COUR D'APPEL DE BORDEAUX
1ère CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 05 JUILLET 2023
N° RG 20/05113 - N° Portalis DBVJ-V-B7E-L24F
[T] [O]
[X] [O]
S.C.I. PHEDINNE
S.A.R.L. SOFIDENE
c/
S.A. BANQUE CIC SUD OUEST
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la cour : jugement rendu le 19 novembre 2020 par le Tribunal Judiciaire de BORDEAUX (chambre : 5, RG : 16/10953) suivant déclaration d'appel du 20 décembre 2020
APPELANTS :
[T] [O]
né le [Date naissance 2] 1953 à [Localité 9] (81)
de nationalité Française
demeurant [Adresse 6]
[X] [O]
née le [Date naissance 4] 1958 à [Localité 10] (56)
de nationalité Française
demeurant [Adresse 6]
S.C.I. PHEDINNE, agissant poursuites et diligences en la personne de son gérant domicilié es-qualité au siège sis [Adresse 6]
S.A.R.L. SOFIDENE, agissant poursuites et diligences par son représentant légal domicilié en cette qualité au siège sis [Adresse 7]
représentés par Maître Céline GARNIER-GUILLAUMEAU de la SELARL CABINET GARNIER-GUILLAUMEAU, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉE :
S.A. BANQUE CIC SUD OUEST, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège sis [Adresse 5]
représentée par Maître ASENCIO subsitituant Maître Laurent BABIN de la SELARL ABR & ASSOCIES, avocats au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 22 mai 2023 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Emmanuel BREARD, Conseiller, qui a fait un rapport oral de l'affaire avant les plaidoiries,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Président : M. Roland POTEE
Conseiller : Mme Bérengère VALLEE
Conseiller : M. Emmanuel BREARD
Greffier : Madame Véronique SAIGE
En présence de Bertrand MAUMONT, magistrat détaché en stage à la cour d'appel de Bordeaux
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
* * *
EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE
Suivant acte authentique du 18 octobre 2006, la SCI Phedinne, représentée par son gérant M. [T] [O] et ayant pour associés ce dernier, son épouse Mme [X] [N] épouse [O] et la SARL Sofidene, dont les associés sont les époux [O] eux-mêmes, a acquis une maison d'habitation située [Adresse 6] et [Adresse 3] à [Localité 8] au prix de 560 000 euros partiellement financé par un prêt souscrit à hauteur de 500 000 euros auprès de la SA Société bordelaise de crédit industriel et commercial pour un montant de 500 000 euros, remboursable « in fine » après une période de franchise de 143 mois, moyennant l'application d'un taux d'intérêt nominal de 4,5 % et d'un taux effectif global de 4;82 %.
Outre une inscription de privilège sur le immobilier, à titre de garantie du remboursement du prêt, la société Sofidene, représentée par son gérant M. [O], a affecté en nantissement au profit du prêteur, à concurrence de la somme de 340 000 euros en principal, intérêts, commissions, frais et accessoires, le compte titre n° [XXXXXXXXXX01] à ouvrir auprès de la société GSO, avec pour teneur de compte la société bordelaise de CIC, les titres inscrits étant estimés au jour de l'offre de prêt à 400 000 euros.
Reprochant à la société banque CIC Sud Ouest, venant aux droits de la société bordelaise de crédit industriel et commercial, un manquement à son devoir d'information et de mise en garde dans le choix et la gestion risquée d'un portefeuille d'actions ayant conduit à des pertes et à la nécessité de procéder au rachat du crédit, la SCI Phedinne, la société Sofidene, M. [O] et Mme [O] l'ont assignée par acte du 17 octobre 2016 devant le tribunal de grande instance de bordeaux aux fins de voir réparer les préjudices résultant des pertes subies sur le portefeuille financier de la société Sofidene, des frais divers et pénalités de rachat du crédit subis par la SCI Phedinne et le préjudice morale des époux [O].
Par jugement du 19 novembre 2020, le tribunal judiciaire de Bordeaux a :
- déclaré la demande de la SCI Phedinne en restitution des intérêts du prêt souscrit le 18 octobre 2006 irrecevable,
- déclaré la demande de la société Sofidene, en tant qu'elle est relative à la mauvaise gestion de son compte titres par la société banque CIC Sud Ouest, irrecevable,
- déclaré les demandes recevables pour le surplus,
- rejeté l'intégralité des demandes de la SCI Phedinne, de la société Sofidene, des époux [O],
- condamné la SCHI Phedinne, la société Sofidene, les époux [O] in solidum à payer à la société banque CIC Sud Ouest la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SCI Phedinne, la société Sofidene, les époux [O] in solidum aux dépens,
- dit n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire de la décision.
