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07/06/2023 | FRANCE | N°20/01252

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 07 juin 2023, 20/01252


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



--------------------------







ARRÊT DU : 07 JUIN 2023







PRUD'HOMMES



N° RG 20/01252 - N° Portalis DBVJ-V-B7E-LPZ2













Monsieur [L] [J]



c/



S.A.S. SODIA AQUITAINE

















Nature de la décision : AU FOND



















Grosse délivrée

le :



à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 06 février 2020 (R.G. n°F 17/00575) par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de BORDEAUX, Section Encadrement, suivant déclaration d'appel du 03 mars 2020,





APPELANT :

Monsieur [L] [J]

né le 23 Décembre 1980 à [Localité 3]) de nationalit...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 07 JUIN 2023

PRUD'HOMMES

N° RG 20/01252 - N° Portalis DBVJ-V-B7E-LPZ2

Monsieur [L] [J]

c/

S.A.S. SODIA AQUITAINE

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 06 février 2020 (R.G. n°F 17/00575) par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de BORDEAUX, Section Encadrement, suivant déclaration d'appel du 03 mars 2020,

APPELANT :

Monsieur [L] [J]

né le 23 Décembre 1980 à [Localité 3]) de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]

représenté par Me David LEMEE, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE :

SAS Sodia Aquitaine, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 2]

N° SIRET : 424 342 475

assistée de Me Audrey FRECHET de la SELAS FIDAL, avocat au barreau de BORDEAUX substituant Me Jean-baptiste DUBOURG de la SELAS FIDAL, avocat au barreau de CHARENTE, représentée par Me Annie TAILLARD de la SCP ANNIE TAILLARD AVOCAT, avocat au barreau de BORDEAUX,

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 25 avril 2023 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Marie Paule MENU, présidente chargée d'instruire l'affaire,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Marie Paule Menu, présidente

Madame Sylvie Hylaire, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère

Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

Par contrat de travail à durée indéterminée à effet au 22 octobre 2012, Monsieur [L] [J], né en 1980, a été engagé en qualité de responsable d'atelier, statut cadre, par la SAS Sodia Aquitaine, qui emploie habituellement plus de 10 salariés.

Les relations contractuelles étaient soumises à la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire.

Par lettre datée du 25 novembre 2016, M. [J] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 5 décembre 2016, avec mise à pied à titre conservatoire.

M. [J] a ensuite été licencié pour faute grave par lettre datée du 14 décembre 2016.

Contestant la légitimité de son licenciement et réclamant diverses indemnités, dont le paiement du salaire pendant la mise à pied conservatoire, M. [J] a saisi le 7 avril 2017 le conseil de prud'hommes de Bordeaux qui, par jugement rendu en formation de départage le 6 février 2020, a :

- débouté M. [J] de l'intégralité de ses demandes,

- condamné M. [J] à payer à la société Sodia Aquitaine la somme de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [J] aux dépens de l'instance.

Par déclaration du 3 mars 2020, M. [J] a relevé appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 18 mars 2023, M. [J] demande à la cour de réformer le jugement du 6 février 2020 en toutes ses dispositions, de débouter la société Sodia Aquitaine de l'ensemble de ses demandes et de :

- dire sans cause réelle et sérieuse son licenciement,

- condamner la société Sodia Aquitaine au paiement des sommes suivantes :

* salaire pendant la mise à pied conservatoire : 2.192,31 euros,

* congés payés sur salaire pendant la mise à pied conservatoire : 219,23 euros,

* indemnité compensatrice de préavis (3 mois - article 7 de l'annexe III de la convention collective) : 10.485,72 euros,

* indemnité compensatrice de congés payés sur préavis : 1.048,57 euros,

* indemnité de licenciement : 2.832,15 euros,

* dommages intérêts pour licenciement abusif : 40.000 euros,

- condamner la société Sodia Aquitaine au paiement de la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- la condamner aux dépens de l'instance, en ce compris les éventuels frais d'exécution par huissier de justice.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 30 mars 2023, la société Sodia Aquitaine demande à la cour de confirmer dans son intégralité le jugement du conseil de prud'hommes de Bordeaux du 6 février 2020 et de :

