COUR D'APPEL DE BORDEAUX
1ère CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 11 MARS 2024
N° RG 21/04478 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MIDZ
[M] [P]
c/
[K] [P]
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la cour : jugement rendu le 20 juillet 2021 par le Tribunal Judiciaire de LIBOURNE (RG : 20/00647) suivant déclaration d'appel du 30 juillet 2021
APPELANT :
[M] [P]
né le [Date naissance 2] 1947 à [Localité 6] (74)
de nationalité Française
demeurant [Adresse 5]
représenté par Maître David LARRAT de la SELARL H.L. CONSEILS & CONTENTIEUX, avocat au barreau de BERGERAC
INTIMÉ :
[K] [P]
né le [Date naissance 1] 1973 à [Localité 4] (73)
de nationalité Française
demeurant [Adresse 3]
représenté par Maître RUDLER, avocat au barreau de LIBOURNE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 29 janvier 2024 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Roland POTEE, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, qui a fait un rapport oral de l'affaire avant les plaidoiries,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Président : Mme Paule POIREL
Conseiller : M. Roland POTEE, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
Conseiller : M. Emmanuel BREARD
Greffier : Mme Véronique SAIGE
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
* * *
EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE
M. [M] [P] a été associé avec son fils M. [K] [P] dans la SCI familiale Penelop, ayant pour objet l'acquisition et la gestion de biens immobiliers. Le capital social de la société est fixé à 60 000 euros divisé en 100 parts, réparties en parts égales entre les deux associés.
La société Penelop a loué un local commercial situé dans son unique bien situé sur la commune de [Localité 7], à la SARL ACR Combettes Cuisines, devenue par la suite une SAS, société dont M. [M] [P] et M. [K] [P] ont été actionnaires.
Le 24 octobre 2017, M. [M] [P] a cédé ses parts dans la SCI familiale à son fils, pour un prix total de 40 000 euros. Cette cession a été établie par le cabinet d'expert-comptable Kermel.
Par assignation du 24 octobre 2018, M. [M] [P] a sollicité la désignation d'un expert chargé d'évaluer la valeur des parts sociales qu'il a estimé avoir vendues à vil prix à son fils.
Par ordonnance du 13 décembre 2018, le tribunal de grande Instance de Périgueux l'a débouté de sa demande d'expertise.
Sur l'appel d'[M] [P] et par un arrêt du 7 octobre 2019, la cour d'appel de Bordeaux a confirmé ladite ordonnance.
Par acte d'huissier du 24 juin 2020, M. [M] [P] a fait assigner M. [K] [P], la société Penelop et le cabinet d'expert comptable Kermel devant le tribunal judiciaire de Libourne aux fins principales de voir prononcer la nullité de la cession de parts sociales pour vente à vil prix.
Par jugement contradictoire du 20 juillet 2021, le tribunal judiciaire de Libourne a :
- ordonné le rabat de l'ordonnance de clôture au jour de l'audience,
- rejeté l'exception d'incompétence,
- dit n'y avoir lieu à l'annulation de la cession de parts sociales du 24 octobre 2017,
- condamné M. [M] [P] à payer à M. [K] [P] la somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision,
- condamné M. [M] [P] à payer à M. [K] [P] et à la SAS Cabinet Kermel chacun la somme de 1.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- rappelé que l'exécution provisoire est de droit.
- rejeté le surplus des prétentions des parties,
- condamné M. [M] [P] aux dépens.
M. [M] [P] a relevé appel de ce jugement par déclaration du 30 juillet 2021 et par conclusions déposées le 15 octobre 2021, il demande à la cour de :
- infirmer le jugement rendu en ce qu'il a :
* dit n'y avoir lieu à l'annulation de la cession de parts sociales,
* condamné M. [M] [P] à payer à M. [K] [P] la somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision,
* condamné M. [M] [P] à payer à M. [K] [P] la somme de 1.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
* rappelé que l'exécution provisoire est de droit,
* rejeté le surplus des prétentions des parties,
* condamné M. [M] [P] aux dépens,
Et, statuant à nouveau:
A titre principal :
- prononcer la nullité de la cession des parts sociales de la société Penelop pour vileté du prix de vente,
- condamner en conséquence M. [K] [P] à verser la somme de 18.500 euros à M. [M] [P] à titre du solde dû sur la valeur réelle des parts sociales,
A titre subsidiaire :
- prononcer la nullité de la cession des parts sociales de la société Penelop en raison du dol,
- condamner en conséquence M. [K] [P] à verser la somme de 18.500 euros à M. [M] [P] à titre du solde dû sur la valeur réelle des parts sociales,
En tout état de cause:
- condamner M. [K] [P] à verser à M. [M] [P] la somme de 2.000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la première instance, et la somme de 3.000 euros au même titre pour l'instance d'appel,
- condamner M. [K] [P] aux entiers dépens de l'instance sur le fondement de l'article 696 du code de procédure civile et, au surplus, à tous les frais d'exécution, en ce compris le droit proportionnel dû à l'huissier de justice sur le fondement de l'article A444-32 du code de commerce.
