R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
COUR D ' A P P E L D E B O R D E A U X
N° RG 23/00120 - N° Portalis DBVJ-V-B7H-NI64
ORDONNANCE
Le TRENTE ET UN MAI DEUX MILLE VINGT TROIS à 17 H 00
Nous, Sylvie HERAS DE PEDRO, conseillère à la Cour d'appel de Bordeaux, agissant par délégation de madame la première présidente de ladite Cour, assistée de François CHARTAUD, greffier,
En l'absence du Ministère Public, dûment avisé,
En présence de Madame Corinne NAUD, représentante du Préfet de La Gironde,
En présence de Monsieur [Z] [K], interprète en langue arabe déclarée comprise par la personne retenue à l'inverse du Français, inscrite sur la liste des experts de la cour d'appel de Bordeaux,
En présence de Monsieur [I] [O], né le 03 Février 2001 à [Localité 2] (LYBIE), de nationalité Libyenne, et de son conseil Maître Delphine MEAUDE,
Vu la procédure suivie contre Monsieur [I] [O], né le 03 Février 2001 à [Localité 2] (LYBIE), de nationalité Libyenne et l'interdiction du territoire français d'une durée de 10 ans prononcée par le tribunal correctionnel de Bordeaux le 25 février 2021 visant l'intéressé,
Vu l'ordonnance rendue le 29 mai 2023 à 14h43 par le juge des libertés et de la détention au tribunal judiciaire de Bordeaux, ordonnant la prolongation de la rétention administrative de Monsieur [I] [O], pour une durée maximale de 30 jours supplémentaires,
Vu l'appel interjeté par le conseil de Monsieur [I] [O], né le 03 Février 2001 à [Localité 2] (LYBIE), de nationalité Libyenne, le 30 mai 2023 à 13h00,
Vu l'avis de la date et de l'heure de l'audience prévue pour les débats donné aux parties,
Vu la plaidoirie de Maître Delphine MEAUDE, conseil de Monsieur [I] [O], ainsi que les observations de Madame [S] [P], représentant de la préfecture de La Gironde et les explications de Monsieur [I] [O] qui a eu la parole en dernier,
A l'audience, Madame la Conseillère a indiqué que la décision serait rendue le 31 mai 2023 à 17h00,
Avons rendu l'ordonnance suivante :
FAITS ET PROCÉDURE
M. [I] [O], se disant né le 3 février 2001, à [Localité 2] et de nationalité libyenne, a fait l'objet d'une interdiction du territoire français d'une durée de 10 ans prononcée par le tribunal correctionnel de Bordeaux le 25 février 2021.
Il a été placé en rétention administrative le 27 janvier 2023, décision notifiée le 28 janvier 2023 à sa libération.
Le juge des libertés et de la détention, par ordonnance du 1er mai 2023, a autorisé la prolongation cette mesure pour 28 jours, décision confirmée par la cour d'appel de Bordeaux le 4 mai 2023.
Par ordonnance du 29 mai 2023, le juge des libertés et de la détention de Bordeaux a autorisé une deuxième prolongation, qui a été notifiée à l'intéressé le même jour à 14h43.
Par courriel motivé du 30 mai 2023, à 13 heures, M. [I] [O] a interjeté appel de cette décision sollicitant :
- l'aide juridictionnelle provisoire,
- l'infirmation de l'ordonnance déférée,
- en conséquence la remise en liberté de M. [I] [O],
- la condamnation de la préfecture de la Gironde à verser au conseil de M. [I] [O] la somme de 800 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et de l'alinéa 2 de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991,
A l'audience, le conseil de M. [I] [O] a développé ses moyens d'appel.
Il fait valoir que :
- il n'y a pas de perspectives raisonnables d'éloignement,
- les diligences ont été inutiles et tardives,
- il y a violation de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme en raison des conditions indignes de rétention,
- il y a incompatibilité de la rétention administrative avec son état de santé.
Le représentant de la préfète de la Gironde demande la confirmation de la décision du juge des libertés et de la détention.