- dire que le licenciement pour faute grave de M. [J] est parfaitement justifié,

- rejeter l'intégralité de ses demandes,

Y ajoutant,

- le condamner à lui verser la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- le condamner aux dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 30 mars 2023 et l'affaire a été fixée à l'audience du 25 avril 2023.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'à la décision déférée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la rupture du contrat de travail

L'employeur ayant choisi de se placer sur le terrain d'un licenciement pour faute grave doit rapporter la preuve des faits allégués et démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié au sein de l'entreprise, étant en outre rappelé qu'aux termes de l'article L. 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de 2 mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance.

La lettre de licenciement adressée le 14 décembre 2016 à M. [J] comporte plusieurs griefs.

Sur le non respect des procédures applicables

Sous cette rubrique, sont visés plusieurs faits relatifs à des travaux réalisés dans l'atelier au profit d'un autre salarié, M. [S].

La lettre de licenciement mentionne trois faits.

Le premier fait est ainsi libellé :

« (...) Dans le cadre de cette mission, vous devez notamment veiller à l'application stricte des dispositions du règlement intérieur par les équipes placées sous votre responsabilité.

Or, lors de son passage dans les locaux du Centre Auto le 4 novembre dernier à 15h30, M. [B] a été surpris par la rareté du véhicule sur lequel M. [S], mécanicien, était en intervention au moment des faits. Interrogé sur le véhicule, M. [S] indique qu'il s'agit de son propre véhicule, une Punto Cabriolet. M. [X] lui aurait donné l'autorisation, en dépit des règles applicables dans l'entreprise, de procéder lui-même à l'intervention

En effet, le règlement intérieur précise : 'Pour favoriser le maintien du bon ordre et de la bonne organisation de travail, il est notamment demandé au personnel de bien respecter les interdictions suivantes.

- Se livrer à des travaux personnels sur les lieux de travail pendant ou en dehors des heures de travail ainsi qu'à toute activité étrangère à son travail ou à sa fonction.

- Tout salarié qui est amené à servir la clientèle (pesage, facturation, encaissement...) doit laisser à un collègue le soin de le servir ou de l'encaisser

-Le personnel ne doit pas utiliser le matériel de l'entreprise à d'autres fins, notamment à des fins personnelles, sans autorisation.'

- Si vous n'étiez pas présent au moment des faits, il est de votre responsabilité de véhiculer les bons messages auprès de vos équipes et de faire en sorte que les règles soient respectées. Pire encore, cette intervention n'a été ni tracée, ni facturée.

Ce premier fait ne peut être considéré comme imputable à M. [J] dès lors qu'il ressort de la lettre de licenciement elle-même que celui-ci était absent ce jour-là, même si la société prétend finalement dans ses écritures qu'il était en réalité présent, et qu'aucune pièce ne permet de retenir qu'il 'ne véhiculait pas les bons messages auprès de ses équipes'.

La lettre de de licenciement fait état d'un second fait concernant M. [S]:

« C'est ainsi que nous avons découvert un ordre de réparation du 1er novembre 2016 pour M. [S] concernant l'achat d'un filtre à habitacle pour le véhicule Picasso de son épouse. L'achat d'une pièce seule, sans intervention de l'atelier, ne donne jamais lieu à un ordre de réparation. Selon les procédures en vigueur, le client passe son produit en caisse et un ticket de caisse lui est remis à titre de justificatif de paiement. Nous avons donc poursuivi nos investigations et quelle n'a pas été notre surprise lorsque nous avons constaté que vous aviez, vous-même, passé 40 minutes en atelier sur ce véhicule sans qu'aucune prestation ni diagnostic n'ait été facturé.

Concernant ce fait, la société produit l'attestation de M. [B] qui déclare : ' J'atteste avoir visionné la vidéo dans laquelle M. [J] intervenait sur le véhicule de MR [S] (Citroën Picasso) pendant quarante minutes en novembre 2016'.

D'une part, cette attestation est dépourvue de précision tant sur la nature de l'intervention que sur sa date.

