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06/03/2024 | FRANCE | N°21/03758

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 06 mars 2024, 21/03758


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



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ARRÊT DU : 06 MARS 2024







PRUD'HOMMES



N° RG 21/03758 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MF67



















Monsieur [F] [V]



c/



SASU Lacoste Footwear France venant aux droits de la société Pentland France

















Nature de la décision : AU FOND



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Grosse délivrée le :



à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 31 mai 2021 (R.G. n°F 19/00332) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section Encadrement, suivant déclaration d'appel du 30 juin 2021,





APPELANT :

Monsieur [F] [V]

né le...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 06 MARS 2024

PRUD'HOMMES

N° RG 21/03758 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MF67

Monsieur [F] [V]

c/

SASU Lacoste Footwear France venant aux droits de la société Pentland France

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 31 mai 2021 (R.G. n°F 19/00332) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section Encadrement, suivant déclaration d'appel du 30 juin 2021,

APPELANT :

Monsieur [F] [V]

né le 16 juillet 1972 à [Localité 5] de nationalité française

Profession : V.R.P., demeurant[Adresse 3]n - [Localité 2]

assisté de Me Claire JORIO substituant Me Pierre BLAZY de la SELARL BLAZY & ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE :

SASU Lacoste Footwear France venant aux droits de la société Pentland France, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 1] - [Localité 4]

N° SIRET : 399 945 948

assistée de Me Laurent KASPEREIT de la SELAFA CMS FRANCIS LEFEBVRE AVOCATS, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, représentée par Me Clémence DARBON, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 05 février 2024 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Sylvie Hylaire, présidente, et Madame Bénédicte Lamarque, conseillère chargée d'instruire l'affaire

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Sylvie Hylaire, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère

Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur [F] [V], né en 1972, a été engagé par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er décembre 2014, en qualité de VRP par la société Pentland France, devenue la société Lacoste Footwear France.

Le contrat de travail prévoyait un salaire brut fixe annuel de 31.000 euros et une prime sur objectifs 'de 6.000 euros brut par saison (...) allouée à objectifs atteints fixés pour 100% sur la base d'objectifs individuels'.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à l'accord national interprofessionnel des voyageurs représentants placiers (ci-après VRP).

À la fin de l'année 2017, l'activité de la société Lacoste Footwear France a été regroupée à celle de la société Lacoste France.

Une convention de transfert tripartite applicable au 1er mai 2018 a été remise le 23 avril 2018 à M. [V] qui ne l'a pas signée.

Par courriel du 3 mai 2018, l'employeur tirait la conséquence de son absence de réponse de son refus d'intégrer la nouvelle société.

Par lettre datée du 9 juillet 2018, M. [V] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 20 juillet suivant, avant d'être licencié pour cause réelle et sérieuse par lettre datée du 25 juillet 2018, en raison de son refus d'accepter le transfert de son contrat de travail.

Le contrat a pris fin le 27 octobre 2018.

A la date du licenciement, M. [V] avait une ancienneté de trois ans et sept mois et la société occupait à titre habituel plus de 10 salariés.

Le 5 mars 2019, M. [V], contestant la légitimité de son licenciement et réclamant une indemnité de clientèle, des dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et un rappel de prime sur objectifs, a saisi le conseil de prud'hommes de Bordeaux, qui, par jugement rendu le 31 mai 2021, a :

- débouté M. [V] de l'intégralité de ses demandes,

- condamné M. [V] à verser à la société Lacoste Footwear France la somme de 100 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [V] aux dépens et éventuels frais d'exécution.

