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05/07/2023 | FRANCE | N°20/03285

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 05 juillet 2023, 20/03285


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



--------------------------







ARRÊT DU : 5 JUILLET 2023







PRUD'HOMMES



N° RG 20/03285 - N° Portalis DBVJ-V-B7E-LVVB













Madame [M] [V] [X]



c/



S.A.S.U. GLOBAL BUSINESS TRAVEL FRANCE

















Nature de la décision : AU FOND















Grosse délivr

ée le :



à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 14 août 2020 (R.G. n°F 18/00216) par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de BORDEAUX, Section Encadrement, suivant déclaration d'appel du 07 septembre 2020,





APPELANTE :

Madame [M] [V] [X] née [G]

née le 11 Mars 1961 à [...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 5 JUILLET 2023

PRUD'HOMMES

N° RG 20/03285 - N° Portalis DBVJ-V-B7E-LVVB

Madame [M] [V] [X]

c/

S.A.S.U. GLOBAL BUSINESS TRAVEL FRANCE

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 14 août 2020 (R.G. n°F 18/00216) par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de BORDEAUX, Section Encadrement, suivant déclaration d'appel du 07 septembre 2020,

APPELANTE :

Madame [M] [V] [X] née [G]

née le 11 Mars 1961 à [Localité 3] de nationalité Française

Profession : Chef de projet, demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Julie MENJOULOU, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE :

SASU Global Business Travel France, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 1]

N° SIRET : 304 475 338

représentée par Me Annie TAILLARD de la SCP ANNIE TAILLARD AVOCAT, avocat au barreau de BORDEAUX, assistée de Me Sophie DECAU substituant Me Thomas LESTAVEL de l'AARPI EUNOMIE AVOCATS, avocats au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 mai 2023 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente chargée d'instruire l'affaire et Madame Sylvie Tronche, conseillère,

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère

Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

***

EXPOSE DU LITIGE

Madame [M] [V] [X], née en 1961, a été engagée en qualité de chef de projet par la SASU Global Business Travel France, par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 6 avril 2010 avec reprise de son ancienneté acquise auprès de son précédent employeur Carlson Wagon Lit Travel, remontant au 22 novembre 1999.

A compter du 29 octobre 2013, Mme [X] a travaillé en télétravail à domicile.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des agences de voyage et de tourisme.

A compter du 4 juin 2016, Mme [X] a été placée en arrêt maladie jusqu'au 3 juillet 2016. Cet arrêt a été prolongé et Mme [X] n'a jamais repris le travail.

Le 2 octobre 2017, le médecin du travail a rendu cet avis : "Inapte définitive à son poste et tout maintien du salarié dans l'emploi serait gravement préjudiciable à sa santé selon l'article R.4624-42 du code du travail. Une étude de poste et échange avec l'employeur fait".

Le 9 octobre 2017, la société Global Business Travel France a informé Mme [X] de l'absence de reclassement possible conformément à l'avis du médecin du travail.

Par lettre datée du 16 octobre 2017, Mme [X] a été convoquée à un entretien préalable fixé au 27 octobre 2017.

Mme [X] a ensuite été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement par lettre datée du 7 novembre 2017.

A la date du licenciement, Mme [X] avait une ancienneté de 17 années et la société occupait à titre habituel plus de dix salariés.

Contestant à titre principal la validité (action en nullité du licenciement) et à titre subsidiaire la légitimité de son licenciement (action en contestation de la cause réelle et sérieuse) et réclamant diverses indemnités, outre des dommages et intérêts pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse, exécution de mauvaise foi du contrat de travail, remise tardive des documents de fin de contrat, un rappel de salaire et la remise sous astreinte des documents de fin de contrat et des bulletins de paie rectifiés,

Mme [X] a saisi le 15 février 2018 le conseil de prud'hommes de Bordeaux qui, par jugement de départage rendu le 14 août 2020, a :

- débouté Mme [X] de ses demandes,

- la condamnée aux dépens.