D'autre part, M. [S] déclare qu'il avait seulement pris un filtre à pollen à emporter, que M. [J] avait juste mis cette pièce sur le siège passager du véhicule, ce pourquoi il n'y avait pas eu de main d'oeuvre facturée sur l'ordre de réparation.

Etant rappelé que le doute doit profiter au salarié, ce fait ne peut être considéré comme établi.

Le troisième fait est ainsi évoqué dans la lettre de licenciement :

« La situation de M. [S] se reproduit le 11 novembre 2016, journée au cours de laquelle il procède lui-même au parallélisme du véhicule Picasso de son épouse, et ce, en votre présence. Vous n'êtes nullement intervenu pour rappeler les règles. Cette prestation a cependant été facturée ».

Ce fait ne peut être retenu dès lors qu'il ressort des déclarations de M. [S] que c'est un autre salarié qui a effectué le réglage.

Or, même si la société argue du rappel à l'ordre adressé à M. [S] pour avoir effectué lui-même cette opération, M. [Z] [G], autre salarié de l'atelier, atteste que c'est lui qui a effectué l'intervention laquelle a en outre été régulièrement facturée

Il résulte enfin des déclarations faites par M. [S] et reprises par d'autres employés, tels M. [F] et M. [D], que M. [M], directeur du Centre Auto, procédait lui-même à des interventions non facturées sur son véhicule, sans que des ordres de réparation soient établis.

Ce premier grief n'est donc pas démontré.

Sur les anomalies de traitement des dossiers

La lettre de licenciement est ainsi libellée :

« Lors de nos différents contrôles, nous avons pu également constater de nombreuses anomalies dans le traitement de certains dossiers clients engageant directement la responsabilité de l'entreprise. Le non respect des procédures suppose que vous pourriez détourner certaines interventions à des fins personnelles ».

Sont ensuite visés plusieurs faits.

- Sur le premier fait

Ce premier fait est présenté comme suit dans la lettre de licenciement :

« (...) En effet, par exemple, le véhicule d'un de nos clients est entré dans nos ateliers pour un changement de pompe à injection et une vidange. Suite à une anomalie dans le suivi par l'un de nos collaborateurs du protocole d'intervention, le véhicule a été mis en défaut.

Ce dernier a du être acheminé chez Ford pour dépannage. Notre erreur a donc généré des coûts supplémentaires dont le client n'est pas responsable et que nous devions prendre en charge.

Pour ce faire, nous avons fait une déclaration de sinistre, à votre demande, à notre assurance.

Neanmoins, et malgré leur demande réitérée, nous ne sommes pas en mesure de leur fournir les documents justificatifs de la prise en charge initiale du véhicule.

En effet, aucune trace de la prise en charge du véhicule le 15 août n'a pu être trouvée (ni papier, ni informatique).

La seule trace informatique de ce dossier est un ordre de réparation du 4 octobre 2016 (postérieur à l'intervention de Ford). En l'occurrence, nous nous trouvons dans l'impossibilité d'apporter la preuve à notre assureur que c'est bien notre entreprise qui a procédé à l'intervention en cause du 15 août 2016. Par conséquent, celui-ci refuse la prise en charge du sinistre.

S'il n'y avait pas eu incident technique, la prestation aurait-elle été facturée ' Au regard des différentes situations, il est légitime que nous nous posions la question.

Lors de l'entretien, vous avez soutenu avoir transmis l'ordre de réparation au service comptabilité et gestion de sinistres. Après vérification, nous vous confirmons que la seule pièce que vous ayez transmise est celle du 04 octobre 2016 ».

La société fait valoir que l'ordre de réparation, qui aurait dû être vérifié par M. [J], n'a pas été établi.

La pièce produite à ce sujet par la société ne fait effectivement apparaître qu'un seul ordre de réparation (ci-après OR) au nom de la cliente concernée, Mme [E], en date du 4 octobre 2016, mais cet extrait d'écran non daté du logiciel porte dans les critères 'dernier article', ce qui laisse supposer que ce document n'est pas exhaustif et ce, alors que la cliente atteste avoir signé ce document.