Par déclaration du 30 juin 2021, M. [V] a relevé appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 29 septembre 2021, M. [V] demande à la cour de :

- réformer le jugement du 31 mai 2021 en ce que le conseil de prud'hommes de Bordeaux l'a :

* débouté de l'intégralité de ses demandes,

* condamné à verser à la société Lacoste Footwear France la somme de 100

euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* condamné aux dépens et éventuels frais d'exécution ;

Et statuant à nouveau,

- dire que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse,

- condamner la société Lacoste Footwear France à lui verser les sommes suivantes :

* 30.000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 30.900 euros à titre d'indemnité de clientèle,

* 35.000 euros à titre d'indemnité pour exécution déloyale du contrat de travail,

* 3.800 euros au titre du rappel de prime sur objectifs,

- la condamner aux dépens, frais et procédure, y compris les frais qui seraient éventuellement à engager si le jugement à venir n'était pas respecté, ainsi qu'à une indemnité de 4.000 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 22 décembre 2021, la société Lacoste Footwear France demande à la cour de':

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- dire que le licenciement de M. [V] repose bien sur une cause réelle et sérieuse,

- le débouter de l'intégralité de ses demandes,

- le condamner à lui payer la somme de 1.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de la présente instance.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 25 janvier 2024 et l'affaire a été fixée à l'audience du 5 février 2024.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'à la décision déférée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la rupture du contrat de travail

Soutenant que, dans le cadre du transfert de son contrat de travail, la société lui a proposé des modifications qui n'ont pas reçu son accord, portant sur la durée du travail, sa qualification, sa rémunération et son lieu d'exécution, M. [V] demande à la cour du juger que son licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse.

La lettre de licenciement adressée le 25 juillet 2018 à M. [V] est ainsi rédigée :

« ( ')

En effet et comme nous vous l'avons précédemment expliqué, une réorganisation de nos canaux de distribution a été entreprise afin de regrouper l'activité textile et l'activité chaussures et ainsi, s'inscrire dans la stratégie de ''prémiumisation'' globale de la marque Lacoste.

C'est dans ce cadre que l'activité de la Société LACOSTE FOOTWEAR France, s'agissant de la distribution de chaussures et à laquelle vous étiez jusqu'à présent rattaché, a été transférée à la Société LACOSTE France, dont l'objet était jusqu'à présent et principalement la distribution de textile.

En conséquence et par application de l'article L 1224-1 du Code du travail, l'ensemble des contrats de travail devait être transféré de la Société LACOSTE FOOTWAER France à la Société LACOSTE France.

Après de multiples entretiens explicatifs et afin de formaliser le transfert de votre contrat de travail à durée indéterminée, une convention de transfert tripartite vous a été transmise à cet effet le 23 avril 2018.

Le changement d'employeur ne devait pas comporter de modification de votre contrat de travail, tous les avantages dont vous bénéficiez étant maintenus, y compris votre rémunération et votre ancienneté, reprise en intégralité.

Votre région d'affectation devait même être réduite, diminuant ainsi votre charge de travail sans aucun impact bien entendu sur votre rémunération. Ce secteur respectait également votre lieu d'habitation ([Localité 2]) et ne nécessitait aucun déménagement personnel.

Vous deviez en outre profiter d'avantages nouveaux et inhérents à la Société LACOSTE France, qui est notamment pourvue d'un comité d'entreprise (ce qui n'est pas le cas de la Société LACOSTE FOOTWEAR France) et dont la convention collective applicable est plus favorable sur de nombreux points que l'accord national interprofessionnel des VRP auquel vous êtes soumis.

Malgré toutes ces explications, vous avez refusé le transfert de votre contrat de travail, contrairement à la quasi-totalité de vos collègues qui ont, pour leur part, parfaitement saisi les enjeux commerciaux de la réorganisation entreprise et accepté sans réserve les effets du transfert de leurs contrats de travail.

Un tel refus est cependant incompatible avec la nouvelle organisation mise en place.

En effet, il n'est pas envisageable que vous demeuriez le seul salarié de l'entreprise et que vous ne soyez pas intégré dans la nouvelle organisation mise en place, sans manager, sans équipe et avec un statut moins favorable (comme précédemment expliqué) que celui accordé à vos collègues.

