La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

21/06/2023 | FRANCE | N°20/03006

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 21 juin 2023, 20/03006


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



--------------------------







ARRÊT DU : 21 JUIN 2023







PRUD'HOMMES



N° RG 20/03006 - N° Portalis DBVJ-V-B7E-LUX7













Monsieur [D] [K]



c/



S.A. SPIE BATIGNOLLES

















Nature de la décision : AU FOND

















Grosse délivrée le :
<

br>

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 24 juillet 2020 (R.G. n°F 17/00478) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section Encadrement, suivant déclaration d'appel du 03 août 2020,





APPELANT :

Monsieur [D] [K]

né le 12 Janvier 1948 à [Localité 3] de nationalité França...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 21 JUIN 2023

PRUD'HOMMES

N° RG 20/03006 - N° Portalis DBVJ-V-B7E-LUX7

Monsieur [D] [K]

c/

S.A. SPIE BATIGNOLLES

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 24 juillet 2020 (R.G. n°F 17/00478) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section Encadrement, suivant déclaration d'appel du 03 août 2020,

APPELANT :

Monsieur [D] [K]

né le 12 Janvier 1948 à [Localité 3] de nationalité Française demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Régine LOYCE-CONTY substituant Me Pierre BLAZY de la SELARL BLAZY & ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX ,

INTIMÉE :

SA Spie Batignolles, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 2]

N° SIRET : 528 694 052

représentée par Me Mathieu RAFFY de la SELARL MATHIEU RAFFY - MICHEL PUYBARAUD, avocat au barreau de BORDEAUX et assistée de Me Philippe HONTAS de la SELARL HONTAS ET MOREAU, avocat au barreau de BORDEAUX,

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 09 mai 2023 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Sylvie TRONCHE, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère

Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

Greffier lors des débats : Evelyne Gombaud,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

***

EXPOSE DU LITIGE

M. [D] [K], né en 1948, a été engagé en qualité de responsable d'exploitation, statut cadre, par la SA Spie Batignolles, par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er juin 2011, pour le chantier de l'autoroute A63.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des cadres des travaux publics.

M. [K] a été mis à la disposition de la société Atlandes, cessionnaire de ladite autoroute à compter du 30 juin 2011.

M. [K] a démissionné Le 17 décembre 2015.

Soutenant avoir réalisé des astreintes pour le compte de la société Atlandes, M. [K] a demandé des explications à son employeur sur l'absence de règlement de ses heures d'astreintes dans son solde de tout compte, par courriers recommandés des 26 juin et 21 juillet 2016.

Le 31 octobre 2016, la société Spie Batignolles a répondu que les déplacements que le salarié avait eu à effectuer relevaient de l'exécution de sa mission.

A la date de sa démission, M. [K] avait une ancienneté de 5 ans et 6 mois, et la société occupait à titre habituel plus de dix salariés.

Demandant le versement de rappels de salaire au titre d'heures d'astreinte pour la période courant du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015, la reconnaissance du manquement de son employeur à son obligation de bonne foi dans l'exécution du contrat de travail et des dommages et intérêts au titre du préjudice moral, M. [K] a saisi le 23 mars 2017 le conseil de prud'hommes de Bordeaux qui, par jugement rendu le 24 juillet 2020, l'a débouté de l'ensemble de ses demandes et l'a condamné à verser à la société Spie Batignolles la somme de 400 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration du 3 août 2020, M. [K] a relevé appel de cette décision, notifiée le 27 juillet 2020.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 27 avril 2021, M. [K] demande à la cour de :

- déclarer que son appel est recevable et bien-fondé,

- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes déféré et statuant à nouveau,

A titre principal,

- dire qu'il aurait dû être payé pour les heures d'astreintes qu'il a effectuées du 23 mars 2012 au 31 décembre 2015,

- condamner la société Spie Batignolles au versement de 61.608,77 euros au titre des rappels de salaires, à savoir les heures d'astreintes, pour la période courant du 23 mars 2012 au 31 décembre 2015,