Par ailleurs, le refus de prise en charge du sinistre par l'assurance n'est pas établi.

Ce fait ne peut donc être considéré comme démontré.

- Sur le deuxième fait

Il est ainsi présenté :

« De la même manière, le 15 novembre dernier, vous intervenez dans le litige qui nous oppose à un autre de nos clients pour lequel nous avons effectué une vidange le 24 octobre 2016 pour un montant de 39.90 €.

A la suite de cette intervention, et après avoir parcouru plusieurs milliers de kilomètres, le client s'est plaint d'une défaillance relative à notre intervention et demande réparation.

Le litige a été pris en charge par votre responsable, Monsieur [M], qui a demandé au client de nous transmettre les éléments justifiant de notre responsabilité dans le sinistre rencontré.

Or, le 15 novembre 2016, alors que Monsieur [M] est absent, vous avez fait établir un remboursement de 135.22 € sans joindre aucun justificatif du montant reversé au client et à fortiori sans document permettant de justifier d'une quelconque responsabilité du Centre Auto.

La société verse aux débats un OR faisant état d'une remise de 135,22 euros correspondant à la main d'oeuvre d'une intervention de vidange non datée mentionnant 'suite erreur vidange et oubli de serrage'.

M. [J] verse aux débats un courrier du client, M. [H], qui déclare que suite à la panne de son véhicule survenue après la vidange, le responsable du Centre Auto avait donné son accord pour que la réparation soit facturée et pour qu'il soit remboursé de la facture de la vidange.

En l'état des pièces produites, il n'est ainsi pas justifié ni que le remboursement du client reposait sur la seule initiative de M. [J] ni qu'il avait été demandé à celui-ci de transmettre les éléments relatifs à la responsabilité du centre.

- Sur le troisième fait

Le troisième fait est présenté ainsi dans la lettre de licenciement :

« Autre exemple : suite à l'intervention sur un autre véhicule le 14 juin 2016 (vidange, filtres et bougies d'allumage) et une erreur de manipulation dans nos ateliers, le véhicule s'est trouvé immobillisé. Vous avez pris l'initiative d'envoyer le véhicule pour dépôt de la culasse et réparation dans le garage ABT (garage automobile situé à Ambares).

Vous n'avez demandé à ABT aucun devis d'intervention tant et si bien que nous ne sommes pas en mesure de vérifier les éléments de la facture que ce garage noms a adressé sachant que le véhicule a été déclaré épave par l'expert qui a effectué ses constats après l'intervention vaine d'ABT.

La société ne fournit ni explication ni pièce au sujet de ce véhicule qui, au regard des pièces produites par M. [J], appartenait à M. [R].

Au vu de ces même pièces, comprenant notamment le rapport d'expertise du véhicule, et, compte tenu de l'erreur commise au cours d'une vidange le 17 juin 2016, la responsabilité de la société était engagée et l'évaluation du dommage supposait la dépose de la culasse, ce qui explique l'envoi de ce véhicule auprès du garage ABT habilité à effectuer une telle dépose.

Au surplus, il ressort de l'attestation du gérant de la société ABT Autos que la société Sodia n'avait toujours pas réglé la facture de dépose de la culasse au 27 mars 2017.

Dans ses écritures, la société vise d'autres exemples des anomalies alléguées, évoquant plusieurs remises non justifiées accordées aux clients :

- une remise de 15,38% (OR du 22/08/2016) sans justification : M.[J] explique que cette remise a été accordée car la roue réparée n'était pas montée sur le véhicule, ce qui excluait le coût de sa dépose et ce que confirme l'OR qui mentionne 'Tubeless non déposé' ;

- deux remises au profit d'un même client, M. [W], (OR du 25/08/2016) de 29,80 euros et 22 euros : ce client atteste de ce que l'un de ses pneus arrière avait été endommagé dans l'atelier et indique qu'après avoir insisté, M. [J] a obtenu l'accord de 'la direction' pour cette réduction, l'absence de mention du numéro d'immatriculation du véhicule pouvant résulter d'un simple oubli non fautif outre que la facture n'est pas produite ;

