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21/06/2023 | FRANCE | N°20/04674

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 21 juin 2023, 20/04674


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



--------------------------







ARRÊT DU : 21 JUIN 2023







PRUD'HOMMES



N° RG 20/04674 - N° Portalis DBVJ-V-B7E-LZVL











Madame [V] [F]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 33063/02/20/23362 du 21/01/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de BORDEAUX)



c/



S.A.S.U. ARMATIS [Localité 3]

















Nature de la décision : AU FOND















Grosse délivrée le :



à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 17 novembre 2020 (R.G. n°F19/01004) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section Act...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 21 JUIN 2023

PRUD'HOMMES

N° RG 20/04674 - N° Portalis DBVJ-V-B7E-LZVL

Madame [V] [F]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 33063/02/20/23362 du 21/01/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de BORDEAUX)

c/

S.A.S.U. ARMATIS [Localité 3]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 17 novembre 2020 (R.G. n°F19/01004) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section Activités Diverses, suivant déclaration d'appel du 27 novembre 2020,

APPELANTE :

Madame [V] [F]

née le 14 Janvier 1975 à [Localité 4] ([Localité 4]) de nationalité Française

Profession : Sans emploi, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Carole LECOCQ-PELTIER, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE :

SASU Armatis [Localité 3], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 2]

N° SIRET : 797 897 048

représentée par Me William MAXWELL de la SAS MAXWELL MAILLET BORDIEC, avocat au barreau de BORDEAUX, assistée de Me PRIES ANGIBAUT substituant Me Jérôme BIEN de la SELAS ACTY, avocat au barreau de DEUX-SEVRES

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 09 mai 2023 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Sylvie Hylaire, présidente chargée d'instruire l'affaire,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Sylvie Hylaire, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère

Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,

Greffier lors du prononcé ; S. Déchamps

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

Par contrat de travail à durée indéterminée à effet au 17 septembre 2018, Madame [V] [F], née en 1975, a été engagée en qualité de chargée de clientèle par la société LC France, devenue société Armatis [Localité 3].

Cette société exerce son activité dans le domaine de l'intermédiation et de la relation client en assurant notamment pour ses partenaires les services clients et le traitement à distance des ventes.

Mme [F] avait ainsi une mission de télévente de voyages et séjours pour le compte de Pierre & Vacances.

Son contrat de travail prévoyait une rémunération brute mensuelle de 1.498,50 euros.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale du personnel des prestataires de services dans le domaine du secteur tertiaire.

Le 25 mars 2019, Mme [F] a été reçue en entretien par ses supérieurs, Mme [B] et M. [T], qui lui ont reproché d'avoir octroyé des promotions et gestes commerciaux aux clients sans accord préalable de sa hiérarchie.

Par lettre datée du 27 mars 2019, la salariée a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 4 avril 2019.

Elle a ensuite été licenciée pour faute grave par lettre datée du 17 avril 2019.

A la date du licenciement, Mme [F] avait une ancienneté de 7 mois et la société occupait à titre habituel plus de dix salariés.

Contestant la légitimité de son licenciement et réclamant diverses indemnités outre un rappel de primes et des dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, Mme [F] a saisi le 8 juillet 2019 le conseil de prud'hommes de Bordeaux qui, par jugement rendu le 17 novembre 2020, a :

- prononcé la requalification du licenciement pour faute grave de Mme [F] en licenciement pour cause réelle et sérieuse,

- débouté Mme [F] de sa demande d'indemnité de licenciement et d'indemnité compensatrice de préavis ainsi que des congés payés afférents,

- jugé que Mme [F] devra percevoir ses primes de ventes et congés payés afférents pour un montant de 803,51 euros de primes et 80,35 euros de congés payés afférents,

- pris acte du versement à Mme [F] d'une somme de 180 euros correspondant à des chèques-cadeaux,

- débouté Mme [F] de sa demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

- prononcé l'allocation d'une somme de 300 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté Mme [F] de sa demande d'exécution provisoire de la décision sur le fondement de l'article 515 du code de procédure civile,

- débouté la société défenderesse de sa demande reconventionnelle d'une allocation de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Armatis [Localité 3] aux dépens et frais d'exécution.

