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27/06/2023 | FRANCE | N°20/04959

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, 1ère chambre civile, 27 juin 2023, 20/04959


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



1ère CHAMBRE CIVILE



--------------------------







ARRÊT DU : 27 JUIN 2023



EB





N° RG 20/04959 - N° Portalis DBVJ-V-B7E-L2OY









Société AGASAAT GMBH SOCIETE DE DROIT ALLEMAND



c/



[I] [V] épouse [L]

[X] [L]

[H] [Y]

[R] [Y]

[D] [L]

S.A.S. LA JARDINERIE DES GRAVES

CPAM DE [Localité 13]

Société ORGANIC GREEN CO

Société BRANDED GARDEN PRODUCTS LIMITED

(anciennement THOMPSON & MORGAN (UK) LIMITED)

Mutuelle MGEN DE [Localité 13]























Nature de la décision : AU FOND





















Grosse délivrée le :



aux avocats

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 0...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

1ère CHAMBRE CIVILE

--------------------------

ARRÊT DU : 27 JUIN 2023

EB

N° RG 20/04959 - N° Portalis DBVJ-V-B7E-L2OY

Société AGASAAT GMBH SOCIETE DE DROIT ALLEMAND

c/

[I] [V] épouse [L]

[X] [L]

[H] [Y]

[R] [Y]

[D] [L]

S.A.S. LA JARDINERIE DES GRAVES

CPAM DE [Localité 13]

Société ORGANIC GREEN CO

Société BRANDED GARDEN PRODUCTS LIMITED (anciennement THOMPSON & MORGAN (UK) LIMITED)

Mutuelle MGEN DE [Localité 13]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 09 septembre 2020 par le Tribunal Judiciaire de BORDEAUX (chambre : 6, RG : 14/06493) suivant déclaration d'appel du 11 décembre 2020

APPELANTE :

Société AGASAAT GMBH, societe de droit allemand, agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social sis [Adresse 11] ALLEMAGNE

représentée par Maître Jean-David BOERNER de la SCP H. BOERNER J.D. BOERNER, avocat postulant au barreau de BORDEAUX, et assistée de Maître SPRENGEL substituant Maître Florian ENDROS de la SELAS ENDROS BAUM AVOCAT - EBA, avocat plaidant au barreau de PARIS

INTIMÉS :

[I] [V] épouse [L]

née le 16 Juillet 1946 à [Localité 12]

de nationalité Française

demeurant [Adresse 2]

[X] [L]

né le 18 Juin 1952 à [Localité 10]

de nationalité Française

demeurant [Adresse 2]

[H] [Y]

né le 23 Décembre 1968 à [Localité 18]

de nationalité Française

demeurant [Adresse 15]

[R] [Y]

né le 19 Février 1970 à [Localité 18]

de nationalité Française

demeurant [Adresse 4]

[D] [L]

née le 21 Mai 1983 à [Localité 10]

de nationalité Française

demeurant [Adresse 1]

représentés par Maître Mathieu RAFFY de la SELARL MATHIEU RAFFY - MICHEL PUYBARAUD, avocat postulant au barreau de BORDEAUX, et assistés de Maître SADEGHIAN substituant Maître Jean-Christophe COUBRIS de la SELARL COUBRIS, COURTOIS ET ASSOCIES, avocat plaidant au barreau de BORDEAUX

S.A.S. LA JARDINERIE DES GRAVES, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège sis [Adresse 5]

représentée par Maître BEIGNOT DEVALMONT substituant Maître Annie BERLAND de la SELARL RACINE BORDEAUX, avocats au barreau de BORDEAUX

CPAM DE [Localité 13], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 14]

représentée par Maître Max BARDET de la SELARL BARDET & ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX

Société ORGANIC GREEN CO, société de droit egyptien, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés es qualités au siège social sis [Adresse 17] - EGYPTE

non représentée, assignée selon transmission de l'acte en application de la convention de la Haye du 15 novembre 1965

Société BRANDED GARDEN PRODUCTS LIMITED (anciennement THOMPSON & MORGAN (UK) LIMITED), société de droit anglais immatriculée au Compagnies House sous le n° 358372, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 6] - ROYAUME-UNI

représentée par Maître FILIPPI substituant Maître Philippe ROGER de la SELARL LEXAVOUE BORDEAUX, avocat postulant au barreau de BORDEAUX, et assistée de

Maître Robert BYRD de la SELAS BYRD SELAS, et Maître Sophie WILLAUME, avocats au barreau de PARIS

Mutuelle MGEN DE [Localité 13], prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés es qualités au siège sis [Adresse 3]

non représentée, assignée à personne habilitée

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été examinée le 16 mai 2023 en audience publique, devant la cour composée de :

M. Roland POTEE, Président

Mme Bérengère VALLEE, Conseiller

M. Emmanuel BREARD, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Véronique SAIGE

Le rapport oral de l'affaire a été fait à l'audience avant les plaidoiries.

En présence de Bertrand MAUMONT, magistrat détaché en stage à la cour d'appel de Bordeaux

ARRÊT :

- par défaut

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE

Le 8 juin 2011, Mme [I] [L], alors âgée de 64 ans, s'est rendue à une kermesse au centre de loisirs de la petite enfance de [Localité 9], dépendant de la mairie de [Localité 9], où étaient proposées des graines germées dans le cadre d'un repas servi aux participants.

Le 19 juin, après avoir présenté des maux de ventre et des rectorragies, elle a été hospitalisée à l'hôpital d'instruction des armées [16] à [Localité 19].

Les prélèvements réalisés ont mis en évidence la présence de la bactérie Escherichia Coli O104:H4 dans une coproculture, ainsi que la shigatoxyne de type 2. Un diagnostic d'intoxication alimentaire a été posé.

Par la suite, Mme [L] a été transférée au service de néphrologie du CHU de [Localité 10] en raison de complications rénales et d'un Syndrome Hémolytique et Urémique (SHU). Le 23 juin 2011, elle a été transférée en réanimation jusqu'au 15 juillet 2011, date à laquelle elle a rejoint le service de néphrologie où elle est demeurée jusqu'au 28 juillet 2011. Elle a ensuite été hospitalisée du 28 juillet 2011 au 9 septembre 2011 dans le service de médecine physique et de réadaptation en raison de troubles neurologiques, notamment une monoparésie du membre supérieur gauche, des problèmes de somnolence et un état confus. Il a été mis en évidence les séquelles d'un AVC pariéto-occipital droit.

