COUR D'APPEL DE BORDEAUX
1ère CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 22 JUIN 2023
N° RG 21/06942 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MPF6
[H] [T]
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/027028 du 20/01/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de BORDEAUX)
c/
S.A. CLAIRSIENNE
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le : 22 juin 2023
aux avocats
Décision déférée à la cour : jugement rendu le 11 octobre 2021 par le Juge des contentieux de la protection du Tribunal judiciaire de BORDEAUX ( RG : 21/00306) suivant déclaration d'appel du 20 décembre 2021
APPELANT :
[H] [T]
demeurant chez Maître [N] [P] - [Adresse 1]
Représenté par Me Arnaud BAYLE, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉE :
S.A. CLAIRSIENNE, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 2]
Représentée par Me Maxime GRAVELLIER de l'AARPI GRAVELLIER - LIEF - DE LAGAUSIE - RODRIGUES, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 27 avril 2023 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Sylvie HERAS DE PEDRO, Conseillère, qui a fait un rapport oral de l'affaire avant les plaidoiries,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Président : M. Roland POTEE
Conseiller : Mme Sylvie HERAS DE PEDRO
Conseiller : Mme Bérengère VALLEE
Greffier : Mme Séléna BONNET
En présence de Bertrand MAUMONT, magistrat détaché en stage à la cour d'appel de Bordeaux
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
* * *
EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE
Suivant acte sous seing privé du 10 juillet 2015, la SA Clairsienne a donné à bail à M. [V] [X], dénommé M. [H] [T] après changement d'état civil, et à Mme [K] [C], son épouse, un appartement, sis [Adresse 4] moyennant un loyer principal de 382,82 euros, hors charges.
Se plaignant de troubles de jouissance, M. et Mme [T] ont par acte du 4 octobre 2017 fait assigner la SA Clairsienne devant le tribunal d'instance de Bordeaux, lequel, par jugement du 28 juin 2019, les a déboutés de leurs demandes.
M. [T] a donné congé du logement le 7 août 2020, et s'est maintenu dans les lieux jusqu'au 7 octobre de la même année.
Par acte d'huissier du 29 janvier 2021, M. [T] a fait assigner la SA Clairsienne devant le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Bordeaux aux fins d'obtenir sa condamnation à lui verser la somme de 20 000 euros au titre de l'indemnisation de son préjudice de jouissance.
Par jugement du 11 octobre 2021, le juge des contentieux de la protection près le tribunal judiciaire de Bordeaux a :
- condamné la société Clairsienne, par compensation entre les obligations réciproques des parties, à verser à M. [T] la somme de 437 euros, en réparation de son préjudice de jouissance,
- condamné la société Clairsienne à verser à M. [T] une indemnité de 500 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991,
- condamné la société Clairsienne à supporter les entiers dépens,
- débouté les parties de toutes autres demandes plus amples ou contraires,
- rappelé que la décision bénéficie de l'exécution provisoire de droit.
M. [T] a relevé appel de ce jugement par déclaration du 20 décembre 2021.
Par conclusions déposées le 6 juillet 2022, M. [T] demande à la cour de :
- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a limité la condamnation de la société Clairsienne au paiement de la somme de 800 euros en réparation de son préjudice de jouissance,
- condamner la société Clairsienne à payer à M. [T] la somme de 20 000 euros au titre de l'indemnisation de son préjudice de jouissance,
- condamner la société Clairsienne à payer à M. [T] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, outre les entiers dépens d'instance.
Par conclusions déposées le 17 juin 2022, la société Clairsienne demande à la cour de :
A titre liminaire,
- déclarer irrecevables les demandes antérieures au 29 juin 2019 formulées par M. [T],
A titre principal,
- réformer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 11 octobre 2021 par le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Bordeaux,
Et statuant à nouveau,
- juger que la société Clairsienne n'a pas engagé sa responsabilité envers M. [T],
A titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la cour d'appel reconnaîtrait la responsabilité de la société Clairsienne,
- allouer à M. [T] la somme de 465,30 euros en réparation de son préjudice de jouissance,
- ordonner la compensation de cette somme avec les 363 euros dont M. [T] est redevable envers la société Clairsienne,
- juger que la société Clairsienne ne peut être tenue de verser à M. [T] une somme supérieure à 102 euros,
En tout état de cause,
- débouter M. [T] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
- condamner M. [T] à verser à la société Clairsienne la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de la procédure.
L'affaire a été fixée à l'audience rapporteur du 27 avril 2023.