Par déclaration du 27 novembre 2020, Mme [F] a relevé appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 2 juillet 2021, Mme [F] demande à la cour :

- d'infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Bordeaux le 17 novembre 2020 en ce qu'il :

* a jugé que son licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse,

* l'a déboutée de ses demandes :

* d'indemnité compensatrice de préavis ainsi que des congés payés afférents,

* de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et irrégulier,

* de dommages intérêts pour licenciement vexatoire,

* de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

- de le confirmer pour le surplus,

Statuant à nouveau, de :

- dire qu'elle a fait l'objet d'un licenciement dépourvu de toute cause réelle et sérieuse et entaché d'irrégularité,

- condamner la société Armatis [Localité 3] à lui verser les sommes suivantes :

* 1.839,69 euros à titre indemnité compensatrice de préavis,

* 183,97 euros au titre des congés payés afférents,

* 6.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et irrégulier,

* 2.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire,

* 2.500 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

- condamner la société à payer :

* à Maître Lecocq-Peltier, avocat de Mme [F], la somme de 2.500 euros en application des dispositions de l'article 700 alinéa 2 du code de procédure civile, en contrepartie de sa renonciation au bénéfice de l'aide juridictionnelle,

* à Mme [F] une somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société aux dépens d'instance et frais éventuels d'exécution,

- dire que les intérêts de retard seront dus à compter de la saisine du conseil de prud'hommes,

- débouter la société Armatis [Localité 3] de ses demandes.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 28 avril 2021, la société Armatis [Localité 3] demande à la cour de':

A titre principal,

- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes :

* en ce qu'il a requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse,

* en ce qu'il l'a condamnée à un rappel de salaires de 803,50 euros outre 80,35 euros de congés payés afférents,

* en ce qu'il l'a condamnée à verser une somme de 300 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

* en ce qu'il l'a déboutée de sa demande reconventionnelle d'une allocation de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

* en ce qu'il l'a condamnée aux dépens et frais d'exécution,

Et statuant à nouveau,

- débouter Mme [F] de l'ensemble de ses demandes comme n'étant ni fondées ni justifiées,

A titre subsidiaire,

- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Bordeaux,

En toute hypothèse,

- condamner Mme [F] à lui verser une somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- la condamner aux dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 27 avril 2023 et l'affaire a été fixée à l'audience du 9 mai 2023.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'à la décision déférée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande en paiement d'un rappel de primes et congés payés

Pour voir infirmer le jugement déféré qui a alloué à Mme [F] la somme de 803,50 euros à titre de rappel de salaires outre les congés payés afférents, la société intimée fait valoir que les primes dues sur le chiffre d'affaires ne sont pas exigibles dès lors que ce chiffre d'affaires a été généré en fraude des consignes données à la salariée.

Mme [F] sollicite la confirmation du jugement déféré soutenant que la retenue de cette prime opérée par la société sur les ventes réalisées en février et mars 2019 n'est pas justifiée comme constituant une sanction pécuniaire illicite.

***

Le caractère contractuel de la prime sur ventes due à Mme [F] à hauteur de 0.002% du chiffre d'affaires réalisé n'est pas contesté, l'examen des bulletins de paie de la salariée faisant apparaître des paiements à ce titre notamment au cours des mois de novembre 2018, janvier et février 2019.

L'employeur ne peut, sauf faute lourde, effectuer une retenue d'un élément de rémunération dû au salarié.

La décision sera en conséquence confirmée en ce qu'elle a fait droit à la demande de Mme [F] de ce chef.

Sur la rupture du contrat

La lettre de licenciement datée du 17 avril 2019 est ainsi rédigée :

« Madame,

Vous avez été convoquée par courrier remis en main propre le 27 mars 2019, à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement, fixé le 4 avril 2019 à 9h30, auquel vous vous êtes présentée accompagnée de Monsieur [C] [D], représentant du personnel.

Après examen de votre dossier, nous avons pris la décision de procéder à votre licenciement pour faute grave pour les motifs ci-après exposés :

Non-respect des consignes et procédures dans le traitement des remises tarifaires accordées aux clients Pierre et Vacances :

A compter du 18 septembre 2018, vous êtes formée au produit Pierre et Vacances. Lors de cette formation, les consignes suivantes vous sont données : Pas de geste commerciaux sans accord de la supervision et Communication des codes CE/codes Promo uniquement par le client.