Le 22 juin 2011, l'hôpital d'instruction des Armées (HIA) [16] a signalé à la Cellule de l'institut de veille sanitaire en région [Localité 8] l'admission de 7 adultes pour diarrhée sanglante entre les 16 et 21 juin. Une enquête épidémiologique et microbiologique a alors été mise en oeuvre afin d'identifier l'origine de ces contaminations. Les conclusions de cette enquête étaient les suivantes : 'Cette épidémie d'infections à EHEC O104:H4 survenue à [Localité 9] en Gironde en juin 2011 a concerné 26 personnes. Une infection à EHEC O104 a été confirmée pour 12 d'entre elles. Les graines germées de type fenugrec bio, consommées lors d'une journée portes ouvertes d'un centre de loisirs de la ville de [Localité 9] le 8 juin 2011, ont été identifiées comme étant à l'origine de l'épidémie. Cette épidémie partageait les mêmes caractéristiques épidémiologiques, cliniques et microbiologiques que celle survenue en Allemagne en mai-juin 2011. Les similitudes portaient notamment sur la souche EHEC O104:H4, la prédominance des adultes parmi les cas, une proportion anormalement élevée de cas de SHU, une période d'incubation médiane plus longue (9 jours) que dans les épidémies d'infections à EHEC antérieures. L'enquête de traçabilité a mis en évidence un lot de graines de fenugrec importées d'un même producteur égyptien comme source de contamination, plusieurs hypothèses ont pu être avancées mais une contamination des graines lors de leur production ou de leur conditionnement en Egypte était la plus probable.'

Par actes délivrés les 26 mai et 4 juin 2014, Mme [L], son mari et ses trois enfants, ont fait assigner devant le tribunal de grande instance de Bordeaux la SAS Jardinerie des Graves (Jardiland) chez qui les graines avaient été achetées, ainsi que la MGEN pour voir ordonner une expertise médicale de Mme [I] [L] et voir allouer des provisions à son mari et à ses trois enfants et ce, au visa de la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 et des articles 1386-1 et suivants du code civil. Cette affaire a été enrôlée sous le N°RG 14/06493.

La CPAM de [Localité 13] est intervenue volontairement à la procédure.

Par acte déclaratif du 2 septembre 2014, la SAS Jardinerie des Graves désignait, en application de l'article 1386-7 du code civil, son fournisseur. Il s'agissait de la société de droit britannique THOMPSON & MORGAN. La SAS Jardinerie des Graves indiquait que cette société lui avait déclaré avoir elle-même acheté ces graines de fenugrec vendues à Jardiland entre janvier 2010 et le 27 juin 2011 à la société de droit allemand AGASAAT qui les a importées dans l'Union européenne et que la société THOMPSON & MORGAN lui avait joint les factures de la société AGASAAT.

Par acte du 11 décembre 2015, les consorts [L]-[Y] ont fait assigner en intervention forcée la société AGASAAT, société de droit allemand ayant importé en union européenne les graines de fenugrec pour l'appeler à la cause.

Par actes des 9 et 19 septembre 2016, la société AGASAAT a fait assigner en garantie la société de droit anglais Branded Garden Products Limited (anciennement THOMPSON & MORGAN (UK) Limited) et la société de droit Egyptien ORGANIC GREEN CO.

Toutes ces procédures ont été jointes à l'instance initiale n°RG 14/06493.

Par ordonnance du 3 octobre 2017, le juge de la mise en état a ordonné la radiation de l'incident régularisé le 23 mars 2017 par la société AGASAAT à l'encontre des consorts [L]-[Y] et a débouté les sociétés Branded Garden Products Limited et Organic Green de leurs demandes relatives à la nullité des assignations délivrées à leur encontre.

Par jugement du 9 septembre 2020, le tribunal judiciaire de Bordeaux a :

- prononcé la clôture des débats à la date du 10 juin 2020,

- déclaré la société Agasaat responsable des préjudices liés à l'intoxication alimentaire de Mme [L] lors de la kermesse du centre de loisirs de [Localité 9] du 8 juin 2011, ainsi que des préjudices résultant de la prise en charge de son affection à la bactérie E.Coli,

- condamné la société ORGANIC GREEN CO à relever indemne la société AGASAAT de toutes les condamnations prononcées à son encontre au titre des préjudices de [I] [L] et des victimes par ricochet, en ce compris celles au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- déclaré irrecevable la demande de relevé indemne formée par la société AGASAAT contre la société BRANDED GARDEN PRODUCTS LIMITED,

- ordonné une expertise médicale de Mme [I] [L] et désigné pour y procéder :

le docteur [E] [T]

[Adresse 7]

[Adresse 7]

avec faculté de s'adjoindre tout sapiteur, notamment en infectiologie et en néphrologie ou en psychiatrie, avec mission de :

après avoir convoqué et entendu les parties, assistées, le cas échéant, de leurs conseils, et recueilli leurs observations à l'occasion de l'exécution des opérations ou de la tenue des réunions d'expertise, s'être fait remettre toutes pièces utiles à l'accomplissement de sa mission, procéder à l'examen médical de Mme [L],

1) indiquer son état antérieur à la survenance de l'intoxication alimentaire du 8 juin 2011 ;

2) rappeler les soins, traitements, opérations et autres interventions à fins curatives, thérapeutiques, de restauration ou de rééducation nécessités par l'événement à l'origine du litige ou par les complications survenues au décours de la prise en charge de l'intoxication initiale ;

3) décrire précisément l'état actuel, la date de consolidation et les conséquences qu'il comporte sur l'activité professionnelle et sur la vie personnelle, en mentionnant les atteintes à l'autonomie et la nécessité de l'intervention d'une tierce personne ; préciser les préjudices non imputables à l'intoxication initiale ou aux complications survenues au décours de sa prise en charge ;

4) indiquer l'évolution prévisible dans le temps de cet état, soit par suite d'aggravation, soit par suite d'amélioration, en précisant, dans ce dernier cas, les soins, traitements ou interventions auxquels l'intéressée devra se soumettre ;

5) préciser si et dans quelle mesure cet état actuel et les suites prévisibles sont en lien direct avec l'événement à l'origine du litige ;

6) évaluer les postes de préjudice qui résultent de l'état actuel constaté, par référence aux barèmes d'évaluation de droit commun et aux échelles habituelles, tels notamment, mais non exhaustivement, que :