- une remise de 22,56% sur le prix de vente d'une remorque non validée par le directeur du centre (OR DU 25/08/2016) : cette remise ne peut être considérée comme injustifiée dès lors que l'OR mentionne que la remorque était endommagée et il n'appartient pas au salarié, qui prétend avoir eu l'accord de son directeur, de démontrer l'existence de cet accord ;

- le remboursement du montage de 4 pneus pour 59,60 euros (OR du 27/08/2016) : M. [J] explique que le client, M. [K], avait fait monter 4 pneus le 12 juillet 2016 (sa pièce 34), que le client avait dû recourir à un autre garage pour un rééquilibrage des roues et qu'il est d'usage de remiser la pose dans une telle hypothèse, la société n'établissant pas que cette remise commerciale, qui paraît logique compte tenu de la défaillance de la société, soit indûe ;

- le remboursement d'une batterie et de sa pose pour un montant de 154 euros (OR du 30/08/2016) au nom de M. [V] : la société soutient qu'il n'y aurait pas eu de facturation initiale de cette opération en produisant un extrait de son logiciel qui n'est pas daté et qui ne concerne que le numéro de cet OR ; M. [J] indique que ce remboursement est intervenu car il avait à tort été vendu une batterie non adaptée au véhicule du client ; la cour relève d'une part, que l'OR établi le 30/08/2016 fait expressément référence à un numéro de facture que la société ne produit pas ; or, Mme [N], agent du service informatique de la société de 2008 à 2010, atteste qu'il était possible de faire 'disparaître des factures des écrans' ; d'autre part, Mme [V], dans son attestation produite par M. [J], confirme la difficulté survenue dans les mêmes termes que le salarié appelant, précisant que la batterie inadaptée a été remise en rayon ;

- le remboursement sans justificatif d'une recharge de climatisation dans la facturation d'un diagnostic de climatisation (OR du 30/08/2016 - Mme [C]) : M. [J] explique avoir consenti cette remise car la cliente, après avoir fait procéder à la recharge de sa climatisation, était revenue au garage parce que celle-ci ne fonctionnait pas et, qu'après examen du véhicule, il avait constaté l'existence d'une fuite dans le circuit et accordé cette remise compte tenu de l'erreur commise lors de la première intervention : si certes, cette remise n'est pas justifiée dans l'OR, la société qui prétend que la recharge de climatisation n'avait pas été facturée lors de la première intervention ne produit pas la facture correspondante au 2ème OR ;

- la remise de 31,54% accordée sur la vente d'un pneu (OR du 27/10/2016 - Mme [A]) : M. [J] fait valoir, sans être contredit sur ce point, que le prix des pneus est très variable, produisant à ce sujet un tableau démontrant ces variations (sa pièce 35) ;

- une remise de 10 euros accordée par un membre de l'équipe de M. [J] (Mme [O]) le 24 octobre 2016 sur un forfait vidange (OR du 24/10/2016) sans justificatif : M. [J], explique,sans être démenti par la société, d'une part, qu'il était absent ce jour-là et, que d'autre part, cette remise était justifiée par le prix de l'huile choisie par la cliente.

Les faits invoqués par la société ne caractérisent pas un manquement de M. [J] à ses obligations d'autant que l'intimée ne produit aucun document fixant les règles applicables aux remises pouvant être accordées aux clients par les salariés.

En outre, M. [Y], ancien responsable du service réception du Centre Auto, atteste que le prix des offres promotionnelles figurant dans les catalogues distribués au public par la société ne donnaient pas lieu à des modifications systématiques de l'outil informatique et que les salariés utilisaient des codes pour pouvoir appliquer les tarifs promotionnels annoncés correspondant aux dates de parution et de validité des offres publicitaires, le caractére mensonger des déclarations de ce témoin ne pouvant résulter de la seule tardiveté de l'attestation qu'il a établie pour M. [J].

Sur la violation de l'obligation de loyauté.

La société fait exposer que lors du contrôle des activités du centre automobile entrepris le 4 novembre 2016, elle a pris connaissance de l'ampleur des relations 'privilégiées' entretenues par M. [J] avec la société ABT-Auto, implantée à proximité (3,5 km) qui est un concurrent direct et dont le gérant est un ami de M. [J].

