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20/03/2024 | FRANCE | N°21/01552

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 20 mars 2024, 21/01552


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



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ARRÊT DU : 20 MARS 2024







PRUD'HOMMES



N° RG 21/01552 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-L76C















Monsieur [B] [R]



c/



S.A.S. MOTEURS LEROY SOMER

















Nature de la décision : AU FOND




















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Grosse délivrée le :



à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 12 février 2021 (R.G. n°F 19/00143) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ANGOULÊME, Section Industrie, suivant déclaration d'appel du 15 mars 2021,





APPELANT :

Monsieur [B] [R]

né le 03 mai 1971 à [Localité 2] de nationalité...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 20 MARS 2024

PRUD'HOMMES

N° RG 21/01552 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-L76C

Monsieur [B] [R]

c/

S.A.S. MOTEURS LEROY SOMER

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 12 février 2021 (R.G. n°F 19/00143) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ANGOULÊME, Section Industrie, suivant déclaration d'appel du 15 mars 2021,

APPELANT :

Monsieur [B] [R]

né le 03 mai 1971 à [Localité 2] de nationalité française, demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Arianna MONTICELLI de la SELARL MONTICELLI - SOULET, avocat au barreau de CHARENTE

INTIMÉE :

SAS Moteurs Leroy Somer, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 3]

N° SIRET : 338 567 258

représentée par Me Carole MORET de la SELAS BARTHELEMY AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 12 février 2024 en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Sylvie Hylaire, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère

Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur [B] [R], né en 1971, a été engagé en qualité d'usineur par la SASU Moteurs Leroy Somer par contrats de travail à durée déterminée du 3 mai 1998, puis du 1er novembre 1998, suivis par un contrat à durée indéterminée à compter du 1er février 1999. En dernier lieu, il occupait le poste de tourneur.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective de la métallurgie de la Charente.

M. [R] a été désigné en qualité de représentant syndical de 2009 à 2010 puis élu membre titulaire du comité d'entreprise de 2011 à 2013.

Le 26 septembre 2011, M. [R] a été victime d'un accident du travail qui lui a occasionné une blessure à l'épaule droite ; cet accident et les arrêts de travail consécutifs ont été pris en charge par la caisse primaire d'assurance maladie (ci-après CPAM) au titre de la législation des risques professionnels.

Le 18 janvier 2012, il a été déclaré apte à la reprise par le médecin du travail, sous réserve de ne pas porter de charges lourdes pendant trois mois.

M. [R] a repris le travail le 21 janvier 2012.

M. [R] a contesté cet avis d'aptitude avec réserve et le médecin inspecteur régional, sur demande de l'inspection du travail qu'il avait saisi, l'a déclaré temporairement inapte à son poste de travail et a préconisé son reclassement à un poste ne nécessitant pas l'usage de son épaule, par décision du 31 juillet 2012.

Du 16 août 2012 au 4 août 2013, suite à une rechute, M. [R] a de nouveau été placé en arrêt de travail, pris en charge au titre des risques professionnels, avant d'être déclaré apte à son poste de travail le 2 août 2013, le médecin du travail indiquant toutefois qu'il devait éviter la manutention de charges lourdes et des tractions importantes pendant six mois.

M. [R] a repris le travail sur un autre poste (machine HES 82) le 5 août 2013.

L'avis d'aptitude a été réitéré lors des visites médicales périodiques réalisées par le médecin du travail : M. [R] a été déclaré apte sur l'usinage HES 82 le 3 décembre 2015, avec pour précision qu'il ne devait pas porter de charge de plus de 15 Kg - 'poste avec moyen de manutention adapté'.

Suite à une deuxième rechute le 18 mars 2016 considérée par la CPAM comme imputable à l'accident du travail du 26 septembre 2011, M. [R] a été placé en arrêts de travail jusqu'au 27 décembre 2017, pris en charge au titre des risques professionnels.

La société a mandaté un médecin contrôleur en la personne de M. [G], lequel a conclu le 25 mars 2016 que la pathologie de M. [R] faisait partie de l'accident de travail antérieur et que la reprise de l'activité n'était possible qu'avec un poste aménagé : 'changement des palans ou changement de poste'.

M. [R], dans la perspective de sa reprise a sollicité l'inspection du travail, qui a demandé une étude de poste, laquelle réalisée le 3 janvier 2018, a conclu à l'absence de mouvements répétitifs des membres supérieurs avec une réserve concernant la manipulation de pièces. Cette préconisation a été confirmée le 10 janvier 2018 lors d'un complément d'étude, le médecin du travail précisant que M. [R] ne pouvait 'effectuer l'étape de changement d'outillage'.

Entre temps, le 4 janvier 2018, le médecin du travail avait conclu à une 'reprise possible de son poste' par M. [R]. L'employeur a réaffecté M. [R] en doublon sur le poste HES 82.

