La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

14/06/2023 | FRANCE | N°20/01197

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 14 juin 2023, 20/01197


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



--------------------------







ARRÊT DU : 14 JUIN 2023







PRUD'HOMMES



N° RG 20/01197 - N° Portalis DBVJ-V-B7E-LPUQ











G.F.A. COURSOU

SARLU COURSOU GROUPE



c/



Monsieur [K] [Z]

















Nature de la décision : AU FOND















Grosse délivrée le :





à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 07 février 2020 (R.G. n°F 18/00056) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LIBOURNE, Section Encadrement, suivant déclaration d'appel du 28 février 2020,





APPELANTES :

GFA Coursou, agissant en la personne de son gérant domicilié...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 14 JUIN 2023

PRUD'HOMMES

N° RG 20/01197 - N° Portalis DBVJ-V-B7E-LPUQ

G.F.A. COURSOU

SARLU COURSOU GROUPE

c/

Monsieur [K] [Z]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 07 février 2020 (R.G. n°F 18/00056) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LIBOURNE, Section Encadrement, suivant déclaration d'appel du 28 février 2020,

APPELANTES :

GFA Coursou, agissant en la personne de son gérant domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 2]

N° SIRET : 434 758 264

SARLU Coursou Groupe, agissant en la personne de son gérant domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 2]

N° SIRET : 812 947 406

représentés par Me Caroline REGES, avocat au barreau de BERGERAC

INTIMÉ :

Monsieur [K] [Z]

né le 12 Avril 1974 à [Localité 1] de nationalité Française

Profession : Responsable viticole, demeurant [Adresse 3]

représenté par de Me Laure LABARRIERE, avocat au barreau de LIBOURNE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 02 mai 2023 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Sylvie Hylaire, présidente et Madame Bénédicte Lamarque, conseillère chargée d'instruire l'affaire,

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Sylvie Hylaire, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère

Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 1er septembre 2014, Monsieur [K] [Z], né en 1974, a été engagé par contrat de travail à durée indéterminée en qualité de responsable d'exploitation (régisseur), statut cadre, groupe II de la convention collective des exploitations agricoles de la Gironde par le GFA Coursou qui est spécialisée dans le secteur d'activité de la culture de la vigne et exploite le domaine du Château Coursou appartenant à M. [I] [N] [C], gérant du GFA.

Dans le courant de l'année 2015, M. [Z] a été chargé par son employeur de mettre en place les statuts juridiques d'une nouvelle entreprise, la SARLU Coursou Groupe et d'obtenir toutes les autorisations nécessaires à l'activité de celle-ci auprès des administrations concernées. Cette société, immatriculée au Registre du commerce et des sociétés le 10 août 2015, a pour objet l'activité de vente à domicile.

Le 1er décembre 2015, M. [Z] a été promu au groupe I.

Le 14 août 2017, M. [Z] a créé une exploitation agricole dénommée '[Z] [K]'.

Par courriers des 2 et 12 janvier 2018, M. [Z] a sollicité une régularisation de ses salaires indiquant avoir effectué des heures supplémentaires non payées.

Par courrier du 12 février 2018, il a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de son employeur.

A la date de la fin du contrat, M. [Z] avait une ancienneté de 3 ans et 5 mois et le GFA Coursou ainsi que la société Coursou Groupe occupaient à titre habituel moins de 11 salariés.

Soutenant que la prise d'acte de la rupture de son contrat doit produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et réclamant diverses indemnités notamment pour travail dissimulé et exécution déloyale du contrat de travail ainsi que des rappels de salaires, M. [Z] a saisi le 11 mai 2018 le conseil de prud'hommes de Libourne de demandes présentées tant à l'encontre du GFA Coursou que de la société Coursou Groupe.

