COUR D'APPEL DE BORDEAUX
TROISIÈME CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 26 MAI 2023
N° RG 19/04899 - N° Portalis DBVJ-V-B7D-LG6S
[O] [F] [N] [R]
c/
[U] [W]
Nature de la décision : AU FOND
22G
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 14 mai 2019 par le Juge aux affaires familiales d'ANGOULEME (RG n° 18/00719) suivant déclaration d'appel du 10 septembre 2019
APPELANT :
[O] [F] [N] [R]
né le 08 Janvier 1953 à [Localité 5]
de nationalité Française
demeurant [Adresse 3]
Représenté par Me Nicolas ROTHE DE BARRUEL de la SELARL AUSONE AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX, postulant, et par Me Laëtitia POMMARAT de la SELARL POMMARAT LAETITIA CABINET D'AVOCAT, avocat au barreau de NIMES, plaidant
INTIMÉE :
[U] [W]
née le 08 Août 1965 à [Localité 4]
de nationalité Française
demeurant [Localité 1]
Représentée par Me Rachid RAHMANI de la SELARL RACHID RAHMANI SEL, avocat au barreau de CHARENTE
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 14 mars 2023 en audience publique, devant la Cour composée de :
Président : Hélène MORNET
Conseiller: Danièle PUYDEBAT
Conseiller : Isabelle DELAQUYS
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Véronique DUPHIL
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 al. 2 du code de procédure civile.
EXPOSE DU LITIGE
Mme [U] [W] a acquis un immeuble en 1996.
M. [O] [R] et Mme [U] [W] se sont mariés le 31 mai 2003 à [Localité 1], sous le régime de la séparation de biens, selon contrat de mariage établi le 28 avril 2003 par Maître [I].
Le divorce des époux a été prononcé par jugement du juge aux affaires familiales d'Angoulême en date du 5 décembre 2017.
Par acte d'huissier du 23 mars 2018, M. [R] a assigné Mme [W] devant le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance d'Angoulême aux fins notamment de dire et juger que Mme [W] a effectué des constructions et ouvrages avec des matériaux qui ne lui appartenaient pas et la condamner à lui verser 264.911,75 euros au titre des sommes qu'il lui a versées avec intérêts au taux légal à compter de la décision à venir et la condamner à verser 5.000 euros à titre de dommages et intérêts.
Par jugement en date du 14 mai 2019, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance d'Angoulême a :
- condamné Mme [W] à verser à M. [R] la somme de 609 euros,
- débouté M. [R] de sa demande de dommages et intérêts,
- dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [R] et Mme [W] aux dépens, à hauteur de la moitié chacun,
- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision.
Procédure d'appel :
Par déclaration du 10 septembre 2019, M. [R] a relevé appel de l'ensemble des dispositions du jugement.
Par ordonnance en date du 2 décembre 2021, la cour d'appel de Bordeaux a enjoint aux parties de rencontrer un médiateur et désigné à cet effet Bordeaux Médiation. La démarche de médiation n'a pas abouti.
Selon dernières conclusions en date du 2 mars 2023, M. [R] demande à la cour de :
- ordonner le rabat de l'ordonnance de clôture,
- réformer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 14 mai 2019 par le tribunal de grande Instance d'Angoulême,
- condamner Mme [W] en application des dispositions de l'article 554 du code civil, à verser la somme de 264.911.75 € au titre des sommes que M. [R] lui a versées avec intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation devant le tribunal de grande instance d'Angoulême,
- subsidiairement, la condamner à verser la somme de 264.911.75€ au titre des sommes que M. [R] lui a versées avec intérêts au taux légal à compter de la décision à venir en l'état de son enrichissement sans cause,
- la condamner également à verser la somme de 5.000 € à titre de dommages et intérêts complémentaires outre 4.000€ en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile outre aux entiers dépens.
Selon dernières conclusions en date du 10 mars 2023, Mme [W] demande à la cour de :
- ordonner le rabat de l'ordonnance de clôture au jour de l'audience de plaidoirie,
- déclarer l'appel de M. [R] recevable mais mal fondé,
- débouter M. [R] de l'ensemble de ses demandes,
- rejeter la pièce adverse n° 14 et les pièces n° 17,
- le condamner à verser à Mme [W] la somme de 5.000 euros pour procédure abusive,
- le condamner à verser à Mme [W] la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- le condamner aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 28 février 2023. Mis en délibéré au 10 mai 2023 et prorogé au 26 mai 2023.