- indiquer la durée de l'incapacité temporaire de travail, totale ou partielle,

- indiquer s'il y eu un Déficit Fonctionnel Temporaire (DFT), le quantifier et proposer la date de consolidation des blessures ; à défaut, indiquer dans quel délai la victime devra être à nouveau examinée, en évaluant, si possible, l'importance prévisible des dommages,

- indiquer si, du fait des lésions imputables à l'accident, il existe une atteinte permanente (Déficit Fonctionnel Permanent DFP) d'une ou plusieurs fonctions physiques, psychosensorielles, intellectuelles à ventiler, en spécifiant les actes, gestes et mouvements rendus difficiles ou impossibles, à laquelle s'ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques, notamment le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence (personnelles, familiales et sociales),

- donner son avis sur le taux du déficit physiologique qui en résulte,

- préciser l'incidence de cette atteinte sur l'activité professionnelle de la victime ou la gêne qu'elle entraîne dans l'exercice de son métier (Incidence Professionnelle, préjudice scolaire, universitaire ou de formation),

- dans l'hypothèse d'un état pathologique antérieur, mentionner si cet état était révélé et entraînait un déficit physiologique, s'il a été révélé par l'accident, s'il a été aggravé par lui, et donner son avis sur le taux global de déficit physiologique, compte tenu de l'état préexistant,

- donner son avis sur l'importance des souffrances endurées, des atteintes esthétiques et du préjudice d'agrément ;

- dire s'il existe un préjudice sexuel, ou un préjudice d'établissement ;

- dire, le cas échéant, si l'aide d'une tierce personne à domicile est nécessaire avant consolidation et après consolidation, s'il existe un besoin d'appareillage et si des soins postérieurs à la consolidation des blessures sont à prévoir ; dire s' il y aura des Dépenses de Santé Futures (DSF), Frais de Logement Adapté (PLA), Frais de Véhicule Adapté (FVA) ; dans l'affirmative, donner des éléments permettant d'en chiffrer le coût ;

- dit que l'expert accomplira sa mission conformément aux dispositions des articles 264 et suivants du code de procédure civile et qu'en particulier, il pourra s'adjoindre, en cas de besoin, un sapiteur de son choix dans une spécialité autre que la sienne et qu'il déposera son rapport en double exemplaire au greffe du tribunal dans un délai de 5 mois à compter de sa saisine et qu'il en fera parvenir une copie aux parties ou à leurs conseils,

- dit que l'expert devra déposer un pré-rapport, le soumettre aux parties à qui il impartira un délai pour présenter leurs dires et qu'il devra répondre aux dires reçus des parties dans le rapport définitif,

- désigné le juge de la mise en état pour suivre le déroulement de l'expertise,

- fixé à la somme de 1.158 € la consignation à valoir sur les frais d'expertise qui devra être versée par Mme [L] au greffe dans le délai de 1 mois à compter du prononcé de la décision, sans autre avis du greffe à peine de caducité de la mesure d'instruction, sauf obtention de l'aide juridictionnelle auquel cas les frais seront avancés par le Trésor Public,

- dit que faute d'avoir consigné dans ce délai impératif et d'explications données au juge sur cette carence, la désignation de l'expert sera caduque,

- condamné la société AGASAAT à payer une provision de 15 000 € à Mme [L] à valoir sur l'indemnisation de son préjudice corporel,

- réservé les demandes de la CPAM de [Localité 13] et celles des consorts [L],

- renvoyé l'affaire à l'audience de mise en état du 18 mai 2021,

- condamné la société AGASAAT à payer, au titre de l'article 700 du code de procédure civile :

* 1000 € à Mme [L],

* 1000 € à la société Branded Garden Products Limited,

* 1000 € à la SAS Jardinerie des Graves,

- réservé les dépens,

- ordonné l'exécution provisoire de la décision,

- rejeté toute demande plus ample ou contraire.

La société Agasaat GMBH a relevé appel de ce jugement par déclaration du 11 décembre 2020 et par conclusions déposées le 28 avril 2023, elle demande à la cour de :

- la recevoir en ses écritures,

- la déclarer bien fondée,

En conséquence :

- infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Bordeaux du 9 septembre 2020 en toutes ses dispositions,

À titre principal :

- juger que la traçabilité des graines sèches utilisées par le centre de loisirs de [Localité 9] pour fabriquer les graines germées consommées par Mme [L] n'est pas établie,

- juger qu'il n'est pas prouvé que ces graines auraient été fournies par la société Agasaat,

- débouter les consorts [L] de toutes leurs demandes formées à l'encontre de la société Agasaat,

À titre subsidiaire :

- juger que la société Agasaat n'est ni le fabricant des graines sèches, ni le fabricant des graines germées,

- juger que Mme [L] ne rapporte pas la preuve d'un défaut de sécurité des graines sèches livrées par ses soins ;

- juger que Mme [L] ne rapporte pas la preuve d'un lien de causalité entre les graines sèches et les dommages qu'il a subis ;

- juger que les conditions de la responsabilité du fait des produits défectueux ne sont pas réunies ;

- débouter les consorts [L] de toutes leurs demandes formées à l'encontre de la société Agasaat ;

- débouter les sociétés Jardiland et Thompson & Morgan de toutes leurs demandes formées à l'encontre de la société Agasaat ;

À titre extrêmement subsidiaire :

- juger que la société Agasaat est subrogée dans les droits des consorts [L] si elle devait être condamnée au principal ;

- juger que la société Organic Green est débitrice d'une obligation d'indemnisation sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux (article 1245 et suivants du code civil) à l'égard de Mme [L],

- juger que la société Organic Green, la société Thompson & Morgan et la société Jardiland sont débitrices, in solidum, d'une obligation d'indemnisation sur le fondement de la responsabilité délictuelle (article 1382 code civil) à l'égard des consorts [L],

- juger la société Jardiland est débitrice d'une obligation d'indemnisation sur le fondement de la responsabilité délictuelle (article 1240 code civil) à l'égard de la société Agasaat,

- condamner les sociétés ORGANIC GREEN, Thompson & Morgan et Jardiland in solidum à garantir et relever indemne la société Agasaat de toutes les condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre,

En tout état de cause :

- condamner les consorts [L], la société Thompson & Morgan, et la CPAM de [Localité 13] à rembourser la société Agasaat de toutes les sommes versées au titre de l'exécution provisoire, y compris les intérêts, les dépens et frais irrépétibles, à savoir :

* 16 000 € pour les consorts [L],

* 1.000 € pour la société Thompson & Morgan

- condamner les consorts [L] ou toute autre partie succombante à verser à la société AGASAAT la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner toute partie succombante aux entiers dépens.