Suite à des contrôles de conformités réalisés par Pierre et Vacances, il ressort que vous appliquez des codes de réductions spontanément sans l'accord de la supervision.

* Dans l'enregistrement n°16432110 du 13 mars 2019 à 16h39, le client vous indique ne pas avoir de codes promo mais être un client très fidèle. Vous proposez à votre client une réduction : « je vais vous faire un prix par rapport à tout ça ». Pour ce client, vous appliquez les remises suivantes : « Je vous ai fait les 5% de fidélité, il y a en plus 20% d'offre réserver tôt, 5% supplémentaires en long séjour. Voilà je vous fait 5% en plus ». L'ensemble de ces remises étant appliqué sans l'accord de votre supervision.

* Dans l'enregistrement n°16443073 du 18 mars 2019 à 10h41, le produit que votre client souhaite réservé n'est plus disponible. Le nouveau produit que vous proposez alors n'est pas éligible à la réduction. Cependant vous appliquez quand même cette remise sans l'accord de votre superviseur. « attendez voir, je peux faire une remise supplémentaire vu que vous êtes client du CGOS ».

Vos outils de réservation ne permettant pas cette remise, vous proposez au client de contourner le système de remise : « si je fais différemment avec un autre système de remise ».

Le client trouvant le prix de la réservation encore trop élevé, vous lui proposez 5% supplémentaire sans l'accord préalable de votre supervision.

* Dans l'enregistrement n°16444666 du 18 mars 2019 à 17h01, votre cliente dit avoir un code lié au partenariat avec les magasins Aubert mais n'est pas en mesure de vous le donner.

Vous proposez la remise de 5% sans que la cliente ne donne de référence ou de code de réduction. La remise liée au magasin ne s'appliquant pas, vous proposez de contourner le système de réduction :

« Je vais essayer de voir si je ne peux pas faire les 5% autrement. Je vous fais 5%, c'est pas la remise Aubert mais ce n'est pas grave ».

* Dans l'enregistrement n°16453817 du 22 mars 2019 à 09h05, votre client affirme ne pas avoir de code promo. Le client indique qu'il s'agit de sa troisième réservation. A ce titre, vous proposez au client une réduction sans l'accord de votre supervision.

« Je peux vous faire les offres du moment 10% ».

* Dans l'enregistrement n°16454181 du 22 mars 2019 à 10h43, votre cliente affirme n'avoir aucun code CE ou autre remise. Vous appliquez légitimement une remise de 20% car la cliente est propriétaire d'un appartement qu'elle propose à la location sur Pierre et Vacances. Vous cherchez alors à cumuler une autre remise liée à l'assurance de la cliente. Ces remises n'étant pas cumulables, vous proposez une remise de 5% supplémentaire.

« Comme vous êtes fidèles à nous, je peux vous faire les 5% supplémentaires ».

Dans l'ensemble de ces enregistrements cités en exemple, vous incitez les clients à l'acte d'achat aux moyens de propositions de réductions alors que le process vous interdit cette pratique.

Seul le client peut demander une réduction.

Vous appliquez ces réductions et traité ces dossiers clients sans accord de votre encadrement alors que seul votre encadrement opérationnel peut traiter ces réductions dans les outils.

Lors de l'entretien réalisé avec Madame [R] [J], responsable des Ressources Humaines, le 4 avril 2019, vous niez ces faits.

Vos actes volontaires sont de nature à entamer la confiance du partenaire Pierre et Vacances et remettre en question l'intégrité de la société Armatis-[Localité 3] dans le traitement loyal et conforme aux process du partenaire des actes qu'il nous confie.

Ces actes volontaires représentent un préjudice pour la société Armatis qui vous a versé à tort des primes sur ces ventes irrégulières.

Cette attitude caractérise un manquement manifeste et volontaire à vos obligations contractuelles (Art 7-Conditions d'activités), ce qui n'est pas tolérable.