Par jugement rendu le 7 février 2020, le conseil de prud'hommes a :

- condamné le GFA Coursou à payer à M. [Z] les sommes de 32.363,59 euros à titre de rappel de salaires sur la période 2015-2017 outre 3.236,35 euros de congés payés afférents,

- dit le travail dissimulé imposé à M. [Z],

- condamné solidairement le GFA Coursou et la société Coursou Groupe à payer à M. [Z] la somme de 22.777,74 euros à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé,

- débouté M.[Z] de sa demande au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail,

- requalifié la prise d'acte de rupture du contrat de travail en licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamné le GFA Coursou à payer à M. [Z] les sommes suivantes :

* 3.793,12 euros nets à titre d'indemnité de licenciement,

* 22.777,74 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

* 2.277,77 euros bruts au titre des congés payés,

* 11.379,36 euros représentant trois mois de salaire (en référence au dernier bulletin de salaire) à titre de dommages et intérêts du fait de la rupture aux torts de l'employeur,

- condamné solidairement le GFA Coursou et la société Coursou Groupe à payer à M. [Z] la somme de 1.500 euros à titre d'indemnité en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire de la décision,

- débouté le GFA Coursou et la société Coursou Groupe de l'ensemble de leurs demandes,

- condamné solidairement le GFA Coursou et la société Coursou Groupe aux dépens.

Par déclaration du 28 février 2020, le GFA Coursou et la société Coursou Groupe ont relevé appel de cette décision.

Dans leurs dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 4 août 2020, le GFA Coursou et la société Coursou Groupe demandent à la cour d'infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Libourne et, statuant à nouveau, de :

- débouter M. [Z] de ses demandes,

- requalifier la prise d'acte de rupture du contrat de travail en démission,

- condamner M. [Z] à verser au GFA Coursou la somme de 22.777,74 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- condamner M. [Z] à leur verser la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 21 octobre 2020, M. [Z] demande à la cour de'le juger recevable et bien fondé en ses demandes et en son appel incident, juger le GFA Coursou et la société Coursou Groupe recevables mais mal fondés en leur appel, et de :

- confirmer le jugement entrepris rendu par le conseil de prud'hommes de Libourne le 7 février 2020 en ce qu'il a :

* condamné le GFA Coursou au paiement de la somme de 32.363,59 euros au titre de rappel de salaires sur la période 2015-2017 outre la somme de 3.263,35 euros pour les congés payés afférents,

* dit le travail dissimulé imposé à lui,

* condamné solidairement le GFA Coursou et la société Coursou Groupe à lui payer la somme de 22.777,74 euros à titre de dommages et intérêts,

* requalifié la prise d'acte de la rupture du contrat de travail en licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* condamné le GFA Coursou à payer à ce titre les sommes de :

- 3.793,12 euros à titre d'indemnité de licenciement,

- 22.777,74 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 2.277,77 euros bruts au titre des congés payés afférents,

* condamné solidairement le GFA Coursou et la société Coursou Groupe à la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* débouté le GFA et la société Coursou Groupe de l'ensemble de leurs demandes,

* condamné solidairement le GFA et la société Coursou Groupe aux dépens,

- réformer ledit jugement pour le surplus et en ce qu'il l'a débouté de sa demande d'exécution déloyale du contrat de travail et a limité la condamnation du GFA Coursou à 11.379,36 euros représentant 3 mois de salaire à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la rupture du contrat aux torts de l'employeur,

Statuant à nouveau,

- juger l'exécution déloyale du contrat de travail,

- condamner le GFA Coursou au paiement de 7.592,58 euros à titre de dommages et intérêts afférents (2 mois de salaire),

- condamner le GFA Coursou au paiement de l'équivalent de 6 mois de salaire à titre de dommages et intérêts du fait de la rupture aux torts de l'employeur (licenciement sans cause réelle et sérieuse), soit 22.781,52 euros dont préjudice moral distinct (circonstances humiliantes et vexatoires de la rupture),

Subsidiairement et si une réformation devait intervenir sur la condamnation relative au rappel d'heures supplémentaires sur la période 2015-2017,

- condamner le GFA Coursou au paiement de 24.934,25 euros bruts outre 2.493,42 euros bruts de congés payés afférents au titre des heures supplémentaires au-delà de 44h/semaine sur la période 2015-2017,

En tout état de cause,

- débouter le GFA Coursou et la société Coursou Groupe de l'intégralité de leurs prétentions,

- condamner solidairement le GFA Coursou et la société Coursou Groupe à lui payer la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner solidairement le GFA Coursou et la société Coursou Groupe aux dépens d'appel et frais éventuels d'exécution.

