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14/06/2023 | FRANCE | N°20/03002

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 14 juin 2023, 20/03002


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



--------------------------







ARRÊT DU : 14 JUIN 2023







PRUD'HOMMES



N° RG 20/03002 - N° Portalis DBVJ-V-B7E-LUXV















Madame [Y] [I]



c/



Association Réponse Emploi - ARE 33

















Nature de la décision : AU FOND















Grosse délivr

ée le :



à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 07 juillet 2020 (R.G. n°18/01806) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section Activités Diverses, suivant déclaration d'appel du 03 août 2020,





APPELANTE :

Madame [Y] [I]

née le 04 Mai 1951 à [Localité 4] de natio...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 14 JUIN 2023

PRUD'HOMMES

N° RG 20/03002 - N° Portalis DBVJ-V-B7E-LUXV

Madame [Y] [I]

c/

Association Réponse Emploi - ARE 33

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 07 juillet 2020 (R.G. n°18/01806) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section Activités Diverses, suivant déclaration d'appel du 03 août 2020,

APPELANTE :

Madame [Y] [I]

née le 04 Mai 1951 à [Localité 4] de nationalité Française Profession : Conseiller en insertion professionnelle, demeurant [Adresse 2]

représentée et assistée de Me Carinne SOUCADAUCH, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE :

Association Réponse Emploi - ARE 33, prise en la personne de sa représentante légale en sa qualité de Présidente domiciliée en cette qualité audit siège social [Adresse 1]

N° SIRET : 347 853 269

représentée par Me FONTANA-BLANCHY substituant Me Charlotte VUEZ de la SELARL ELLIPSE AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 avril 2023 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente chargée d'instruire l'affaire, et Madame Sylvie Tronche, conseillère

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère

Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

***

EXPOSE DU LITIGE

Madame [Y] [I], née en 1951, a été engagée en qualité de responsable d'antenne par l'association ARE 33, par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 13 mai 2002, modifié par un avenant du 25 février 2008.

Le 10 février 2014, Mme [I] a demandé à faire valoir ses droits à la retraite et, parallèlement, a demandé à l'association de continuer à travailler dans les mêmes conditions, dans le cadre d'un cumul emploi retraite.

Son contrat de travail a alors pris fin le 31 octobre 2014 et, un nouveau contrat de travail à durée indéterminée a été conclu par les parties le 1er novembre 2014 aux termes duquel Mme [I] a de nouveau été embauchée par l'association ARE 33, toujours en qualité de responsable d'antenne, conservant sa rémunération mensuelle de 3.006 euros bruts.

Par avenant du 1er septembre 2016, la durée de travail hebdomadaire de Mme [I] a été réduite de 35 heures à 32 heures et sa rémunération a été fixée à la somme de 2.885 euros bruts.

Mme [I] a été placée en arrêt de travail à compter du 19 décembre 2016, renouvelé jusqu'au 26 décembre 2017.

Le 27 septembre 2017, la salariée a sollicité une rupture conventionnelle de son contrat de travail auprès de son employeur.

Les parties ont signé ladite rupture conventionnelle le 24 octobre 2017 et la date de rupture du contrat de travail a été fixée au 2 décembre 2017.

Le 2 mars 2018, la salariée a adressé une lettre à la DIRECCTE, à la présidente de l'association ARE 33 ainsi qu'à son ancien directeur, M. [N], aux termes de laquelle elle explique avoir été victime de harcèlement moral durant la relation de travail de la part de deux collègues subordonnées, Mme [W] et Mme [P], et reproche à son ancien employeur ne rien avoir mis en oeuvre pour la protéger.

Par courrier responsif du 15 mars 2018, l'association a démenti les faits allégués par Mme [I].

En dernier lieu, la rémunération mensuelle brute moyenne de Mme [I] s'élevait à la somme de 2.885 euros.