Pour un plus ample exposé des moyens, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures déposées.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur le report de l'ordonnance de clôture :
En application des dispositions des articles 907 et 802 du code de procédure civile, après l'ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office.
En l'espèce, les deux parties sollicitent le rabat de l'ordonnance de clôture au jour des plaidoiries afin de prendre en compte leurs dernières écritures respectives, postérieures à l'ordonnance de clôture.
Afin de respecter le principe du contradictoire entre les parties, il y a lieu de faire droit à leur demande.
Sur la demande de rejet de pièces de l'appelant :
L'intimée sollicite le rejet des pieces n° 14 et 17 de l'appelant: la pièce n° 14 est l'attestation produite par M.[J] [K], elle ne comporte pas l'ensemble des mentions prévues à l'article 202 du code de procedure civile et la pièce n° 17 correspondant au relevé d'un portefeuille titres de Mme [B] au 30 septembre 1996, qu'elle pretend, sans le démontrer, avoir été détourné par M. [R].
Ces deux pièces étant sans incidence probante sur l'issue du litige (cf infra), leur production ne fait pas grief à l'intimée et il n'y a pas lieu de les écarter des débats.
Au fond :
M. [R] demande la réformation du jugement déféré en ce qu'il l'a débouté de l'essentiel de sa demande de condamnation de Mme [W] à une somme en principal de 264 911,75 euros, correspondant au total des fonds qu'il prétend avoir personnellement investis, jusqu'au mariage des consorts [W]-[R] en mai 2003, dans la rénovation d'un bien immobilier acquis en propre par Mme [W], divorcée [B], sis [Localité 1] le 6 août 1996 pour la somme de 140 000 francs, soit 21 342 euros (acte d'acquisition non produit).
Il fonde sa demande, à titre principal, sur les dispositions de l'articles 554 du code civil, à titre subsidiaire sur la théorie de l'enrichissement sans cause.
Sur le fondement de l'article 554 du code civil :
L'article 554 du code civil énonce que «le propriétaire du sol qui a fait des constructions, plantations et ouvrages avec des matériaux qui ne lui appartenaient pas, doit en payer la valeur estimée à la date du paiement ; il peut aussi être condamné à des dommages et intérêts, s'il y a lieu : mais le propriétaire des matériaux n'a pas le droit de les enlever».
La charge de la preuve du fi
A ce titre, M. [R] réclame le remboursement de sommes qu'il dit avoir dépensées pour la restauration du bien de Mme [W], correspondant :
A des chèques libellés en faveur de sa concubine, ayant permis à celle-ci de constituer un capital de départ, de rembourser son prêt et de financer les premiers travaux : il produit (pièce n° 6 annexe n° 1) 66 talons de chèques, datés (pour ceux qui le sont) entre le 28 février 1997 et le 24 avril 2003, portant pour la plupart les mentions manuscrites «Béné» ou «Béné mois», pour des montants variables compris entre 2 500 et 20 000 francs et pour un total, en francs jusqu'au 4 décembre 2001, de 326 165,70 francs, soit 49 723 euros, et pour la période postérieure au 1er janvier 2002, de 25 756,24 euros.
La teneur de ces talons, insuffisants à justifier de la réalité des virements correspondant depuis le compte personnel de M. [R] sur celui de Mme [W], dès lors qu'ils ne permettent pas en eux-mêmes d'identifier leur destinataire, et ne sont pas tous retrouvés sur les extraits de compte de Mme [W], ne permet pas davantage, à les supposer bien attribués à Mme [W], de connaître leur affectation à l'achat de matériaux destinés à la construction de l'immeuble acquis par Mme [W] en 1996, ce que celle-ci conteste formellement au demeurant.
M. [R] ne peut déduire cette affectation de ce qu'il qualifie de faisceau d'éléments, à savoir le fait que le 1er versement intervienne 6 mois après l'acquisition du bien, et que Mme [W] ait été dans l'incapacité financière de débourser seule les sommes nécessaires à la rénovation du bien, ou encore de la mention «Béné» ou «Béné mois», celle-ci évoquant davantage une contribution aux charges de la vie commune versée à sa compagne.