Le 17 janvier 2018, le salarié a saisi la formation de référé du conseil de prud'hommes afin de contester ce dernier avis d'aptitude.

M. [R] a été arrêté le 26 janvier 2018 dans le cadre d'une rechute de l'accident du travail du 26 septembre 2011, pris en charge à ce titre par la CPAM.

Par ordonnance du 27 février 2018, le conseil de prud'hommes a jugé que M. [R] était inapte à son poste et devait être reclassé à un autre poste ne nécessitant pas de sollicitation de son épaule ni le port de charges.

Par arrêt du 26 juin 2019, la cour d'appel de Bordeaux a confirmé le jugement.

Par courrier du 9 mai 2018, l'employeur a informé M. [R] de l'impossibilité de son reclassement.

M. [R] a été convoqué à un entretien préalable en vue de son licenciement le 14 mai 2018, avant d'être licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement par lettre datée du 28 mai 2018.

A la date du licenciement, le salarié avait une ancienneté de 20 ans et la société occupait à titre habituel plus de dix salariés.

Le 16 mai 2019, M. [R] a saisi le conseil de prud'hommes d'Angoulême contestant la légitimité de son licenciement et réclamant diverses indemnités, dont des dommages et intérêts en réparation de faits de discrimination, pour manquement à l'obligation de sécurité et manquement à l'obligation de gestion de carrière.

Par jugement rendu le 12 février 2021, le conseil de prud'hommes a :

- condamné la société Leroy Somer à payer à M. [R] les sommes suivantes :

* 7.000 euros à titre de dommages et intérêts pour discrimination à une évolution de carrière,

* 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté M. [R] de ses demandes de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que pour manquements de l'employeur à son obligation de sécurité et de résultat et à l'obligation de gestion de carrière,

- débouté la société Leroy Somer de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit qu'il n'y a pas lieu d'ordonner l'exécution provisoire,

- condamné la société Leroy Somer aux dépens.

Par déclaration du 15 mars 2021, M. [R] a relevé appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 18 janvier 2024, M. [R] demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Moteurs Leroy Somer à lui payer la somme de 7.000 euros au titre de son préjudice d'évolution de carrière, de le réformer pour le surplus et de :

- condamner la société à lui verser les sommes suivantes avec intérêts à taux légal à compter de la requête introductive d'instance :

* 32.850 euros nets de CSG CRDS à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation

de sécurité,

* 15.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des faits de discrimination,

* 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance,

Y ajoutant,

- condamner la société aux dépens et à lui payer la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

En tout état de cause, la débouter de ses demandes.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 18 janvier 2024, la société Moteurs Leroy Somer demande à la cour de':

- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes d'Angoulême du 12 février 2021 en ce qu'il a débouté M. [R] de ses demandes de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, manquement de l'employeur à son obligation de sécurité et de résultat et à son obligation de gestion de carrière,

- le réformer en ce qu'il l'a condamnée à verser à M. [R] le somme de 7.000 euros à titre de dommages-intérêts pour discrimination à l'obligation de gestion de carrière et celle de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- juger l'absence de manquement à l'obligation de sécurité,

- dire que le licenciement pour inaptitude de M. [R] repose sur une cause réelle et sérieuse,

- débouter M. [R] de ses demandes,

- le condamner au paiement d'une somme de 3.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 janvier 2024 et l'affaire a été fixée à l'audience du 12 février 2024.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'à la décision déférée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la rupture du contrat de travail

Pour voir reconnaître l'absence de cause réelle et sérieuse à son licenciement, M. [R] soutient que l'inaptitude à l'origine de son licenciement résulte des manquements de la société à son obligation de sécurité en ce qu'elle ne s'est pas assurée de la compatibilité du poste à son handicap malgré les souffrances exprimées et les rechutes et en ce qu'elle n'a pas pris en compte les préconisations du médecin du travail.

La société invoque la prescription des faits sur la période antérieure à deux ans de la rupture du contrat.

Sur le fond, elle soutient avoir respecté les prescriptions de la médecine du travail.

Sur la prescription

Le délai de prescription est déterminé par la nature de la créance, objet de la demande.

Aux termes des dispositions de l'article L. 1471-1 du code du travail, toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture.

M. [R] ayant été licencié le 28 mai 2018, l'action en contestation du licenciement engagée par M. [R] le 16 mai 2019 est recevable.

