était pas établie, cette réaction peut s'expliquer par la nécessité de réorganiser l'ensemble du service tout en ménageant les charges de chacun des salariés.

Cet unique fait ne peut caractériser un acte de harcèlement moral.

- Sur la dégradation de l'état de santé de Mme [Y]

Les éléments produits ne font que rapporter les dires et le ressenti de Mme [Y] sur ses conditions de travail.

Les troubles évoqués par les praticiens, médecins ou psychologues peuvent s'expliquer par la déception de la salariée face à son désir de profiter d'une évolution de carrière, au sentiment d'injustice qu'elle a vécu mais si ces pièces médicales constatent un état dépressif, elles ne font pas le lien entre cet état avec les conditions de travail, de la salariée, sauf à reprendre les propos de celle-ci.

Les faits établis étant justifiés par des éléments étrangers à une situation de harcèlement moral, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a débouté Mme [Y] de ses demandes à ce titre.

Sur la manquement de l'employeur à son obligation de sécurité

Soutenant que la société était informée depuis 2013 des agissements inappropriés de M. [W] et M. [N] mais qu'aucune mesure n'a été prise pour y mettre fin, Mme [Y] fait valoir que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité et de prévention d'une situation de harcèlement.

La société soutient au contraire ne pas être restée inactive et avoir rempli ses obligations en matière de prévention et de traitement des risques psychosociaux.

***

L'employeur, tenu d'une obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, en vertu des dispositions de l'article L 4121-1 du code du travail, manque à cette obligation lorsqu'un salarié est victime sur son lieu de travail, d'agissements de harcèlement moral, commis par un autre salarié de l'entreprise.

Pour justifier du respect de son obligation de protection de la santé des salariés en matière de harcèlement moral, l'employeur doit établir qu'il a pris toutes les mesures immédiates propres à faire cesser des faits de harcèlement dont il est informé et qu'il a mis en 'uvre, antérieurement, toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.

Il appartient à l'employeur d'assurer l'effectivité de l'obligation de sécurité à laquelle il est tenu, en assurant la prévention des risques professionnels.

Il ressort des pièces versées que la société a adopté en 2011 une charte de prévention des risques psychosociaux, mise à jour en février 2015, prévoyant d'une part, une procédure de résolution directe pour les situations de souffrance au travail, une gestion soit par le service des relations humaines, soit par une commission, regroupant, sous la présidence de la DRH, le médecin du travail, une infirmière, une assistante sociale et un représentant du CHSCT, d'autre part, un dispositif complémentaire d'alerte pour les infractions graves.

Dans son courrier du 20 février 2018, Mme [Y] a sollicité le déclenchement de la procédure de résolution directe prévue par la charte : le CHSCT, le médecin du travail et les services médicaux et sociaux ont été avisés et une mesure de médiation a été mise en place et confiée à un consultant extérieur.

La société justifie également avoir répondu à Mme [Y], être restée en lien avec le médecin du travail pour expliquer la démarche de médiation, le projet de contrat avec l'intervenant extérieur pour réaliser la médiation étant proposé dès le 9 février par courriel à la DRH.

La médiation, supposant la participation des deux parties en présence, l'absence de Mme [Y] nécessitait qu'elle soit suspendue, sans qu'une faute puisse être reprochée à cet égard à l'employeur, le médiateur désigné indiquant en juillet 2018 que la mesure restait 'ouverte' mais qu'à cette date, Mme [Y] restait dans l'indécision. Il n'y a pas eu de suite, Mme [Y] n'ayant pas repris le travail.

Or, la lecture des échanges entre Mme [Y], d'une part et la société, d'autre part, avec le médiateur, ne permet pas de retenir qu'il s'agirait 'd'une pseudo-médiation' comme le soutient l'appelante.

Mme [V], salariée, atteste de son côté, avoir été contactée pour participer à une médiation avec M.[W], à l'issue de laquelle le médiateur lui a proposé soit un aménagement de sa relation avec M. [W], soit une rupture de la relation avec changement de poste.

Ces déclarations ne démontrent pas que ce médiateur aurait été partial, ainsi que l'affirme Mme [Y].

Il ne saurait être utilement opposé à l'employeur le refus de communiquer les conclusions de la médiation alors qu'elle était menée par un consultant extérieur et dans le cadre d'une procédure protégeant les parties quant à la confidentialité des propos qui y sont tenus.

Par ailleurs, le délégué syndical, qui avait demandé, après la réunion du 10 janvier 2018, à être entendu dans le cadre de l'enquête concernant Mme [Y], ne pouvait pas non plus participer à la médiation qui ne concerne que les parties en cause.

Enfin, l'examen des comptes rendus des réunions du CHSCT versés aux débats par Mme [Y] permet de relever une sensibilisation de la direction aux risques psychosociaux et l'attention qui y était portée.

Même s'il y a été constaté le nombre de déclarations d'inaptitude définitive concernant trois hommes et deux femmes, ce chiffre est à mettre en parallèle avec le nombre très élevé de salariés employés par la société (près d'un millier) et il en résulte aussi que la DRH était très attentive à 'la gestion des émotions signalées' et que les signalements étaient traités.

Or, s'il était indiqué lors du CHSCT du 19 avril 2018 qu'il n'y aurait pas de suite aux alertes adressées par plusieurs salariés, il ressort des pièces produites par la société

que le médiateur désigné pour Mme [Y] a aussi été chargé d'une mission plus générale concernant le service des ventes au cours du mois de juillet 2018.

Ces éléments démontrent que l'employeur a mis en place des mesures relatives à la prévention des risques psychosociaux, le dispositif prévu ayant été mis en oeuvre à la demande de Mme [Y].

L'existence de manquements de l'employeur à son obligation de sécurité et de prévention des actes de harcèlement n'est ainsi pas établie.

Le jugement sera en conséquence confirmé de ce chef.

Sur la rupture du contrat de travail

La cour n'ayant pas retenu les faits de harcèlement moral, la demande en nullité du licenciement sera rejetée.

Soutenant à titre subsidiaire que son inaptitude a été causée par le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, Mme [Y] sollicite que son licenciement soit déclaré dénué de cause réelle et sérieuse.

En l'absence de violation par l'employeur de l'employeur de son obligation de sécurité, le licenciement ne peut être dénué de cause réelle et sérieuse sur ce fondement, comme l'ont indiqué les premiers juges.

Le jugement déféré sera en conséquence confirmé.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Mme [Y], qui succombe à l'instance, sera condamnée aux dépens ainsi qu'à payer à la société la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Confirme le jugement déféré,

Y ajoutant,

Condamne Mme [Y] aux dépens ainsi qu'à verser à la société la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Signé par Sylvie Hylaire, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Sylvie Hylaire


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 21/02319
Date de la décision : 20/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 30/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-20;21.02319 ?
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