L'instruction a été clôturée par ordonnance du 13 avril 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la recevabilité de la demande principale de M. [T]
Aux termes de l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
L'article 1355 du code civil précise que l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.
La société Clairsienne fait valoir que la demande formulée par M. [T] se heurte pour partie à l'autorité de la chose jugée résultant du jugement du 28 juin 2019, de sorte que toute nouvelle demande relative à des troubles antérieurs au jugement doit être déclarée irrecevable.
M. [T] répond que seules les demandes relatives aux troubles antérieurs au 4 octobre 2017, date de l'assignation, sont irrecevables.
Il est constant que par jugement du tribunal d'instance de Bordeaux, non frappé d'appel, en date du 29 juin 2019, M. et Mme [T] ont été déboutés de leur demande d'indemnisation au titre des troubles de jouissance allégués le jour de l'audience.
Or, dans le cadre de la nouvelle instance, M. [T] invoque l'apparition de nouveaux troubles, résultant de fuites constatées à partir du 27 novembre 2019, soit postérieures à l'audience du 17 mai 2019 à l'occasion de laquelle, dans le cadre de la procédure orale qui avait cours devant le tribunal d'instance, avaient été formées ses premières demandes.
Pour ces motifs, il y a lieu d'écarter la fin de non-recevoir soulevée et de déclarer recevables les demandes de M. [T].
Sur les troubles de jouissance et la responsabilité de la société Clairsienne
Aux termes de l'article 1719 du code civil, le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière :
1° De délivrer au preneur la chose louée et, s'il s'agit de son habitation principale, un logement décent ;
2° D'entretenir cette chose en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée ;
3° D'en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail.
L'article 1720 du même code énonce que le bailleur doit faire dans le logement, pendant la durée du bail, toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires autres que locatives.
Il résulte de ces dispositions que le bailleur est tenu d'indemniser le locataire du trouble de jouissance subi du fait de la non-exécution des travaux lui incombant.
En outre, si l'article 1725 du code civil précise que le bailleur n'est pas tenu de garantir le preneur du trouble que des tiers apportent par voies de fait à sa jouissance, le bailleur répond néanmoins des troubles causés au locataire par un autre de ses locataires, celui-ci ne pouvant être considéré comme un tiers au sens du présent texte.
En l'espèce, M. [T] explique que de nouvelles fuites se sont déclarées à partir du 27 novembre 2019, qu'elles ont pour origine l'appartement situé au-dessus du sien, qu'il en a subi les conséquences jusqu'à son départ des lieux, en raison des carences de la bailleresse, et que le logement présente un taux d'humidité anormal.
La société Clairsienne réplique qu'aucun fait générateur d'un dommage ne peut lui être imputé et que M. [T] ne rapporte pas la preuve des préjudices qu'il invoque.
L'expert mandaté par l'assureur de M. [T] (rapport d'expertise Matmut - pièce n° 12) a effectué deux visites les 15 janvier et 18 août 2020 et constaté des 'écoulements répétés' en provenance d'un autre appartement, engendrant des 'dommages aux embellissements dans plusieurs pièces du logement'. Le 15 janvier il constatait un écoulement inondant la chambre. Si le taux de 60 % d'humidité mentionné dans le rapport ne correspond pas à un taux d'humidité anormal, il est toutefois relevé la présence de 'moisissures sur le mur donnant en façade dans la chambre des parents imputables à un phénomène de condensation' ainsi qu'une 'peinture auréolée au plafond' de la salle de bain.
M. [T] produit également le rapport de visite du service de santé environnement de la commune de [Localité 3], établi à la suite de la visite d'une inspectrice de salubrité le 6 juillet 2020 (pièce n° 13). Bien que le rapport ne fasse pas état d'une fuite d'eau active au moment de la visite de l'inspectrice, il comporte des photographies qui confirment les infiltrations dont se plaint M. [T] et présente en bilan les constatations suivantes : 'présence importante d'humidité et de moisissures sur les murs en façade, absence d'évacuation de l'air vicié dans la salle de bains et de la cuisine, présence d'une fissure sur la cloison entre la salle de bains et la chambre'.
Contrairement à ce que soutient la société Clairsienne dans ses écritures, ces différents constats, même établis non contradictoirement, constituent des éléments de preuve objectifs venant étayer les allégations de M. [T], dès lors que l'intimée ne produit aucune pièce permettant de douter de la véracité des faits constatés.
Les désordres ainsi établis étant de nature à influer négativement sur l'habitabilité des lieux loués, M. [T] apparaît fondé à se prévaloir d'un préjudice de jouissance.