Par conclusions du 14 janvier 2022, M. [K] [P] demande à la cour de :
- confirmer toutes les dispositions du jugement entrepris,
En conséquence
- débouter M. [M] [P] de ses demandes à l'encontre de M. [K] [P],
- condamner M. [M] [P] à verser à M. [K] [P] la somme de 3.000 euros au titre de procédure abusive, la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 et aux entiers dépens d'instance dont distraction au profit de Me Amélie Rudler, avocat, sur ses affirmations de droit.
L'affaire a été fixée à l'audience rapporteur du 29 janvier 2024.
L'instruction a été clôturée par ordonnance du 15 janvier 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la vileté de prix
Pour demander la nullité de la cession de parts de la SCI familiale Penelop, l'appelant se prévaut de la vileté du prix de vente qui ressort selon lui, de l'évaluation qu'il a demandée à un expert-comptable dont le rapport estime la valeur de la société, au jour de la vente, entre 102.000 € et 117.000 €, soit, sur la base de ce dernier chiffre, une valeur de 58.500 € pour chacun des détenteurs de la moitié des parts sociales alors qu'[M] [P] n'a obtenu que la somme de 40.000 € pour la vente de ses parts.
L'article 1658 du code civil prévoit la nullité du contrat de vente pour vileté de prix.
Celle ci s'entend d'un prix dérisoire ou peu sérieux, s'assimilant à une absence de prix et c'est à juste raison que l'intimé observe qu'en l'espèce, le prix de vente des parts sociales estimées à 80.000 €, soit 40.000 € par associé, ne peut être considéré comme vil ou dérisoire.
En effet, à supposer que l'évaluation établie à l'initiative de l'appelant et soumise à la contradiction des partiesdans le cadre des présents débats, ait valeur probante suffisante, la valeur moyenne de la société s'élèverait à 109.500 € (102.000 + 117.000/2) soit 54.750 € par associé et le prix de vente de 40.000 € représenterait ainsi tout au plus une moins value de 27%, ce qui ne peut manifestement pas être assimilé à un prix dérisoire.
Au surplus, le premier juge a exactement rappelé d'une part que le cédant, gérant et associé de la SCI depuis sa création, ne pouvait en ignorer la valeur commerciale alors qu'il a reçu lors de la cession, le dernier bilan de la société déclaré conforme par lui même ainsi que les éléments d'actif et de passif de la SCI et d'autre part, que la vente de parts d'un père à son fils s'inscrit dans un schéma particulier de transmission de patrimoine supposant une négociation différente de celle d'une vente à un tiers.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il rejette la demande de nullité.
Sur le dol
[M] [P] invoque en appel le dol qu'il aurait subi du fait d'une fausse valorisation des parts sociales cédées à son fils sur la base des bilans comptables établis par la SAS Cabinet Kermel et qui ont déterminé son consentement.
L'intimé fait valoir en réplique l'absence de toute manoeuvre ou mensonge de nature à induire le cédant en erreur sur la valeur des parts cédées, les fonctions d'[M] [P] au sein de la SCI qu'il gérait ne lui permettant pas de prétendre avoir été abusé sur la santé financière et les actifs de la société.
L'article 1137 du code civil définit le dol comme le fait pour un contractant d'obtenir le consentement de l'autre par des manoeuvres ou des mensonges, le dol étant aussi constitué par la dissimulation intentionnelle d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie.
L'appelant, à qui incombe la charge de prouver le dol, ne peut se fonder sur le seul rapport d'expertise privé, même soumis à la contradiction des parties, qu'il invoque pour prétendre avoir été abusé sur l'évaluation de la société alors que la cession a été faite sur la base des éléments d'actifs et du dernier bilan comptable approuvé de 2015 qu'il avait lui même déclaré conforme en sa qualité de gérant.
En cette même qualité, [M] [P] ne peut sérieusement soutenir que son fils lui aurait caché des éléments sur la santé financière de la SCI que lui même aurait ignorés.
Les demandes fondées sur le dol seront ainsi également rejetées
Sur les demandes annexes
Si l'usage des voies de recours n'est pas en soi abusif, en l'espèce, l'absence de sérieux des moyens et des demandes de l'appelant, maintenus et amplifiés devant la cour, illustre manifestement une vindicte procédurale persistante de la part d'[M] [P] à l'égard de son fils, déjà sanctionnée en première instance et qui doit l'être également en appel par l'octroi de dommages et intérêts supplémentaires qui seront fixés à 2.000 € au regard du préjudice subi par de nombreuses procédures.
La même somme sera mise à la charge de l'appelant au titre des frais non compris dans les dépens.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Confirme le jugement déféré,
Y ajoutant;
Rejette les demandes fondées sur le dol;
Condamne M. [M] [P] à payer à M. [K] [P] les sommes de :
- 2.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive
- 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
Condamne M. [M] [P] aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés par le conseil de l'intimé dans les conditions de l'article 699 du même code.
Le présent arrêt a été signé par Madame Paule POIREL, président, et par Madame Véronique SAIGE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Président,