La SCI Phedinne, la société Sofidene, les époux [O] ont relevé appel de ce jugement par déclaration du 20 décembre 2020.
Par conclusions déposées le 5 mai 2023, la SCI Phedinne, la société Sofidene, les époux [O] demandent à la cour de :
- infirmer la décision du tribunal judiciaire de Bordeaux du 19 novembre 2020 en ce qu'elle :
* déclare la demande de la SCI Phedinne en restitution des intérêts du prêt souscrit le 18 octobre 2006 irrecevable,
* déclare la demande de la société Sofidene, en tant qu'elle est relative à la mauvaise gestion de son compte titres par la société banque CIC Sud Ouest, irrecevable,
* rejette l'intégralité des demandes de la SCI Phedinne, de la société Sofidene, des époux [O],
* condamne la SCI Phedinne, la société Sofidene, les époux [O] in solidum à payer à la société banque CIC Sud Ouest la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
* condamne la SCI Phedinne, la société Sofidene, les époux [O] in solidum aux dépens,
Ce faisant,
- condamner la société banque CIC Sud Ouest au paiement de la somme de 175 000 euros en réparation des préjudices subis soit :
* 35 000 euros à verser à la SCI Phedinne,
* 120 000 euros à verser à la société Sofidene,
* 20 000 euros aux époux [O],
- condamner la société banque CIC Sud Ouest, au remboursement à la SCI Phedinne de la somme correspondant aux intérêts perçus et aux frais en absence de justification de ces derniers,
- condamner la société banque CIC Sud Ouest, au paiement de la somme de 6 000 euros soit 2000 euros à chacun des demandeurs à savoir les consorts [O], la société Sofidene et la SCI Phedinne en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux entiers dépens d'instance.
Par conclusions déposées le 2 mai 2023, la société banque CIC Sud Ouest demande à la cour de :
- confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Bordeaux du 19 novembre 2020 en ce qu'il a :
* déclaré la demande de la SCI Phedinne en restitution des intérêts du prêt souscrit le 18 octobre 2006 irrecevable,
* déclaré la demande de la société Sofidene, en tant qu'elle est relative à la mauvaise gestion de son compte titres par la société banque CIC Sud Ouest, irrecevable,
* rejeté l'intégralité des demandes de la SCI Phedinne, de la société Sofidene, des époux [O],
* condamné la SCI Phedinne, la société Sofidene, les époux [O] in solidum à payer à la société banque CIC Sud Ouest la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
* condamné la SCI Phedinne, la société Sofidene, les époux [O] in solidum aux dépens,
Mais l'infirmer en ce qu'il a déclaré les demandes recevables pour le surplus,
Statuant à nouveau,
- déclarer prescrite l'action engagée par la SCI Phedinne, la société Sofidene et les époux [O] à l'encontre de la société banque CIC Sud Ouest par assignation du 17 octobre 2016 et partant, déclarer l'ensemble de leurs demandes irrecevables,
- déclarer que les époux [O] n'ont pas d'intérêt à agir contre la société banque CIC Sud Ouest et déclarer irrecevables leur demande d'indemnisation pour préjudice moral,
- rejeter la SCHI Phedinne, la société Sofidene, et les époux [O] en l'ensemble de leurs demandes,
Subsidiairement,
- débouter la SCI Phedinne, la société Sofidene, et les époux [O] de l'ensemble de leurs demandes,
En toutes hypothèses,
- condamner la SCI Phedinne, la société Sofidene, les époux [O] « in solidum » aux entiers dépens et à la somme de 4 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
L'affaire a été fixée à l'audience rapporteur du 22 mai 2023.
L'ordonnance de clôture a été fixée au 9 mai 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I. Sur la recevabilité des demandes
Les demandes de l'appelants se voient opposer deux séries de moyens de défense tirés de la prescription (A) et du défaut d'intérêt d'agir (B), soit autant de fins de non-recevoir qui, aux termes de l'article 122 du code de procédure civile, tendent à faire déclarer ces demandes irrecevables.