Sollicitant la nullité de la rupture conventionnelle de son contrat de travail et réclamant le paiement de diverses indemnités, outre des dommages et intérêts pour harcèlement moral et pour manquement de l'employeur à son obligation de prévention des risques psychosociaux, Mme [I] a saisi le 29 novembre 2018 le conseil de prud'hommes de Bordeaux qui, par jugement rendu le 7 juillet 2020, a :

- débouté Mme [I] de l'ensemble de ses demandes,

- débouté les parties de leur demande indemnitaire respective fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration du 3 août 2020, Mme [I] a relevé appel de cette décision, notifiée le 9 juillet 2020.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 29 mars 2023, Mme [I] demande à la cour de :

- ordonner le rabat de l'ordonnance de clôture au jour des plaidoiries,

- juger recevable et bien fondé l'appel interjeté par Mme [I],

En conséquence,

- infirmer le jugement rendu le 7 juillet 2020 par le conseil de prud'hommes de Bordeaux en ce qu'il l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes,

Ce faisant,

- juger qu'elle a subi des agissements constitutifs de harcèlement moral au travail,

- condamner l'association ARE 33 à lui payer la somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

- juger que l'association ARE 33 a manqué à son obligation de prévention des risques psychosociaux et du harcèlement moral,

- la condamner à verser à Mme [I] la somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi pour manquement à l'obligation de prévention des risques psychosociaux et du harcèlement moral,

- prononcer la nullité de la rupture conventionnelle de Mme [I],

- ce faisant, condamner l'association ARE 33 à lui verser les sommes suivantes

* dommages intérêts pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse : 39.600 euros,

* indemnité compensatrice de préavis : 6.102 euros,

* congés payés sur préavis : 610 euros,

- condamner l'association ARE 33 à lui verser la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de l'instance.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 3 avril 2023, l'association ARE 33 demande à la cour de':

- ordonner le rabat de l'ordonnance de clôture au jour des plaidoiries,

- confirmer en intégralité le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Bordeaux le 7 juillet 2020,

- juger que Mme [I] n'a pas été victime de harcèlement moral,

- juger que la rupture conventionnelle du contrat de travail de Mme [I] est valable,

En conséquence,

- la débouter de l'ensemble de ses demandes ;

A titre reconventionnel,

- la condamner à verser à l'association ARE 33 la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- la condamner aux dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 mars 2023 et l'affaire a été fixée à l'audience du 4 avril 2023.

A l'audience, avant l'ouverture des débats, l'association ARE a accepté le rabat de l'ordonnance de clôture sollicité par Mme [I].

L'ordonnance de clôture a donc été révoquée à la date de l'audience, le 4 avril 2023.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'à la décision déférée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le harcèlement moral

Selon les dispositions de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L. 1154-1 prévoit, qu'en cas de litige, si le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement, au vu de ces éléments, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il revient au juge de dire si les éléments de fait, pris dans leur ensemble, en ce compris les documents médicaux, laissent présumer l'existence d'un harcèlement moral.

Au soutien de ses prétentions, Mme [I] explique qu' elle encadrait l'activité de Mme [E] [P] et de Mme [O] [W] mais que ces dernières n'auront de cesse de remettre en question son travail, notamment auprès de son supérieur hiérarchique, M. [R] [N], qui n'interviendra à aucun moment.

Face à l'inertie de son employeur, tant ses conditions de travail que sa santé se sont dégradées.

Elle communique les pièces suivantes :

- ses courriels à l'employeur des :

* 2 octobre 2012 dans l'objectif de faire un point global sur l'antenne suite à la réunion du 27 septembre 2012 : "par rapport aux griefs invoqués par [E] : je cite "trop de congés pris en 2012 la laissant seule au bureau" (...) "J'ai essayé, depuis le mois de mai 2012, de récupérer les congés de 2011 en essayant de ne pas perturber notre organisation", "quand Mme [P] prend ses congés, j'assume aussi son remplacement"."[O] m'a reproché d'avoir mal rempli des fiches salariés", "j'y avais répondu en réunion d'équipe en m'excusant, expliquant que seule au bureau, prise par plusieurs affaires, j'avais omis de reprendre la saisie par la suite".