A titre subsidiaire,

- dire qu'il aurait dû être payé pour les heures d'astreintes qu'il a effectuées du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015,

- condamner la société Spie Batignolles au versement de 48.799 euros au titre des rappels de salaires, à savoir les heures d'astreintes, pour la période courant du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015,

En tout état de cause,

- dire que la société Batignolles a manqué à son obligation de bonne foi dans l'exécution du contrat de travail ,

- la condamner à lui verser la somme de 10.000 euros au titre du préjudice moral subi,

- la condamner aux dépens, frais et procédure, y compris les frais qui seraient éventuellement à engager si le jugement à venir n'était pas respecté, ainsi qu'à une indemnité de 2.000 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 22 mars 2023, la société Spie Batignolles demande à la cour de :

- confirmer le jugement prononcé par le conseil de prud'hommes de Bordeaux du 24 juillet 2020,

Sur les demandes au titre de "l'astreinte"

A titre principal,

- juger que conformément à l'article L. 3245-1 du code de travail, les demandes de M. [K] afférentes à une période antérieure au 23 mars 2014, sont irrecevables car prescrites ne peuvent être examinées,

- juger irrecevable car nouvelle sa demande qui porte une somme de 61.608,77 euros au titre des prétendues astreintes qu'il aurait effectué depuis le 23 mars 2012 (et non plus depuis le 4 janvier 2013 comme réclamé en 1ère instance),

A titre subsidiaire,

- juger qu'il n'existe aucun système d'astreinte au sens de l'article L. 3121-5 du code de travail en vigueur au moment du litige,

- juger M. [K] mal fondé en ses demandes au titre des rappels de salaire constitués par les heures d'astreinte et l'en débouter,

A titre infiniment subsidiaire,

- juger que M. [K] est défaillant dans la charge de la preuve qui lui incombe quant à l'accomplissement d'interventions effectives qui lui auraient été demandées dans le cadre de la prétendue astreinte qui excèderait le niveau III ou encore qu'il ait été placé dans l'obligation de demeurer à son domicile ou à proximité et qu'en conséquence il est mal fondé à revendiquer le paiement d'éléments de rémunération au titre de « l'astreinte »,

- le juger mal fondé en ses demandes et en tout état de cause l'en débouter,

- le débouter de sa demande de condamnation au titre des rappels en paiement des heures d'astreinte,

Sur les demandes au titre du prétendu défaut d'exécution de bonne foi du contrat de travail,

- juger que conformément à l'article L. 3245-1 du code de travail, les demandes de M. [K] afférentes à une période antérieure au 23 mars 2014, sont irrecevables car prescrites ne peuvent être examinées,

- juger que la société Spie Batignolles a exécuté de bonne foi le contrat de travail de M. [K],

- juger que les allégations de M. [K] quant à l'exécution déloyale du contrat de travail sont contestées et que leur réalité et l'imputabilité à la société Spie Batignolles ne sont pas établies,

- juger que M. [K] est défaillant quant à la charge de la preuve qui lui incombe au sens de l'article 9 du code de procédure civile quant à l'existence d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre ces deux éléments,

- juger faute pour cette dernière d'apporter la triple démonstration d'une faute de l'employeur, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre ces deux éléments, M. [K] sera débouté de sa demande de dommages et intérêts au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail et au titre du préjudice moral,

En tout état de cause,

- débouter M. [K] de sa demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- le condamner à 1.500 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 13 avril 2023 et l'affaire a été fixée à l'audience du 9 mai 2023.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'à la décision déférée.

MOTIFS DE LA DECISION

-I- Sur les demandes au titre de l'astreinte

- Sur la prescription

M. [K] sollicite le règlement des astreintes effectuées à compter du 23 mars 2012 au 31 décembre 2015, considérant qu'ayant saisi le conseil des prud'hommes le 23 mars 2017 pour des astreintes ayant débuté en juillet 2011, la prescription quinquennale s'appliquait. Il affirme que c'est en recevant son solde de tout compte qu'il avait constaté que les heures de travail effectuées au titre de l'astreinte ne lui avaient pas été réglées.