Par conclusions déposées le 25 avril 2023, les consorts [L] demandent à la cour de :

I- SUR LE DROIT A INDEMNISATION DES CONSORTS [L]-[Y]

A titre principal :

- confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a :

* déclaré la société AGASAAT responsable des préjudices liés à l'intoxication alimentaire de Mme [L] lors de la kermesse du centre de loisirs de [Localité 9] du 8 juin 2011, ainsi que des préjudices résultant de la prise en charge de son affection à la bactérie E Coli,

* condamné la société ORGANIC GREEN CO à relever indemne la société AGASAAT de toutes les condamnations prononcées à son encontre au titre des préjudices de Mme [L], en ce compris celles au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

A titre subsidiaire :

- infirmer le jugement attaqué en ce qu'il a déclaré la société AGASAAT responsable des préjudices liés à l'intoxication alimentaire de Mme [L] lors de la kermesse du centre de loisirs de [Localité 9] du 8 juin 2011 ainsi que des préjudices résultant de la prise en charge de son affection à la bactérie E.Coli,

- juger que la responsabilité de la société Branded Garden Products Limited est engagée sur le fondement des articles 1245 et suivants du Code civil,

- condamner la société Branded Garden Products Limited à réparer intégralement les préjudices subis par les Consorts [L]-[Y],

A titre infiniment subsidiaire :

- infirmer le jugement attaqué en ce qu'il a déclaré la société AGASAAT responsable des préjudices liés à l'intoxication alimentaire de Mme [L] lors de la kermesse du centre de loisirs de [Localité 9] du 8 juin 2011, ainsi que des préjudices résultant de la prise en charge de son affection à la bactérie E.Coli,

- juger que la responsabilité de la SAS Jardinerie des Graves est engagée sur le fondement des articles 1245 et suivants du code civil,

- condamner la SAS Jardinerie des Graves à réparer intégralement les préjudices subis par les consorts [L]-[Y],

II- SUR LES PREJUDICES :

- confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a :

* ordonné une expertise médicale de Mme [L],

* alloué à Mme [L] la somme de 1.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

* réservé les dépens.

- infirmer le jugement attaqué en ce qu'il a :

* alloué à Mme [L] la somme de 15.000 € à titre provisionnel,

* débouté les consorts [L] de leurs demandes d'indemnités provisionnelles,

Statuant à nouveau :

- allouer à Mme [L] la somme de 100.000,00 € à titre provisionnel,

- allouer à M. [X] [L], à titre provisionnel :

o 12.000,00 € au titre du préjudice moral

o 5.000,00 € au titre du préjudice d'accompagnement,

- allouer à M. [H] [Y], à titre provisionnel :

o 12.000,00 € au titre du préjudice moral

o 5.000,00 € au titre du préjudice d'accompagnement,

- allouer à M. [R] [Y], à titre provisionnel :

o 12.000,00 € au titre du préjudice moral

o 5.000,00 € au titre du préjudice d'accompagnement,

- allouer à Mlle [D] [L], à titre provisionnel :

o 12.000,00 € au titre du préjudice moral

o 5.000,00 € au titre du préjudice d'accompagnement,

EN TOUT ETAT DE CAUSE :

- débouter la société AGASAAT de sa demande de condamnation des consorts [L]-[Y] à lui verser une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- juger que l'arrêt à intervenir sera opposable à la CPAM de [Localité 13],

- condamner la partie succombante à payer aux Consorts [L]-[Y] la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Par conclusions déposées le 27 avril 2023, la société Jardinerie des Graves demande à la cour de :

A TITRE PRINCIPAL

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a rejeté les demandes formulées à l'encontre de la SAS Jardinerie des Graves,

Pour ce faire,

- juger que les consorts [L]-[Y] ne rapportent pas la preuve d'un défaut du produit vendu par la SAS Jardinerie des Graves, ni d'un lien de causalité entre le produit vendu et la contamination de Mme [L] par la bactérie E.coli,

- constater que la SAS Jardinerie des Graves n'est pas le producteur des graines de fenugrec bio et qu'elle a désigné son fournisseur par acte déclaratif du 5 septembre 2014,

- déclarer irrecevable et en tout cas mal fondée l'action de la société AGASAAT GMBH à l'encontre de la SAS Jardinerie des Graves,

En conséquence,

- juger que la SAS Jardinerie des Graves ne peut engager sa responsabilité au titre du régime des produits défectueux,

- débouter les consorts [L]-[Y] de l'intégralité de leurs demandes en ce qu'elles sont dirigées à l'encontre de la SAS Jardinerie des Graves,

- débouter la CPAM de [Localité 13] de ses demandes en ce qu'elles sont dirigées à l'encontre de la SAS Jardinerie des Graves,

- débouter la société AGASAAT GMBH de ses demandes en ce qu'elles sont dirigées à l'encontre de la SAS Jardinerie des Graves,

- condamner la société Agasaat GMBH ou toute partie succombante à verser à la SAS Jardinerie des Graves la somme de 3.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, et en tous les dépens.

A TITRE SUBSIDIAIRE,

- condamner in solidum les sociétés Branded Garden Products Limited, AGASAAT GMBH et Organic Green à relever indemne la SAS Jardinerie des Graves de toute condamnation susceptible d'être prononcée à son encontre,

- donner acte à la SAS Jardinerie des Graves de ce qu'elle s'en remet sur l'expertise ordonnée,

- déclarer irrecevable comme nouvelle la demande de provision majorée de 100 000 € de Mme [L] et l'en débouter,

- débouter en l'état les consorts [L]-[Y] de leurs demandes de provision, ou à tout le moins les réduire à de plus justes proportions,

- débouter en l'état la CPAM de [Localité 13] de sa demande de condamnation au titre de sa créance provisoire,

- réduire à de plus justes proportions l'indemnité sollicitée par les consorts [L]-[Y] au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- statuer ce que de droit sur les dépens.