Mme [I] conclut ainsi son courriel : "au niveau de l'organisation générale de rive droite, la conclusion que je peux en faire est que ça va plutôt bien" ;

* 14 février 2013 : "En terme de communication, je vous ai expliqué qu'il y avait un refus de m'écouter et de s'exprimer, qu'il y avait également des rétentions d'informations qui peuvent nuire à la bonne marche de l'association... Je ne vais pas vous dire à nouveau toutes les mesquineries, méchancetés faites ou dites à mon égard", "si le harcèlement à mon égard continuait, je n'attendrais pas encore des mois pour passer par voie de justice tellement je le vis mal", "j'ai tout simplement à faire à des personnes de mauvaises mentalités qui savent que quoi que je fasse, il n'y aura aucune sanction à leur égard" ;

* 8 juillet 2013 : "l'organisation et la gestion de la rive droite se portaient fort bien et j'avoue que j'étais désolée que mes collègues se plaignent sans raison et qu'elles se soient liguées contre moi. J'endure cette situation depuis des mois et c'est terriblement pesant". "Elles m'ont reproché une surcharge de travail et finalement, non : d'avoir pris trop de congés et d'être seule au bureau..., de ne pas avoir rempli une fiche complètement... Des prétextes venant de personnes jalouses et souffrant d'un manque de reconnaissance, toujours en train de râler et de se contredire et refusant toute autorité ou directive". "Dans l'immédiat je préfère gérer à ma façon. Je ne souhaite donc pas que vous interveniez" ;

* 25 février 2014 : "je suis confrontée, malheureusement et de façon totalement injustifiée, à ce manque de confiance et de respect de la part de mes collègues de la rive droite. Travailler dans une ambiance hostile et malsaine, non seulement m'affecte beaucoup à titre personnel mais risque également de représenter un obstacle de plus en plus sérieux au bon fonctionnement de la structure. Je souhaite que nous trouvions ensemble les moyens de parvenir à un travail d'équipe harmonieux, effectué en bonne intelligence" ;

* lundi 31 mars 2014 : " [O] a contredit ce que j'ai essayé d'expliquer et, pour terminer, a lancé "qu'elle allait le dire à [R]". Je n'apprécie pas que mes collègues remettent en cause mon travail et la qualité de ce dernier, cela ne les regarde pas, je n'ai de compte à rendre qu'à ma direction".

* 19 mai 2014 : "je suis surprise et à la fois décontenancée car nous avions dit que nous refusions la régularisation pour ce chantier. J'ai tenu ce langage vis-à-vis du client car cela fait au minimum 3 fois qu'ils agissent ainsi. Compte tenu des relations tendues de [O] envers moi, elle a prouvé une fois de plus qu'elle faisait ce qu'elle voulait et ainsi me discréditer. Je ne pense pas que le fait de lui laisser faire ce qu'elle veut puisse arranger les choses vis-à-vis de moi mais également des collègues. Je m'aperçois que ce que je peux dire n'est pas pris en compte et je ne pourrai rien contre ça" ;

* des 6 et 7 octobre 2016 aux termes desquels Mme [I] indique à M. [N] qu'elle ne souhaite plus signer les absences de Mmes [W] et [P], ce sujet menant à des disputes.

Mme [I] "ne souhaite plus travailler dans de telles conditions, ce la fait trop longtemps que ça dure et il n'est pas marqué dans mon contrat de travail de me faire harceler par les collègues et de me manquer de respect en toute impunité. De ce fait, j'ai pris des dispositions dont celle de ne plus signer les RTT ou congés de Mme [P]. Je vous ai laissé un message en vous demandant de me contacter. Je reste disponible." ;

- un courrier que Mme [I] a adressé à la DIRECCTE, postérieurement à la rupture du contrat, pour l'informer des agissements qu'elle indique subir depuis quatre ans et ayant provoqué, selon elle, une altération de ses conditions de travail portant atteinte à sa santé. Elle mentionne avoir "reçu, de façon répétée, des remarques et mails désobligeants, des insultes, des agressions verbales et actes malveillants et donc un manque de respect total portant atteinte à sa dignité" ;

- un extrait du cahier de liaison interne : 2 janvier 2013 : "[Y] RTT", "Mme [T] demande un remplaçant, je m'en occupe car rien n'a été fait pendant mes congés !!" ;

- un courriel du 17 avril 2013 que Mme [W] adresse directement à M. [N] pour lui faire part d'une difficulté sur un chantier : "Vous et [Y] deviez prendre le relais et vous occupez du démarrage du chantier", "il va falloir s'organiser et gérer un peu mieux les missions".

Mme [I], informée du courriel répondra à la salariée le même jour qu'elle avait fait le nécessaire, en avait informé M. [N].