Par déclaration du 7 septembre 2020, Mme [X] a relevé appel de cette décision, notifiée le 21 août 2020.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 21 décembre 2021, Mme [X] demande à la cour de :

- infirmer le jugement de départage prononcé le 14 août 2020 par le conseil de prud'hommes de Bordeaux en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes tendant à voir : * juger son licenciement nul et/ou dépourvu de cause réelle et sérieuse sur le fondement des dispositions des articles L.1152-3, L. 1222-1 et L.4121-1 du code du travail (violation de l'obligation de sécurité de résultat), * juger son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse sur le fondement des dispositions de l'article L.1226-2 du Code du Travail (violation de l'obligation de reclassement),

* condamner la société Global Business Travel France au paiement des sommes suivantes : .7.000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution de mauvaise foi du contrat,

.2.000 euros à titre de dommages et intérêts pour remise tardive des documents de fin de contrat,

.65.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul / sans cause réelle et sérieuse,

.10.544,31 euros bruts au titre du préavis,

.1.054,43 euros bruts de congés payés sur préavis,

.3.482,89 euros bruts au titre des 22 jours de congés payés,

* ordonner la remise sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter d'un délai de 15 jours suivant la notification du jugement des documents de fin de contrats rectifiés et bulletins de salaire en particulier sur la date de naissance et de l'ancienneté,

* condamner la société Global Business Travel France au paiement d'une indemnité de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens,

- infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée aux dépens,

Statuant à nouveau,

- juger que son licenciement est nul / dépourvu de cause réelle et sérieuse sur le fondement des dispositions des articles L.1152-3 (harcèlement moral), L.1222-1 (violation de l'obligation d'exécution loyale et de bonne foi du contrat de travail) et L.4121-1 du code du travail (violation de l'obligation de sécurité de

résultat),

- juger que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse sur le fondement des dispositions de l'article L.1226-2 du code du travail,

- condamner la société Global Business Travel France au paiement des sommes suivantes : * 7.000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution de mauvaise foi du contrat,

* 2.000 euros à titre de dommages et intérêts pour remise tardive des documents de fin de contrat,

* 65.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 10.544,31 euros bruts au titre du préavis,

* 1.054,43 euros bruts de congés payés sur préavis,

* 3.482,89 euros bruts au titre des 22 jours de congés payés,

- ordonner la remise sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter d'un délai de 15 jours suivant la notification de l'arrêt des documents de fin de contrats rectifiés et bulletins de salaire en particulier sur la date de naissance et de l'ancienneté,

- débouter la société Global Business Travel France de l'ensemble de ses demandes et en particulier de ses demandes additionnelles (article 700 et dépens),

- condamner la société Global Business Travel France au paiement d'une indemnité de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 8 janvier 2021, la société Global Business Travel France demande à la cour de':

- la recevoir en ses conclusions et l'y déclarer bien-fondée,

- confirmer le jugement rendu par la formation de départage du 14 août 2020,

En conséquence,

- dire que Mme [X] ne présente aucun élément de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral,

- dire qu'elle était dispensée de son obligation de reclassement,

- dire qu'elle a respecté son obligation de sécurité,

- dire que le licenciement pour inaptitude d'origine non-professionnelle de Mme [X] est fondé,

- dire que Mme [X] ne démontre une quelconque exécution déloyale du contrat de travail par elle,

En conséquence,

- débouter Mme [X] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

A titre additionnel:

- condamner Mme [X] à lui verser la somme de 2.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mme [X] aux éventuels dépens de l'instance.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'à la décision déférée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Mme [X] reproche à l'employeur de lui avoir fait subir un harcèlement moral et d'avoir manqué à son obligation de sécurité. Elle demande de dire que son licenciement pour inaptitude est nul sinon dépourvu de cause réelle et sérieuse et demande paiement de dommages et intérêts à ce titre et pour exécution déloyale du contrat de travail.

le harcèlement moral et l'obligation de sécurité

Mme [X] fait valoir pour l'essentiel qu'elle a été victime de harcèlement moral, que l'employeur n'a pris ni les mesures préventives ni les mesures curatives nécessaires en dépit de sa connaissance de la charge de travail de ses salariés et du stress qui en est résulté.

L'employeur tenu à une obligation de sécurité, doit assurer la protection et la santé des travailleurs dans l'entreprise et notamment prévenir les faits de harcèlement moral.

Dès lors que les faits sont avérés, la responsabilité de l'employeur est engagée, ce dernier devant répondre des agissements des personnes qui exercent de droit ou de fait une autorité sur les salariés.