Sur le licenciement sans cause réelle et sérieuse

A l'appui de sa demande, M. [R] invoque :

- la difficulté à assumer les rythmes et cadences à son retour après l'accident du travail en janvier 2012, ce qui a motivé un avertissement délivré le 29 juin 2012, et la souffrance qui ne lui permettait pas de maintenir sa production et qu'il a exprimée à plusieurs reprises notamment lors de l'entretien du 7 juin 2012 ,

- la décision de l'inspection du travail sur la base de l'avis du médecin inspecteur régional du 31 juillet 2012 qui, après expertise, a infirmé l'avis du d'aptitude avec réserves temporaires du médecin du travail du 18 janvier 2012,

- l'absence d'étude de poste à compter de son affectation à l'usinage HES 82 à compter du 4 août 2013, la première étude n'ayant été faite que le 3 janvier 2018 à son retour des arrêts de travail prescrits dans le cadre d'une rechute à compter du 18 mars 2016 alors qu'il était resté en arrêts liés à l'accident du travail pendant 18 mois,

- les réserves systématiques émises par le médecin du travail entre 2012 et 2015 relatives à la nécessité d'éviter les charges lourdes et sollicitations de l'épaule droite,

- le dossier MDPH renseigné par le médecin du travail le 3 décembre 2015 évoquant les difficultés de M. [R] à tirer les charges supérieures à 15 kilos,

- l'avis du médecin sollicité par la société, le Dr [G], le 25 mars 2016 invitant l'employeur à adapter le poste du salarié par changements de palans ou de poste, non suivi d'effet par l'employeur,

- les rechutes des 16 août 2012 d'une durée d'un an et demi et du 18 mars 2016 pour 18 mois, puis du 26 janvier 2018, soit trois semaines après sa reprise, lesquelles auraient dû inciter l'employeur à plus de précaution,

- la reconnaissance du caractère professionnel de l'accident de travail et de toutes les rechutes successives, dont l'employeur était informé,

- les certificats du Dr [V], médecin du salarié, de juillet et octobre 2017 évoquant la nécessité de proposer un poste adapté ou un reclassement, l'épaule droite ne devant pas être sollicitée,

- l'alerte du salarié adressée en juillet 2017 à l'inspection du travail et au médecin du travail, car il craiganit son retour à son poste, ce dont il a aussi parlé lors de son accueil par la société le 4 janvier 2018,

- la position de l'employeur durant la procédure de référé visant à le considérer apte à son poste en dépit du changement de position du médecin du travail et de la décision de le placer en doublon sur son poste, à compter du 11 janvier 2018 valant reconnaissance de l'inadéquation du poste à son handicap.

La société soutient au contraire avoir tenu compte des préconisations et avis du médecin du travail :

- en date du 18 janvier 2012 : cet avis mentionnait une réserve temporaire de port de charges lourdes pendant 3 mois, le médecin vu par M. [R] suite à des remarques sur sa production n'ayant pas fait le lien entre sa pathologie et son manque de production, ce qui a justifié la notification d'un avertissement le 29 juin 2012.

Elle souligne que ce n'est que suite à l'intervention du médecin inspecteur régional du travail que l'avis a été infirmé le 31 juillet 2012, le poste étant en réalité inadapté à M. [R], ce qu'elle ne pouvait savoir ;

- en date du 3 août 2013 : l'avis a été pris en compte car le salarié a été positionné sur un nouveau poste d'usinage HES 82 comportant l'utilisation de palans à levage électrique sans nécessité d'une force physique ou d'aptitude manuelle, ce qui sera d'ailleurs indiqué comme type d'aménagement dans l'avis d'aptitude du 3 décembre 2015 avec la restriction de charges supérieures à 15 kg.

La société produit des photographies du poste démontrant que c'est le membre supérieur gauche qui assure le guidage, le maintien et le décrochage de l'accessoire de levage ;

- en date du 4 janvier 2018 : cet avis ne portait aucune restriction alors qu'il avait été procédé à une étude de poste et n'a été infirmé par le conseil de prud'hommes d'Angoulême que le 27 février 2018 et par la cour d'appel de Bordeaux le 26 juin 2019.

La société indique que les avis du médecin traitant n'ont jamais été portés à sa connaissance et que les causes de l'aggravation de la pathologie du salarié pouvaient être multiples, sans que cela traduise un comportement fautif de sa part, le tribunal des affaires de sécurité sociale ayant eu besoin d'ordonner une expertise judiciaire pour se prononcer sur la qualification des arrêts de travail et leur lien avec l'accident de travail. Elle souligne que seul le médecin du travail a la charge d'effectuer une étude de poste.

Elle ajoute avoir pris les mesures pour adapter le poste de M. [R] dès l'étude réalisée le 3 janvier 2018 par le service de la médecine du travail pour le positionner en doublon sans charges lourdes à porter.

Elle produit également les documents de prévention des risques et de pénibilité par unité de travail ne comportant pas d'identification du matériel HES 82 comme générateur de risques particuliers en terme de charges et douleurs musculaires ou articulaires et précise que l'usage d'un palan électrique non motorisé était plus adapté aux pièces usinées sur la HES 82.

Etant identifié comme bénéficiant de palans permettant d'éviter les charges lourdes, cet appareil n'a pas été caractérisé comme présentant des risques.

Elle précise que M [R] a également bénéficié d'une formation 'être acteur de sa sécurité au quotidien' et 'réduire les troubles musculo squelettiques'.