A. Sur la prescription
Aux termes de l'article 2224 du code civil, dans sa version issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Selon une jurisprudence constante la prescription d'une action en responsabilité contractuelle comme extracontractuelle court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu connaissance.
1. Sur les demandes de la SCI Phedinne au titre du prêt in fine
a) Sur la demande relative aux frais liés au rachat de crédit
Les appelants font valoir qu'en raison des manquements de la banque CIC à ses obligations, la société Phedinne a été contrainte de faire racheter son crédit, ce qui lui a occasionné des frais à hauteur de 35.000 euros. Ils soutiennent que le point de départ de la prescription correspond au jour de la réalisation du dommage, soit au moment du rachat du crédit en 2014, et qu'en conséquence cette demande n'est pas prescrite.
L'intimée, au contraire, fait valoir que les règles et principes qui s'appliquent à cette demande ne peuvent être celles des personnes non averties et que le point de départ de la prescription est la date du prêt, de sorte que l'action introduite en 2016 est prescrite.
Sur ce,
Compte tenu des règles de prescription applicables à l'action en responsabilité, qui commandent de fixer le point de départ de la prescription à la date de réalisation du dommage, et ce, quelle que soit la qualité de la victime, il y a lieu de déclarer recevable l'action introduite par assignation du 17 octobre 2016 tendant à réparer un dommage causé dans le courant de l'année 2014.
Le jugement déféré sera donc confirmé sur ce point.
b) Sur la demande relative au remboursement des intérêts et frais
Les appelants exposent que la banque n'a pas remis à la société Phedinne l'offre de crédit définitive du prêt et qu'en conséquence cette dernière n'a pas connaissance des conditions contractuelles du prêt. Au soutien de leur demande tendant au remboursement des intérêts et des frais réglés par la société Phedinne, ils font valoir que leur action n'est pas prescrite, puisque la prescription ne peut commencer à courir à la date d'un acte qui ne leur pas été communiqué et qui n'est pas versé aux débats.
Au contraire, l'intimée fait valoir que le point de départ de la prescription est celui de la date de l'acte notarié constatant le prêt, soit le 18 octobre 2006.
Sur ce,
L'emprunteur qui se prévaut des frais et intérêts réglés au titre d'un prêt comme d'un dommage appelant réparation invoque ce faisant l'existence d'un dommage qu'il ne pouvait méconnaître dès la conclusion du contrat de prêt.
A ce titre, il est indifférent que l'offre de crédit définitive ne soit pas versée aux débats, dès lors que le contrat de prêt n'est pas contesté dans son existence et que dans ses écritures (p.5) l'emprunteur tient pour établi le fait que le prêt a été souscrit le 18 octobre 2006, par le même acte authentique que celui ayant constaté l'acquisition de l'immeuble financé (pièce n° 5 du dossier de l'appelant).
Pour ces motifs, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a déclaré irrecevable la demande de la SCI Phedinne en restitution des intérêts du prêt souscrit le 18 octobre 2006.
2. Sur la demande de la SARL Sofidene au titre du portefeuille
Les appelants, qui soutiennent que le portefeuille d'actions devait permettre de rembourser, à terme, la totalité du capital emprunté et reprochent à la banque ses fautes de gestion continues jusqu'à la fermeture du portefeuille, font valoir que la SARL Sofidene n'a pu prendre toute la mesure du dommage qu'à la clôture du compte titres en 2014.
La société CIC Sud Ouest réplique que la SARL Sofidene agissait en investisseur averti, qu'elle avait donc nécessairement conscience de la violation de l'obligation précontractuelle d'information qu'elle excipe au moment de souscrire la convention de gestion le 21 septembre 2006 et que c'est à cette date que doit être fixé le point de départ de la prescription.
Sur ce,
Il ressort du projet de contrat de prêt (pièce n° 2 du dossier des appelants) que le prêt in fine contracté par la SCI Phedinne était conditionné à la souscription de certaines garanties parmi lesquelles le nantissement d'un compte titre 'à ouvrir' au nom de la société Sofidene, laquelle disposait de parts dans la SCI Phedinne (pièce n° 4 du dossier des appelants), que la souscription de la convention de gestion des comptes titres a été concomitante à celle du prêt (pièce n° 1 du dossier de l'intimée) et que le rachat partiel du crédit a été réalisé au moyen des fonds nantis (pièce n° 9 du dossier des appelants).