Aux termes de l' article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Aux termes de l' article L. 1154-1 du code du travail, en cas de litige, si le salarié présente des faits qui permettent de présumer l'existence d' un harcèlement, au vu de ces éléments, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d' un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il revient au juge de dire si les faits présentés par le salarié, pris dans leur ensemble, en ce compris les éléments médicaux, laissent présumer l'existence d'un harcèlement moral.

Mme [X] produit :

- son évaluation de la fin de l'année 2015 qui mentionne des points positifs (augmentation des revenus, enquête qualité, objectifs GSR, PMF, TSF, référant client). L'évaluation globale est cependant mitigée (" répond à la plupart des attentes, important d'avancer avec la nouvelle organisation,"). Les trois évaluations antérieures étaient très favorables (" bon travail et bons résultats tout au long de l'année... merci de ton implication, un travail sans faille et tu as toute ma confiance... merci pour ta volonté de toujours progresser, experte dans ton travail... engagement au sein d'AMEX qui contribue à l'atteinte des objectifs") et l'ancien directeur de la société Air liquide atteste de la grande qualité du travail effectué par Mme [X]. Aucune doléance de clients n'est produite pour justifier la baisse de compétence de la salariée.

Cet élément de fait sera retenu.

Par ailleurs, Mme [B] écrit :" tu as mentionné d'envisager ta mutation, ce qui n'est pas aujourd'hui une preuve d'engagement", alors qu'il ne peut être reproché à une salariée d'envisager une mutation pour des raisons personnelles ou professionnelles.

Cet élément de fait sera retenu.

- pour établir la réalité des propos tenus lors d'une réunion téléphonique collective en date du 19 avril 2016 au cours de laquelle plusieurs salariés de l'équipe VIP, dont elle même, ont été invectivés par le directeur des ressources humaines et le directeur commercial (" équipe qui vit dans le formol", " travail et qualité de service de merde"):

*un mail qu'elle a transmis le 25 avril 2016 à Mme [J], représentante du personnel, dans les termes suivants " depuis la réunion du 19 avril dernier, avec [I],/ [Y]/ RH, j'ai beaucoup réfléchi et ne serai pas contre une demande de mutation dans un autre service car je suis atterrée par les propos entendus à l'encontre de l'équipe VIP et ne pense pas pouvoir tenir longtemps face à la pression " ;

*un mail de Mme [J], daté du 2 mai 2016 à destination de plusieurs salariés dont Mme [X] et M. [U] : la représentante du personnel a informé la direction de ce que les salariés de l'équipe VIP étaient choqués par " cette réunion" relevant d'une méthode violente de remise en cause de leurs engagement et de leurs compétences. La direction a opposé que ce n'était pas son objet et qu'il était nécessaire que chacun s'interroge sur son action personnelle. Des entretiens individuels ont été prévus.

*l'attestation de M. [U], lui aussi salarié de l'équipe VIP, et selon lequel ,lors d'une réunion téléphonique organisée le 19 avril 2016 par Mme [B] (N+1), à laquelle participaient tous les collaborateurs de ce service, le directeur des ressources humaines et le directeur commercial, ces derniers avaient tenu des propos tels que " équipe qui vit dans le formol" et " travail et service de merde"." Les salariés ont été choqués et convoqués à des entretiens individuels téléphoniques durant lesquels ils devaient confirmer leur engagement à vouloir continuer à travailler au service VIP."

Le rédacteur ajoute qu'après son entretien, Mme [X] l'a informé que le directeur des ressources humaines et Mme [S] lui avaient demandé avec insistance de dénoncer ses (soit-disant) retards répétés, ce qu'elle a refusé ; M. [U] rapporte ici les dires de sa collègue qui ne produit pas d'autre élément les corroborant.

Il reste que les propos tenus lors de la réunion téléphonique du 19 avril 2016, rapportés par Mme [X] et M. [U] n'étaient pas respectueux de salariés, peu important les éventuelles doléances de clients.

Cet élément de fait sera retenu.

- des messages électroniques établissant que Mme [B] a refusé à Mme [X], au cours du mois de mai 2016, d'écourter de trente minutes son temps de travail pour aller consulter un médecin gynécologue avec lequel un rendez vous avait été pris depuis plusieurs semaines. La mère de Mme [X] était décédée d'un cancer des ovaires, sa soeur a dû soigner un cancer du sein et des analyses étaient nécessaires qui ont ensuite été défavorables et qui ont nécessité, en urgence, une intervention gynécologique importante. En dépit des précisions qui lui avaient été données, la supérieure hiérarchique a maintenu son refus.