L'employeur conclut que la période antérieure au 24 mars 2014 est prescrite.

L'action de M. [K] ayant été introduite le 23 mars 2017, la prescription triennale de l'article L.3242-1 du code du travail est applicable.

Pour les créances nées avant le 16 juin 2013, le délai de prescription initial de 5 ans a été réduit à 3 ans par la loi du 14 juin 2013. Pour bénéficier des dispositions transitoires, le salarié aurait dû saisir la juridiction prud'homale avant le 16 juin 2016 de sorte que son action en paiement des astreintes pour la période antérieure au 16 juin 2013 est prescrite.

Pour les créances nées après le 16 juin 2013, aux termes des dispositions de l'article L.3245-1 du code du travail, l'action en paiement ou en répétition de salaire se prescrit à l'expiration d'un délai de trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.

Cet article opère une distinction entre le délai pour agir et la période couverte par la demande. Ainsi doivent être distinguées :

- la prescription de l'action en paiement qui court à compter du jour où celui qui exerce cette action a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ;

- la prescription de la créance salariale, c'est-à-dire la période sur laquelle peut porter la demande, qui diffère selon que le contrat est rompu ou pas au moment où l'action est engagée.

En outre, le délai de prescription des salaires court à compter de la date à laquelle la créance salariale est devenue exigible. Pour les salariés payés au mois, la date d'exigibilité du salaire correspond à la date habituelle du paiement des salaires en vigueur dans l'entreprise et concerne l'intégralité du salaire afférent au mois considéré.

La demande en paiement peut ainsi porter soit sur les sommes dues au titre des 3 années précédant la saisine soit du 31 mars 2014 au 31 mars 2017 soit sur les sommes dues au titre des 3 années précédant la rupture, dans la limite du 16 juin 2013.

Le contrat de travail ayant été rompu le 17 décembre 2015, M. [K] est recevable à solliciter un rappel de salaire au titre des astreintes sur une période comprise entre le 16 juin 2013 et le 17 décembre 2015.

- Sur la demande nouvelle

La société intimée sollicite, sur le fondement de l'article 564 du code de procédure civile, l'irrecevabilité de la demande nouvelle du salarié tendant au paiement de l'astreinte à compter du 23 mars 2012 alors qu'en premier instance cette demande portait sur une période commençant le 4 janvier 2013, ce que conteste le salarié.

Compte tenu de ce qui précède, cette demande devenue sans objet sera rejetée.

La décision des premiers juges sera infirmée.

- Sur l'astreinte

Pour solliciter l'infirmation de la décision déférée ainsi que l'allocation d'une indemnité au titre de l'astreinte, M. [K] soutient que lors de sa mise à disposition aux termes d'un contrat conclu entre son employeur et la société Atlandes, concessionnaire de l'autoroute A63, un système d'astreinte a été mis en oeuvre dès le mois de juillet 2011 afin de garantir à tout moment de la journée et de la nuit, en semaine mais également le week-end, la sécurité des automobilistes empruntant cette autoroute, conformément aux exigences du plan d'intervention de sécurité. Il ajoute que trois membres de la direction assuraient également ces astreintes dans le cadre d'un tour de rôle prévu par un tableau établi à l'avance. Il prétend avoir été contraint, pendant les périodes d'astreinte, de résider dans son logement de travail à proximité du chantier, pour intervenir au plus vite en cas d'incident, sa résidence familiale étant établie dans le département de l'Yonne. Il explique que l'astreinte consistait non seulement à assurer une permanence téléphonique en recevant les appels de la société d'exploitation Egis Exploitation Aquitaine (EEA) ou des dépanneurs agréés de l'autoroute sous les ordres de la société Atlandes, mais également à intervenir rapidement en cas de besoin. Selon lui , l'intimée tente de semer la confusion en prétendant que le plan de sécurité s'imposait à lui mais que les astreintes ne le concernaient pas et qu'il lui appartenait simplement d'aviser le directeur général d'Atlandes.