La lettre de licenciement adressée à M. [J], après avoir évoqué les griefs évoqués précédemment, se poursuit comme suit :

« (...)

Ce dernier cas [ incident relatif au véhicule de M. [R]] est d'autant plus suspicieux que vous entretenez, au regard des propos que vous avez tenus régulièrement ces derniers mois à M. [B], une relation particulière avec la société ABT.

En effet le 11 novembre dernier, vous avez sollicité verbalement, auprès de M. [B], la possiblité de bénéficier, à court terme, d'une rupture conventionnelle de votre contrat de travail dans le but de vous associer au dirigeant de ce garage. M [B] vous a répondu que l'entreprise ne répondrait pas favorablement à cette demande.

Si votre projet d'engagement dans cette société nous a paru dans un premier temps incertain et secondaire, l'analyse des situations suivantes ont permis de mettre en lumière un réel conflit d'intérêt ».

Il sera relevé en premier lieu que si M. [B], directeur général exécutif de la société qui a diligenté la procédure de licenciement, dont la lettre est signée pour son compte, atteste que M. [J] lui avait présenté 'en 2016", M. [I]; responsable de la société ABT Auto, comme un ami mais qu'il s'agit du seul contact qu'il a eu avec cette personne ; il n'évoque pas la demande formulée par M. [J] d'une demande de rupture conventionnelle ; or, le projet d'association avec M. [I], invoqué par la société dans la lettre de licenciement, est démenti par le fait que M. [J] justifie avoir été engagé, à la suite de son licenciement, en qualité de barman jusqu'en février 2017 puis, avoir été pris en charge par Pôle Emploi jusqu'en mai 2018.

Plusieurs faits sont ensuite évoqués dans ce qui caractériseraient, selon la société, la réalisation de prestations gratuites, sous l'égide de M. [J] et au bénéfice de la société ABT Auto et, notamment des réglages de parallélisme effectués à trois reprises au profit de cette société, non facturés les 22 septembre, 18 octobre 2016, et les 10 et 14 novembre 2016,la lettre de licenciement relevant :

« Vos « arrangements » avec la société ABT peuvent néanmoins avoir de lourdes conséquences pour l'entreprise. En effet, officiellement ce vehicule n'est jamais rentré dans notre atelier. Notre compagnie d'assurance ne couvre que les incidents pour lesquels notre responsabilité est clairement engagée. Nous devons donc, à minima, être capables de produire un ordre de réparation antérieur à la prise en charge du véhicule et une facture. En l'espêce, et par deux fois sur le même véhicule nous n'avons ni l'une ni l'autre de ces pièces. Vous engagez donc directement la responsabilité de l'entreprise au-delà des pouvoirs qui vous sont confères, ce que nous ne pouvons accepter ».

Pour l'opération non facturée du 22 septembre 2016, la lettre de licenciement précise :

« (...) un devis de réparation pour un client a été établi à son nom pour un montant de 1188.77 €. Le 28 septembre 2016, le véhicule est revenu au Centre Auto, cette fois sous le nom d'ABT, pour un parallélisme. Vous avez effectué le parallélisme mais ne l'avez une fois de plus pas facturé.

Lors de l'entretien, vous indiquiez ne pas avoir été en mesure de prendre en charge la réparation de ce véhicule compte tenu des travaux qui auraient concerné des interventions de carrosserie. Néarmoins, au regard de l'analyse du devis établi, les travaux auraient très bien pu être pris en charge dans nos ateliers (amortisseurs, triangle, cardan, vidange de boîte...).

Vous conviendrez que la situation met en exergue un détournement manifeste de clientèle du Centre Auto au profit d'ABT, et ce, à des fins personnelles en lien avec votre projet, ce que nous ne pouvons tolérer plus longtemps.

De tels constats nous autorisent à penser que vous avez utilisé votre délégation de pouvoirs pour servir indirectement des intérêts personnels, en dépit de toute incidence sur l'activité du Centre Auto et sur la responsabilité qui incombe à l'entreprise notamment en matière de sécurité. Lors de l'entretien préalable, vous avez décrit la relation actuelle avec ABT comme un échange de bons procédés.