Cet élément de fait sera retenu.

- les prescriptions d'anxiolytiques et de somnifères, les arrêts de travail à compter du 4 juin 2016, des certificats des praticiens constatant un état dépressif avec idées suicidaires, un risque de passage à l'acte, une décompensation dépressive sévère, une asthénie physique et psychologique, des ruminations anxieuse et l'absence d'antécédents personnels psychiatriques. Elle verse aussi le rapport d'un médecin hospitaliser d'un service de médecine du travail confortant ces informations.

Ces éléments de fait seront retenus.

Si le refus d'accorder à Mme [X] un aménagement d'horaire et des dates de congés soumis à l'appréciation de la direction ne sont pas des éléments utiles , la cour estime que les éléments sus examinés, pris dans leur ensemble, laissent présumer l'existence d' un harcèlement moral.

Il revient à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d' un harcèlement et sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

La société fait valoir que Mme [X] avait des problèmes personnels (décès de sa mère) - et gynécologiques, que des tensions et des conflits ne caractérisent pas un harcèlement moral, que le nom des personnes l'ayant harcelée n'est pas connu, que preuve n'est pas rapportée de certains faits tels que les propos tenus lors de la réunion téléphonique du 19 avril 2016, que le manque d'engagement mentionné dans la notation de fin 2015 résultait du fait que Mme [X] a ensuite renoncé à sa demande de mutation, enfin, qu'elle a exercé son pouvoir de direction.

Il a été dit que les mails et attestation établissent que Mme [X], ainsi que les autres salariés du service avaient entendu les propos tenus par le directeur des ressources humaines et le directeur commercial de sorte que l'absence de preuve et de précision de noms alléguée par la société est inopérante. Ces propos ne relèvent pas de l'usage normal du pouvoir de direction de l'employeur, y compris en présence de tensions et ne sont justifiés par aucun élément objectif.

S'agissant de la mention - dans l'évaluation de la fin d'année 2015 - que la demande de mutation de la salariée n'était pas une preuve de son engagement, l'explication donnée par l'employeur que Mme [X] a sollicité cette mutation à cause d'une période difficile correspondant au décès de sa mère ou que l'abandon de cette demande pouvait être interprété comme un défaut de détermination, n'est pas convaincante, aucun désengagement objectif n'étant établi.

L'employeur ne peut justifier le caractère objectif de son refus d'autoriser une salariée, ayant prévu depuis des semaines un rendez vous médical compatible avec les plannings alors établis et justifié par des éléments médicaux familiaux non discutés, à honorer ce rendez vous. La société ne peut valablement opposer des nécessités de service, d'ailleurs non établies, ni opposer un planning modifié. Il s'agit ici d'un dévoiement du pouvoir de direction de l'employeur.

Aucune explication objective n'est apportée à l'évaluation globale négative mentionnée dans la notation de la fin de l'année 2015.

Les pièces médicales établissent l'altération de l'état de santé concomitant de la dégradation des conditions de travail.

Mme [X] a été victime d'agissements répétés de harcèlement moral ayant eu pour effet ou pour objet une dégradation de ses conditions de travail ayant porté atteinte à ses droits ou à sa dignité, altéré sa santé physique ou mentale.

L'employeur doit assurer la protection et la santé des travailleurs dans l'entreprise et notamment prévenir les faits de harcèlement moral. Il manque à son obligation de sécurité dès lors que ce dernier est avéré. La société ne produit pas de pièce établissant qu'elle a pris des mesures destinées à empêcher des agissements caractérisant un harcèlement moral.

Le règlement intérieur versé en pièce 25 par la société comporte des dispositions relatives aux harcèlements mais il n'est pas daté. Le document unique d'évaluation des risques professionnels a été rédigé le 26 janvier 2017 alors que Mme [X] était en arrêt de travail depuis le mois de juin 2016 et que, dès le 31 mars 2016, les salariés avaient informé la direction des causes de la surcharge de travail générant une fatigue nerveuse et la peur constante de faire des erreurs. Leur note, très précise, exposait les raisons de cette situation : l'accueil de nouveaux clients et des outils défectueux. Ces salariés du service VIP sollicitaient la mise en place de solutions internes (création de petits modules dédiés, de vraies réunions d'équipe, augmentation des effectifs). Un autre message électronique très précis a suivi le 15 avril 2016 et la cour ne lit pas de réponse de la direction, les seuls termes connus de la réunion téléphonique du 19 avril 2016, sus évoqués, n'étant pas constructifs.

