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11/03/2024 | FRANCE | N°21/04482

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, 1ère chambre civile, 11 mars 2024, 21/04482


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



1ère CHAMBRE CIVILE



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ARRÊT DU : 11 MARS 2024









N° RG 21/04482 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MIEC









[P] [T]



c/



[C] [B]

























Nature de la décision : AU FOND































Gros

se délivrée le :



aux avocats



Décision déférée à la cour : jugement rendu le 29 juin 2021 par le Tribunal Judiciaire de BORDEAUX (chambre : 1, RG : 19/08918) suivant déclaration d'appel du 30 juillet 2021





APPELANTE :



[P] [T]

née le [Date naissance 2] 1949 à [Localité 9] (33)

de nationalité Française

demeurant [Adresse 7]



représentée par ...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

1ère CHAMBRE CIVILE

--------------------------

ARRÊT DU : 11 MARS 2024

N° RG 21/04482 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MIEC

[P] [T]

c/

[C] [B]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 29 juin 2021 par le Tribunal Judiciaire de BORDEAUX (chambre : 1, RG : 19/08918) suivant déclaration d'appel du 30 juillet 2021

APPELANTE :

[P] [T]

née le [Date naissance 2] 1949 à [Localité 9] (33)

de nationalité Française

demeurant [Adresse 7]

représentée par Maître DEMAR substituant Maître Mathieu RAFFY de la SELARL MATHIEU RAFFY - MICHEL PUYBARAUD, avocats postulants au barreau de BORDEAUX, et assistée de Maître Fabien LARGE-JAEGER, avocat plaidant au barreau des PYRENEES-ORIENTALES

INTIMÉ :

Maître [C] [B]

né le [Date naissance 1] 1969 à [Localité 6] (75)

de nationalité Française

demeurant [Adresse 3]

représenté par Maître MALBY substituant Maître Xavier LAYDEKER de la SCP LAYDEKER - SAMMARCELLI - MOUSSEAU, avocats au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 29 janvier 2024 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Roland POTEE, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, qui a fait un rapport oral de l'affaire avant les plaidoiries,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Président : Mme Paule POIREL

Conseiller : M. Roland POTEE, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

Conseiller : M. Emmanuel BREARD

Greffier : Mme Véronique SAIGE

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

* * *

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE

Selon acte authentique dressé le 24 juillet 2008 par Me [E], notaire à [Localité 4], Mme [J] [L] a fait donation à sa mère Mme [P] [T], hors part successorale et par suite avec dispense de rapport à la succession du donateur, de toute la propriété de plusieurs biens immobiliers, et notamment d'un appartement sis résidence [5] [Adresse 8] à [Localité 9].

Aux termes d'un acte intitulé " vente conditionnelle" établi le 19 avril 2017 par Me [C] [B], notaire à [Localité 9], Mme [T] a consenti à la vente de l'appartement sis à [Localité 9] au profit de Mme [F] [M] au prix de 115.000 euros. Il était prévu que la vente soit régularisée par acte authentique au plus tard le 14 août 2017.

La date de signature de l'acte authentique fixée au 21 juillet 2017 a été reportée par le notaire au motif de la nécessité préalable d'obtenir sur le plan de l'action en réduction, l'autorisation de la donatrice ou de ses héritiers à cette vente, et plus précisément l'autorisation du juge de paix du canton de Sprimont en Belgique, domicile de Mme [L] et de ses enfants mineurs nés postérieurement à l'acte de donation.

La vente a été bloquée du fait du désaccord de Mme [T] quant à la nécessité de ces autorisations.

Le bien a finalement été vendu à Mme [H] par acte authentique reçu le 30 janvier 2019 par Me [G], notaire à [Localité 4], sans que, selon Mme [T], les diligences exigées par Me [B] en juillet 2017 n'aient été accomplies.