Par conclusions déposées le 4 octobre 2021, la société Branded Garden Products Limited (anciennement Thompson & Morgan UK Limited) demande à la cour de :

*A TITRE PRINCIPAL :

- confirmer le jugement rendu le 9 septembre 2020 par le tribunal judiciaire de Bordeaux en ce qu'iI a déclaré irrecevable la demande de relevé indemne formée par la société AGASAAT contre la société Branded Garden Products Limited,

Et ce faisant,

- débouter la société AGASAAT de sa demande de garantie à l'égard de la société Branded Garden Products Limited présentée sur le fondement des articles 1346 et 1240 du code civil,

*A TITRE SUBSIDIAIRE :

- débouter les consorts [L] et la société Jardinerie des Graves de leurs demandes de condamnation de la société Branded Garden Products Limited sur le fondement des articles 1245 et suivants du code civil,

En conséquence,

- débouter les consorts [L] de leur demande de paiement d'une provision à l'égard de la société Branded Garden Products Limited,

*A TITRE INFINIMENT SUBSIDIAIRE :

- condamner in solidum les sociétés AGASAAT et Organic Green à relever et garantir la société Branded Garden Products Limited de toute condamnation éventuellement prononcée à son encontre ;

*EN TOUT ETAT DE CAUSE ;

- condamner la société AGASAAT à payer la somme de 10.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile à la société Branded Garden Products Limited en cause d'appel, outre la confirmation de la condamnation prononcée au titre de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de la concluante en première instance,

- condamner la société AGASAAT aux entiers dépens.

Par conclusions déposées le 8 juillet 2021, la CPAM de [Localité 13] demande à la cour de :

- la déclarer recevable et bien fondées en ses conclusions, fins et prétentions,

En conséquence,

A TITRE PRINCIPAL

- confirmer le jugement déféré rendu le 09 septembre 2020 par le tribunal judiciaire de Bordeaux en l'ensemble de ses dispositions,

Y ajoutant,

- condamner la société AGASAAT, appelante à la présente procédure, à verser à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de [Localité 13] une indemnité complémentaire de 800 € au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel au visa de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société AGASAAT GMBH aux dépens de l'appel,

A TITRE SUBSIDIAIRE

Dans l'éventualité où la cour venait à réformer le jugement déféré et à opter pour un partage de responsabilité différent de celui arrêté par le tribunal en première instance, et à faire application de son pouvoir d'évocation en procédant dès à présent à la liquidation des préjudices subis par la victime,

- constater que le préjudice de la CPAM de [Localité 13] est constitué par les débours provisoires exposés dans l'intérêt de son assurée sociale Mme [L], qui s'élèvent à la somme de 36 901,13 €,

En conséquence,

- condamner tout succombant, déclaré tiers responsable, au besoin in solidum en cas de pluralité de condamnation, sous la garantie éventuelle de leurs assureurs respectifs, à payer à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de [Localité 13], la somme de 36.901,13 € au titre des débours provisoires exposés pour le compte de son assurée sociale,

- dire que cette somme sera assortie des intérêts de retard au taux légal à compter de la décision à intervenir, et ce en application des dispositions de l'article 1231-6 du code civil,

- dire qu'il sera fait application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil,

- condamner tout succombant, déclaré tiers responsable, au besoin in solidum en cas de pluralité de condamnation, sous la garantie éventuelle de leurs assureurs respectifs, à payer à la CPAM de [Localité 13], la somme de 800 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Maître Max Bardet sur le fondement de l'article 699 du code de procédure civile.

La mutuelle MGEN n'a pas constitué avocat. Elle a été régulièrement assignée.

La société de droit égyptien Organic Green Co n'a pas constitué avocat. Elle a été régulièrement assignée par l'accomplissement des formalités prévues par la Convention de la Haye du 15 novembre 1965, relative à la signification et à la notification à l'étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile et commerciale.

L'affaire a été fixée à l'audience collégiale du 16 mai 2023.

L'instruction a été clôturée par ordonnance du 2 mai 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION.

I Sur la responsabilité de la société Agasaat GMBH.

En vertu de l'article 1245 du code civil, le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit lié ou non par un contrat avec la victime.

L'article 1245 -3 du code civil énonce que 'Un produit est défectueux au sens du présent chapitre lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre.

Dans l'appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation.

Un produit ne peut être considéré comme défectueux par le seul fait qu'un autre, plus perfectionné, a été mis postérieurement en circulation'.

L'article 1245-5 du même code ajoute que 'Est producteur, lorsqu'il agit à titre professionnel, le fabricant d'un produit fini, le producteur d'une matière première, le fabricant d'une partie composante.

Est assimilée à un producteur pour l'application du présent chapitre toute personne agissant à titre professionnel :

1° Qui se présente comme producteur en apposant sur le produit son nom, sa marque ou un autre signe distinctif ;

2° Qui importe un produit dans la Communauté européenne en vue d'une vente, d'une location, avec ou sans promesse de vente, ou de toute autre forme de distribution.

Ne sont pas considérées comme producteurs, au sens du présent chapitre, les personnes dont la responsabilité peut être recherchée sur le fondement des articles 1792 à 1792-6 et 1646-1".

L'article 1245-8 du code civil précise que le demandeur doit prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage.

Il est constant qu'en application de ce texte, le rôle causal d'un produit dans le déclenchement de symptômes peut résulter de simples présomptions, pourvu qu'elles soient graves, précises et concordantes.

La société appelante dénie qu'il existe de telles présomptions établissant un lien de causalité entre les graines germées de fenugrec consommées lors de la kermesse du 8 juin 2011 et la contamination de Mme [L] par la bactérie E.coli.

Elle affirme que son implication dans la chaîne de vente des graines sèches utilisées par le centre de loisirs et de la petite enfance de [Localité 9] n'est pas établie et que les conditions de la responsabilité des produits défectueux ne sont pas réunies.

Dans un premier temps, elle conteste que les graines sèches de fenugrec bio aient été acquises par la mairie de [Localité 9], responsable de l'organisation de la kermesse du 8 juin 2011, auprès de la société Jardinerie des Graves, exerçant sous l'enseigne Jardiland. En effet, si la facture versée en ce sens par Mme [L] mentionne l'achat de deux sachets de graines sèches, dont un de fenugrec, elle n'exclut pas que cet organisateur ait été antérieurement en possession de graines séchées ou sèches de fenugrec et ait conservé celles acquises à cette occasion. Elle argue, d'une part, que la proximité entre la date d'achat et la date d'utilisation n'est pas suffisamment probante et, d'autre part, qu'il n'est fait aucune référence au numéro de lot concerné.

De même, elle s'oppose à ce qu'il soit retenu que la société Jardinerie des Graves ait acquis les graines précitées auprès de la société Thompson & Morgan, aux droits de laquelle vient la société Branded Garden Produits Limited, faute pour la première de rapporter la preuve de ce que la seconde était son seul fournisseur de ce produit.