La société a manqué à son obligation de sécurité et exécuté le contrat de travail de Mme [X] de manière déloyale.

Au regard de la gravité des manquements, le préjudice subi par Mme [X] sera indemnisé à hauteur de la somme de 3 000 euros.

Le jugement sera réformé de ce chef.

le licenciement pour inaptitude

L'avis d'inaptitude délivré par le médecin du travail le 2 octobre 2017 est ainsi rédigé : " inapte définitive à son poste et tout maintien de la salarié dans l'emploi serait gravement préjudiciable à sa santé".

Les faits dénoncés par Mme [X] sont datés de la fin de l'année 2015 (évaluation de fin d'année) jusqu'à la date de son arrêt de travail soit le 4 juin 2016.

Mme [X] a dû suivre un traitement médicamenteux - anxiolytiques et somnifères - dès le 21 avril 2016, soit deux jours après la réunion téléphonique du 19 avril 2016. Elle a été placée en arrêt de travail de manière ininterrompue depuis le 4 juin 2016. Plusieurs arrêts indiquent un syndrome dépressif avec troubles anxieux et de sommeil. Le médecin psychiatre confirme la dégradation de l'état de santé de la patiente et exclut tout antécédent psychiatrique. Le rapport d'expertise du médecin de l'organisme de prévoyance indique que Mme [X] n'est pas apte à reprendre son travail. Le compte rendu du service hospitalier de médecine du travail fait état d'une anxiété importante et de la peur de la patiente de ne plus pouvoir revenir dans l'entreprise.

La société répond que, si la salariée avait été victime de harcèlement moral, le médecin du travail aurait préconisé un reclassement dans une autre division ou une autre société du groupe, sans contact avec sa supérieure hiérarchique.

Elle dit aussi que les praticiens médicaux, non présents de l'entreprise ne peuvent valablement opéré de lien entre les conditions de travail ou le harcèlement moral et l'état de santé de la salariée, le médecin traitant n'ayant pas procédé à une étude de poste.

Cependant, l'avis d'inaptitude indique qu'une étude de poste a été réalisée par le médecin du travail. Ensuite, la supérieure hiérarchique directe de Mme [X] n'était pas la seule supérieure hiérarchique à l'origine du harcèlement moral, les propos tenus lors de la réunion téléphonique du 19 avril 2016 émanant du directeur des ressources humaines et du directeur commercial, de sorte que l'employeur ne peut valablement arguer de la possibilité qui aurait été ouverte au médecin du travail de proposer une autre affectation interne en cas de harcèlement moral.

Si les médecins traitant et psychiatre et le service hospitalier de médecine du travail ont repris les doléances exprimées par la salariée, la cour constate que

la référence à l'intervention chirurgicale gynécologique subie par Mme [X] n'est pas évoquée en tant qu'origine de la pathologie génératrice des arrêts de travail et de l'inaptitude.

Enfin, la notification du refus de la caisse de sécurité sociale de reconnaître le caractère professionnel de la pathologie, précise bien que celle-ci n'est pas inscrite aux tableaux des maladies professionnelles.

Compte-tenu de ces éléments, la cour retiendra que l'inaptitude à l'origine du licenciement de Mme [X] était la conséquence du harcèlement moral subi et que la rupture du contrat de travail produit les effets d'un licenciement nul.

Le préjudice en résultant doit être réparé.

Mme [X] fait valoir qu'elle était âgée de 56 ans à la date de la rupture de la relation contractuelle, qu'elle est arrivée en fin de droits du Pôle Emploi en juin 2021 et devra attendre jusqu'en avril 2023 pour faire valoir ses droits à la retraite enfin, qu'elle perçoit seulement une pension d'invalidité de 1581 et un complément de 300 euros de l'organisme de prévoyance.