Par ordonnance de référé du 10 décembre 2020, le président de la cour d'appel de Bordeaux a ordonné l'arrêt de l'exécution provisoire prévue par le jugement rendu le 7 février 2020 par le conseil de prud'hommes de Libourne jusqu'à la décision que rendra la cour sur l'appel interjeté par le GFA Coursou et la société Coursou Groupe.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 6 avril 2023 et l'affaire a été fixée à l'audience du 2 mai 2023.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'à la décision déférée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

-I- Sur la demande de rappel de salaires pour la période 2015 - 2017 au titre des heures supplémentaires

Aux termes des dispositions des articles L. 3171-2 alinéa 1er du code du travail et L. 3171-4 du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés.

En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées.

Au soutien de sa demande, M. [Z] produit un relevé manuscrit mensuel des heures de travail effectuées totalisant :

- 113 heures supplémentaires effectuées en 2015 représentant la somme de 12.640,39 euros,

- 286 heures supplémentaires effectuées en 2016 représentant la somme de 16.633,20 euros,

- 125 heures supplémentaires effectuées en 2017 représentant la somme de 3.090 euros.

Ces décomptes constituent des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre en justifiant les horaires effectivement réalisés par le salarié

Soutenant que M. [Z] n'avait pas le temps de gérer sa propre exploitation agricole tout en poursuivant son emploi de régisseur et produisant des attestations de salariés selon lesquelles il ne venait plus sur l'exploitation, sauf de 8h à 8h30 et en tout cas était absent pour les vendanges de 2017, le GFA conteste la réalisation d'heures supplémentaires par M. [Z].

Il relève que la demande de celui-ci n'a été présentée pour la première fois que le 2 janvier 2018 et fait valoir que M. [Z] a transmis régulièrement au comptable les relevés d'horaires pour chaque salarié en précisant qu'aucune heure supplémentaire ne devait être comptée pour lui-même.

*

Le contrat de travail de M. [Z], en qualité de régisseur de groupe II prévoyait une durée de travail de 35 heures.

Il résulte de la mention portée au bulletin de paie de décembre 2015 qu'il est devenu régisseur, statut cadre relevant du groupe I, et a exercé les fonctions de direction en lieu et place de l'employeur en son absence, sans toutefois qu'un avenant soit signé, ni que ne soit prévu un forfait horaire, la durée de travail portée sur les bulletins de paie restant inchangée.

Dès lors, le régime du forfait ne s'est jamais appliqué entre les parties.

A partir de 2015, en plus de ses fonctions de régisseur d'exploitation viticole, M. [Z] a également été en charge de la création de la société Coursou Groupe destinée à permettre de gérer une activité de vente par correspondance ainsi que des missions d'achat et de négoce des matières premières outre de l'élaboration des différentes cuvées vendues sous la marque 'Coursou Groupe Sélection' et du suivi administratif de l'entreprise.

M. [Z] produit une liasse importante de courriels avec les administrations, le notaire, les négociants et courtiers, la mise en place de l'exportation de cidre et de bière vers la Chine attestant en outre de la diversité de ses fonctions et son implication dans la création de la société Coursou Groupe.

Dès le 2 janvier 2018, M. [Z] a sollicité le paiement des heures supplémentaires indiquant avoir dans un premier temps suivi les instructions de son employeur selon lesquelles les heures supplémentaires qu'il faisait n'avaient pas à être déclarées, puis avoir attendu un pourcentage sur les résultats de l'entreprise en tant que 'bonus' qui lui aurait été annoncé par l'employeur mais qui n'a jamais été versé.