L'appelante adressera parallèlement un courriel au directeur, en réaction à ce mail de Mme [W] : "Là [R], c'est la cerise sur le gâteau ! Il va falloir demander conseil à [O] pour gérer et organiser au mieux les missions!. Avouez que j'ai énormément de patience !" ;

- un courriel du 2 décembre 2013 que Mme [P] a adressé par erreur à Mme [I] : "Rien ne change, sitôt revenue, notre chef part en promenade à [Localité 3] et déjeuner à 12h30 avec [U], cool !! Et je me fais incendier car plus d'espèces dans la caisse, super, j'adore les lundis de reprise !!" ;

- un courriel du 9 décembre 2014 selon lequel Mme [W] n'est pas d'accord avec Mme [I], rappelle son point de vue dont elle a fait part précédemment et ajoute : "au vu de ta demande, je peux recevoir les personnes en attente en entretiens individuels d'inscription même si je trouve cet axe de travail peu stratégique et contraire à la procédure mise en place".

Mme [I] produit également quatre attestations :

- Mme [D], collègue d'une autre antenne, atteste qu'après les réunions d'équipe sur [Localité 4], Mme [I] repartait seule en tram pour rejoindre [Localité 5] (l'antenne) alors que ses deux collègues repartaient ensemble en voiture. Jamais elles ne l'ont ramenée. Lors de ces réunions, elle était généralement contredite à chaque fois qu'elle s'exprimait. Lors de ses passages au siège à [Localité 4], je ressentais une grande solitude, un besoin de communiquer, juste échanger. J'ai travaillé plusieurs années avec Mme [I] et jamais auparavant elle n'a été si mal" ;

- Mme [L], partenaire de l'association ARE indique que dans le cadre de sa mission, elle a pu apprécier les difficultés de travail que Mme [I] rencontrait avec ses collègues, Mesdames [P] et [W] qui l'empêchaient d'accomplir ses tâches dans les meilleures conditions. "Quand j'arrivais dans les bureaux de l'agence de [Localité 5], je sentais cette mauvaise ambiance de par l'accueil froid de ces personnes" ;

- Mme [A], partenaire de l'association intimée, explique ne plus reconnaître son amie, Mme [I], depuis ses déboires avec son ancien employeur : "cette femme n'est plus que l'ombre d'elle-même" depuis qu'elle est confronté au "harcèlement moral dont elle est victime de manière édifiante", "une grande dépression et une fatigue générale" "à cause des quolibets et des humiliations qu'elle me verbalisait subir de la part d'ARE 33, notamment de la part de ses deux collègues féminines du bureau et de sa direction au travers de ses confidences". Elle ajoute : "Mme [I] me racontant s'être retrouvée face à deux collègues faisant bloc contre elle, pour lui lancer des regards moqueurs, éclater de rire dés qu'elle apparaissait à l'entrée de l'accueil. [Y] me

racontait que sa direction restait sourde et mutique, qu'elle se sentait de plus en plus isolée et aucunement soutenue par sa hiérarchie.

- Mme [K], collègue de travail fait part des conflits qu'elle a pu avoir avec Mme [P] et Mme [W].

Enfin, il résulte des éléments médicaux que Mme [I] a versé à son dossier que :

- des arrêts de travail dans le cadre d'un syndrôme anxio dépressif couvre la période du 19 décembre 2016 au 26 novembre 2017 ;

- le médecin du travail écrit le 23 septembre 2014 que le vécu de Mme [I] est toujours très douloureux, que dans un tel contexte, un aménagement de son poste pourrait être négocié mais que cela semble difficile ;

- le 10 novembre 2016, le médecin du travail indique au médecin traitant de Mme [I] : "le vécu de son poste de travail est toujours très difficile. Elle me signale une nouvelle dégradation de ses conditions de travail amenant à craindre des conséquences quant à sa santé mentale et physique et l'a donc orientée vers un psychiatre compétent en pathologie professionnelle pour lequel il détaille : "Elle décrit une relation conflictuelle avec deux subordonnées mais aussi un sentiment d'injustice dans un contexte où elle attend un arbitrage de sa hiérarchie. Actuellement elle présente un stress important : insomnies, pensées obsédantes, perte de tout élan vital, anxiété généralisée" ;

- Mme [I] a eu des consultations régulières avec l'infirmière du centre médico-psychologique de [Localité 5], ainsi que plusieurs consultations avec un psychiatre qui indique l'avoir prise en charge pour un syndrôme dépressif réactionnel à des difficultés au travail.