Curieusement, la plupart de ces écarts est constatée alors que votre responsable, M. [M], est en repos ou en congés. Vous saviez donc que votre façon de procéder n'était pas autorisée par l'entreprise et profitez des absences de votre responsable pour vous adonner à des pratiques douteuses voire, dans certains cas, malhonnêtes.

Nous considérons donc que vous défaillez dans l'exécution de bonne foi de votre contrat de travail mais également à votre obligation de loyauté qui en découle.

M. [J] fait valoir qu'il existait des relations entre les deux établissements, que M. [M] en était d'accord, profitant d'ailleurs de cet échange de bons procédés pour faire réaliser gratuitement par la société ABT Auto des réparations sur son propre véhicule.

Si la société intimée conteste l'existence d'un accord de M. [B] sur de telles pratiques, celles-ci sont néanmoins évoquées tant par le gérant de la société ABT Auto que par d'autres témoins, tels M. [D], M. [S], M. [Y] ainsi que M. [P], ce dernier, ancien technicien de la société ABT Auto, précisant avoir même été travailler quelques semaines au sein de la société Sodia pour pallier un manque de technicien.

Par ailleurs, ainsi qu'il l'a été relevé précédemment, suite à la rupture du contrat de travail de M. [J], il n'y a pas eu d'association entre celui-ci et M. [I].

En considération de l'ensemble de ces éléments, il convient de considérer que le licenciement de M. [J] ne repose ni sur une faute grave ni sur une cause réelle et sérieuse et le jugement déféré sera infirmé.

Sur les demandes pécuniaires de M. [J]

Le licenciement de M. [J] étant dépourvu de cause réelle et sérieuse et eu égard à son ancienneté ainsi qu'à sa qualité de cadre, la société sera condamnée à lui payer les sommes suivantes calculées au vu des bulletins de paie versés aux débats sur la base d'un salaire de référence de 3.341,45 euros bruts :

- 2.192,31 euros bruts au titre de la mise à pied à titre conservatoire outre 219,23euros bruts pour les congés payés afférents,

- 10.294,35 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis prévue par l'article 5 de l'annexe Cadres de la convention collective applicable outre 1.029,43 euros bruts pour les congés payés afférents,

- 2.832,15 euros au titre de l'indemnité de licenciement dans la limite de la demande.

***

M. [J] sollicite la somme de 40.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif, exposant notamment qu'il est toujours bénéficiaire des allocations chômage à hauteur de 1.860 euros bruts par mois.

Il justifie avoir été pris en charge par Pôle Emploi jusqu'au mois de mai 2018.

Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à M. [J], de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, la cour est en mesure de lui allouer la somme de 25.000 euros. à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en application de l'article L.1235-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige.

En application des dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail, il sera ordonné le remboursement par l'employeur à Pôle Emploi des indemnités de chômage éventuellement versées au salarié depuis son licenciement dans la limite de 6 mois d'indemnités.

Sur les autres demandes

La société Sodia Aquitaine, partie perdante à l'instance, sera condamnée aux dépens ainsi qu'à payer à M. [J] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Infirme le jugement déféré,

Statuant à nouveau,

Dit que le licenciement de M. [J] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

Condamne la société Sodia Aquitaine à payer à M. [J] les sommes suivantes :

- 2.192,31 euros bruts au titre de la mise à pied à titre conservatoire outre 219,23euros bruts pour les congés payés afférents,

- 10.294,35 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 1.029,43 euros bruts pour les congés payés afférents,

- 2.832,15 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

- 25.000 euros. à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Ordonne le remboursement par la société Sodia Aquitaine à Pôle Emploi des indemnités de chômage versées à M. [J] depuis son licenciement dans la limite de 6 mois d'indemnités

Déboute les parties du surplus de leurs prétentions,

Condamne la société Sodia Aquitaine aux dépens.

Signé par Madame Marie Paule Menu, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Marie Paule Menu


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 20/01252
Date de la décision : 07/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-07;20.01252 ?
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