Il produit les deux courriels des 2 et 12 janvier 2018 adressés à son employeur dans lesquels il lui rappelle 'en octobre 2016, vous m'aviez dit qu'un pourcentage sur les résultats de l'entreprise pourrait m'être accordé, en tant que 'bonus'. Cela n'est toutefois pas allé plus loin et rien n'a jamais été formalisé pour rémunérer mon investissement et mon travail'. Il produit également un courrier de M. [C] en date du 3 juillet 2017 qui s'engage à augmenter le salaire de M. [Z] une fois que la production des vins 2017 sera commercialisée, lui rappelant sa confiance et reconnaissant ainsi le travail effectué.

Le GFA appelant ne peut se limiter à soulever la tardiveté de la demande, jamais formulée durant l'exécution du contrat alors que le paiement des heures de travail effectuées est une obligation de l'employeur, indépendante de toute réclamation du salarié.

Par ailleurs, la cour relève que pour l'année 2017, M. [Z], qui a créé sa propre exploitation en août, ne réclame le paiement que de quelques heures supplémentaires : 15 en avril et une en août et en octobre.

Les appelants ne produisant aucune pièce justifiant de la durée effective de travail de M. [Z] et au vu de celles produites par le salarié, sans qu'il soit nécessaire de recourir à une mesure d'instruction, la cour a la conviction que le GFA Coursou est redevable envers M. [Z] de la somme de 32. 363,59 euros au titre des heures

supplémentaires non payées entre 2015 et 2017 outre celle de 3. 236,35 euros au titre des congés payés y afférents.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

-II- Sur la rupture du contrat de travail

La prise d'acte de la rupture de son contrat de travail par un salarié produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués par le salarié sont établis et caractérisent des manquements suffisamment graves de l'employeur à ses obligations empêchant la poursuite de la relation contractuelle. A défaut, la prise d'acte de la rupture produit les effets d'une démission.

La lettre du 12 février 2018 par laquelle M. [Z] a pris acte de la rupture de son contrat de travail est ainsi rédigée :

« Par courriel du 2 janvier 2018 j'ai demandé la régularisation de ma situation depuis mon embauche à votre service et parce qu'il m'a été confié des tâches excédents largement mes conditions d'embauche initiales sur le GFA COURSOU en tant que responsable d'exploitation. J'ai ainsi géré toute la création et l'activité de l'EURL COURSOU GROUPE.

Je n'ai pas été payé pour ces heures de travail, pas plus que mes fonctions et mon activité pour l'EURL COURSOU GROUPE n'ont été reconnues.

Je pensais que votre visite du 12 janvier dernier allait être l'occasion d'évoquer la situation et que j'aurai pu espérer trouver une solution satisfaisante pour envisager la poursuite de notre collaboration en bons termes.

Au lieu de cela, notre entretien a été le prétexte à des reproches tant sur l'avancement des travaux viticoles au GFA que sur ma fonction de responsable d'exploitation.

Vous m'avez dit vouloir me rétrograder dans mes fonctions en enlevant la moitié de mes responsabilités et tâches au profit d'un autre ouvrier.

J'ai particulièrement mal vécu ces accusations et votre décision que je trouve profondément injustifiée après l'investissement qui a été le mien durant les années passées à votre service. Je conçois votre décision comme une sanction déguisée pour ma demande de régularisation de salaire et je ne peux accepter de poursuivre mon contrat de travail dans de telles conditions.

Je vous ai d'ailleurs fait part de ma consternation dans mon mail du 15 janvier et je vous ai expliqué les raisons qui me permettent de contester vos reproches.

Je suis d'autant plus choqué de la situation actuelle que je m'aperçois que le forfait de 44H/semaine que vous m'appliquez depuis mon embauche n'a jamais fait l'objet d'un écrit entre nous et que cela est revenu à me priver de nos règles légales en matière de majoration des heures de travail de la 36e.