Il réplique pour l'essentiel que :
- les diligences suffisantes ont été accomplies, que la préfecture a attendu une réponse officielle du consulat de Libye, avant de saisir celui l'Egypte.
- la prolongation est nécessaire pour rechercher sa nationalité alors qu'il utilise des alias et fait tout pour entraver son identification.
L'affaire a été mise en délibéré et le conseiller délégué de la première présidente a indiqué que la décision sera rendue par mise à disposition au greffe ce jour à 17 heures.
MOTIFS DE LA DECISION
Vu l'urgence, l'aide juridictionnelle provisoire sera accordée à M. [I] [O] en application de l'article 20 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991.
- Sur la recevabilité de l'appel
L'appel formé par M. [I] [O] le 30 mai 2023 à 13 heures est recevable comme étant intervenu dans le délai de 24 heures prolongé au premier jour ouvrable suivant, la notification à l'intéressé de l'ordonnance du 29 mai 2023 frappée d'appel ayant été faite à 14h43.
- Sur les diligences et les perspectives raisonnables d'éloignement
Aux termes de l'article L741-3 nouveau du CESEDA, un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ. L'administration doit exercer toutes diligences à cet effet.
Il appartient par ailleurs au juge judiciaire d'apprécier concrètement au regard des données de chaque situation à la date où il statue, si la mesure de rétention et sa poursuite sont justifiées par des perspectives raisonnables de mise à exécution de la mesure d'éloignement, ces perspectives devant s'entendre comme celles qui peuvent être réalisées dans le délai maximal de rétention.
La charge de la preuve incombe à l'autorité administrative.
La seconde prolongation de la rétention administrative est régie par les conditions particulières de l'article L 742-4 nouveau du CESEDA qui dispose que « le juge des libertés et de la détention peut, dans les mêmes conditions qu'à l'article L742-1, être à nouveau saisi aux fins de prolongation du maintien en rétention au-delà du délai de 30 jours, dans les cas suivants :
-1°) en cas d'urgence absolue ou de menace d'une particulière gravité pour l'ordre public,
-2°) lorsque l'impossibilité d'exécuter la mesure d'éloignement résulte de la perte ou de la destruction des documents de voyage de l'intéressé, de la dissimulation par celui-ci de son identité ou de l'obstruction volontaire faite à son éloignement,
-3°)la décision d'éloignement n'a pu être exécutée en raison:
a) du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l'intéressé ou lorsque la délivrance est intervenue trop tardivement pour procéder à l'exécution de la décision d'éloignement,
b)de l'absence de moyens de transport.
L'étranger peut être maintenu à la disposition de la justice dans les conditions prévues à l'article L.742-2.
Si le juge ordonne la prolongation de la rétention, celle-ci court à compter de l'expiration de la précédente période de rétention et pour un nouvelle période d'une durée de 30 jours. La durée maximale n'excède alors pas 60 jours.
Il résulte de ce texte que la seconde demande de maintien en rétention administrative peut intervenir pour quatre motifs, un seul d'entre eux étant suffisant pour justifier la mesure,
soit selon le premier alinéa de l'article L742-4 :
- l'urgence absolue,
- la menace d'une particulière gravité pour l'ordre public,
- l'impossibilité d'exécuter la mesure d'éloignement imputable à l'étranger, en raison notamment de la perte ou de la destruction des documents de voyage, de la dissimulation d'identité ou d'une obstruction volontaire, étant précisé que l'absence de documents de voyage est assimilée à la perte de ce document,
soit selon l'alinéa deux de l'article L742-4 :
- le retard non imputable à l'administration, tel le défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat et l'absence de moyens de transport ou la délivrance des documents de voyage trop tardive malgré les diligences de l'administration pour pouvoir procéder à l'exécution de la mesure d'éloignement dans le délai de 28 jours.
Il est constant que dans tous les cas, l'article L741-3 selon lequel l'étranger ne peut être maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ et que l'administration exerce toutes diligences à cet effet, demeure applicable en cas de demande de deuxième prolongation.