En effet, le non-respect des procédures d'attribution des remises tarifaires contredit le paragraphe 7.1 de votre contrat de travail qui prévoit : « Le salarié s'engage pendant toute la durée de son contrat à respecter les directives générales ou particulières qui lui seront données par son supérieur hiérarchique, et notamment les méthodes (codification des appels entrant et/ou sortant, enquête et sondages etc...), les procédures administratives et les comptes rendus, et à se conformer aux règles régissant le fonctionnement de celle-ci ».

Ces faits rendent impossible la poursuite de votre activité au sein de l'entreprise et constituent donc une faute grave. (...) ».

*

La société fait valoir que lors de son intégration, Mme [F] avait suivi une formation préalable d'une semaine au cours de laquelle il était notamment spécifié sur un des documents remis que le chargé de clientèle ne peut pas accorder de promotions et gestes commerciaux aux clients sans accord préalable de sa hiérarchie et sans communication par le client d'un code de promotion.

A la suite d'un contrôle de conformité sur les process de vente effectué par Pierre & Vacances, il serait apparu que Mme [F] octroyait unilatéralement des promotions et gestes commerciaux aux clients sans l'accord de sa hiérarchie, ce qu'elle n'a pas contesté au cours de l'entretien informel du 25 mars 2019 pour prétendre ensuite, durant l'entretien préalable, qu'elle avait obtenu l'accord verbal de sa hiérarchie.

D'une part, la société conteste l'existence d'un licenciement verbal, soulignant que le licenciement a été notifié à Mme [F] par courrier recommandé du 17 avril 2019, qui lui a également été envoyé par courriel et que la salariée ne pouvait donc pas avoir le sentiment qu'il lui aurait été demandé de quitter l'entreprise avant que les motifs de la rupture n'aient été portés à sa connaissance.

D'autre part, elle fait valoir que l'entretien informel du 25 mars 2019 ne constitue pas une sanction.

Enfin, elle souligne que Mme [F], qui ne nie pas avoir consenti les remises critiquées au cours des opérations relatées dans la lettre de licenciement, ne rapporte pas la preuve de l'aval de sa hiérarchie, la société rappelant que la salariée était rémunérée sur le chiffre d'affaires généré.

Mme [F] fait tout d'abord valoir que son licenciement pour faute grave lui a été annoncé verbalement par Mme [H] [W], sa responsable plateau le 17 avril 2019, puis confirmé oralement le 19 avril par la responsable RH, Mme [J], ce qui l'a conduite à adresser à celle-ci un mail du même jour, dans lequel elle indiquait ne pas avoir reçu de lettre de licenciement.

Celle-ci lui a alors répondu, en joignant au mail une copie de la lettre de licenciement qu'elle indiquait avoir postée le jour même, que Mme [W] l'avait reçue par courtoisie pour l'informer de la décision prise suite à l'entretien préalable réalisé le 4 avril.

Le licenciement serait dès lors dépourvu de cause réelle et sérieuse et ce, d'autant qu'au cours de l'entretien préalable, l'employeur, représenté par Mme [J], a fait intervenir Mme [B], sa supérieure hiérarchique, qui lui était particulièrement hostile et de laquelle Mme [F] prétend avoir obtenu des consignes verbales autorisant les promotions accordées aux clients, la présence de Mme [B] durant l'entretien portant atteinte à l'égalité des armes.

En second lieu, Mme [F] fait valoir que le compte-rendu de l'entretien informel du 25 mars 2019, au cours duquel M. [T] et Mme [B] lui ont reproché un comportement inacceptable, constitutif d'une fraude et d'un écart majeur, serait un avertissement disciplinaire, les faits ne pouvant pas, dès lors, faire l'objet d'une deuxième sanction.

Enfin, Mme [F] conteste les faits reprochés, soutenant n'avoir fait que suivre les instructions qui lui avaient été données, en soulignant que toutes les conversations téléphoniques avec les clients étaient enregistrées, qu'elle concluait plusieurs centaines de ventes par mois, ayant généré en février 2019 un chiffre d'affaires de 227.967,10 euros correspondant à 268 ventes.