Cela fait donc plus de trois ans que je cumule des heures supplémentaires pour le GFA et l'EURL sans en être payé entièrement voire pas du tout, pour toute mon activité sur l'EURL.

Par ailleurs, vous m'avez placé dans une situation totalement périlleuse et dangereuse

en ce qui concerne « l'embauche » de [Y] [B], compte tenu de sa situation irrégulière que vous n'avez absolument pas régularisée au péril de l'entreprise.

Je vous avais adressé plusieurs mails à ce sujet concernant la situation illégale de cette personne que je ne peux accepter en tant que responsable d'exploitation.

Encore une fois, vous n'avez absolument pris aucune disposition pour régulariser la situation de cette personne qui pourtant s'est trouvée présente dans l'entreprise et a travaillé pour vous à de multiples reprises.

Tout cela est extrêmement grave et il est hors de question que je cautionne de tels agissements illégaux. Je n'ai aucune délégation de pouvoir en bonne et due forme pour régulariser à votre place la situation de Monsieur [B] et vous seul êtes responsables de tels agissements.

Les événements de ces derniers jours ont largement dégradé mes conditions de travail et ont de surcroît créé un climat délétère dans l'entreprise et des tensions entre le personnel, qui n'existaient pas auparavant. Le 18 janvier lors de la réunion qui s'est tenue en présence du comptable, M. [E] [M] (du cabinet Chassagne), avec [Y] [B], vous-même et moi-même, j'ai été choqué par vos accusations de malversations portées contre moi. Même si l'intervention du comptable a conduit à écarter tous soupçons de malversation, vous avez laissé M [G] [W] répéter cette calomnie à l'intérieur de l'entreprise. J'ai vécu ce nouvel incident comme une volonté d'acharnement de votre part à dénigrer mon travail à votre service et à porter atteinte à mon honneur. J'ai désormais le sentiment que vous aviez préalablement sollicité de la part de M [G] [W] cette mise en scène de griefs à l'encontre de mon travail comme responsable d'exploitation et qu'il profère des accusations publiques de malversations afin que je perde la confiance de mes collaborateurs. Le document du 14 janvier qui précise la nouvelle organisation dans l'entreprise, selon votre volonté, prévoie justement que M [G] [W] soit désormais appelé à me remplacer dans l'essentiel de mes fonctions.

En conséquence de tout ce qui précède, je prends acte de la rupture de mon contrat de travail à dater de la présente.

(') ».

Le salarié invoque quatre griefs à l'encontre de son employeur pour justifier de la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail.

Sur le grief tiré de l'absence de paiement des heures supplémentaires travaillées, la cour a reconnu l'importance des heures effectuées chaque année sans qu'une convention de forfait n'accompagne le nouveau statut cadre du salarié, ces dépassements importants de la durée légale du temps de travail s'étant poursuivis jusqu'à la date de la prise d'acte de M. [Z].

Sur le grief tiré de l'ordre fait à M. [Z] d'intégrer au sein de l'équipe du GFA Coursou M. [U] [H], de nationalité chinoise, dépourvu d'autorisation de séjour ou de travail en France, de le former pour le remplacer au sein de la société Coursou Groupe, sans que la situation puisse être régularisée en l'absence de contrat de travail signé, M. [H] ayant, courant 2017, demandé une rémunération pour son travail, le GFA soutient que la situation de celui-ci ne rendait pas impossible la poursuite du contrat de travail de M. [Z].

La pièce produite par le GFA pour justifier de la régularité de la situation de M. [H] est rédigée en chinois et M. [Z] indique, sans être démenti sur ce point, qu'il s'agit d'une correspondance adressée par M. [C] à l'ambassade de France en Chine sollicitant l'obtention d'un visa de séjour pour M. [H] et non d'un visa de travail, celui-ci attestant par ailleurs qu'il n'avait pas d'autorisation de travail en France.