Dès lors et en l'absence d'explication satisfaisante et rationnelle de votre part, nous n'avons pas d'autre choix que de procéder à votre licenciement.

(') ».

En application des articles L. 1232-1, L. 1232-6 et L. 1235-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse. Les motifs énoncés dans la lettre de licenciement fixent les termes du litige, le juge apprécie le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur et forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties. Si un doute persiste, il profite au salarié.

L'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables.

Aux termes de l'article L. 1224-1 du code du travail, s'il survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise.

Le contrat de travail doit se poursuivre dans les mêmes conditions que celles existantes au moment du changement d'exploitation et, lorsque l'application de l'article L. 1224-1 du code du travail entraîne une modification du contrat de travail, autre que le changement d'employeur, le salarié est en droit de s'y opposer.

M. [V] fait grief à l'employeur de lui avoir imposé trois modifications de son contrat de travail.

1. La suppression du statut de VRP

M. [V] expose qu'il détenait ce statut dans son contrat initial par référence à la convention collective nationale de retraite et de prévoyance des cadres du 14 mars 1947 et de l'accord national interprofessionnel des représentants du 3 octobre 1975, la modification lui faisant notamment perdre le bénéfice d'une éventuelle indemnité de clientèle en cas de rupture du contrat de travail.

La société soutient que le nouveau projet de contrat positionnait M. [V] aux fonctions de représentant au statut cadre, position I, échelon 2 de la convention collective nationale de l'industrie textile, lui faisant bénéficier d'avantages en termes d'indemnité de licenciement, d'indemnité de départ à la retraite, d'indemnisation en cas de maladie professionnelle ou accident de travail et qu'il lui a en outre été proposé de bénéficier d'une convention de forfait jours avec octroi de jours de RTT.

***

La reconnaissance du statut de VRP est subordonnée à l'exercice de l'activité professionnelle et au contenu des engagements des parties.

Dès lors que la convention collective nationale de l'industrie du textile mentionne dans l'accord de mise à jour du 29 mai 1979 son adhésion à l'accord national interprofessionnel des VRP du 3 octobre 1975, la société était tenue de reprendre le contrat dans les mêmes conditions.

La suppression du statut de VRP et des avantages qui y sont liés, pour celui de cadre au forfait jours constitue une modification du contrat de travail qui nécessitait l'accord du salarié.

2. La modification de sa rémunération

M. [V] invoque le déplafonnement de la partie variable de sa rémunération, dont il bénéficiait en vertu d'un usage instauré par le précédent employeur.

La société rappelle que le déplafonnement de la prime n'était pas prévu dans son contrat de travail ni ne figurait dans les objectifs qui lui avaient été fixés en 2018, pas plus qu'il ne résultait d'un usage. Elle soutient que M. [V] n'avait pas vocation à voir maintenir ce déplafonnement qui lui avait été consenti précédemment en l'absence de disposition conventionnelle ou de droit acquis.

Elle ajoute cependant qu'un déplafonnement aurait pu être maintenu et que M. [V] aurait également pu bénéficier de l'accord d'intéressement et de l'accord de participation en vigueur au sein de la société qui lui aurait garanti un niveau de rémunération supérieur.

***

Le contrat de travail du 1er décembre 2014 prévoyait un salaire fixe de 2.583,33 euros par mois, soit 31.000 euros bruts par an et une prime de « 6.000 euros brut par saison (...) allouée à objectifs atteints fixés pour 100% sur la base d'objectifs individuels (...). Les objectifs sont redéfinis par la Direction chaque saison ».

Dans un courrier du 7 juillet 2017, l'employeur a fixé les conditions de la prime quantitative printemps été 2018 à 6.000 euros se décomposant en :

* une prime 'pré saison' de 2.500 euros calculée ainsi :

- en dessous de 90% de l'objectif, pas de prime,

- de 90% à 100% de l'objectif, 50% de la prime,

- de 100% à 105% de l'objectif : 100% de la prime,

- de 105% à 110% de l'objectif, 120% de la prime,

- au-delà de 110% de l'objectif, 130% de la prime.