- dans le dossier médical du médecin du travail, il est indiqué :

* le 19 décembre 2013 : "décrit une dégradation de ses conditions de travail : conflit avec 2 subordonnées, décrit un comportement répétitif (mails) + propos blessants en réunion (thème dévalorisant)",

* le 23 septembre 2014 : "décrit un relationnel au travail toujours perturbé",

* le 10 novembre 2016 "décrit une nouvelle dégradation de ses conditions de travail",

* le 7 mars 2017 : "étude de poste à envisager, changement de site ' Possibilité à étudier".

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que Mme [I] a mal vécu les situations professionnelles qu'elle décrit.

Cependant, les courriels et courriers ont été rédigés par Mme [I] elle- même et les attestations non circonstanciées qui mentionnent les dires de la salariée font état de désaccords ponctuels, la cour n'y relevant pas de propos agressifs ou blessants.

Les documents médicaux reprennent les dires de la salariée.

Ces éléments pris dans leur ensemble, ne laissent pas supposer l'existence d'un harcèlement moral.

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté Mme [I] de de sa demande de paiement de dommages et intérêts en réparation du préjudice qui en serait résulté.

Sur la rupture conventionnelle

Aux termes de l'article L.1237-11 du code du travail, l'employeur et le salarié peuvent convenir en commun des conditions de la rupture du contrat de travail qui les lie.

La rupture conventionnelle, exclusive du licenciement ou de la démission, ne peut être imposée par l'une ou l'autre des parties.

Elle résulte d'une convention signée par les parties au contrat. Elle est soumise aux dispositions destinées à garantir la liberté du consentement des parties.

La rupture conventionnelle résulte d'une convention signée par l'employeur et le salarié, qui atteste de leur consentement mutuel ; elle doit avoir été négociée librement, le consentement du salarié devant être exempt de dol, violence ou erreur.

Aussi, une rupture conventionnelle entachée d'un vice du consentement, soit sur le principe de la rupture, soit sur les conditions de cette rupture, est nulle. La rupture du contrat qui en découle produit alors les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Toutefois, l'existence, au moment de sa conclusion, d'un différend entre les parties au contrat de travail n'affecte pas en elle-même la validité de la convention de rupture conclue en application de l'article L. 1237-11 du code du travail.

En l'espèce, Mme [I] a sollicité la rupture conventionnelle de son contrat de travail auprès de son employeur par courrier du 27 septembre 2017, alors même qu'elle était placée en arrêt de travail depuis le 19 décembre 2016.

Il n'est pas contesté que l'employeur n'est pas entré en contact avec l'appelante durant sur cette période.

Le 16 octobre 2017, l'association a proposé un entretien en vue de la rupture conventionnelle fixé au mardi 24 octobre 2017 au terme duquel le formulaire de rupture conventionnelle a été signé par les parties.

Par ailleurs, Mme [I] a indiqué aux premiers juges qu'elle était en poste au moment où l'audience a eu lieu.

L'appelante soutient que le médecin du travail avait envisagé une inaptitude et que, par cette procédure de rupture conventionnelle, l'association aurait dû engager la procédure de licenciement en découlant.

Or, aucun avis d'inaptitude n'a été rendu par le médecin du travail, la seule mention, dans le dossier médical, en date du 7 mars 2017 précisant "étude de poste à envisager, changement de site ' Possibilité à étudier" est insuffisante pour justifier que l'employeur était informé et qu'il souhaitait ainsi contourner la procédure du licenciement pour inaptitude.

Dans le cadre des échanges relatifs à la rupture conventionnelle, les parties se sont entretenues le 24 octobre 2017 pour définir les conditions de la rupture, de sorte que la procédure a été respectée.

Les parties ont également souhaité signer, lors de l'entretien du 24 octobre 2017, un protocole annexe à la convention de rupture conventionnelle.

Dans ce dernier, l'article 10 stipule que "les parties ont été informées de leurs droits et de l'ensemble des conséquences attachées à la conclusion de la convention et ont exprimé leur accord en parfaite connaissance de cause".