De plus, elle affirme que la société Thomson & Morgan a également pu s'approvisionner en graines de fenugrec auprès d'autres fournisseurs et non pas seulement auprès de ses services. Elle dit qu'il n'existe pas de chaîne contractuelle établie et que la provenance des graines utilisées à l'occasion de la kermesse du 8 juin 2011 est inconnue.

Elle considère en outre que le rapport de l'institut de veille sanitaire (ci-après INVS) est insuffisant pour établir la traçabilité des graines objets du litige, faute de vérification des éléments le fondant.

A titre subsidiaire, elle soutient que les conditions de la responsabilité au titre des produits défectueux ne sont pas remplies. En ce sens, elle expose ne pas être le fabriquant des graines germées, celles-ci ayant été préparées par les personnels du centre de loisirs, ni des graines sèches qui auraient été cultivées en Egypte et fournies par la société Organic Green. Elle remarque que Mme [L] a été informée de l'identité de ce fabriquant et qu'il n'existe donc aucun motif à sa mise en cause.

De surcroît, elle explique que les graines sèches objets du litige ne présentent pas de défaut de sécurité, qu'aucun élément n'est communiqué en ce sens, en particulier avant qu'elle les ait livrées à la société Thomson & Morgan. Ainsi, elle verse aux débats un certificat d'analyse du 18 novembre 2009 émis par le ministère de l'agriculture égyptien mentionnant que le lot de graines concerné était conforme aux normes, un rapport du 3 décembre suivant du centre égyptien de l'agriculture biologique attestant de la conformité du lot avec les standards européens, une confirmation après analyse chimique et microbiologique du 21 décembre 2009 par le laboratoire Wessling de la possibilité de commercialiser le lot concerné.

Elle précise ne jamais avoir manipulé la marchandise, ce qui exclut toute contamination antérieure à leur livraison effectuée par ses soins, ce que confirmeraient des analyses réalisées en juin 2011 sur le lot incriminé. Elle note qu'aucune analyse complémentaire postérieure n'a mis en évidence un défaut de sécurité des graines sèches concernées, y compris par l'INVS ou l'association Foodwatch.

Elle dit encore avoir vendu un produit différent de celui cédé par la société la Jardinerie des Graves, étant passé d'un conditionnement de 25 kg de graines sèches à des graines à germer vendues dans des sachets de 50 gr et en déduit ne pas être responsable du défaut de présentation du produit final.

Elle tire comme conséquence de l'ensemble des éléments qui précèdent qu'il n'est pas établi de preuve d'un lien de causalité entre le défaut de sécurité des graines séchées allégué et leur contamination par la bactérie E.coli, notamment faute qu'il soit justifié précisément d'où provenait le germe.

***

La cour constate qu'il résulte du rapport de l'INVS précité (pièce 1 des consorts [L]) divers éléments. En particulier, outre Mme [L], 25 autres personnes ont présenté une symptomatologie d'intoxication alimentaire par une bactérie EHEC O104:H4, qui a été confirmée suite à des analyses pour 12 d'entre elles. Cette épidémie était identique à celle identifiée lors d'une autre intoxication alimentaire par la même bactérie survenue dans la région de Basse-Saxe en Allemagne et était elle aussi caractérisée par une durée d'incubation particulièrement longue. De surcroît, les premiers juges ont exactement retenu que ces deux intoxications ont présenté les mêmes caractéristiques épidémiologiques, cliniques et micro biologiques au vu de ce rapport. Or, les investigations sanitaires menées en Allemagne ont permis d'établir que la contamination résultait de la consommation de graines germées de fenugrec bio ayant la même origine que celles achetées et servies lors de la kermesse qui s'est déroulée le 8 juin 2011.

Les recherches menées par l'INVS ont également permis d'exclure que l'intoxication qui s'est produite en France ait pour origine une consommation d'eau, seconde source possible de contamination à la bactérie E coli.

De même, l'analyse de cohorte explique que la totalité des cas confirmés ont consommé lors de l'événement du 8 juin 2011 les graines concernées.

Dès lors, contrairement aux affirmations de la société appelante, le rapport réalisé par l'INVS, en ce qu'il procède à une analyse détaillée et exhaustive et en outre contient un certain nombre de réserves quant aux faits étudiés, ne peut que constituer un élément de preuve lors du présent litige.

S'agissant plus particulièrement de la traçabilité des graines concernées, il doit être relevé qu'outre les factures versées aux débats par les consorts [L] (pièce 4 de cette partie) démontrant l'achat par la commune de [Localité 9] des graines à germer fenugrec auprès de la société Jardinerie des Graves, il n'est pas remis en cause que celles-ci étaient alors sèches, puisqu'il est constant que la germination a été réalisée par les salariés de cette commune. Mieux, il ressort de l'attestation en date du 8 janvier 2020 de M. [U] [F] qu'un seul lot a été vendu par la société Jardinerie des Graves à la commune de [Localité 9]. Il ne résulte donc d'aucun élément l'existence de stocks ou d'une autre origine, élément contredit en outre par la concordance entre la date d'achat, le temps nécessaire à la germination et la date de la kermesse.

De surcroît, il résulte de cette même attestation de l'expert comptable de la société Jardinerie des Graves que celle-ci a acquis les graines en cause auprès d'un seul fournisseur, à savoir la société Thomson & Morgan, aux droits de laquelle vient la société Branded Garden Products Limited.

Cette pièce, en ce qu'elle émane d'un professionnel du chiffre, au surplus tiers à la présente instance, qui certifie la sincérité et l'exactitude de la comptabilité de la société Jardinerie des Graves pour l'année 2011, soit une année très antérieure à l'attestation et non remise en cause par ailleurs, sera retenue comme probante par la cour.

De plus, il est établi par la société Branded Garden Products Limited non seulement l'achat de graines de fenugrec auprès de la société Agasaat GMBH, mais en outre que l'un des lots est commun à celui à l'origine de l'épidémie survenue en Allemagne quelques mois auparavant et présentant la même bactérie.

Mieux, il résulte des déclarations de ce grossiste, préalable aux deux épidémies puisqu'en date du 10 août 2010, auprès de son organisme certificateur, que son seul fournisseur de graines de fenugrec en 2009 est la société appelante (pièce 6 de la société Branded Garden Products Limited).