La société CIC Sud Ouest reconnaissant de surcroit dans ses écritures l'existence d'un 'montage in fine/nantissement d'actifs', il résulte de l'ensemble de ces éléments que le prêt, le placement et le nantissement doivent être regardés, en l'espèce, comme formant un tout indivisible.
Par conséquent, étant établi que le compte titres était géré dans le but de permettre, à terme, le remboursement du capital emprunté au moyen des valeurs nanties, la prescription afférente à la demande tendant à l'indemnisation du dommage se manifestant dans l'impossibilité de remplir cet objectif commence à courir non pas à la date de conclusion de la convention de gestion conseillée ou aux dates des fautes de gestion prétendues, mais in fine, au moment de rembourser le prêt.
Pour ces motifs, et compte tenu du rachat partiel du crédit opéré en 2014, il n'y a pas lieu de déclarer acquise la prescription de l'action introduite par la société SARL Sofidene en 2016.
Le jugement déféré sera donc réformé en ce qu'il a déclaré la demande de la société Sofidene irrecevable.
3. Sur la demande des époux [O] au titre de leur préjudice moral
M. et Mme [O] excipent, sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle, d'un préjudice moral tenant au fait qu'ils n'auraient pas autant investi dans les travaux de réfection de l'immeuble acquis au moyen du prêt s'ils avaient su que la SCI et la SARL allaient perdre autant d'argent et que le prêt ne pourrait être remboursé grâce au portefeuille d'actions.
En ce qu'ils demandent la confirmation du jugement sur ce point, sans développer de nouveaux moyens, M. et Mme [O] sont réputés s'approprier les motifs du jugement aux termes duquel, compte tenu des manquements reprochés à la banque à l'égard de la société Phedinne, le point de départ de la prescription se situe au jour du remboursement anticipé du prêt.
La société CIC Sud Ouest répond que les travaux en question datent des années 2006-2007 alors qu'aux termes de leurs écritures les époux [O] ont commencé à s'inquiéter vers 2011/2012 et ce, en raison de la crise boursière de juillet/septembre 2011, ce qui devrait marquer le point de départ de la prescription de leur action.
Sur ce,
Compte tenu du lien existant entre le préjudice personnel invoqué par M. et Mme [O] et le dénouement du montage dans lequel ils sont impliqués en leur qualité d'associés de la société emprunteuse et de la société titulaire du portefeuille d'actions adossé à l'opération, il n'y a pas lieu de fixer le point de départ de leur action à une date antérieure à celle du rachat partiel du crédit opéré en 2014.
C'est donc par une appréciation exacte des circonstances de la cause au regard des règles de droit applicables que le premier juge a écarté le moyen tiré de la prescription des demandes de M. et Mme [O].
B. Sur l'intérêt à agir des époux [O]
La société Sud Ouest fait valoir que M. et Mme [O] n'ont pas d'intérêt à agir à titre personnel en ce qu'ils ont fait le choix de constituer la société Phidenne pour acquérir l'immeuble et qu'en conséquence seule cette société a intérêt à agir en réparation des préjudices qui auraient été subis du fait de l'opération, même en termes de préjudice moral.
M. et Mme [O] répondent qu'ils se prévalent d'un préjudice qui leur est propre.
Sur ce,
Aux termes de l'article 31 du code de procédure civile, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.
En l'espèce, M. et Mme [O] se prévalent, en leur qualité d'associés des sociétés impliquées dans l'opération litigieuse, d'un préjudice moral qui leur est propre, distinct du préjudice social découlant directement des manquements invoqués.
Pour ces motifs et ceux qui précédent, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a déclaré recevable la demande d'indemnisation de M. et Mme [O].
II. Sur le fond
A. Sur responsabilité contractuelle de la Société CIC Sud-Ouest
En vertu de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, le débiteur peut être condamné au payement de dommages et intérêts à raison de l'inexécution de l'obligation.
L'article 1148 du même code énonce que les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé, sauf les exceptions et modifications ci-après.
A ce titre, l'article 1151 précise que les dommages et intérêts ne doivent comprendre à l'égard de la perte éprouvée par le créancier et du gain dont il a été privé, que ce qui est une suite immédiate et directe de l'inexécution de la convention.
