COUR D'APPEL DE BORDEAUX
CHAMBRE SOCIALE - SECTION B
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ARRÊT DU : 01 JUIN 2023
SÉCURITÉ SOCIALE
N° RG 20/02384 - N° Portalis DBVJ-V-B7E-LTGA
Monsieur [N] [Z]
c/
CPAM DE LA GIRONDE
Nature de la décision : AU FOND
Notifié par LRAR le :
LRAR non parvenue pour adresse actuelle inconnue à :
La possibilité reste ouverte à la partie intéressée de procéder par voie de signification (acte d'huissier).
Certifié par le Directeur des services de greffe judiciaires,
Grosse délivrée le :
à :
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 17 avril 2020 (R.G. n°19/02659) par le pôle social du tribunal judiciaire de BORDEAUX, suivant déclaration d'appel du 10 juillet 2020.
APPELANT :
Monsieur [N] [Z] - comparant -
de nationalité Française
Profession : Masseur Kinésithérapeute, demeurant [Adresse 1]
assisté par Me Aurélie VIANDIER-LEFEVRE de la SELAS AVL AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉE :
CPAM DE LA GIRONDE prise en la personne de son directeur domicilié en cette qualité au siège social [Adresse 2]
représentée par Me Françoise PILLET de la SELARL COULAUD-PILLET, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 23 mars 2023, en audience publique, devant Madame Cybèle Ordoqui, conseillère chargée d'instruire l'affaire, qui a entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Eric Veyssière, président
Madame Sophie Lésineau, conseillère
Madame Cybèle Ordoqui, conseillère
qui en ont délibéré.
Greffière lors des débats : Sylvaine Déchamps,
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
EXPOSE DU LITIGE
Le 5 juin 2019, M. [Z], masseur-kinésithérapeute a sollicité l'autorisation d'exercer son activité libérale sous convention sur la commune de [Localité 3] à compter du 1er août 2019.
La caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde (la caisse) a fixé un rendez-vous avec M. [Z] pour finaliser sa démarche au 19 juin 2019.
Par lettre du 9 juillet 2019, la caisse a informé M. [Z] que, par arrêté de l'agence régionale de santé de Nouvelle Aquitaine du 14 juin 2019, la commune de [Localité 3] se trouvait classée en zone sur dotée.
Par courrier du 10 juillet 2019, M. [Z] a indiqué que sa demande d'installation était antérieure à la publication de l'arrêté et au classement de la ville de [Localité 3] en zone sur dotée. A l'appui de sa demande, M. [Z] a précisé son projet d'activité à orientation exclusivement respiratoire pour des patients insuffisants respiratoires chroniques.
Par lettre du 23 juillet 2019, la caisse a refusé le conventionnement de M. [Z] au regard du projet d'installation.
La Commission paritaire départementale des masseurs kinésithérapeutes a été saisie pour avis.
Par décision du 12 août 2019, la caisse a refusé le conventionnement suivant l'avis de la commission paritaire départementale des masseurs kinésithérapeutes du 6 août 2019, estimant que M. [Z] ne remplissait pas les conditions prévues par les avenants 5 et 6 à la convention nationale des masseurs-kinésithérapeutes.
Les 19 et 27 août 2019, M. [Z] a saisi la commission de recours amiable de la caisse aux fins de contester le rejet de son installation sous convention.
Par décision du 10 septembre 2019, notifiée le 16 septembre 2019, la commission de recours amiable a confirmé la décision initiale de la caisse.
Le 14 novembre 2019, M. [Z] a saisi le pôle social du tribunal de grande instance de Bordeaux d'une contestation de la décision de la commission de recours amiable.
Par jugement du 17 avril 2020, le pôle social du tribunal judiciaire de Bordeaux a :
- déclaré le recours de M. [Z] recevable mais mal fondé,
- débouté M. [Z],
- confirmé en tant que de besoin la décision de la commission de recours amiable du 10 septembre 2019,
- condamné M. [Z] aux dépens de l'instance.
Par déclaration du 10 juillet 2020, M. [Z] a relevé appel de ce jugement.