***

Le licenciement pour inaptitude est dénué de cause réelle et sérieuse lorsqu'il est démontré que l'inaptitude est consécutive à un manquement préalable de l'employeur qui l'a provoquée.

L'employeur est tenu d'une obligation légale de sécurité en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l'entreprise et doit en assurer l'effectivité en vertu des dispositions de l'article L. 4121-1 du code du travail notamment par la prévention des risques professionnels.

A ce titre, l'employeur doit veiller à l'organisation des examens médicaux initiaux et périodiques, destinés à connaître l'état de santé du salarié pour s'assurer qu'il est compatible avec les contraintes du poste de travail de celui-ci.

Selon l'article L. 4541-1 du code du travail, les règles de prévention des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs résultant de la manutention des charges sont déterminées par décret en conseil d'état pris en application de l'article L. 4111-6.

L'article R. 4541-8 du code du travail prévoit que l'employeur doit faire bénéficier les travailleurs dont l'activité comporte des manutentions manuelles d'une information sur les risques et d'une formation adéquate à l'exécution de ces opérations.

M. [R] a été victime d'un accident sur le lieu de son travail ayant chuté dans les douches le 26 septembre 2011, ce qui lui a provoqué une contusion de l'épaule droite, ou 'tendinopathie de l'épaule droite' ayant entraîné une paralysie du muscle du grand dentelé.

Le médecin du travail a toujours émis des avis d'aptitude avec restriction de charges lourdes de manière temporaire puis générale :

- avis du 18 janvier 2012 portant réserve de ne pas porter de charges lourdes pendant 3 mois, infirmé par décision de l'inspection du travail du 31 juillet 2012 reconnaissant l'inaptitude temporaire de M. [R] au poste de tourneur en ce qu'il 'était nécessaire qu'il soit affecté sur un poste sans mouvement d'abduction forcée ou répétée de l'épaule au-delà de 60°, sans mouvement de rétroplusion répétés de l'épaule, sans activité faisant appel à la frappe avec l'aide d'un maillet' et dans l'attente des résultats complémentaires en cours,

- avis du 2 août 2013 : éviter la manutention de charges lourdes et tractions importantes pendant 6 mois,

- avis du 3 décembre 2015 : pas de port de charges de plus de 15 kg et avec moyen de manutention adapté,

- avis de l'expert M. [G], du 25 mars 2016 : reprise de l'activité avec 'changement des palans ou changement de poste',

- avis du 4 janvier 2018 : pas de réserve, infirmé par décision du conseil de prud'hommes du 27 février 2018, confirmé par la cour d'appel de Bordeaux du 26 juin 2019, préconisant un reclassement sur un poste sans sollicitation de l'épaule droite de manière régulière et répétée et nécessitant l'absence de port de charges.

Conformément à l'article R. 4624-31 du code du travail applicable à la date des faits, le médecin du travail ne peut constater l'inaptitude médicale du salarié que s'il a réalisé une étude de ce poste et une étude des conditions de travail dans l'entreprise.

L'étude de poste permet au médecin du travail d'adapter ses recommandations avec la pathologie d'un salarié mais ne dispense pas l'employeur d'une analyse préventive des risques de ses outils et machines sur la santé et la sécurité des salariés.

Pour émettre les restrictions temporaires d'avoir à porter des charges lourdes et des tractions, ou des charges supérieures à 15Kgs, le médecin du travail n'a procédé à une étude de poste que le 10 janvier 2018, à la demande du salarié, et a constaté le 3 août 2018 que si le poste est 'sans mouvement répétitif des membres supérieurs', c'était 'à voir sur la durée, car le salarié manipule entre 22 et 26 pièces par jour et les membres sont tout de même sollicités par le poids des pièces et le fait de visser'.

Le poste d'usinage HES 82 sur lequel était affecté M. [R] depuis le 4 août 2013, impliquait qu'à chaque changement de bride, il devait régler la machine avec des outils et des mors très lourds, sans possibilité d'utiliser le moyen de levage.

La 2ème étude du 10 août 2018 conclut que M. [R] 'ne peut effectuer l'étape de changement d'outillage car les pièces sont trop lourdes'.

L'employeur ne s'est pas rapproché du médecin du travail pour obtenir une étude de poste ou, au moins, pour avoir des précisions quant aux restrictions sur les charges lourdes, puis sur les aménagements de poste.

La demande transmise à la MDPH avec l'avis du médecin du travail du 3 décembre 2015 précisait qu'un palan électrique était possible dans l'entreprise mais que le salarié avait des difficultés à tirer et tracter le palan avec le bras droit.

La société ne peut se retrancher derrière les documents de prévention des risques et de pénibilité par unité de travail rédigées en termes généraux comme ne comportant pas d'identification du matériel HES 82 comme générateur de risques particuliers en terme de charges et douleurs musculaires ou articulaires, dès lors qu'il s'agissait de vérifier l'adaptation de ce matériel à la situation personnelle du salarié qui avait des restrictions en terme de port de charges lourdes.