1. Sur les demandes de la SCI Phedinne
Au soutien de leur demande d'indemnisation des frais exposés par la société Phedinne au moment du rachat du crédit, soit 20.000 euros au titre de l'indemnité de remboursement anticipé, outre 15.000 euros au titre de frais divers, les appelants font valoir que la CIC a accordé à une SCI familiale non avertie un crédit d'un montant de 500.000 euros remboursable in fine sans l'informer, la conseiller et la mettre en garde contre les risques inhérents à un montage complexe consistant à adosser le remboursement d'un prêt immobilier à un portefeuille d'actions géré de manière offensive. Ils lui reprochent également d'avoir imposé à la société Phedinne, en dépit de ces circonstances, le règlement de l'indemnité de résiliation et des frais afférents alors qu'il n'existe aucune convention comportant la signature d'un représentant de ladite SCI permettant de justifier de tels prélèvements et de telles exigences.
En réponse, la société CIC Sud Ouest invoque l'inconsistance des préjudices dont se prévaut la société Phedinne, puisqu'il n'est pas précisé ce que recouvre la somme de 15.000 euros et que la somme de 20.000 euros correspond à des frais de pénalités de rachat prévus par le contrat de prêt. Elle ajoute qu'un tel préjudice ne correspond pas à une perte de chance de ne pas contracter le prêt, qu'il s'agit d'une demande de remboursement de sommes dont le prélèvement est estimé infondé, ce qui ne relève pas d'un défaut de mise en garde. En outre, déniant à l'emprunteur sa qualité de personne non avertie ainsi que le caractère prétendument familial de la SCI Phedinne, elle fait observer que celle-ci a bénéficié d'un prêt professionnel, qu'à ce titre la banque n'était tenue d'aucun devoir de mise en garde ou de conseil, ce d'autant plus que M. [O] disposait des compétences suffisantes en matière financière et immobilière.
Sur ce,
La Cour observe que les appelants ne se prévalent pas d'une perte de chance de ne pas contracter le prêt mais d'une perte économique subie du fait du remboursement anticipé du prêt.
Or, bien que les appelants prétendent que ces versements n'étaient pas justifiés, ils produisent l'acte notarié constatant le prêt (pièce n°5), lequel mentionne expressément la faculté dont dispose l'emprunteur de rembourser totalement ou partiellement le crédit moyennant le règlement d'une indemnité égale à 4% du capital restant dû. En outre, il ressort des échanges entre la banque et M. [O], et notamment du courrier envoyé par celui-ci le 4 juillet 2014 (pièce n° 10), que le remboursement anticipé du prêt a été réalisé sur la seule initiative de M. [O], en sa qualité de gérant.
Il résulte de ces éléments que la société Phedinne se prévaut d'un dommage qui ne résulte pas de la violation d'une quelconque obligation à la charge du banquier dispensateur de crédit, mais de l'exécution du contrat de prêt lui-même, au titre des obligations mises à la charge de l'emprunteur, soit un dommage qui ne peut ouvrir droit à réparation dans les circonstances de l'espèce.
De plus, le devoir de mise en garde ou d'information renforcée supposent pour la banque de contracter avec un emprunteur non-averti. Or, la société Phedinne a pour gérant M. [O], qui, comme le relève à juste raison le premier juge, se présentait à l'époque de la souscription du prêt comme directeur administratif et financier d'une agence immobilière (pièce n° 5) et était titulaire, en juin 2006, d'un compte titres valorisé à plus d'un million d'euros, composé de titres divers, pour l'essentiel des actions (pièce n° 3). Or, ces éléments, ajoutés au fait que la société Phedinne était détenue en majorité par la société Sofedine, elle-même gérée par M. [O], et ayant pour activités principales « prise de participations dans toutes sociétés, fournitures de prestations administratives, financières et commerciales, location d'immeubles » (pièce n° 2 du dossier de l'intimée) suffisent à établir le caractère averti de l'emprunteur, dont les facultés lui permettaient d'apprécier l'opportunité du financement compte tenu du risque lié au prêt in fine et de l'aléa de la rentabilité du placement permettant d'en garantir le remboursement.
Dès lors, c'est par des motifs pertinents que la cour adopte pour le surplus que le premier juge a rejeté les demandes formées pour le compte de la société Phedinne.
Le jugement sera confirmé sur ce point.