La société Clairsienne prétend qu'elle n'a pas à répondre de ces préjudices puisque les dégâts des eaux affectant le logement avaient pour origine l'appartement situé au-dessus et occupé par la famille [G], locataire du Centre communal d'action sociale (CCAS) de [Localité 3].
Mais comme le relève à juste titre M. [T] le logement en cause est loué par la société Clairsienne au CCAS, suivant convention de mise à disposition versée au débat (pièce n°9 du dossier de l'intimée). Or, les dommages ont été causés par les occupants du chef de ce dernier.
La société Clairsienne ne pouvant s'exonérer de sa responsabilité qu'en cas de force majeure, elle doit être tenue pour responsable envers M. [T] des troubles de jouissance causés par le CCAS dont il n'est pas prétendu qu'ils présentent les caractères de la force majeure.
De plus, le défaut d'étanchéité de certaines surfaces et l'absence de système d'évacuation de l'air dans la cuisine et la salle de bain sont nécessairement à l'origine d'un trouble de jouissance dont la société Clairsienne doit répondre au titre des travaux qui lui incombaient.
C'est pourquoi, au regard de l'ensemble de ces éléments, il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a retenu la responsabilité de la société Clairsienne et indemnisé le préjudice de jouissance de M. [T].
Sur le montant de la réparation et la compensation des créances réciproques
Alors que M. [T] évalue son préjudice à 20.000 euros, sans préciser les modalités de calcul des dommages et intérêts qu'il réclame, la société Clairsienne forme une demande subsisidiaire tendant à limiter sa dette à la somme de 102 euros, compte tenu d'un préjudice de jouissance évalué à 465,30 euros devant se compenser avec la somme de 363 euros dont est redevable M. [T], ce qu'il ne conteste pas.
La date du premier dégât des eaux n'étant pas contestée, il y a lieu de fixer au 27 novembre 2019 le point de départ des troubles de jouissance subis par M. [T], étant précisé qu'il a averti son bailleur dès le 28 novembre 2019, puis l'a relancé les 2 et 11 mai 2020, que son assureur l'a mis en demeure les 5 mai 2020 et 25 août 2020, mais qu'il n'a pas agi pour remédier aux désordres. En outre, il est établi que M. [T] a délivré un congé prenant effet à la date du 7 septembre 2020, de sorte qu'il ne saurait légitimement prétendre à la réparation de son préjudice de jouissance au-delà de cette date.
Compte tenu du caractère localisé des désordres constatés et de leur intensité moyenne (infiltrations dans la chambre, moisissures), il y a lieu de considérer, en l'absence d'autres éléments versés au débat, qu'ils sont à l'origine de troubles de jouissance modérés justifiant de fixer le préjudice de jouissance de M. [T] à 25% du montant du loyer sur une période de 9 mois, soit 860, 22 euros.
M. [T] ne conteste pas l'existence ou le montant de la créance dont se prévaut la société Clairsienne et ne forme aucune demande de débouté. Il convient, par conséquent, de faire droit à la demande de compensation des créances formée par l'intimée et de condamner la société Clairsienne à verser à M. [T] la somme de 497,22 euros (860,22 - 363).
Sur les dépens et les frais irrépétibles
La société Clairsienne succombant, elle sera condamnée aux dépens en application de l'article 696 du code de procédure civile.
L'équité commande d'allouer à M. [T] dont l'appel a prospéré la somme de 1000 euros au titre des frais irrépétibles qu'il a exposés sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Confirme le jugement sauf en ce qu'il a condamné la société Clairsienne, par compensation entre les obligations réciproques des parties, à verser à M. [T] la somme de 437 euros, en réparation de son préjudice de jouissance.
Statuant à nouveau dans cette limite,
Déclare recevable la demande de M. [H] [T],
Dit que la SA Clairsienne est redevable à M. [H] [T] de la somme de 860,22 euros au titre de son préjudice de jouissance,
Dit que M. [H] [T] est redevable à la SA Clairsienne de la somme de 363 euros,
En conséquence,
Condamne la SA Clairsienne, par compensation entre les créances réciproques des parties, à verser à M. [H] [T] la somme de 497,22 euros,
Y ajoutant,
Condamne la société Clairsienne à payer à M. [H] [T] la somme de 1000 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel,
Condamne la société Clairsienne aux dépens d'appel,
Le présent arrêt a été signé par Madame Bérengère VALLEE, conseiller, en remplacement de Monsieur Roland POTEE, président, légitimement empêché, et par Madame Séléna BONNET , greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Président,