En vertu des dispositions de l'article L.1235-3-1 du code du travail, l'indemnisation ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

La société devra réparer le préjudice subi par Mme [X] en raison de son licenciement nul. Compte tenu de l'ancienneté de Mme [X] (17 années), de son âge ne lui permettant pas de retrouver un emploi, des circonstances de la rupture et de sa rémunération, Mme [X] sera indemnisée à hauteur de la somme de 35 000 euros.

l'indemnité compensatrice de préavis

En application des dispositions conventionnelles, la société sera condamnée à payer à Mme [X] la somme de 10 544,31 euros majorée des congés payés afférents (1 054,43 euros).

l'indemnité compensatrice de congés payés

Mme [X] demande paiement de 22 jours de congés payés au regard du bulletin de paye du mois de novembre 2017.

La société répond que les 22 jours de congés payés litigieux ont été pris en cours de procédure de licenciement avec maintien du salaire et que les 30 autres jours ont fait l'objet d' indemnités compensatrices.

Le bulletin de paye du mois d'octobre 2017 mentionne 51,29 jours de congés payés arrondis à 52.

Le bulletin de paye du mois de novembre 2017 indique :

- le maintien du salaire pour les 22 jours de congés payés pris pendant la procédure de licenciement ;

- le paiement d'une indemnité compensatrice de congés payés de 3 187,40 euros ;

- le paiement d'une indemnité compensatrice de congés payés de 796,85 euros,

- le paiement d'un reliquat de congés payés de 796,85 euros.

Mme [X] a été remplie de ses droits et le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a déboutée de ce chef.

la délivrance des documents de fin de contrat

Mme [X] fait valoir que ces documents lui ont été délivrés avec retard en dépit de son insistance, que les pièces comportaient des erreurs qui n'ont pas été rectifiées et que le Pôle Emploi n'a procédé à son inscription que le 4 janvier 2018.

La société répond que Mme [X] ne démontre pas l'existence d'un préjudice et que le retard était dû aux diligences du prestataire, les deux erreurs de typologie portant sur son nom ( [G] / [G]) et sa ville de naissance - ([Localité 3]) n'ayant pas empêché la prise en charge par le Pôle Emploi.

Les documents de fin de contrat doivent être remis sans délai. Mme [X] a été licenciée le 7 novembre 2017 et il n'est pas contesté qu'elle les a reçus le 29 novembre suivant. L'indication des jours de congés payés ne constituait pas une erreur. La date de transmission des documents permettait à la salariée d'honorer le rendez vous pris avec le Pôle Emploi le 11 décembre suivant. Dans ces conditions, le préjudice subi par Mme [X] résulte de la nécessité dans laquelle elle a été de solliciter à deux reprises la comptable de la société et de la non délivrance de documents rectifiés.

La société sera condamnée à payer à Mme [X] la somme de 100 euros à ce titre. Le jugement sera infirmé de ce chef.

La société devra aussi délivrer à Mme [X] des documents rectifiés ( nom patronymique et de la ville de naissance, bulletin de paye) dans le délai de deux mois à compter de la signification de l'arrêt sous astreinte de 30 euros par jour de retard passé ce délai,

Vu l'équité, la société devra verser à Mme [X] la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles.

Partie perdante, la société supportera la charge des entiers dépens des procédures de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

la cour,

Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté Mme [X] de sa demande de paiement d' une indemnité compensatrice de congés payés;

statuant à nouveau des autres chefs,

Condamne la société Global Business Travel France à payer à Mme [X] la somme de 3 000 euros pour exécution déloyale du contrat de travail,

Dit que le licenciement de Mme [X] est nul,

Condamne la société Global Business Travel France à payer à Mme [X] les sommes suivantes :

*35 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;

*10 544,31 euros et 1 054,43 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents,

*100 euros au titre de la délivrance tardive des documents de rupture ;

Ordonne à la société Global Business Travel France de délivrer à Mme [X] les documents de fin de contrat rectifiés (lieu de naissance, nom, bulletin de paye) conformément au présent arrêt dans le délai de deux mois à compter de la signification de l'arrêt sous astreinte journalière de 30 euros passé ce délai,

Condamne la société Global Business Travel France à payer à Mme [X] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Global Business Travel France à supporter la charge des entiers dépens des procédures de première instance et d'appel.

Signé par Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Catherine Rouaud-Folliard


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 20/03285
Date de la décision : 05/07/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-07-05;20.03285 ?
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