2. Sur les demandes de la SARL Sofidene
Au soutien de sa demande d'indemnisation à hauteur de 120.000 euros, la SARL Sofidene fait valoir que la « convention de gestion conseillée » mettait à la charge du CIC une obligation d'information lors de la conclusion du contrat et de son exécution portant sur la gestion la mieux adaptée du portefeuille au vu de l'objectif poursuivi tenant au remboursement du prêt, outre l'obligation de gérer prudemment le portefeuille compte tenu de cet objectif. Elle reproche en conséquence au CIC d'avoir violé une obligation de résultat en s'abstenant de délivrer l'information pertinente et une obligation de moyens en n'assurant pas le suivi et le conseil de gestion du portefeuille. Elle ajoute que le CIC aurait effectué des placements sans ordre en ce sens, excédant ainsi les termes de la convention.
La société CIC Sud Ouest répond que la SARL Sofidene détermine son préjudice à hauteur de l'intégralité d'une perte qu'elle aurait subie alors qu'elle ne peut prétendre qu'à une perte de chance, qu'en l'occurrence cette perte de chance n'est pas certaine puisque le compte a été clôturé avant le terme du prêt. Elle ajoute que M. [O], en tant que gérant de la société, a été destinataire des relevés d'information et des avis d'opéré qu'elle verse à son dossier, que la convention ne constituait pas un mandat de gestion de sorte que M. [O] conservait la pleine et entière initiative des opérations, qu'en tout état de cause une rentabilité était recherchée, ce qui supposait des supports dits offensifs, étant observé qu'en fonction de l'évolution de la situation financière, le portefeuille a connu une composition plutôt offensive, équilibrée ou défensive, en générant en somme, sur la période 2006-2014 un montant brut de plus-values de 112.066,77 euros.
Sur ce,
Pour évaluer leur préjudice à 120.000 euros, les appelants expliquent tantôt que ce montant correspond à une perte de valeur du portefeuille (pp. 35, 45), tantôt qu'il correspond à une perte de chance de « pouvoir grâce à une gestion saine et équilibrée du portefeuille d'actions de la société Sofidene, rembourser le prêt in fine souscrit par la société Phedinne » (pp. 11 et 43).
Premièrement, s'agissant de la perte de valeur du portefeuille, la cour constate, à partir des relevés des avoirs produit par la banque (pièce n° 16) que le portefeuille d'actions Sofidene 02 était estimé au moment de la souscription du prêt, le 30 septembre 2006, à 351.772,94 euros, que sa valeur a fluctué atteignant 417.517,34 euros le 30 juin 2007 pour descendre à son seuil le plus bas de 262.005,71 le 31 décembre 2008 et pour finalement être liquidé à hauteur de 335.738,66 euros suivant relevé du 31 décembre 2013.
Or, force est de constater que la « convention de gestion conseillée » souscrite le 21 septembre 2006 (pièce n° 1 du dossier de l'intimée) définit principalement les modalités de gestion par la société Sofidene elle-même de son portefeuille d'actions sans lui garantir de résultat. Elle permet à son gérant de transmettre des ordres de bourse et de s'entretenir avec un conseiller boursier, étant précisé, selon les termes du contrat, que « le client conserve la pleine et entière initiative de la gestion de son portefeuille » et que la banque « ne souscrit dans le cadre des présentes aucun mandat de gestion ni aucun engagement de performance ».
Au vu de ces stipulations claires, dont il ressort que la société CIC n'a pas vocation à répondre des pertes du portefeuille, la société Sofidene n'est pas fondée à reprocher à la banque une quelconque « faute de gestion ». En outre, si elle soutient que la société CIC a effectué des placements sans ordre en ce sens, elle n'en rapporte pas la preuve, alors qu'inversement il n'incombe pas à la banque de rapporter la preuve des instructions reçues, dès lors qu'il est précisé dans la convention que « le client a demandé à la banque de pouvoir transmettre par téléphone ses ordres de bourse à destination du conseiller boursier, avec dispense de confirmation écrite ». Enfin, si la banque ne peut totalement s'exonérer de sa responsabilité au titre des conseils qu'elle délivre, elle ne peut toutefois être tenue responsable des pertes du portefeuille que s'il est établi qu'elle a dispensé des conseils inadaptés à la situation dont elle avait connaissance, or cette preuve n'est pas non plus rapportée.