De même, l'employeur n'a jamais posé la question au médecin du travail de l'adaptation du palan mécanique à la pathologie de M. [R] ou de la nécessité de prévoir un palan motorisé suite aux prescriptions d'aménagement du poste / palans.

L'employeur, qui a positionné M. [R] sur un nouveau poste d'usinage à partir du 4 août 2013, sans se rapprocher du médecin du travail pour vérifier si ce nouveau poste était adapté aux restrictions médicales préconisant d'éviter les charges lourdes puis, l'a maintenu sur ce même poste sans vérifier que le salarié n'avait pas à soulever des poids supérieurs à 15Kgs, y compris s'agissant du matériel utilisé pour changer les brides, a manqué à son obligation de sécurité.

***

S'agissant du lien entre le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité et l'inaptitude de M. [R] à l'origine de son licenciement, lors d'un entretien du 7 juin 2012, que M. [R] avait déjà fait part à son employeur de ses difficultés et des douleurs ressenties, malgré l'avis d'aptitude du médecin, difficultés que constatait l'employeur notamment par la baisse de la productivité du salarié.

La rechute du 16 août 2012 était en lien avec l'accident de travail initial, l'arrêt de travail portant mention d'une 'luxation de l'épaule droite' et de la nécessité dune intervention chirurgicale sur le nerf thoracique long, mention reproduite dans les arrêts de prolongation, tous adressés à l'employeur.

Enfin, l'expert médical sollicité par l'employeur, M. [G], avait, dans ses conclusions du 25 mars 2016, conclu à l'absence d'état antérieur susceptible d'interférer sur le siège des lésions, de ce que cette pathologie faisait partie intégrante de l'accident du travail du 26 septembre 2011 et attirait l'attention sur les risques de rechute possibles en préconisant un aménagement ou un changement de poste.

Si la société n'était pas informée des suites opératoires et des recommandations du Dr [V] du 11 octobre 2017 préconisant la reconnaissance de travailleur handicapé et une reprise sur un poste adapté, voire en mi-temps thérapeutique, elle ne pouvait ignorer la prise en charge des arrêts de travail de M. [R] au titre de la législation sur les risques professionnels en lien avec l'accident du travail du 26 septembre 2011.

L'inaptitude a par ailleurs fait suite à des arrêts de travail suite aux différentes rechutes depuis le 26 septembre 2011 en lien avec l'accident de travail dont le caractère professionnel a été reconnu.

L'inaptitude définitive de M. [R] à son poste de travail habituel a été prononcée alors qu'il occupait ce poste depuis 2013 avec plusieurs rechutes et avec des restrictions importantes sur le poste de tourneur de pièces en fonte, préconisant l'absence de port de charges lourdes et soulignant d'importantes douleurs au bras droit.

L'employeur a manqué à ses obligations de sécurité en n'ayant pas apprécié la charge du poste d'usinage HES 82 sur lequel il a maintenu le salarié, sans aménager le palan mécanique comme demandé, ni apprécié si les outils utilisés entraînaient le port de charges d'un poids supérieur à 15 kgs.

Ce manquement est en lien direct avec la pathologie de M. [R] qui s'est aggravée entre 2012 et 2018 et qui a contribué à l'inaptitude médicalement constatée.

Il sera donc considéré, que l'employeur, en ne mettant pas en oeuvre toutes les mesures de prévention et d'adaptation nécessaires, a, par ce manquement à son obligation de sécurité, contribué à l'inaptitude médicalement constatée.

Le licenciement de M. [R] est dès lors dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur la demande de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité

M. [R] sollicite la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité de son employeur.

La société soulève la prescription des faits pouvant lui être opposés à la demande en paiement d'une indemnité pour manquement à l'obligation de sécurité.

M. [R] soutient au contraire que le point de départ de la prescription de sa demande en constatation du manquement de l'employeur ne peut être antérieur à la fin de l'exposition au risque, qui doit être fixée à la date du 26 janvier 2018, date de sa dernière rechute.

***

L'action en réparation du préjudice résultant de manquements à l'obligation de sécurité de l'employeur engagée par M. [R] le 16 mai 2019 relève de la prescription biennale édictée par l'article 1471-1 du code du travail qui dispose que toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.

En l'espèce, l'exposition au risque a perduré sur toute la période comprise entre le 18 janvier 2012 et le 26 janvier 2018, date à laquelle M. [R] a été placé en arrêt de travail pour maladie suite à une rechute de son accident du travail du 26 septembre 2011.

Le point de départ de la prescription de sa demande en constatation du manquement de l'employeur doit être fixé à la date à laquelle il a eu connaissance de la caractérisation du manquement, soit le 10 août 2018, l'étude de poste ayant expressément conclu à la non-conformité du poste en raison de la charge des outils utilisés de manière répétitive sur la machine, correspondant par ailleurs à la date à laquelle l'employeur a positionné M. [R] en doublon sur ce même poste.