Par courrier du 6 juillet 2019, Mme [T] a mis en demeure Me [B] de l'indemniser des différents préjudices résultant de l'impossibilité de réaliser la vente initiale en raison des différentes autorisations requises par lui.

Par acte d'huissier du 22 juillet 2019, Mme [T] a fait assigner Me [B] devant le tribunal de grande instance de Bordeaux aux fins, notamment, de le voir condamner au versement de dommages et intérêts en réparation de son préjudice.

Par jugement contradictoire du 29 juin 2021, le tribunal judiciaire de Bordeaux a :

- débouté Mme [T] de l'ensemble de ses demandes,

- condamné Mme [T] à payer à Me [B], la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du jugement.

Mme [T] a relevé appel de ce jugement par déclaration du 30 juillet 2021 et par conclusions déposées le 25 avril 2022, elle demande à la cour de :

- juger l'appel recevable et bien fondé,

- réformer la décision entreprise,

- juger que le premier juge s'est prononcé par erreur d'appréciation des faits et du droit,

- réformer la décision entreprise,

- juger que Me [B] a failli à ses obligations de notaire, de conseil, de diligence et d'efficacité et d'information,

- condamner Me [B] à indemniser Mme [T] de son entier préjudice,

- condamner Me [B] à payer à Mme [T] les sommes suivantes :

* au titre du préjudice matériel : la somme de 10 265, 12 euros,

* au titre du préjudice personnel : la somme de 70 000 euros,

- débouter Me [B] de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions,

- condamner Me [B] au paiement de la somme de 5 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Me Puybaraud.

Par conclusions déposées le 27 janvier 2022, Me [B] demande à la cour de :

- confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Bordeaux du 29 juin 2021,

Y ajoutant,

- condamner Mme [T] à payer à Me [B] une indemnité complémentaire de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

L'affaire a été fixée à l'audience rapporteur du 29 janvier 2024.

L'instruction a été clôturée par ordonnance du 15 janvier 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

L'appelante fait grief au premier juge d'avoir écarté la responsabilité du notaire en considérant que dans la mesure où l'article 924-4 alinéa 2 du code civil était susceptible d'interprétations divergentes, il n'avait commis aucune faute et fait preuve de prudence en souhaitant assurer la sécurité juridique de l'acte de vente au vu du risque encouru d'une résolution de la vente en cas d'action en réduction des héritiers de la donatrice du bien en cause.

Mme [T] soutient en effet que les dispositions du texte précité sont parfaitement claires, que l'accord des héritiers de la donatrice, nés après la donation n'était pas requis pour la vente du bien, ce qu'a confirmé le CRIDON, consulté par Me [B] lequel a ainsi manqué à son obligation de conseil non seulement en estimant à tort nécessaire le consentement des héritiers mais aussi en ne tentant pas de persuader son confrère, Me [A], notaire de l'acquéreur, de l'absence de nécessité de ce consentement et, si besoin de conseiller à Mme [T] d'engager les voies de droit pour contraindre l'acquéreur à formaliser l'acte en l'état.

Me [B] objecte qu'il n'a commis aucune faute en souhaitant assurer la sécurité juridique de la vente au vu de la possibilité d'une action en réduction que l'article 924 -4 alinéa 2 du code civil permet d'envisager, l'avis contraire du CRIDON étant prudent et sans certitude, compte tenu des difficultés d'interprétation du texte et de l'absence de jurisprudence en la matière au moment des faits.

L'intimé souligne qu'au surplus, il n'est pas le responsable du blocage de la vente puisque c'est bien le notaire de l'acquéreur, Me [A], qui a refusé de procéder à l'acte de vente en l'absence de garanties contre un risque d'éviction et en tout état de cause, Me [B] conteste tout lien de causalité entre son intervention et le préjudice invoqué par l'appelante.

Il est admis que le notaire, garant de l'efficacité et de la sécurité juridique des actes qu'il rédige, est tenu à un devoir de conseil et d'information à l'égard des parties à l'acte et qu'il doit ainsi, dans ce cadre, identifier les possibles obstacles de fait ou de droit à la validité et à l'efficacité de ces actes.