L'autorité administrative doit donc justifier des diligences qu'elle a accomplies pendant le délai de 28 jours qui lui a été accordé.
En l'espèce :
Si seule la réponse négative du consulat d'Algérie figure au dossier, il n'est pas contesté par M. [I] [O] que les autorités marocaines et tunisiennes ne l'ont pas reconnu non plus comme leur ressortissant.
Le 3 mai 2023, il en a été de même pour les autorités libyennes.
Le 25 mai 2023, le consulat d'Égypte a été saisi.
Il ressort des pièces du dossier que M. [I] [O] s'est opposé à un premier entretien avec le consulat de Libye ce qui a retardé son processus d'identification, que si l'on peut déplorer que l'autorité administrative ait attendu 22 jours, soit peu avant la fin de la première période de rétention, pour saisir le consulat d'Égypte, force est de constater que l'intéressé, dépourvu de tout document d'identité ou de voyage, a tout fait pour entraver son identification et le consulat de Libye notait d'ailleurs qu'il avait refusé de collaborer.
Dans ces conditions, l'interrogation des autorités égyptiennes ne saurait être considérée comme inutile et à ce stade de la procédure, il ne peut être déduit de l'ensemble de ces éléments qu'il n'y a pas de perspectives raisonnables d'éloignement.
Ce moyen sera rejeté.
- Sur l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme
Selon ce texte, « nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ».
S'il ressort des documents produits, à savoir le Rapport de la quatrième visite du contrôleur général des lieux de privation de liberté au C.R.A. de [Localité 1], du 1er au 3 septembre 2021, ainsi qu'un article de presse suite à la visite des bâtonnières de Bordeaux et de Libourne du centre de rétention administrative le 16 mars 2023 que ce centre est exigu, peu aéré et disposant d'un éclairage naturel insuffisant, il n'en résulte pas que M. [I] [O], qui a été en mesure d'exercer tous ses droits et qui bénéficie d'ailleurs d'un suivi médical approprié à son état de santé, a subi un traitement inhumain ou dégradant.
Ce moyen sera rejeté.
- Sur l'incompatibilité de la rétention avec l'état de santé de M. [I] [O]
Il sera tout d'abord observé que lors de l'examen de la requête en première prolongation et de la contestation par M. [I] [O] de son placement en rétention administrative, il a été jugé, y compris en appel, que M. [I] [O] ne présentait pas un état de vulnérabilité incompatible avec son placement en rétention administrative.
Il ne produit pas, dans le cadre de la procédure en deuxième prolongation, d'éléments d'information médicale nouveaux par rapport au suivi psychiatrique, aux soins pour un kyste au coccyx et pour des hémorroïdes dont il bénéficie et notamment aucun certificat médical selon lequel une intervention chirurgicale serait nécessaire, ni que son état de santé serait devenu incompatible avec son maintien en rétention administrative.
Ce moyen sera rejeté.
Par ailleurs, [I] [O] étant dépourvu de tout document d'identité et de voyage et son identification et la recherche de sa nationalité étant en cours, les conditions d'une deuxième prolongation sont remplies.
L'ordonnance déférée qui a fait droit à la requête en deuxième prolongation sera confirmée.
M. [I] [O] sera débouté de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile et sur l'article 37 alinéa 2 de la loi du 9 juillet 1991.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, par ordonnance mise à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort ;
ACCORDONS l'aide juridictionnelle provisoire à M. [I] [O] ;
CONFIRMONS l'ordonnance rendue le 29 mai 2023 par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Bordeaux ordonnant la seconde prolongation de la rétention administrative de M. [I] [O] ;
DEBOUTONS M. [I] [O] de toutes ses demandes ;
DISONS que la présente ordonnance sera notifiée par le greffe en application de l'article R.743-19 du Code de l'Entrée et du Séjour des Étrangers et du Droit d'Asile,
Le Greffier, La Conseillère déléguée,