* une prime de facturation de 3.500 euros calculée en fonction de l'objectif de la manière suivante :

- moins de 95% : 0 €,

- entre 95% : 1.000 €,

- entre 100 et 105% : 3.500 €,

- entre 105% et 110% : 4.025 €,

- au-delà de 110% : 4.550 €.

Depuis le 31 juillet 2017 d'après la fiche de paie produite, le salaire de base de M. [V] était fixé à 2.727,92 euros représentant un montant brut annuel de 32.735 euros.

Le nouveau projet de contrat proposé par la société était ainsi rédigé : une rémunération fixe de 32.785 euros et une 'prime variable pouvant aller jusqu'à 12.000 euros en cas de réalisation de 100% des objectifs fixés avec sa hiérarchie' (...) les modalités de calcul de cette prime seront susceptibles d'être modifiées chaque année en fonction de l'évolution de la société'.

Il ressort des éléments versés au dossier que M. [V] avait perçu durant les années 2015 à 2018 une prime annuelle supérieure à 12.000 euros.

M. [V] justifie de la fixité et de la continuité de ce déplafonnement pour en avoir bénéficié sur trois années depuis son embauche et non pas seulement à partir du courrier du 7 juillet 2017 (date du courrier susvisé faisant expressément référence à un déplafonnement possible).

Le transfert de société ayant eu lieu en mai 2018, aucun courrier n'a fixé le seuil des objectifs pour le reste de l'année.

L'obligation à laquelle est légalement tenu le nouvel employeur, en cas de transfert d'une entité économique, de maintenir au bénéfice des salariés qui y sont rattachés les droits qu'ils tiennent d'un usage ou d'un engagement unilatéral de l'employeur en vigueur au jour du transfert, justifie que la nouvelle société devait s'engager à maintenir le déplafonnement de la prime variable pour le contrat de M. [V], sauf, en réalité, à modifier le montant de sa rémunération.

Par ailleurs, le changement de la durée du temps de travail par la soumission du salarié à un forfait jours alors qu'il n'en bénéficiait pas dans son contrat d'origine constitue aussi une modification de son contrat de travail qui nécessitait son accord.

3. La modification de l'affectation de son secteur géographique

Le contrat proposé à M. [V] emportait la suppression de son secteur de 11 départements dont celui de sa résidence et ajoutait 6 départements, décalant son activité dans le secteur Centre-Ouest, ce qui l'aurait obligé à effectuer de nombreuses heures de route sans pouvoir rentrer régulièrement chez lui et à fixer son activité principale en région parisienne.

Le contrat de travail de M. [V] du 1er décembre 2014 précisait dans son article III : « Pentland France pourra modifier la taille du secteur selon les nécessités du moment sans que vous puissiez vous y opposer ou prétendre à une indemnité quelconque. Vous vous engagez à maintenir votre domicile au coeur du secteur commercial qui vous est confié ». Ce même article listait les départements constituant le rayon d'action du salarié.

Le nouveau contrat proposé à M. [V] fixe le lieu 'initial d'exercice de l'activité du salarié' et son rattachement administratif à [Localité 6] ne fait plus mention de secteur géographique, l'article 4 précisant toutefois que 'le lieu d'exercice de son activité pourra être modifié sur l'ensemble du territoire français en fonction des nécessités de l'entreprise ou des missions qui lui seront confiées'.

La société reconnaît que le rayon d'action proposé à M. [V] était modifié et justifie sa diminution par l'augmentation des produits à commercialiser, à savoir non seulement le textile, mais en plus les chaussures. Elle confirme avoir supprimé le département de la Gironde mais avoir laissé les départements limitrophes et avoir étendu le secteur du salarié en le rapprochant du siège de l'entreprise. La société explique que les produits commercialisés devaient être plus variés et que les points de ventes ne devaient plus être les mêmes.