Après une étude attentive des pièces versées aux débats, la cour relève que le consentement de Mme [I] était libre et éclairé, qu'aucune menace, pression, manoeuvre, dissimulation ou contrainte n'a été exercée contre elle dans le but de la contraindre à signer cette rupture conventionnelle qui n'est en conséquence pas entachée d'un vice du consentement.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que c'est par une très juste appréciation du droit applicable aux éléments de l'espèce que les premiers juges ont dit la rupture conventionnelle conforme et ont débouté Mme [I] de ses demandes.

Sur l'obligation de préserver la santé des salariés

Mme [I] sollicite le paiement de la somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi pour manquement à l'obligation de prévention des risques psychosociaux et du harcèlement moral.

Elle fait valoir différents manquements de l'association ARE à son obligation de sécurité à son égard : non-respect de son obligation de prévention des risques psychosociaux et donc de l'obligation de sécurité, absence d'écoute active, absence de réaction face aux comportements inadaptés de Mme [W] et de Mme [P] et l'incapacité de l'employeur à promouvoir la qualité de vie au travail.

L'association prétend quant à elle avoir agi de façon proportionnée et adaptée compte tenu de la situation décrite par Mme [I], elle estime également avoir apporté soutien et renfort à l'appelante en fonction des besoins que cette dernière avait pu exprimer. L'intimée verse également le document unique de 2019 qui prévoyait des mesures de prévention dans tous les domaines imposés par la loi applicable à cette époque pour protéger la santé mentale et physique de ses salariés.

La cour relève que Mme [I] a écrit, tant au directeur de l'antenne qu'à la présidente de l'association, à plusieurs reprises à partir du mois d'octobre 2012, en faisant état des difficultés qu'elle rencontrait dans le cadre de ses fonctions avec Mme [W] et Mme [P].

Elle mentionnait plus précisément le fait qu'elle vivait mal cette situation, évoquant "un harcèlement à son égard", "que ce soit très dur moralement", "que cette situation lui est préjudiciable", "ne plus souhaiter travailler dans de telles conditions", "il n'est pas marqué dans mon contrat de travail de me faire harceler par les collègues et de me manquer de respect en toute impunité".

Elle indique encore : "j'endure cette situation depuis des mois et c'est terriblement pesant, l'ambiance est horrible", "travailler dans une ambiance hostile et malsaine m'affecte beaucoup", "je ne sais pas jusqu'à quand je pourrai supporter cette situation".

L'association employeur n'a jamais répondu à ces différents courriers et courriels indiquant même dans ses écritures que l'appelante "ne faisait qu'informer la direction de situations qui objectivement ne nécessitaient nullement l'intervention de la direction de l'association".

Aucune mesure n'a été mise en place, aucun entretien n'a été programmé afin d'entendre Mme [I] et éventuellement les collègues visées par l'appelante.

Nonobstant l'absence de caractérisation du harcèlement, l'employeur aurait dû prendre en compte les doléances de sa salariée et prendre les mesures nécessaires pour assurer sa sécurité et protéger sa santé physique et mentale.

Enfin, s'agissant du document unique d'évaluation des risques, Mme [I] fait valoir qu'il n'a pas été tenu à la disposition des salariés. Elle fait état d'un préjudice caractérisé en raison de sa longue période d'arrêts de travail et de la dégradation de son état de santé.

Il revient à l'employeur de prouver qu'il a établi ce document et aucun élément n'est produit à ce sujet, antérieurement au document unique de l'année 2019.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que l'association ARE a manqué à son obligation générale de sécurité, dès lors, l'intimé sera condamné à verser à Mme [I] la somme de 3.000 euros de ce chef.

Sur les autres demandes

L'Association intimée, partie perdante à l'instance, sera condamnée aux dépens ainsi qu'à verser à Mme [I] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

L'ordonnance de clôture ayant été fixée à la date de l'audience des plaidoiries,

La cour,

Confirme le jugement du conseil de prud'hommes de Bordeaux du 7 juillet 2020 sauf en ce qu'il a débouté Madame [Y] [I] de ses demandes au titre de l'obligation de préservation de la santé des salariés et des frais irrépétibles,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne l'association ARE à verser à Madame [Y] [I] la somme de 3.000 euros au titre des dommages et intérêts résultant de son obligation de prévention des risques psychosociaux,

Condamne l'association ARE à verser à Madame [Y] [I] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne l'association ARE aux dépens de première instance et d'appel.

Signé par Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Catherine Rouaud-Folliard


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 20/03002
Date de la décision : 14/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-14;20.03002 ?
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