En réplique, la société affirme que le plan d'intervention de sécurité établi par les préfets de région et le ministère doit recevoir application dès qu'un incident perturbe la circulation des autoroutes nécessitant la mise en oeuvre de secours ou de mesures temporaires. Selon elle dans ce cadre, l'astreinte de la société d'exploitation Egis Exploitation Aquitaine qui gère le PC de sécurité relève du droit privé tandis que l'astreinte relevant de la société Atlandes résulte d'une mission de service public et s'impose au salarié sans que ce dernier ne puisse prétendre à une quelconque indemnisation au titre du droit privé. Elle prétend en outre que le système d'astreinte auquel est assujettie la société d'exploitation comporte trois niveaux ne concernant pas le salarié. Ce n'est qu'en cas de crise exceptionnelle qui affecte l'autoroute en dehors de la plage horaire 8 heures -18 heures que le cadre d'astreinte niveau 3 d'Egis Exploitation Aquitaine doit aviser téléphoniquement le cadre d'Atlandes déterminé selon un tour de service hebdomadaire et ce afin que ce dernier prévienne son directeur général. L'astreinte de la société concessionnaire au sens de la mission de service public relève du niveau de décision du directeur général d'Atlandes. La mission du salarié consistant à aviser téléphoniquement le directeur général de la société ne peut constituer une astreinte dans la mesure où il pouvait gérer à sa guise ses temps d'inactivité et n'avait pas l'obligation de demeurer à son domicile ou à proximité. Elle ajoute que le salarié n'a jamais été sollicité dans ce cadre et que soumis au forfait jours, il ne peut demander le paiement de prétendues astreintes.

*

Il résulte des dispositions de l'article L3121-5 du code du travail dans sa version applicable au présent litige, que :

« Une période d'astreinte s'entend comme une période pendant laquelle le salarié, sans être à la disposition permanente et immédiate de l'employeur, a l'obligation de demeurer à son domicile ou à proximité afin d'être en mesure d'intervenir pour accomplir un travail au service de l'entreprise.

La durée de cette intervention est considérée comme un temps de travail effectif. »

*

En l'espèce, il ressort des pièces versées à la procédure par le salarié que :

- il a été engagé le 1er juin 2011 par la société Spie Batignolles pour exercer les fonctions de responsable d'exploitation pour le chantier de l'autoroute A63, (liaison [Localité 7]-[Localité 6]),

- une convention cadre de mise à disposition temporaire de personnel à titre non lucratif a été conclue le 30 juin 2011 entre la société Spie Batignolles et la société Atlandes, engagée par un contrat de concession avec l'Etat pour la conception, l'aménagement, l'élargissement, l'entretien, l'exploitation et la maintenance d'une section de l'autoroute A63, prévoyant que les personnels mis à la disposition du concessionnaire sont soumis au règlement intérieur et à l'ensemble des règles et procédures applicables dans l'entreprise d'accueil,

- un formulaire individuel de mise à disposition de M. [K] a été signé entre les deux sociétés le 30 juin 2011,

- une organisation de « l'astreinte Atlandes »a été mise en place de la façon suivante : « l'astreinte du concessionnaire est chargée 24h sur 24 h, toute l'année de mettre en oeuvre les actions et moyens relevant habituellement du niveau de décision du Directeur Général, permettant de traiter tous les événements survenant sur l'autoroute A63 entre [Localité 7] et [Localité 6] pouvant porter atteinte à la sécurité des usagers, à la recette péage, à l'écoulement du trafic, au fonctionnement de l'autoroute A63 ou à son image. Les moyens mis en oeuvre sont : personnels de direction de la société, matériel de la société, procédure d'astreinte et notamment procédure de gestion de crise, tout moyen jugé nécessaire par le cadre d'astreinte... »,