Outre que ce document ne peut être que postérieur à la livraison des lots incriminés du fait de sa nature même, il est observé qu'il est en revanche antérieur à toute mise en cause au titre des graines objets du présent litige. Il ne constitue donc pas un simple document déclaratif, mais un écrit établi de manière impartiale et neutre permettant d'établir la traçabilité contestée, venant s'ajouter à la présomption établie par l'épidémie survenue en Allemagne.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la traçabilité des graines de fenugrec mises en cause par les consorts [L] lors du présent litige est établie et que la chaîne contractuelle entre les différentes sociétés parties au présent litige, telle qu'énoncée ci-avant, sera retenue, puisque justifiée.

Par ailleurs, l'argumentation tirée par la société Agasaat GMBH du fait qu'elle n'est pas le producteur des graines ne saurait être retenue, sa seule qualité d'importateur de ces marchandises au sein de l'Union Européenne, non remise en cause, étant suffisante au sens de l'article L.145-5 du code civil.

Il apparaît également que la société appelante ne saurait se prévaloir du fait que les graines fournies par ses soins aient été reconditionnées ou consommées une fois germées. En effet, en application de l'article L.145-3 du code civil, l'appréciation de la sécurité du produit vendu doit tenir compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit et de l'usage qui peuvent raisonnablement en être attendu.

En ce qui concerne un produit alimentaire, il est légitime d'attendre une absence de contamination par une bactérie dangereuse pour la santé s'il en est fait un usage conforme aux conditions mentionnées par le vendeur. Il résulte de ces éléments, ajoutés à l'absence d'indication lors de la notice de présentation du produit des risques existant en cas d'usage dans certaines conditions, qu'il importe peu que les graines aient été reconditionnées ou ait fait l'objet d'une germination, car il revenait à la société Agasaat GMBH de mettre en garde son acheteur sur les précautions à observer quant aux usages des graines par le consommateur, ce qu'elle ne justifie pas avoir fait.

Cette absence de mise en garde permet encore de démontrer l'absence de sécurité du produit, y compris en dépit des contrôles des différentes autorités sanitaires ou de l'organisme de certification bio fournies aux débats.

Enfin, comme l'ont justement retenu les premiers juges, le lien de causalité entre l'infection et la défectuosité des graines est établi dès lors qu'il n'est pas rapporté la preuve de ce que les conditions de germination n'étaient pas conformes au mode d'emploi.

Il convient donc de rejeter les moyens opposés par la société Agasaat GMBH et de confirmer la décision attaquée en ce qu'elle a retenu la responsabilité de cette dernière.

II Sur la responsabilité de la société Jardinerie des Graves.

L'article 1245-6 du code civil mentionne que 'Si le producteur ne peut être identifié, le vendeur, le loueur, à l'exception du crédit-bailleur ou du loueur assimilable au crédit-bailleur, ou tout autre fournisseur professionnel, est responsable du défaut de sécurité du produit, dans les mêmes conditions que le producteur, à moins qu'il ne désigne son propre fournisseur ou le producteur, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle la demande de la victime lui a été notifiée.

Le recours du fournisseur contre le producteur obéit aux mêmes règles que la demande émanant de la victime directe du défaut. Toutefois, il doit agir dans l'année suivant la date de sa citation en justice'.

L'article 1346 du même code dispose 'La subrogation a lieu par le seul effet de la loi au profit de celui qui, y ayant un intérêt légitime, paie dès lors que son paiement libère envers le créancier celui sur qui doit peser la charge définitive de tout ou partie de la dette'.

La société Agasaat GMBH sollicite la condamnation de la société Jardinerie des Graves en retenant être subrogée dans les droits des consorts [L], ajoutant que les effets de cette subrogation ne supposent pas un paiement effectif.

Elle estime que le vendeur au détail a reconditionné les sachets de graines et qu'elle doit être tenue du défaut de présentation du produit aux consommateurs et de l'absence d'indication quant au processus de germination et de ses risques.

Elle indique qu'il ne s'agit pas d'une prétention nouvelle en appel, ces faits ayant été discutés en première instance.

En dernier lieu, elle se prévaut des dispositions de l'article 1240 du code civil en alléguant un défaut à l'obligation d'information et de conseil lors de la commercialisation des graines à germer auprès du grand public.

***

Il ressort des éléments versés aux débats que la société Jardinerie des Graves n'est que le distributeur final des graines objets du présent litige et a respecté les délais de l'article 1245-6 du code civil afin de désigner son propre fournisseur, tout en communiquant les justificatifs nécessaires en ce sens.

Aussi, la société Agasaat GMBH ne saurait se prévaloir de cette même responsabilité à l'égard de cette même partie, non parce qu'il s'agit d'une demande nouvelle, celle-ci ayant déjà été invoquée en première instance à l'égard d'autres parties, donc ne différant pas de la prétention originaire au sens de l'article 565 du code de procédure civile, mais faute de réunir les conditions de l'article 1245-6 du code civil précité.

Effectivement, la société Agasaat GMBH n'établit pas de transformation des marchandises litigieuses de la part de la société Jardinerie des Graves, cette dernière ne les ayant pas reconditionnées ou réalisé leur germination. Egalement, elle ne saurait opposer à cette partie son défaut de présentation du produit, ne l'ayant elle-même pas respecté. Enfin, l'importateur ne justifie pas réunir les conditions de la responsabilité des produits défectueux envers le détaillant, l'article 1245-6 du code civil permettant au vendeur de se retourner contre son fournisseur ou le producteur mais non l'inverse.

Par ailleurs, il n'est pas démontré de manquement du vendeur au détail à l'égard de l'importateur des graines.

Les demandes faites à l'encontre de la société Jardinerie des Graves seront donc rejetées et le jugement en date du 9 septembre 2020 confirmé de ce chef.

III Sur la responsabilité de la société Branded Garden Products Limited.

Vu les articles 1245-6 et 1346 du code civil précités.

La société Agasaat GMBH estime que les effets de la subrogation légale ne supposent pas un paiement effectif et donc que l'absence d'indemnisation préalable par ses soins des consorts [L] ne saurait lui être opposée.

Elle met en avant qu'il n'existe aucun obstacle légal à ce qu'elle agisse contre cet intervenant dans la chaîne de commercialisation, notamment sur le fondement de la responsabilité délictuelle, du fait du reconditionnement effectué par ses soins des sacs de graines.

Toutefois, il y a lieu de retenir, comme l'ont exactement fait les premiers juges, qu'il ne saurait être admis de subrogation in futurum en l'absence de paiement par l'appelante de la moindre somme au bénéfice des consorts [L].