M. [Z] devait assumer la responsabilité de la formation de M. [H] sur le terrain mais également en qualité de responsable de l'exploitation, remplir légalement ses fonctions notamment auprès du comptable et des administrations.

Ainsi, la situation irrégulière et illégale de M. [H] plaçait M. [Z] dans un conflit éthique et cette situation n'avait pas été régularisée à la date à laquelle M. [Z] a notifié sa prise d'acte de la rupture du contrat de travail.

Sur le grief tiré de sa rétrogradation par l'employeur suite aux demandes de paiement des heures supplémentaires en janvier 2018, M. [Z] produit le courrier adressé le 12 janvier 2018 à M. [C], rapportant les termes de l'entretien du même jour, au cours duquel il lui a été signifié les mécontentements de certains ouvriers, sans que ceux-ci se soient plaints préalablement à M. [Z] ni qu'une discussion ait pu être menée.

Tirant les conséquences de ces plaintes de ses subordonnés, l'employeur a notifié à M. [Z] sa décharge de la responsabilité du vignoble au profit de M. [W], ouvrier, les missions de M. [Z] étant dorénavant cantonnées aux travaux en chai et à la sélection des vins pour les achats de la société Coursou Groupe.

Le compte rendu de la réunion du 12 janvier 2018 confirme la rétrogradation de M. [Z], précise que son bureau devra être aménagé à la cuisine, et élève à une fonction supérieure les autres ouvriers ayant attesté auprès de l'employeur de leur mécontentement au sujet de M. [Z]. Leurs témoignages rédigés en des termes identiques figurent dans les pièces produites par le GFA.

Cette modification des missions du salarié, entraînant le retrait de la responsabilité de l'exploitation agricole alors qu'il exerçait cette fonction depuis le 1er décembre 2015, constitue une rétrogradation de M. [Z] de cadre à ouvrier chai, sans entretien préalable, l'employeur ne justifiant pas des nouvelles tâches qu'il indique avoir confiées à M. [Z] en contrepartie.

Sur le grief tiré des propos calomnieux de malversation devant l'ensemble des salariés lors d'une réunion le 18 janvier 2018, M. [Z] verse le dépôt de plainte effectué le 6 février 2018 ainsi que l'attestation de M. [H]. Si le comptable a rétabli la véracité des faits et levé les soupçons de malversation, les propos ont été tenus devant l'ensemble des salariés et l'employeur n'a procédé à aucune rectification.

Il ressort de l'examen des éléments produits que l'ensemble des faits invoqués par M. [Z] sont établis et caractérisent des manquements suffisamment graves de l'employeur à ses obligations empêchant la poursuite de la relation contractuelle.

En conséquence, la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail doit être requalifiée en licenciement aux torts de l'employeur.

-III- Sur le travail dissimulé

Pour voir infirmer la décision qui a reconnu l'infraction de travail dissimulé, le GFA Coursou et la société Coursou Groupe contestent l'existence d'un contrat de travail de M. [Z] avec cette dernière en l'absence de lien de subordination, ses seules tâches ayant consisté en des démarches administratives pour la création d'une nouvelle entité juridique ainsi que l'absence de délivrance de bulletins de paie à ce titre, la société Coursou Groupe n'ayant aucun salarié.

Les appelants soutiennent que M. [Z] s'est conformé aux directives du GFA qui lui a demandé de créer cette entité juridique permettant l'extension de l'exploitation, la société créée n'ayant pas donné de directive à M. [Z].

Ils prétendent ensuite que les tâches décrites en sa qualité de régisseur sont conformes à celles décrites par la convention collective applicable et contestent à titre subsidiaire l'élément intentionnel frauduleux.