Contrairement à ce qu'indique la lettre de licenciement, M. [V] n'avait plus en charge le département de la Gironde, alors qu'il avait son domicile à [Localité 2] et que la fixation de ce dernier 'au coeur' du secteur commercial était une condition de son contrat initial. En supprimant le département de [Localité 2] dans lequel il avait sa résidence, la société a modifié le contrat de travail entraînant un bouleversement dans les conditions de vie personnelle et familiale de l'intéressé, seul le département de la Charente maritime restant limitrophe à celui de la Gironde dans le nouveau champ d'action proposé.

Par ailleurs, le secteur étant une condition d'application du statut des VRP, sa détermination dans le contrat constitue un élément nécessaire que l'employeur ne peut modifier unilatéralement.

La société ne démontre pas que les modifications apportées au contrat de travail de M. [V] étaient rendues nécessaires par l'effet même du transfert de son contrat qui résultaient au contraire d'une volonté unilatérale de l'employeur.

En l'absence de cause économique ayant pu justifier les modifications du contrat de M. [V] et alors que ces modifications portaient sur son statut de VRP, l'aménagement de son temps de travail, les éléments variables de sa rémunération et le secteur géographique de commercialisation, qui nécessitaient l'accord du salarié, le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur les demandes financières liées à la rupture

Le licenciement étant dénué de cause réelle et sérieuse, M. [V] est fondé à solliciter une indemnité comprise entre 3 et 4 mois de salaire mensuel brut.

M. [V] ne produit que ses fiches de paie de juillet et décembre 2016, juillet et décembre 2017, juillet et octobre 2018. Il se base sur sa rémunération annuelle brute de 2017 qui était de 48.085,04 euros, déduction faite de la prime exceptionnelle et de la prime sur objectifs pour solliciter le paiement de la somme de 30.000 euros, représentant plus de 7 mois de salaire à 4.007,08 euros bruts, sollicitant que soit écarté le barème prévu par l'article L. 1235-3 du code du travail en ce qu'il serait contraire à l'article 10 de la convention 158 de l'OIT

La société demande à titre subsidiaire à la cour de limiter l'indemnité à 3 mois de salaire, soit la somme de 12.000 euros.

***

Les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail, qui octroient au salarié, en cas de licenciement injustifié, une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l'ancienneté du salarié permettent raisonnablement l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi, étant observé que celles de l'article L. 1235-3-1 du même code prévoient que, dans des cas limitativement énumérés entraînant la nullité du licenciement, le barème ainsi institué n'est pas applicable.

Le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l'employeur est en outre assuré par l'application, d'office par le juge, des dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail, aux termes desquelles le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé.

Les dispositions des articles L. 1235-3, L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du code du travail sont ainsi de nature à permettre le versement d'une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'OIT et, en conséquence, il n'y a pas lieu d'écarter le barème instauré par l'article L. 1235-3.

*

M. [V] avait 46 ans au moment de la rupture du contrat de travail.

Licencié le 25 juillet 2019, Il justifie avoir perçu des indemnités de chômage de 1.717,09 euros mais pour une période qui ne coïncide pas avec la date du licenciement (de mars à août 2020).

Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à M. [V] (4.007,08 euros), de son âge, de son ancienneté, il convient de fixer à 12.100 euros la somme de nature à assurer la réparation du préjudice subi par M. [V] à la suite de son licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En application des dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail, il sera en outre ordonné le remboursement par l'employeur aux organismes concernés des indemnités de chômage éventuellement versées au salarié depuis son licenciement dans la limite de 6 mois d'indemnités.

Sur la demande au titre de l'indemnité de clientèle

M. [V] sollicite le versement de l'indemnité de clientèle qu'il évalue à la somme de 30.900 euros correspondant aux deux dernières années de commissions.