L'action engagée par M. [R] le 16 mai 2019 est donc recevable.

***

Le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité a été retenu ci-avant.

En réparation de l'important préjudice subi par M. [R] qui a été placé en arrêt de travail de manière réitérée et pour des périodes longues et qui est désormais reconnu comme travailleur handicapé, il sera alloué à M. [R] la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts.

Le jugement déféré sera infirmé de ce chef.

Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

M. [R], qui sollicite la somme de 32.850 euros correspondant à 15,5 mois de salaire, avait une ancienneté de 20 ans au sein de la société, était âgé de 47 ans à la date de son licenciement et son salaire moyen mensuel brut était de 2.119,41 euros.

Il bénéficie de la reconnaissance du statut de travailleur handicapé.

Il justifie être resté deux ans en recherche d'emploi et est toujours intérimaire avec une rémunération inférieure à celle qu'il percevait au sein de la société.

***

Au regard de l'ancienneté de M. [R] au sein de l'entreprise, soit 20 ans et de l'effectif de celle-ci, l'indemnité prévue par l'article L. 1235-3 du code du travail est comprise entre 3 et 15,5 mois.

Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à M. [R], de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, il convient de fixer à 32.850 euros la somme de nature à assurer la réparation du préjudice subi par M. [R] à la suite de son licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En application des dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail, il sera en outre ordonné le remboursement par l'employeur aux organismes concernés des indemnités de chômage versées au salarié depuis son licenciement dans la limite de 6 mois d'indemnités.

Le jugement déféré sera infirmé de ce chef.

Sur les demandes au titre de la discrimination

Soutenant que son adhésion syndicale et ses différents mandats représentatifs en septembre 2009 sont à l'origine d'un traitement différencié ne lui ayant pas permis d'évoluer professionnellement ni de bénéficier des primes exceptionnelles qu'il percevait jusque là, M. [R] sollicite la condamnation de la société à lui verser la somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts.

Aux termes de l'article L. 1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie par l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L.3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de ses activités syndicales ou mutualistes, (..) et l'article L. 1132-4 sanctionne par la nullité toute disposition ou tout acte discriminatoire.

L'article L. 1134-1 du code du travail prévoit qu'en cas de litige relatif à l'application de ce texte, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte telle que définie par l'article'1er de la loi n° 2008-496 du 27'mai'2008, au vu desquels, il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, et le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

M. [R] justifie de son adhésion au syndicat CGT du 1er septembre 2009 au 31 décembre 2013 puis du 1er mars 2015 au 31 janvier 2019 et de sa qualité de membre titulaire du comité d'entreprise (compte rendu du 21 avril 2011 dans lequel il apparaît comme tel et précise l'avoir été pendant 2 mandats, soit 8 ans.

Au soutien de sa demande, il invoque les faits suivants relatés dans la réclamation adressée à l'inspection du travail, qui lui a répondu le 23 septembre 2016 avoir alerté son employeur et demandé à celui-ci de cesser ses agissements :

- le refus de nomination sur un poste auquel il avait candidaté.

M. [R] produit l'attestation de M. [X], salarié, indiquant l'avoir aidé à rédiger un CV et une lettre de candidature pour un poste de magasinier cariste au service logistique mais que ce poste a été pourvu par une personne non syndiquée à la CGT, les autres candidats syndiqués ayant été également écartés bien que remplissant les conditions d'accès à ce poste. M. [X] déclare que les anciens élus ou syndiqués CGT ayant obtenu un poste de responsabilité avaient 'arrêté leur carte syndicale et leur cotisation'.

Ce fait est établi.

M. [R] prétend qu'il lui aurait été conseillé de se désyndicaliser en nommant trois autres salariés qui y ont été contraints pour pouvoir bénéficier de promotion, M. [C], M. [U] et M. [P].

Toutefois il ne verse aucune pièce les concernant.

- la diminution des primes perçues à partir de son adhésion syndicale. Il produit à cet effet ses bulletins de paie mentionnant le versement de primes exceptionnelles de janvier 2000 à juillet 2009 alors que d'août 2009 à mai 2018, il n'en a perçu que deux, en août et octobre 2010.

Ce fait est établi.

- l'absence de versement d'une prime obligatoire dite de mission lorsqu'il a été affecté sur le site de [Localité 4] alors que ses collègues la percevaient en plus des primes exceptionnelles. Il ne produit pas les bulletins de paie de ses collègues mais une sommation de communiquer a été adressée à la société, qui n'y a pas déféré.

Ce fait est établi.

- l'absence d'évolution de sa carrière et de promotion malgré sa polyvalence dont il justifie par un tableau du 23 novembre 2015 établi par son supérieur hiérarchique mais qui ne correspond pas au compte rendu d'évaluation faite le 8 décembre 2015, le reconnaissant polyvalent sur 2 postes uniquement au lieu de 7, dans 2 métiers différents avec des qualités justes requises, une efficacité normale, lui conférant un statut OS3, inférieur à celui dont il bénéficiait lorsqu'il est entré dans la société.