Soutenant au contraire avoir exercé les fonctions de responsable d'exploitation au sein du GFA au titre desquelles il n'a pas été rémunéré des heures supplémentaires effectuées mais également comme responsable développement et production auprès de la société Coursou Groupe, sans qu'un contrat de travail ne soit signé, M. [Z] sollicite la conformation de la décision des premiers juges qui lui ont attribué la somme de 22.777,74 euros au titre du travail dissimulé dont se sont rendus coupables tant le GFA que la société.

***

L'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs.

En l'absence d'un contrat de travail apparent, il appartient à celui qui s'en prévaut de rapporter la preuve qu'il a fourni un travail moyennant rémunération et dans le cadre d'un lien de subordination avec celui qu'il désigne comme son employeur.

Le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements à son subordonné.

En l'espèce, M. [C] est propriétaire de l'exploitation viticole. Le GFA Coursou est spécialisé dans le secteur d'activité de la culture de la vigne et la société Coursou Groupe dans celui de la vente à domicile.

M. [Z] était lié par contrat de travail au GFA en qualité de régisseur, depuis le 1er septembre 2014, ayant été promu au statut de cadre à partir du 1er décembre 2015 sans modification de son contrat initial.

La société Coursou Groupe a été créée et immatriculée au Registre du commerce et des sociétés le 10 août 2015, sous la gérance de M. [C], lequel a chargé expressément M. [Z] de l'ensemble des formalités administratives pour la création de cette entité, permettant l'extension de l'exploitation du GFA par la vente par correspondance.

Il est établi par l'ensemble des courriels produits par M. [Z] qu'il a effectué la mise en place de l'activité de cette nouvelle société, négociant directement avec les acheteurs, traitant avec les banques et les administrations douanières pour la vente des produits en Chine, dirigeant l'installation d'une nouvelle cuverie dédiée à la société, suivant les questions logistiques ainsi que les opérateurs de certification viticoles.

Pour chacune de ces missions, M. [Z] agissait sous les ordres et l'autorité de M. [C] sans qu'il puisse être valablement soutenu qu'il s'agissait d'une simple extension de ses missions de régisseur du GFA, les deux entités étant distinctes.

Le lien de subordination est ainsi démontré en ce que M. [Z] exécutait un travail sous l'autorité du gérant de la société Coursou Groupe, lequel lui donnait des ordres et des directives et en contrôlait l'exécution.

Par deux courriers des 2 et 12 janvier 2018, M. [Z] a demandé à son employeur de régulariser la situation par la signature d'un contrat de travail mais aucune réponse n'a été apportée à sa demande et il n'y a pas eu de déclaration d'embauche alors que ni le GFA ni la société ne pouvaient ignorer la réalité de l'emploi effectué par le salarié pour chacune des deux entités.

Dès lors, l'infraction de travail dissimulé est démontrée et il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné solidairement le GFA Coursou et la société Coursou Groupe à verser à M. [Z] la somme de 22.777,74 euros à titre d'indemnité.

-IV- Sur l'exécution déloyale du contrat de travail

Soutenant que la gestion de la ferme d'animaux a engendré une charge de travail sur ses week-ends et durant ses congés, effectuée avec l'aide de son épouse, M. [Z] sollicite la condamnation du GFA à lui verser la somme de 7.592,58 euros au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail.

Le GFA s'oppose à cette demande en l'absence d'élément probants et rappelle qu'en sa qualité de régisseur, M. [Z] disposait d'une entière liberté dans la gestion de son temps de travail et qu'il a salarié son épouse en TESA pour des montants mensuels pouvant dépasser les 2.000 euros.

***

En vertu de l'article L. 1222-1 du code du travail, le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi.

A ce titre, l'employeur a un devoir de loyauté dans l'exécution du contrat de travail aussi bien en ce qui concerne la mise en oeuvre du contrat que l'application de la législation du travail.

M. [Z] était logé avec son épouse au sein de la propriété. Celle-ci atteste avoir été recrutée comme ouvrière polyvalente saisonnière à partir de mai 2015 et s'être occupée des 37 alpagas importés, aux fins d'élevage et de vente de la laine. Elle relate les conditions difficiles d'adaptation des animaux en région bordelaise et la nécessité de les conduire souvent en clinique vétérinaire.