La société s'y oppose en l'absence de démonstration du préjudice subi, soutenant que M. [V] ne rapporte pas la preuve de la perte pour l'avenir du bénéfice d'une clientèle dont il tirait profit et qu'il aurait apportée, créée et développée personnellement, en augmentant le nombre et la valeur de cette clientèle.

Reprenant les pièces produites par M. [V], elle fait aussi état d'une perte importante de clientèle sur chacune des deux années, de l'absence de certitude que les nouveaux clients qu'il mentionne auraient été apportés personnellement par lui. Elle rappelle enfin que la hausse du chiffre d'affaires peut s'expliquer par d'autres paramètres, dont l'augmentation des prix.

***

Aux termes de l'article L. 7313-13 du code du travail, « en cas de rupture du contrat de travail à durée indéterminée par l'employeur, en l'absence de faute grave, le voyageur représentant ou placier a droit à une indemnité pour la part qui lui revient personnellement dans l'importance en nombre et en valeur de la clientèle apportée, créée ou développée par lui ».

Il résulte de ces dispositions d'une part que lorsque l'employeur prend l'initiative de rompre le contrat de travail d'un VRP et qu'aucune faute grave n'est reprochée à celui-ci, l'indemnité de clientèle est due à celui-ci.

D'autre part, pour prétendre au paiement d'une indemnité de clientèle, le VRP doit démontrer qu'il a apporté, créé ou développé en nombre et en valeur une clientèle sur l'ensemble du secteur.

M. [V] produit plusieurs tableaux :

- le premier (pièce 18) relatif aux résultats de plusieurs salariés, dont M. [V], démontre qu'entre l'automne 2015 et l'automne 2017, l'appelant a dépassé les objectifs qui lui avaient été fixés par l'employeur sur chaque saison réalisant un pourcentage supérieur à ceux-ci de : 110% (automne/hiver 2015), 114% (printemps/été 2016), 104% (printemps été 2016), 112% (ptrintemps/été 2017, 105% (automne/hiver 2017, étant observé que M. [V] précise que, compte tenu de son licenciement il ne dispose pas des chiffres de la période printemps été 2018, la société ne produisant aucune pièce à ce sujet ;

- deux autres tableaux (pièces 24 et 25), constitués par des listings nominatifs des clients de M. [V] permettent de relever :

* l'apport de 20 clients entre 2014 et 2015 et de 22 clients entre 2016 et 2017 dans son secteur géographique,

* l'augmentation du chiffre d'affaires réalisé sur son secteur passé de 401.966 euros en 2014 à 630.636 euros en 2017 soit + 228.670,42 euros.

M. [V] justifie ainsi d'un accroissement en nombre et en valeur de la clientèle de son secteur géographique.

D'une part, l'employeur qui conteste cet accroissement ne verse aux débats aucune pièce de nature à établir que la clientèle dont M. [V] s'attribue la création préexistait à son embauche.

D'autre part, il convient de rappeler que l'indemnité est due même si le développement de la clientèle résulte d'une action conjointe de l'employeur et du VRP.

Par ailleurs,même si les tableaux révèlent la perte de certains clients (21 en 2015, 12 en 2017) et donc du chiffre d'affaires correspondant que la société chiffre à 'environ 50.000 euros dans ses écritures', la balance entre les clients perdus et ceux créés et le chiffre d'affaires réalisé témoigne néanmoins d'un accroissement en nombre et en valeur de la clientèle du secteur géographique de M. [V] par ses efforts personnels.

Ces éléments permettent ainsi de retenir que les conditions prévues par l'article L. 7313-13 sont réunies.

***

Le texte précité précise que le montant de l'indemnité de clientèle tient compte des rémunérations spéciales accordées en cours de contrat pour le même objet ainsi que des diminutions constatées dans la clientèle préexistante et imputables au salarié.

En 2017 et 2018, M. [V] a perçu une prime d'objectif de 15.350 euros soit un total de 30.700 euros en 2017 et a également reçu en décembre 2017 une prime exceptionnelle de 12.000 euros.