M. [R] produit ses bulletins de paie attestant du versement de certaines primes directement liées à l'exercice d'autres fonctions démontrant sa polyvalence.

Ce fait est établi.

M. [R] présente ainsi des faits précis et concordants laissant présumer une situation de discrimination à compter de mars 2009 correspondant à la date de son affiliation à son appartenance syndicale.

Il incombe dès lors à la partie défenderesse de prouver que ces faits sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Bien qu'émettant des doutes sur la réalité des mandats de M. [R], la société ne produit aucun document permettant de préciser les dates auxquelles il a exercé un mandat, son nom apparaissant dans le procès verbal du comité d'entreprise de 2011 en sa qualité de membre titulaire.

Elle ne produit pas non plus la réponse apportée à l'inspection du travail suite à son courrier lui demandant de prendre les mesures nécessaires pour faire cesser la discrimination syndicale.

Elle ne communique aucune information sur les raisons du refus d'attribuer le poste de magasinier cariste au service logistique à M. [R] suite à sa candidature en novembre 2013, ne versant aux débats aucun entretien d'évaluation à cette date ni des documents justifiant des qualités professionnelles reconnues pour par la personne désignée à la place de M. [R].

La société explique l'absence de versement de prime exceptionnelle à partir d'octobre 2010 par une évolution des modalités de rémunération des collaborateurs, les primes étant accordées au mérite.

Toutefois, elle ne produit aucune pièce pour en justifier et notamment les procès verbaux des réunions du comité d'entreprise au cours desquelles ces questions auraient été présentées ni de compte rendu d'évaluation permettant d'écarter M. [R] du bénéfice de ces primes comme ne remplissant pas les critères de 'mérite', alors que celui-ci recevait régulièrement de telles primes sur la période antérieure à son adhésion syndicale.

Elle n'a pas non plus déféré à la sommation de communiquer le justificatif de versement des primes des autres salariés sur le site de [Localité 4], M [R] faisant valoir son caractère obligatoire.

La société soutient en revanche que le tableau de polyvalence du 23 novembre 2015 doit être lu séparément de l'entretien professionnel du 8 décembre 2015, dans lequel il a été estimé que M. [R] n'était compétent que dans 2 postes différents et non

dans 2 métiers différents, le conseil de prud'hommes ayant confondu métiers et postes, y compris sur l'intitulé de différentes primes.

Il apparaît toutefois que le tableau de polyvalence a été élaboré quelques jours avant l'entretien d'évaluation et devait servir à noter le salarié.

M. [R] a bien occupé trois postes sur le site de [Localité 4], HES 82, 463 et cariste et dans ses anciennes fonctions, a occupé d'autres postes de surfaçage Rotors, équilibreur, et bobinage (axes, SAT, IMT), non contestés par la société.

Ses bulletins de paie versés depuis l'origine de son contrat font d'ailleurs état du versement de primes multiples afférentes à ces différents postes, y compris des primes pour changement de poste.

Il a ainsi exercé au moins 2 métiers différents en qualité de tourneur/fraiseur, monteur et bobineur et justifie également avoir une polyvalence sur les postes de cariste.

La société n'explique pas la notation finale de l'évaluation de M. [R] du 8 décembre 2015 qui aboutit à lui attribuer une évaluation de OS 3, inférieure au statut figurant dans son contrat initial qui était P1A.

La société échoue en conséquence à démontrer que les faits invoqués par M. [R] sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination syndicale.

En réparation du préjudice subi, il sera alloué à M. [R] la somme de 10.000 euros.

Le jugement déféré sera infirmé de ce chef.

Sur l'exécution fautive du contrat de travail par l'employeur dans la gestion de carrière

Soutenant que l'employeur n'a pas cherché à adapter son poste, ni à lui proposer de formation lui permettant une évolution de carrière et qu'il n'a pas bénéficié d'entretien professionnel tous les deux ans, distinct de l'entretien d'évaluation, M. [R] sollicite la confirmation du jugement qui a condamné la société à lui verser à ce titre la somme de 7.000 euros.

La société fait état d'un entretien professionnel le 16 avril 2015, validé et signé par le salarié et son responsable ainsi que d'un entretien d'évaluation de ses compétences professionnelles le 8 décembre 2015.

Elle soutient que M. [R] ne remplissait pas encore les critères pour pouvoir bénéficier d'un changement de catégorie P2.

Elle produit la liste des formations dont il a bénéficié : en 2010 sur la soudure, en 2012 sur la sensibilisation à l'hygiène et à la sécurité et, en 2014, sur les transpalettes électriques et en qualité de cariste recyclage.

La société fait également mention de ce qu'elle a su adapter le poste de M. [R] en le positionnant sur une machine HES 82 après son premier avis d'aptitude avec réserve.