L'article 924-4 alinéa 2 du code civil prévoit que 'lorsque le jour de la donation ou postérieurement, le donateur et tous les héritiers réservataires présomptifs ont consenti à l'aliénation du bien donné, aucun héritier réservataire, même né après que le consentement de tous les héritiers intéressés a été recueilli, ne peut exercer l'action contre les tiers détenteurs...'

A la date des échanges entre les parties faisant suite au compromis de vente du 19 avril 2017 établi par Me [B], il n'existait aucune jurisprudence sur la question de savoir si, dans le cas où le donateur seul, alors sans héritiers, avait consenti à l'aliénation du bien donné, le consentement des héritiers nés postérieurement à la donation,était requis pour éviter l'action en réduction.

Compte tenu du désaccord des parties sur cette question, le CRIDON, consulté sur ce point par Me [B], a remis un avis aux termes duquel, considérant que l'existence d'enfants réservataires déjà nés s'apprécie au jour où le consentement '924-4" doit être donné, il écrit que : 'Il ne nous paraît pas impensable, bien qu'il n'existe aucun précédent jurisprudentiel sur la question, de considérer qu'un pacte 924-4 réalisé par un donateur seul à une époque où ce dernier n'a encore aucun héritier réservataire

(ni enfant ni conjoint) pourrait être valable et suffire à anéantir le droit de suite des réservataires à venir'.

Le caractère prudent et conditionnel de cet avis, ajouté à l'absence de jurisprudence en la matière et au fait que le texte précité du code civil évoque le recueil du consentements des héritiers présomptifs à la date de l'aliénation, ne permet pas de considérer, comme le fait l'appelante, que le texte était d'interprétation univoque et excluait le recueil du consentement des enfants de sa fille, nés après la donation.

En tout état de cause, il résulte des courriers adressés à Me [B] par le notaire de l'acquéreur, Me [A] (pièce 1 et 2 intimé), que ce dernier a estimé que l'intervention des enfants mineurs de la donatrice s'imposait et que l'acte de vente ne pouvait donc être passé sans l'autorisation de ces derniers, au regard de la garantie d'éviction stipulée à l'acte à titre de condition suspensive.

Dans ces conditions, Mme [T] qui fonde son préjudice essentiellement sur l'impossibilité de réaliser la vente dans les délais prévus et de trouver un nouvel acquéreur avant janvier 2019, ne peut prétendre que Me [B] aurait dû s'employer à convaincre son confrère de l'inexactitude de sa position et, si besoin, de lui conseiller d'engager une action en justice pour contraindre l'acquéreur à formaliser la vente, procédure longue et incertaine qui n'aurait pu aboutir avant la date précitée.

Quoi qu'il en soit, au vu de l'interprétation incertaine à l'époque de l'article 924-4 du code civil et du risque d'action en réduction, de l'opposition à la vente sans le consentement des enfants de la donatrice par le notaire de l'acquéreur, la prudence de Me [B] et son refus de passer l'acte sans le recueil de ce consentement, dans l'optique légitime d'assurer la sécurité juridique de l'acte de vente assorti d'une garantie d'éviction, ne présente aucun caractère fautif de nature à engager sa responsabilité.

Le jugement qui a débouté Mme [T] de ses demandes mérite ainsi pleine confirmation.

L'appelante supportera les dépens d'appel et versera à l'intimé une indemnité complémentaire de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Confirme le jugement entrepris;

Y ajoutant;

Condamne Mme [P] [T] à payer à Me [C] [B] la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

Condamne Mme [P] [T] aux dépens d'appel.

Le présent arrêt a été signé par Madame Paule POIREL, président, et par Madame Véronique SAIGE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre civile
Numéro d'arrêt : 21/04482
Date de la décision : 11/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-11;21.04482 ?
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