- ensuite d'un document édité par la société Atlandes intitulé « missions et interventions d'Atlandes dans le cadre de l'astreinte générale de l'A63 Landes pour la gestion des événements aléatoires » dans le but de respecter l'article 14 du cahier des charges de la convention entre l'Etat et Atlandes, les sociétés Egis Exploitation Aquitaine et la société concessionnaire Atlandes ont mis en place : « une organisation qui s'appuie, en tant que de besoin, sur des personnels d'astreinte pouvant intervenir à la demande et en fonction des événements, dans tous les domaines où la société doit offrir une continuité de service à ses usagers »; Ce document définit l'astreinte ainsi : « ... en dehors des heures ouvrées (8h-18h) pendant lesquelles l'organisation normale s'applique, l'astreinte permet d'assurer une permanence dans tous les domaines définis où la société doit assurer une continuité de service...le cadre d'astreinte Atlandes est l'interlocuteur de l'astreinte niveau 3 d'EAA...le cadre d'astreinte est disponible 24/24 selon un tour de service hebdomadaire... », il est prévu au niveau de l'astreinte encadrement chez Atlandes : « DG/DT/REX/DAF », « ...les événements dont le traitement n'implique pas de perturbation de trafic ne remontent pas à l'astreinte Atlandes ...en cas d'événement majeur, il sera peut être nécessaire que le cadre d'astreinte Atlandes se rende au PC EAA au CEM de [Localité 8] et [Localité 5] »,

- divers planning « astreinte Atlandes » du 1er semestre 2012 à janvier 2016 font apparaître à tour de rôle, M. [K] au même titre que M. [X], directeur général de la société Atlandes jusqu'en juillet 2015,

- un courriel dont l'objet est « astreinte A63 de ce week-end » informe que M. [K] remplace, pour l'astreinte, M. [X], directeur général,

- il était prévu le remplacement de M. [K] ou que ce dernier remplace quelqu'un d'autre pendant des périodes d'astreinte selon divers courriels constituant la pièce 18 de l'appelant,

- M. [K] était sur place très rapidement après avoir été avisé lors de chaque accident poids lourds, selon une attestation de M. [E] gérant du dépannage [E],

- M. [K] était présent le 28 août 2015, lors d'un suicide sur l'autoroute aux termes de l'attestation du Lieuteant [L], commandant le peloton motorisé de [Localité 4] ,

- M. [K] était présent à la suite d'un accident mortel survenu le 30 avril 2013 en milieu de journée dont il a avisé M. [X] ainsi que de l'ensemble des démarches entreprises pour l'évacuation et la réouverture de l'autoroute en fin de journée.

Par voie de conséquence, ces éléments établissent que M. [K], d'astreinte, avait l'obligation de demeurer dans son logement de travail situé dans les Landes ou à proximité, avec le téléphone portable destiné aux astreintes pour être prêt à intervenir rapidement et l'employeur ne saurait contester l'effectivité de cette astreinte, motifs pris de ce que la société d'exploitation devait prévenir téléphoniquement un cadre d'Atlandes déterminé selon un tour de service hebdomadaire pour que ce dernier prévienne le directeur général dans la mesure où M. [X], puis M. [F] qui l'a remplacé, prenaient part également au tour d'astreinte et remplaçaient parfois M. [K]. Il ne saurait également prétendre que les interventions dont le salarié a fait état ont été exceptionnelles pour se soustraire à son obligation, le temps effectif de travail résultant de ces interventions et dont le salarié ne demande d'ailleurs pas le paiement, ne pouvant se confondre avec le temps pendant lequel il était à sa disposition et qui constitue une astreinte. Pour faire échec à la demande du salarié, la société produit un tableau pointant les incohérences entre les semaines pendant lesquelles le salarié indique être d'astreinte et les factures de carburant de ce dernier qui démontreraient son éloignement de son logement de travail. Or, la cour observe d'une part, à l'instar du salarié, que le tableau des astreintes a pu varier dans le temps de la relation contractuelle, des remplacements ayant été opérés tel que cela résulte de la pièce n°18 du salarié et d'autre part, que la majorité des factures en cause ont été établies pendant les heures de travail effectif du salarié de sorte que ces éléments sont insuffisants pour contredire les pièces fournies par M. [K]. S'agissant de l'argument tiré de l'application de la convention de forfait jours, l'employeur ne produit aucun élément permettant d'établir que la rémunération forfaitaire de M. [K] excédait sa rémunération conventionnelle augmentée des astreintes.