Aux termes de ses dernières conclusions en date du 20 mars 2023, M. [Z] sollicite de la cour qu'elle :
- réforme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
En conséquence ,
- réforme la décision prise par la caisse primaire d'assurance maladie le 10 septembre 2019,
- constate que l'arrêté du 14 juin 2019 n'a pas à s'appliquer à la demande d'installation de M. [Z] du 5 juin 2019,
En conséquence,
- autorise l'installation de M. [Z] en qualité de masseur-kinésithérapeute conventionné sur la commune de [Localité 3],
A titre subsidiaire,
- si par extraordinaire, la Cour devait considérer l'arrêté du 14 juin 2019 applicable à la demande d'inscription de M. [Z], accorde à ce dernier une autorisation dérogatoire telle que prévue aux articles 1.2.3 de l'avenant n°5 au regard de la spécificité de l'activité proposée et de l'insuffisance des offres de soins spécifiques sur la commune de [Localité 3],
- alloue à M. [Z] une indemnité de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions M. [Z] fait valoir, en substance que :
- c'est à tort que la caisse a fait application de l'arrêté du 14 juin 2019 publié le même jour alors que sa demande d'installation le 5 juin 2019 est antérieure à cet arrêté,
- il a déclaré le 5 juin 2019 au conseil de l'ordre des masseurs kiniséthérapeutes la modification de ses conditions d'exercice à compter du 1 er août 2019,
- les conditions d'exercice n'ont pas d'incidence sur le caractère conventionné ou non de son installation,
- au jour de sa demande il ne pouvait avoir connaissance de l'arrêté à venir et le rendez-vous pris auprès de la caisse ne peut être le point de départ de sa demande d'installation qui a été faite antérieurement par écrit le 5 juin 2019,
- par analogie avec les règles du droit et de la procédure administrative, c'est à la date du dépôt de la demande que cette dernière est juridiquement appréciée,
- la caisse indique dans ses écritures que la demande formulée au mois de juin 2019 doit s'apprécier au vu des éléments existant au mois de juin 2019,
- la date projetée de l'installation ne saurait être la date à laquelle la demande est appréciée,
- subsidiairement que son activité répond à une offre de soins spécifiques au vu de sa spécialisation en kinésithérapie respiratoire.
Par ses dernières conclusions en date du 14 mars 2023, la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde demande à la cour de :
- recevoir la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde en ses demandes et l'en déclarer bien fondée,
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 17 avril 2020 par le pôle social du tribunal judiciaire de Bordeaux,
- débouter M. [Z] de son recours mal fondé,
- condamner M. [Z] à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde la somme de 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre aux entiers dépens.
Au soutien de ses prétentions la caisse fait valoir, en substance, que :
- le directeur de l'agence régionale de santé détermine par arrêté après concertation avec les représentants des professionnels de santé concernés les zones dans lesquelles le niveau de l'offre de soins est particulièrement élevé, s'agissant des professions de santé pour lesquelles les conventions mentionnées à l'article L. 162-14-1 du code de la sécurité sociale ont prévu des mesures de limitation d'accès au conventionnement,
- l'arrêté de l'agence régionale de santé de Nouvelle Aquitaine du 14 juin 2019 s'applique à la demande de M. [Z] qui est dès lors soumise au principe du conventionnement,
- c'est le zonage applicable à la date projetée pour le début d'activité qui est à prendre en compte et non la date du dépôt de la demande et ce afin d'assurer l'efficacité du dispositif de régulation,
- M. [Z] ne pouvait ignorer que la commune de [Localité 3] serait classée en zone sur dotée,
- subsisdiairement que la demande de M. [Z] ne rentre pas dans le cadre des dérogations au principe de régulation du conventionnement en zone sur dotée.
A l'audience du 23 mars 2023, les parties ont comparu et ont soutenu oralement leurs écritures.
Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer au jugement entrepris et aux conclusions déposées et oralement reprises.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la demande d'installation de M. [Z]
Aux termes de l'article L. 1434-4 du code de la santé publique le directeur général de l'agence régionale de santé détermine par arrêté, après concertation avec les représentants des professionnels de santé concernés :
1° Les zones caractérisées par une offre de soins insuffisante ou par des difficultés dans l'accès aux soins, pour les professions de santé et pour les spécialités ou groupes de spécialités médicales pour lesquels des dispositifs d'aide sont prévus en application du 4° du I de l'article L. 162-14-1 du code de la sécurité sociale ;
2° Les zones dans lesquelles le niveau de l'offre de soins est particulièrement élevé, s'agissant des professions de santé pour lesquelles les conventions mentionnées à l'article L. 162-14-1 du code de la sécurité sociale ont prévu des mesures de limitation d'accès au conventionnement. Elles sont arrêtées dans le respect de la méthodologie déterminée dans ces conventions.
Dans les zones mentionnées aux 1° et 2° du présent article, sont mises en oeuvre les mesures destinées à réduire les inégalités en matière de santé et à favoriser une meilleure répartition géographique des professionnels de santé, des maisons de santé, des pôles de santé et des centres de santé prévus notamment aux articles L. 1435-4-2 et L. 1435-5-1 à L. 1435-5-4 du présent code, à l'article L. 1511-8 du code général des collectivités territoriales, à l'article 151 ter du code général des impôts, à l'article L. 632-6 du code de l'éducation et par les conventions mentionnées au chapître II du titre VI du livre Ier du code dela sécurité sociale.
Lorsque le directeur général de l'agence régionale de santé n'a pas déterminé les zones prévues au 1° du présent article pour une spécialité médicale, celles arrêtées pour la profession de médecin s'appliquent.
L'avenant 5 à la convention nationale destinée à organiser les rapports entre les masseurs- kinésithérapeutes libéraux et l'union nationale des caisses d'assurance maladie, signé le 6 novembre 2017, est venu instaurer des conditions spécifiques d'accès au conventionnement dans les zones sur-denses.
Ces dispositions ont été complétées par l'avenant 6 à la convention natioanle, signé le 14 mai 2019 et entrent dans le cadre des mesures de rééquilibrage de l'offre de soins de masso-kinésithérapie sur le territoire. Elles ne sont applicables qu'après la publication du nouveau zonage par l'ARS sur la zone d'installation.