De surcroît, comme exposé ci-avant, il n'est pas davantage justifié que les conditions des articles 1245-6 et 1346 du code civil soient réunies, faute d'un recours de l'importateur contre le grossiste auquel il a cédé ses marchandises en vertu de la responsabilité des produits défectueux et de la preuve d'une faute de la part de la société Branded Garden Products Limited à son égard.

C'est pourquoi ce chef de demande sera également rejeté.

IV Sur les préjudices des consorts [L].

L'article 910-4 du code de procédure civile indique que ' A peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-5 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. L'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures.

Néanmoins, et sans préjudice de l'alinéa 2 de l'article 802, demeurent recevables, dans les limites des chefs du jugement critiqué, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait'.

La société Agasaat GMBH met en avant que lors de leurs premières et deuxièmes conclusions d'appel, les consorts [L] n'ont pas formé de demande visant à modifier le montant de la provision qui avait été allouée en première instance.

Elle estime donc la prétention portant sur la demande de provision au profit de Mme [L] à la somme de 100.000 € irrecevable en application du texte précité, puisque tardive.

Sur le fond, elle remarque que Mme [L] propose une valorisation du point de déficit fonctionnel permanent à hauteur de 2.550 €, mais que ce point nécessite un débat contradictoire, impossible en moins de 3 jours avant la clôture de la procédure d'appel et alors qu'il n'était discuté précédemment que les responsabilités des parties. En outre, elle note qu'en l'absence de communication des sommes reçues de la part des organismes de sécurité sociale, il n'est pas démontré qu'elle puisse prétendre à ce montant.

De même, elle observe sur les demandes de provision de l'époux et des enfants majeurs de Mme [L], outre que le fondement de la responsabilité invoqué n'est pas précisé, que leurs préjudices sont conditionnés par l'imputabilité des dommages invoqués par leur épouse ou mère, donc à un débat qui n'a pas encore eu lieu. Elle entend donc que soit confirmée la décision initiale sur ce point et qu'il ne soit accordé aucune provision.

***

Les consorts [L] rappellent pour leur part que l'expertise ordonnée par les premiers juges a fait l'objet d'un rapport daté du 23 février 2023 établissant notamment à l'égard de Mme [L] un déficit fonctionnel temporaire partiel entre le 8 juin 2011 et le 8 juillet 2013, un déficit fonctionnel permanent de 40%, des souffrances endurées de 5/7, un préjudice d'agrément, un préjudice sexuel, un préjudice professionnel, une tierce personne temporaire, une tierce personne permanente et des soins post-consolidation.

Ils en déduisent un préjudice nettement supérieur à celui indemnisé à titre provisionnel de 15.000 €, notamment au titre du déficit fonctionnel permanent retenu qui, au vu d'un point 2.550 €, leur permet de solliciter une indemnité de 102.000 € sur ce seul poste, fondant la demande de provision.

S'agissant des proches de Mme [L], ils disent avoir subi des préjudices malgré le rejet de leurs demandes par le jugement attaqué, en particulier un préjudice moral du fait de leurs craintes liées à l'état de santé de l'intéressée et un préjudice d'accompagnement du fait de leurs troubles dans leur relation affective et leur investissement auprès leur conjointe ou mère.

***

Il apparaît que la demande de provision supplémentaire faite par Mme [L] est recevable au sens de l'article 910-4 alinéa 2 du code de procédure civile en ce qu'elle résulte de la survenance d'un fait nouveau, à savoir le dépôt de l'expertise ordonnée par les premiers juges le 23 février 2023.

De même, s'il est exact que cette demande est intervenue peu avant la clôture, il n'en demeure pas moins que les éléments à l'origine de cette demande avaient pu être débattus devant l'expert et n'étaient pas inconnus de l'appelante. Aussi il n'est pas établi qu'il était tardif, car si le débat de fond a été raccourci par les délais de la présente procédure, il a néanmoins pu avoir lieu, y compris devant la présente juridiction.

Aussi, ce nouvel élément permet d'affirmer que Mme [L] a non seulement subi une hospitalisation et des traitements lourds, mais également des préjudices supérieurs à ceux envisagés par les premiers juges, quand bien même ceux-ci devront être discutés sur le fond par les parties.

Il s'ensuit qu'une provision supplémentaire d'un montant de 35.000 € doit lui être accordée au vu des documents produits, portant le montant total à la somme de 50.000 € avec celle allouée par le jugement en date du 9 septembre 2020.

S'agissant des demandes des proches de l'intéressée, comme l'a exactement relevé la décision attaquée, s'agissant de victimes par ricochet, leurs préjudices ne pourront être fixés qu'une fois les dommages de Mme [L] établis. Leurs demandes de provision seront donc rejetées en l'état.

V Sur les demandes annexes.

Aux termes de l'article 696 alinéa premier du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. Sur ce fondement, la société Agasaat GMBH, qui succombe au principal, supportera la charge des dépens, dont distraction au profit de Maître Bardet, avocat au barreau de Bordeaux, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, pour ceux que ce conseil aurait pu avancer.

En application de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

Sur ce fondement, l'équité commande de condamner la société Agasaat GMBH à verser la somme de 2.000 € aux consorts [L], ensemble, celle de 1.000 € aux sociétés Jardinerie des Graves et Branded Garden Products Limited, chacune, et celle de 800 € à la CPAM de [Localité 13].

PAR CES MOTIFS.

La cour,

CONFIRME le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Bordeaux le 9 septembre 2020, sauf en ce qu'il a alloué une provision d'un montant de 15.000 € à Mme [I] [L] ;

Statuant à nouveau dans cette limite,

CONDAMNE la société Agasaat GMBH à payer une provision d'un montant total de 50.000 € à Mme [I] [L] à valoir sur l'indemnisation de son préjudice corporel ;

DÉBOUTE les parties de leurs demandes supplémentaires ou contraires ;

Y ajoutant,

CONDAMNE la société Agasaat GMBH à verser la somme de 2.000 € aux consorts [L] ensemble, celle de 1.000 € aux sociétés Jardinerie des Graves et Branded Garden Products Limited, chacune, et celle de 800 € à la CPAM de [Localité 13] sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société Agasaat GMBH aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Bardet en application de l'article 699 du code de procédure civile.

Le présent arrêt a été signé par Madame Bérengère VALLEE, conseiller, en remplacement de Monsieur Roland POTEE, président, légitimement empêché, et par Madame Véronique SAIGE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre civile
Numéro d'arrêt : 20/04959
Date de la décision : 27/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-27;20.04959 ?
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