La contrepartie d'une astreinte peut être financière ou en repos et les bulletins de paye ne mentionnent ni jours de repos ni le paiement d' astreinte.

Dés lors M. [K] est fondé à réclamer le paiement des astreintes.

Pour solliciter l'allocation de la somme de 48 799 euros au titre des astreintes réalisées à compter du 1er janvier 2013, le salarié se fonde sur un tableau qu'il a établi en se basant sur l'annexe III de la convention collective des sociétés d'économie mixte d'autoroute du 1er juin 1979 prévoyant que l'indemnité horaire de nuit est de 18% de l'heure normale et de 25% les dimanches et jours fériés.

L'employeur répond que cette convention collective n'est pas applicable au salarié qui relève de la convention collective nationale des travaux publics et qu'il existe des incohérences entre ce tableau et celui des astreintes hebdomadaires qui ont été régulièrement modifiées.

Ainsi que le fait valoir l'employeur, à la lecture de ses bulletins de salaires, la convention collective applicable à M.[K] est celle des travaux publics. En outre la cour observe que l'accord du 23 décembre 1997, attaché à la convention collective des sociétés d'économie mixte d'autoroute du 1er juin 1979 prévoit un régime différent pour les cadres « chaque société s'engageant à négocier en vue d'un accord d'entreprise portant sur le régime de l'astreinte effectuée par l'agent cadre », de sorte que l'annexe III ne saurait lui être applicable.

Dès lors, à défaut de dispositions conventionnelles ou contractuelles, la contrepartie financière n'est pas soumise à un montant minimum et il revient au juge de l'évaluer.

Compte-tenu du nombre de jours et de nuits d' astreinte assumé par M.[K] entre le 16 juin 2013 et le 17 décembre 2015 déduction faite des sept heures de travail quotidiennes, la société sera condamnée à payer à M. [K] la somme de 12 000 euros

La décision dont appel sera infirmée sur ce point.

-II- Sur les demandes au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail

M.[K] demande l'indemnisation d'un préjudice financier et moral à hauteur de la somme de 10 000 euros en indiquant avoir été privé pendant des années d'une partie de sa rémunération.

L'employeur s'y oppose en faisant valoir la prescription triennale de l'article

L. 3245-1 du code du travail ainsi que l'absence de démonstration par le salarié d'un quelconque préjudice subi.

La prescription triennale de l'article L3245-1 du code du travail ne concerne que les actions en paiement ou en répétition de salaire.

S'il est incontestable que le défaut de paiement des astreintes a réduit la rémunération de M. [K] de manière régulière et significative, il n'en demeure pas moins que ce dernier s'abstient de produire des éléments probants au soutien de sa demande de sorte qu'il ne peut être considéré qu'il a souffert d'un préjudice moral.

Le préjudice économique subi par M. [K] sera indemnisé à hauteur de

1 000 euros.

La décision de première instance sera infirmée sur ce point.

- III- Sur les autres demandes

La société partie perdante à l'instance supportera la charge des dépens.

L'équité et la situation des parties commandent de condamner la société à verser à M. [K] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La décision de première instance sera infirmée de ces chefs.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Infirme en toutes ses dispositions la décision déférée,

Statuant de nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Dit que les demandes de paiement d'astreinte antérieures au 16 juin 2013 sont prescrites,

Déboute la société Spie Batignolles de sa demande d'irrecevabilité d'une demande nouvelle du salarié tendant à prendre en compte au titre des astreintes la période comprise entre le 23 mars 2012 et le 4 janvier 2013,

Condamne la société Spie Batignolles à verser à M. [K] les sommes suivantes :

-12 000 euros au titre des astreintes effectuées entre le 16 juin 2013 et le 17 décembre 2015,

- 1 000 euros au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail,

- 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance et d'appel,

Condamne la société Spie Batignolles aux dépens de la procédure de première instance et d'appel.

Signé par Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente et par Madame Evelyne Gombaud, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Evelyne Gombaud Catherine Rouaud-Folliard


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 20/03006
Date de la décision : 21/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-21;20.03006 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award