L'employeur n'explique pas la façon dont les autres ouvriers agricoles s'occupaient des alpagas, Mme [Z] indiquant avoir dû suivre deux formations particulières et avoir dû être présente tous les jours pour s'occuper de ces animaux ainsi que des deux chevaux achetés par M. [C].

Mme [Z] atteste également avoir effectué des tâches de secrétariat à la demande de M. [C] ainsi que le ménage dans la villa de celui-ci.

Le GFA Coursou produit les attestations de salariés selon lesquelles M. [Z] n'était pas seul en charge de la gestion de la ferme des animaux, mais trois de ces salariés ont ensuite témoigné auprès de M. [Z], avoir subi des pressions pour témoigner contre lui au soutien des demandes de l'employeur.

Au vu des éléments produits, y compris les courriels relatant les échanges entre M. [Z] et le gérant sur la gestion de l'élevage des alpagas, notamment sur des horaires tardifs, et alors qu'il n'est pas démontré que ces animaux étaient valorisés au bilan avant l'embauche de M. [Z], l'employeur ne produisant un extrait du grand livre qu'au 31 décembre 2015, il sera alloué à M. [Z] la somme de 5.000 euros en réparation du préjudice subi à raison du supplément de travail induit par une activité qui n'avait pas été déclarée au moment de l'embauche et qui a privé le salarié d'un véritable droit au repos et au respect de sa vie privée.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

-V- Sur les demandes financières

La prise d'acte ayant été requalifiée en licenciement aux torts de l'employeur, elle produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Conformément à la convention collective applicable en l'espèce, il convient de confirmer la décision des premiers juges ayant fixé l'indemnité compensatrice de préavis égale à 6 mois de salaire pour un cadre de groupe I, soit la somme de 22.777,74 euros outre celle de 2.277,77 euros au titre des congés payés y afférents et ayant arrêté l'indemnité de licenciement à la somme de 3.793,12 euros.

***

Invoquant son statut cadre, sa rémunération mensuelle de 3.796,92 euros, mais aussi le caractère vexatoire des conditions de rupture du contrat de travail, le préjudice moral qui en a résulté, et faisant valoir sa période de chômage de 121 jours sans qu'il ne tire encore de revenus de l'exploitation agricole qu'il a achetée en 2017 avec son épouse et pour laquelle il rembourse un prêt avec des échéances de 22.683 euros par ans, M. [Z] sollicite la somme de 22.781,52 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise de moins de 11 salariés, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à M. [Z], de son âge au moment de la rupture du contrat (44 ans), de son ancienneté (3 ans et 8 mois), de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, il convient de porter à 15.000 euros la somme de nature à assurer la réparation du préjudice subi par M. [Z] à la suite de son licenciement sans cause réelle et sérieuse en application des dispositions de l'article L.1235-3 du code du travail, fixant entre un et quatre mois de salaire le montant de l'indemnité.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Le GFA Coursou et la société Coursou Groupe, parties perdantes à l'instance, seront déboutés de leur demande reconventionnelle au titre du préavis et condamnés in solidum aux dépens ainsi qu'au paiement à M. [Z] de la somme complémentaire de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a débouté M. [Z] de sa demande au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail et quant au quantum de l'indemnité due au titre de licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Statuant à nouveau,

Condamne le GFA Coursou à verser à M. [Z] les sommes de :

- 5.000 euros en réparation du préjudice subi pour exécution déloyale du contrat de travail,

- 15.000 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Condamne in solidum le GFA Coursou et la société Coursou Groupe à verser à M. [Z] la somme complémentaire de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles engagés en cause d'appel,

Condamne in solidum le GFA Coursou et la SARLU Coursou Groupe aux dépens.

Signé par Sylvie Hylaire, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Sylvie Hylaire


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 20/01197
Date de la décision : 14/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-14;20.01197 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award