Le dispositif de régulation du conventionnement entre en vigueur après la publication des arrêtés de zonage par chaque ARS.
En l'espèce, M. [Z] spécialisé en kinésithérapie respiratoire a sollicité la rupture de son contrat de travail à durée indéterminée pour s'installer en activité libérale et s'associer à terme avec un confrère, M. [K], dans un cabinet commun sur la commune de [Localité 3].
Il n'est pas contesté par la caisse qu'il a effectué sa demande d'installation sous convention, sur la commune de [Localité 3], au mois de juin 2019, la caisse indiquant dans ses dernières écritures que la demande formulée au mois de juin 2019, seule discutée devant la cour, doit s'apprécier au vu des éléments existant au mois de juin 2019.
La date précise de dépôt de la demande de M. [Z] le 5 juin 2019 n'est, par ailleurs, pas contestée au vu des pièces versées aux débats, des nombreux échanges entre la caisse et lui même et de l'accusé de réception de la caisse.
Le 5 juin 2019, M. [Z] a également déclaré au conseil de l'ordre des masseurs kinésithérapeutes la modification de ses conditions d'exercice à compter du 1er août 2019 finalisant ainsi l'ensemble des démarches nécessaires pour son installation en Zone intermédiaire à cette date et par conséquent non soumise à une appréciation particulière pour s'installer sur la commune de [Localité 3] et obtenir un conventionnement.
Il est justifié de l'accusé de réception de cette déclaration au conseil de l'ordre des masseurs kinésithérapeutes.
En outre, de la lecture des pièces versées aux débats, il ressort que le vendredi 7 juin 2019 la caisse a adressé un courriel à M. [Z] lui précisant ' Vous avez choisi de prendre rendez-vous avec un conseiller de la CPAM le mercredi 19 juin 2019 à 9h30. Or pour nous permettre de valider votre dossier avant notre rencontre, il convient de repousser la date du RDV dans la quinzaine qui précède votre début d'activité fixé au 1er août 2019".
La caisse ne signalait, le 7 juin 2019, aucune difficulté particulière suite à cette demande et ne sollicitait aucune pièce complémentaire indiquant seulement à M. [Z] qu'il convenait de reporter son rendez-vous afin de valider sa demande avant la rencontre, ce qui démontre que c'est la date de la demande qui était alors prise en compte par la caisse et non la date future de l'installation du professionnel de santé.
La Cour relève qu'au jour de la demande du dépôt de la demande de M. [Z], qui verse aux débats de nombreuses pièces justifiant de l'état d'avancement d'un projet longuement réfléchi, d'exercice en commun voire d'association à terme, avec M. [K], confrère spécialisé en kinésithérapie respiratoire, la commune de [Localité 3] ne figurait pas en zone sur dotée mais en zone intermédiaire.
Par ailleurs, il n'est nullement démontré que M. [Z] a cherché à échapper au nouveau zonage de la commune de [Localité 3] alors même qu'il ne pouvait avoir connaissance de ce changement à venir, au vu de la capture d'écran du site de l'ARS en date du 10 juillet 2019, produite aux débats, qui fait toujours apparaître la commune de [Localité 3] en zone intermédiaire à cette date et non en zone sur dotée en terme de dotations de masseurs kinésithérapeutes.
Enfin, la Cour retient que la demande d'installation sous convention de M. [Z] datant du 5 juin 2019 et l'arrêté en date du 14 juin 2019 n'étant applicable qu'après sa publication, le même jour, à défaut de toute autre précision ou disposition contraire prévue dans l'avenant 6 à la convention nationale, signé le 14 mai 2019, c'est bien le zonage existant à la date de la demande du 5 juin 2019 qui doit être appliquée, en l'espèce, pour apprécier cette demande d'installation.
Il apparaît qu'à la date de la demande d'installation, le 5 juin 2019, sur la commune de [Localité 3], cette dernière était classée en zone intermédiaire et que cette demande ne pouvait dés lors se heurter à une contestation de la caisse.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments qu'il convient d'infirmer le jugement déféré et d'autoriser l'installation de M. [Z] sur la commune de [Localité 3], en qualité de masseur kinésithérapeute sous convention.
Sur les autres demandes
La caisse, qui succombe, doit supporter les dépens de première instance et les dépens d'appel, au paiement desquels elle sera condamnée, le jugement déféré étant infirmé en conséquence.
L'équité commande de ne pas laisser à M. [Z] la charge des frais non compris dans les dépens exposés à hauteur d'appel.
En application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, la caisse sera condamnée à lui payer la somme de 2 000 euros.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
INFIRME le jugement entrepris,
STATUANT de nouveau et y ajoutant,
AUTORISE l'installation de M. [Z] sur la commune de [Localité 3], en qualité de masseur kinésithérapeute sous convention,
CONDAMNE la Caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde, à payer à M. [Z] la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la Caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde, aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Signé par monsieur Eric Veyssière, président, et par madame Sylvaine Déchamps, greffière, à
laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
S. Déchamps E. Veyssière