Au regard de ces éléments et de ceux relevés ci-avant quant à l'évolution de la clientèle de M. [V], il lui sera alloué la somme de la somme de 18.000 euros en réparation du préjudice lié à la perte partielle de clientèle personnellement démarchée et fidélisée.

Le jugement déféré sera infirmé de ce chef.

Sur la demande relative à l'exécution déloyale du contrat de travail

Au visa de l'article L. 1221-1 du code du travail, M. [V] sollicite la somme de 35.000 euros à titre de dommages et intérêts invoquant les manoeuvres de la société pour lui faire signer le nouveau contrat, ce qui a entraîné une souffrance au travail et l'a placé dans une insécurité quant à son avenir dans la société.

Il produit les échanges de courriels du 30 avril 2018 sur la proposition de nouveaux secteurs et du 3 mai 2018 prenant acte de son refus 'd'intégrer la société Lacoste France et l'équipe des représentants challenger.'

La société conteste toute pression à l'égard du salarié.

En l'absence de production de pièces permettant d'établir la réalité des manquements de l'employeur à son obligation d'exécution de bonne foi, M. [V] sera débouté de sa demande.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur la demande de rappel de prime sur objectifs

Soutenant avoir atteint ses objectifs au moment du licenciement, ayant perçu à ce titre 7.500 euros au titre de la prime sur le premier semestre 2018, mais uniquement 4.000 euros au second semestre, M. [V] sollicite le paiement de la somme de 3.800 euros au titre du solde de la prime annuelle sur objectif de 2018, qu'il évalue à 15.300 euros.

La société fait valoir que la prime semestrielle est versée en janvier et juillet de chaque année, que le préavis de M. [V] ayant pris fin le 25 octobre, il n'a été présent que 3 mois et 25 jours sur les 6 mois du second semestre 2018. Elle expose avoir ainsi proratisé la prime en lui versant la somme de 4.000 euros en octobre 2018. Elle constate par ailleurs que le salarié ne rapporte pas la preuve qu'il aurait rempli ses objectifs à 100% lors du second semestre 2018.

***

La prime constitue la partie variable de la rémunération versée au salarié en contrepartie de son activité de sorte qu'elle s'acquiert au fur et à mesure même si le départ du salarié est antérieur au versement de cette prime.

L'employeur qui a la charge de la preuve de la réalisation des objectifs pour le paiement de la commission ne produit aucune pièce. M. [V] a reçu une prime semestrielle de 7.550 euros en juillet 2018 et 4.000 euros au titre de la prime du second semestre.

Le licenciement étant dénué de cause réelle et sérieuse, il convient de condamner la société à verser à M. [V] la somme de 2.000 euros, soit le solde du montant de la prime qu'il aurait dû percevoir si ces résultats avaient atteint 100% des objectifs.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

La société, qui succombe à l'instance, sera condamnée aux dépens ainsi qu'à payer à M. [V] la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Infirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a débouté M. [V] de sa demande au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail,

Statuant à nouveau des chefs du jugement infirmés,

Dit que le licenciement de M. [V] est dénué de cause réelle et sérieuse,

Condamne la société Lacoste Footwear France à verser à M. [V] les sommes de :

- 12.100 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 18.000 euros au titre de l'indemnité de clientèle,

- 2.000 euros au titre du rappel de la prime d'objectifs pour 2018,

Ordonne le remboursement par la société Lacoste Footwear France aux organismes concernés des indemnités de chômage éventuellement versées à M. [V] depuis son licenciement dans la limite de 6 mois d'indemnités,

Condamne la société Lacoste Footwear France aux dépens ainsi qu'à verser à M. [V] la somme de 4.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés.

Signé par Sylvie Hylaire, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Sylvie Hylaire


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 21/03758
Date de la décision : 06/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-06;21.03758 ?
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