Aux travaux qu'il a lui-même financés en vue de l'amélioration du bien : à ce titre, M. [R] verse également plusieurs talons de chèques, écrit de sa main, pour les 1ers portant comme ordre «[K]», nom du constructeur, responsable de la société «Maison de [Localité 2]», ces éléments de preuve, constitués à lui-même, demeurant insuffisants à certifier leur bénéficiaire affectation ; il fait par ailleurs état de chèques, de virements non justifiés ou de retraits d'espèces dont la destination demeure inconnue ;
S'il produit effectivement deux chèques tirés sur un chéquier à son nom, à l'ordre des Maisons de [Localité 2], le 7 septembre 1999 pour 63 000 francs, et le 14 septembre 1999 pour 54 085,10 francs, établissant qu'il a financé la réalisation de certains travaux, à une date où le couple vivait ensemble, il ressort des pièces de Mme [W] que celle-ci a également viré des sommes sur le compte de M. [R] (pièce n°32 : virement de 48 215,96 francs le 20 février 2001), ces virements réciproques ne permettant pas d'exclure un partage des frais entre les concubins, dans le cadre de leur vie commune ;
Au remboursement d'emprunts destinés à financer des travaux sur l'immeuble : M. [R] justifie avoir souscrit en effet trois crédits à la consommation auprès de Franfinance, le 1er août 2001 pour 40 000 francs, le 28 novembre 2001 auprès de Cetelem pour 100 000 francs, le 19 novembre 2001 un prêt personnel Pass, pour un montant affirmé de 50 000 francs (pièce n° 10 illisible quant au montant) pour lequel les parties apparaissent co-emprunteurs ; ces contrats de prêts, pour le dernier commun aux concubins, ne portent pas la preuve de leur destination et ne peuvent en conséquence être attribués au financement des travaux réalisés dans l'immeuble.
Il s'induit de l'ensemble de ces éléments que M. [R] n'apporte pas la preuve que les financements allégués sont en lien avec les constructions réalisées dans le cadre de la rénovation du bien immobilier de Mme [W], et doivent lui être remboursées au titre de l'article 554 du code civil, outre celui de l'abri de jardin, retenu par les premiers juges et admis par Mme [W].
S'agissant en particulier des deux factures qu'il justifie avoir réglées depuis son compte personnel en faveur des maisons de [Localité 2], les mouvements de fonds précédemment mentionnés comme intervenus réciproquement entre les parties, excluent une participation exclusive de M. [R] au financement de ces travaux et illustrent la réalité d'un partage de ces frais entre les concubins, ce que défend Mme [W].
Sur le fondement de l'enrichissement sans cause :
Aux termes des articles 1303 et suivants du code civil, celui qui bénéficie d'un enrichissement injustifié au détriment d'autrui doit, à celui qui s'en trouve appauvri, une indemnité égale à la moindre des deux valeurs de l'enrichissement et de l'appauvrissement, appréciée au jour du jugement.
Est injustifié l'enrichissement qui ne procède ni de l'accomplissement d'une obligation par l'appauvri ni de son intention libérale.
Aux termes de l'article 1303-3 du code civil, l'appauvri n'a pas d'action sur ce fondement lorsqu'une autre action lui est ouverte ou se heurte à un obstacle de droit, tel que la prescription.
En l'espèce, l'action fondée sur l'article 554 du code civil était ouverte à M. [R], lequel, en raison du caractère subsidiaire de l'action de in rem verso, ne peut utiliser ce fondement pour pallier sa carence dans l'administration de la preuve des financements qu'il invoque.
Il convient en consequence de confirmer le jugement entrepris.
Sur les autres demandes :
M. [R] sera débouté de sa demande de dommages et intérêts, dès lors qu'il ne caractérise aucune faute commise par Mme [W] en lien avec sa demande de remboursement don't il a été débouté pour l'essentiel.
Mme [W] sera également déboutée de sa demande de dommages et intérêts, celle-ci ne démontrant pas le caractère abusif de l'appel formé contre le jugement déféré.
M. [R] qui succombe en ses demandes sera condamné aux entiers dépens de l'appel, ainsi qu'au versement d'une indemnité de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procedure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
ORDONNE la révocation de l'ordonnance de clôture et son report au jour de l'audience de plaidoiries ;
DIT n'y avoir lieu au rejet des pieces n° 14 et 17 de l'appelant ;
CONFIRME le jugement déféré, en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
DEBOUTE les parties de leurs demandes respectives de dommages et intérêts ;
CONDAMNE M. [O] [R] aux entiers dépens de l'appel ;
Le CONDAMNE à verser à Mme [U] [W] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par Hélène MORNET, présidente , et par Véronique DUPHIL, greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Président,