Elle ajoute que lors de l'entretien, 33 ventes litigieuses ont été évoquées par l'employeur mais que la lettre de licenciement ne fait état que de 5 ventes, au demeurant différentes.

Elle précise que son contrat de travail prévoyait qu'elle pouvait être amenée à répondre à des consignes orales et souligne qu'elle n'a pas signé le support de formation produit par la société, ce qui le prive de toute valeur contradictoire, outre qu'il ne contient pas de consignes particulières dont l'irrespect serait démontré.

Elle indique enfin que la société ne verse aux débats aucun document relatif aux ventes invoquées dans la lettre de licenciement et a refusé de lui faire entendre les enregistrements malgré sa demande à ce titre.

***

En vertu des dispositions de l'article L. 1232-6 du code du travail, lorsque l'employeur décide de licencier un salarié, il lui notifie sa décision par lettre recommandée avec avis de réception qui doit comporter l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur.

C'est au jour de l'envoi de ce courrier que se situe la décision de rompre le contrat de travail et le licenciement verbalement notifié au salarié avant l'envoi de la lettre de licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

En l'espèce, il ressort très clairement du mail adressé le 19 avril 2019 à 13h04 à Mme [F] par Mme [J], responsable des ressources humaines que le licenciement de la salariée lui a été annoncé verbalement par sa responsable, Mme [H] [W], le 17 avril 2019, Mme [J] lui confirmant que son contrat de travail cesse le soir même à 00h00 alors que la lettre de rupture, certes datée du 17, n'a été en réalité envoyée qu'à cette date.

La décision de l'employeur de licencier Mme [F] ayant été portée oralement à sa connaissance avant l'envoi de la lettre de licenciement, ce licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur les demandes pécuniaires au titre de la rupture du contrat

Mme [F] sollicite le paiement de la somme de 1.839,69 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 183,97 euros pour les congés payés afférents, revendiquant un salaire de 1.839,61 euros correspondant au salaire moyen perçu de janvier à mars 2018 (5.518,82/3).

En application de l'article 19.1 de la convention collective applicable, la durée du préavis des employés ayant moins de deux ans d'ancienneté est d'un mois.

L'indemnité due sera donc fixée à la somme de 1.839,61 euros bruts outre 183,96 euros bruts pour les congés payés afférents.

***

Mme [F] sollicite le paiement de la somme de 6.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, demandant à la cour d'écarter le barème instauré par l'article L. 1235-3 du code du travail au visa de la convention n° 158 de l'OIT et de la Charte sociale Européenne.

D'une part, les dispositions de la Charte sociale européenne selon lesquelles les Etats contractants ont entendu reconnaître des principes et des objectifs poursuivis par tous les moyens utiles, dont la mise en oeuvre nécessite qu'ils prennent des actes complémentaires d'application et dont ils ont réservé le contrôle au seul système spécifique visé par la partie IV, ne sont pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.

L'invocation de son article 24 ne peut dès lors pas conduire à écarter l'application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017.

D'autre part, les dispositions de l'article L.1235-3 du code du travail, qui octroient au salarié, en cas de licenciement injustifié, une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l'ancienneté du salarié permettent raisonnablement l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi, étant observé que celles de l'article L 1235-3-1 du même code prévoient que, dans des cas limitativement énumérés entraînant la nullité du licenciement, le barème ainsi institué n'est pas applicable.

Le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l'employeur est en outre assuré par l'application, d'office par le juge, des dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail, aux termes desquelles le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé.

Les dispositions des articles L. 1235-3, L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du code du travail sont ainsi de nature à permettre le versement d'une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'OIT.

Il en résulte que les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l'article 10 de la convention précitée.

Il n'y a donc pas lieu d'écarter l'application du barème résultant de ce texte.

Après réintégration du rappel de primes sur ventes au salaire de référence, il sera alloué à Mme [F] la somme de 2.107,44 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

***

Mme [F] sollicite également le paiement de la somme de 2.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire, invoquant les accusations portées à son encontre au cours de l'entretien préalable.

La société ne présente pas d'observations à ce sujet.