***

L'article L. 6321-1 du code du travail dispose que l'employeur doit assurer l'adaptation des salariés à leur poste de travail et doit veiller au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations.

Il peut proposer des formations qui participent au développement des compétences, notamment des actions d'évaluation et de formation permettant l'accès au socle de connaissances et de compétences défini par décret.

Les actions de formation mises en oeuvre à ces fins sont prévues, le cas échéant, par un plan de formation et peuvent permettre d'obtenir une partie identifiée de certification professionnelle, classée au sein du répertoire national des certifications professionnelles et visant à l'acquisition d'un bloc de compétences.

S'agissant de l'entretien professionnel, l'article L. 6315-1 du code du travail, applicable à compter de novembre 2009, prévoyait la possibilité pour le salarié ayant deux ans d'ancienneté de bénéficier, à sa demande, d'un bilan d'étape professionnel, bilan pouvant être renouvelé à sa demande tous les cinq ans ; ce bilan a pour objet, à partir d'un diagnostic réalisé en commun par le salarié et son employeur, de permettre au salarié d'évaluer ses capacités professionnelles et ses compétences et à son employeur de déterminer les objectifs de formation du salarié.

A partir du 7 mars 2014, cette obligation a été renforcée en ce sens que :

- Cet entretien professionnel qui donne lieu à la rédaction d'un document dont une copie est remise au salarié, est proposé systématiquement au salarié qui reprend son activité à l'issue notamment d'un arrêt longue maladie ou à l'issue d'un mandat syndical.

- Tous les six ans, l'entretien professionnel fait un état des lieux récapitulatif du parcours professionnel du salarié qui donne lieu à la rédaction d'un document dont une copie est remise au salarié.

Il doit permettre de vérifier que le salarié a bénéficié au cours des six dernières années des entretiens professionnels prévus au I et d'apprécier s'il a :

1° suivi au moins une action de formation ;

2° acquis des éléments de certification par la formation ou par une validation des acquis de son expérience ;

3° bénéficié d'une progression salariale ou professionnelle.

En l'espèce, M. [R] était ouvrier tourneur depuis 20 ans, au coefficient 170, niveau II, échelon 1.

Il a suivi 4 formations dont la dernière en 2014 consistant en une habilitation de conduite cariste pour un total de 25 h, sans valeur qualifiante toutefois.

Il a suivi une formation qualifiante en soudure en 2010.

La société ne justifie pas de la tenue d'entretien professionnel distinct des entretiens d'évaluation.

Au vu du peu de formations suivies pendant la durée d'exécution du contrat de travail, l'employeur ne démontre pas avoir rempli ses obligations permettant le maintien de l'employabilité de M. [R].

Les membres du comité d'entreprise, consultés le 23 avril et 3 mai 2018 sur le reclassement de M. [R] suite à l'avis d'inaptitude judiciaire du 27 février 2018, ont d'ailleurs fait remarquer que la direction aurait pu proposer au salarié, de bénéficier, d'une formation sur un métier compatible avec ses pathologies. grâce au DIF.

Eu égard aux différents avis médicaux qui recommandaient un poste sans port de charge lourde ou sans tractions importantes, même de manière temporaire, une proposition de formation aurait pu permettre d'orienter M. [R] vers des postes adaptés à sa pathologie.

L'employeur a par conséquent manqué à ses obligations, ce qui a entraîné un préjudice important à M. [R] qui n'a pu voir sa situation professionnelle et financière évoluer, ni être positionné sur un choix de poste élargi dans le cadre de son reclassement.

En réparation du préjudice subi, il convient de confirmer la décision des premiers juges qui ont alloué à ce titre la somme de 7.000 euros à M. [R].

Sur les autres demandes

La société qui succombe à l'instance, sera condamnée aux dépens ainsi qu'à payer à M. [R] la somme de 4.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Confirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société Moteurs Leroy Somer en paiement de dommages et intérêts au titre du préjudice d'évolution de carrière et aux dépens,

L'infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau des chefs du jugement infirmés,

Dit que le licenciement de M. [R] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

Condamne la SAS Moteurs Leroy Somer à verser à M. [R] les sommes suivantes :

- 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité,

- 32.850 euros bruts à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 10.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des faits de discrimination syndicale,

Rappelle que les sommes allouées par la présente décision sont exonérées des cotisations sociales et des contributions fiscales dans les conditions légales et réglementaire applicables,

Ordonne le remboursement par la SAS Moteurs Leroy Sommer aux organismes concernés des indemnités de chômage versées à M. [R] depuis son licenciement dans la limite de 6 mois d'indemnités,

Condamne la SAS Moteurs Leroy Somer aux dépens ainsi qu'à verser à M. [R] la somme de 4.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en cause d'appel.

Signé par Sylvie Hylaire, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Sylvie Hylaire


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 21/01552
Date de la décision : 20/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 30/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-20;21.01552 ?
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