Deuxièmement, s'il est avéré que la société CIC Sud Ouest ne justifie pas avoir délivré de conseils sur les méthodes de gestion du portefeuille ou même d'informations sur le risque encouru par la SARL et la SCI de ne pas disposer au terme prévu des fonds permettant de rembourser le prêt contracté, la perte de chance aujourd'hui invoquée n'est pas pour autant certaine dès lors que M. [O] a décidé, en sa qualité de gérant des personnes morales impliquées dans l'opération, de dénouer celle-ci plus tôt que prévu, en remboursant partiellement le crédit au moyen des sommes dégagées par le compte-titres au début de l'année 2014 alors que le prêt in fine ne devait être soldé qu'à la fin de l'année 2018. En ce sens, il n'est pas justifié d'un préjudice actuel.
De plus, la perte de chance de choisir un mode de financement plus favorable ne peut s'apprécier que par rapport au mode de financement qui aurait dû être conseillé. Or, alors que la société Sofidene disposait d'un compte titres valorisé 1.148.035,26 euros en juillet 2006, qui aurait pu être employé à l'acquisition du bien, M. [O] a préféré recourir à l'emprunt, et il a souscrit un prêt in fine d'un montant de 500.000 euros adossé à un compte-titres qui n'était valorisé que 351.772,94 euros. Au vu de cette configuration, une plus-value importante était nécessairement attendue afin de pouvoir solder le prêt, à terme, au moyen dudit compte-titres, soit un objectif qui n'apparaît pas incompatible avec la gestion offensive et donc risquée, critiquée aujourd'hui par M. [O]. Au surplus, au regard des ressources dont disposait la SARL Sofidene, associée majoritaire de la SCI Phedinne, le risque d'une impossibilité de régler le prêt à échéance, même en cas de baisse de la valeur des placements, apparaissait comme faible.
Pour ces motifs, les appelants seront déboutés de leur demande visant à voir condamnée la Banque CIC Sud Ouest à verser à la SARL Sofidene la somme de 120.000 euros.
B. Sur la responsabilité extracontractuelle de la société CIC Sud Ouest
L'article 1382 du code civil, dans sa version applicable aux faits de l'espèce, énonce que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
L'article 1383 du code civil du même code précise que chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.
Toutefois, le tiers au contrat qui établit un lien de causalité entre un manquement contractuel et le dommage qu'il subit n'est pas tenu de démontrer une faute délictuelle ou quasi délictuelle distincte de ce manquement (Cass. Ass. Plén. 13 janv. 2020, n° 17-19.963).
En l'espèce, au soutien de leur demande d'indemnisation de leur préjudice moral, M. et Mme [O] produisent des factures établies à leurs noms, correspondant à des travaux réalisés dans le bien immobilier acquis au moyen du prêt.
Outre que ces éléments tendent à établir l'existence d'un préjudice économique et non l'atteinte à des valeurs non pécuniaires typique du préjudice moral, le fait est qu'aucun manquement de la société CIC n'a été retenu, de sorte que M. et Mme [O], en leur qualité de tiers intéressés aux contrats litigieux, ne peuvent prétendre à aucune indemnisation résultant du montage objet de la présente procédure.
Le jugement sera confirmé sur ce point.
III. Sur les dépens et les frais irrépétibles
Les appelants qui succombent seront condamnés in solidum au règlement des dépens de l'instance d'appel, en application de l'article 696 du code de procédure civile.
L'équité commande en outre de les condamner in solidum à indemniser la société CIC de ses frais irrépétibles exposés en appel à hauteur de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Confirme le jugement, sauf en ce qu'il a déclaré la demande de la SARL Sofidene, en tant qu'elle est relative à la mauvaise gestion de son compte titres par la S.A. Banque CIC Sud Ouest, irrecevable, tout en la déboutant sur le fond,
Statuant à nouveau dans cette limite,
Déclare la demande formée pour le compte de la SARL Sofidene recevable,
Rejette ladite demande,
Y ajoutant,
Condamne in solidum la SCI Phedinne, la SARL Sofidene, M. [T] [O] et Mme [X] [N] épouse [O] aux dépens,
Condamne in solidum la SCI Phedinne, la SARL Sofidene, M. [T] [O] et Mme [X] [N] épouse [O] in solidum à verser à la Banque CIC Sud Ouest la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par Madame Bérengère VALLEE, conseiller, en remplacement de Monsieur Roland POTEE, président, légitimement empêché, et par Madame Véronique SAIGE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Président,