*

Il ressort du compte-rendu de l'entretien préalable au licenciement établi par le conseiller qui assistait Mme [F] que les termes de vol et d'escroquerie ont été utilisés à l'encontre de la salariée par Mme [J], responsable des ressources humaines, et que Mme [B], appelée en cours d'entretien, s'est montrée agressive envers Mme [F].

Il est par ailleurs mentionné que 33 ventes litigieuses ont été évoquées alors que la lettre de licenciement ne fait état que de 5 échanges avec les clients posant difficultés.

Il a enfin été relevé que l'annonce du licenciement a été faite verbalement le 17 avril 2019, Mme [J] indiquant à Mme [F] par mail adressé le 19 avril 2023 à 13h04 que son contrat de travail cesse le soir même à 00h00.

Les circonstance brutales et vexatoires de ce licenciement ainsi que l'impact de la procédure sur l'état de santé de Mme [F], évoqué au cours de la visite auprès du médecin du travail du 11 avril 2019, justifient l'octroi de la somme sollicitée.

Sur la demande au titre de l'exécution déloyale du contrat

Mme [F] sollicite la somme de 2.500 euros à titre de dommages et intérêts invoquant à l'appui de cette demande formulée en raison de l'exécution déloyale du contrat de travail les éléments suivants :

- ses dénonciations faites à plusieurs reprises du comportement hostile manifesté à son égard par Mme [B],

- l'entretien du 25 mars 2019 réalisé en dehors de toute procédure disciplinaire et sans qu'elle puisse être assistée et les accusations faites alors à son encontre,

- la présence de Mme [B] au cours de l'entretien préalable au licenciement,

- le retard de l'employeur dans la remise des documents de fin de contrat et son refus de lui payer les primes dues.

***

Il n'est pas justifié des doléances préalables dont fait état Mme [F] à l'égard de Mme [B] et l'organisation d'un entretien entre la salariée et ses supérieurs hiérarchiques aux fins de recueillir les explications de celle-ci avant d'engager une procédure disciplinaire ne suffit pas à caractériser l'exécution déloyale alléguée. Par ailleurs, il a été tenu compte des accusations portées par l'employeur au titre de l'indemnisation des circonstances brutales et vexatoires du licenciement.

Il est en revanche établi que Mme [F] a dû réclamer à plusieurs reprises ses documents de fin de contrat qui n'ont été établis que le 7 mai après qu'elle a adressé trois demandes à ce sujet.

Par ailleurs, l'employeur a effectivement retenu à tort les primes sur vente de la salariée.

Il sera en conséquence alloué à Mme [F] la somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts.

Sur les autres demandes

Il n'y a pas lieu de déroger aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil en application desquelles les créances salariales produisent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le conseil de prud'hommes et les créances indemnitaires produisent intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant.

La société, partie perdante à l'instance, sera condamnée aux dépens ainsi qu'à payer à Maître Lecoq-Peltier, conseil de Mme [F], la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700. 2° du code de procédure civile en contrepartie de sa renonciation à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, le jugement déféré étant confirmé en ce qu'il a alloué à Mme [F] la somme de 300 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Confirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société Armatis [Localité 3] à payer à Mme [F] la somme de 803,51 euros bruts à titre de rappel de prime sur les ventes réalisées et celle de 80,35 euros bruts pour les congés payés afférents ainsi que la somme de 300 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens,

L'infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau,

Dit que le licenciement de Mme [F] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

Condamne la société Armatis [Localité 3] à payer à Mme [F] les sommes suivantes :

- 1.839,61 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 183,96 euros bruts pour les congés payés afférents,

- 2.107,44 euros bruts à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 2.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant des circonstances brutales et vexatoires du licenciement,

- 500 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

Rappelle que les créances salariales produisent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le conseil de prud'hommes et les créances indemnitaires produisent intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant,

Déboute les parties du surplus de leurs prétentions,

Condamne la société Armatis [Localité 3] aux dépens ainsi qu'à payer à Maître Lecoq-Peltier, conseil de Mme [F], la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700. 2° du code de procédure civile en contrepartie de sa renonciation à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.

Signé par Sylvie Hylaire, présidente et par Sylvaine Déchamps, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

S. Déchamps Sylvie Hylaire


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 20/04674
Date de la décision : 21/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-21;20.04674 ?
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