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25/05/2023 | FRANCE | N°19/06798

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, 2ème chambre civile, 25 mai 2023, 19/06798


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE

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ARRÊT DU : 25 MAI 2023







N° RG 19/06798 - N° Portalis DBVJ-V-B7D-LMFS









Monsieur [N] [R] [O] [T]

Madame [Z] [T] épouse [V]

Madame [W] [T] épouse [B]





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Monsieur [L] [C]

Madame [A] [G] épouse [C]

Monsieur [H] [C]

Monsieur [M] [C]

Monsieur [X] [C]

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Nature de la décision : AU FOND



















Grosse délivrée le :



aux avocats

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 19 novembre 2019 (R.G. 18/10250) par la 7ème chambre civile du Tribunal de Grande Instance de BORDEAUX suivant décla...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE

--------------------------

ARRÊT DU : 25 MAI 2023

N° RG 19/06798 - N° Portalis DBVJ-V-B7D-LMFS

Monsieur [N] [R] [O] [T]

Madame [Z] [T] épouse [V]

Madame [W] [T] épouse [B]

c/

Monsieur [L] [C]

Madame [A] [G] épouse [C]

Monsieur [H] [C]

Monsieur [M] [C]

Monsieur [X] [C]

SCI [K]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 19 novembre 2019 (R.G. 18/10250) par la 7ème chambre civile du Tribunal de Grande Instance de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 26 décembre 2019

APPELANTS :

[N] [R] [O] [T]

né le 15 Avril 1946 à [Localité 18]

de nationalité Française

Profession : Commissaire-Priseur,

demeurant [Adresse 8]

[Z] [T] EPOUSE [V]

née le 06 Octobre 1975 à [Localité 17]

de nationalité Française

demeurant [Adresse 12]

[W] [T] EPOUSE [B]

née le 02 Octobre 1977 à [Localité 16]

de nationalité Française

Profession : Journaliste,

demeurant [Adresse 7]

Représentés par Me Morgane BERNARD substituant Me Jean-david BOERNER de la SCP H. BOERNER J.D. BOERNER, avocat au barreau de BORDEAUX,

et assistés de Me Jean-pierre BLATTER de la SCP BLATTER SEYNAEVE, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉS :

[L] [C]

né le 24 Janvier 1944 à [Localité 14]

de nationalité Française,

demeurant [Adresse 5]

[A] [G] épouse [C]

née le 11 Novembre 1949 à [Localité 20]

de nationalité Française,

demeurant [Adresse 5]

[H] [C]

né le 12 Janvier 1977 à [Localité 21]

de nationalité Française,

demeurant [Adresse 13]

[M] [C]

né le 26 Août 1979 à [Localité 17]

de nationalité Française,

demeurant [Adresse 11]

[X] [C]

né le 06 Juillet 1984 à [Localité 17]

de nationalité Française,

demeurant [Adresse 5]

Représentés par Me Xavier LAYDEKER de la SCP LAYDEKER - SAMMARCELLI - MOUSSEAU, avocat au barreau de BORDEAUX

SCI [K]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social sis [Adresse 5]

Représentée par Me Luc MANETTI de la SCP CORNILLE-FOUCHET-MANETTI SOCIETE D'AVOCATS INTER BARREAUX, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 27 mars 2023 en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Paule POIREL, Président,

Monsieur Alain DESALBRES, Conseiller,

Monsieur Rémi FIGEROU, Conseiller,

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Mme Mélody VIGNOLLE-DELTI

Greffier stagiaire : Mme Eva OULD-YAOU

Greffier lors du prononcé : Mme Audrey COLLIN

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

EXPOSE DU LITIGE

M. [L] [C] et Mme [A] [G] épouse [C] sont propriétaires d'un tènement immobilier dit de première ligne, situé [Adresse 6] à [Localité 19] (33) et cadastré [Cadastre 2] a et [Cadastre 3] a, auquel ils ont adjoint en 2016 une bande de terrain de 3 mètres de large cadastrée n° [Cadastre 1], jouxtant leur propriété au Nord, allant de la voie publique à la plage.

L'ensemble ainsi constitué est contigu des parcelles BR [Cadastre 9] et [Cadastre 10] appartenant à la société civile immobilière (SCI) [K], situées au [Adresse 5].

Par acte sous seing privé du 10 décembre 1950, enregistré mais non publié, M. [I] [S], aux droits duquel vient la SCI [K], a conféré à M. [E] [T], aux droits duquel viennent les consorts [T], lequel venait d'acquérir de M. [S] une villa sise [Adresse 15] mais ne se trouvant pas en bordure de mer « le droit de passage, d'accès et de séjour, le plus étendu, à son profit et au profit de tous ses ayants droits, ayant cause, et généralement de toutes personnes ayant son autorisation sur une bande de terrain de trois mètres de largeur'.ladite parcelle qui sera ainsi frappée du droit de passage présentement créé''.moyennant le prix de 50 000 francs. M. [S] s'interdit de conférer semblable droit ou tout autre droit quelconque sur la bande de terrain, objet des présentes »

Se plaignant d'avoir découvert, après destruction par leurs soins de l'ancienne haie séparant leur terrain primitif et celui nouvellement acquis, l'existence de vues depuis une construction avec terrasse située sur le terrain, objet de l'acte du 10 décembre 1950, les époux [C] ont assigné M. [N] [T], Mme [W] [B] épouse [T] et Mme [Z] [T] épouse [V] (les consorts [T]), par actes d'huissier des 8 et15 novembre 2018 devant le tribunal de grande instance de Bordeaux aux fins de voir ordonner la suppression de ces vues, la SCI [K] étant appelée à l'instance à toutes fins.

Par jugement rendu le 19 novembre 2019, le tribunal de grande instance de Bordeaux a :

- constaté l'intervention volontaire, à titre principal d'une part de messieurs [H] [C], [M] [C] et [X] [C] et d'autre part de Mesdames [Z] [T] épouse [V] et [W] [T] épouse [B],

- condamné in solidum M. [N] [T], Mme [Z] [V] et Mme [W] [B] à supprimer au profit de M. [L] [C], Mme [A] [G] , M. [H] [C], M. [M] [C] et M. [X] [C] ensemble, tout aménagement de la toiture terrasse située au-dessus de l'édicule d'origine sur la parcelle BR n° [Cadastre 9] en limite sud, sans qu'il soit nécessaire de fixer une astreinte,

- fait défense à M. [N] [T], Mme [Z] [V] et Mme [W] [B] ainsi qu'à toute personne agissant de leur chef, de se tenir ou circuler sur la terrasse aménagée au-dessus de l'édicule d'origine sur la parcelle BR n° [Cadastre 9] en limite sud autrement que pour les nécessités de son entretien ou de sa destruction ainsi que de ses aménagements, sous astreinte provisoire de 1.000 euros par infraction constatée, au profit de M. [L] [C], Mme [A] [G] épouse [C], M. [H] [C], M. [M] [C] et M. [X] [C] ensemble, à compter de la signification à parties du présent jugement et pour une durée de six mois,

- condamné in solidum M. [N] [T], Mme [Z] [V] et Mme [W] [B] à démolir la terrasse aménagée sur l'édicule d'origine ainsi que tous éléments permettant d'y accéder, sur la parcelle BR n° [Cadastre 9] en limite sud, sous astreinte provisoire de 150 euros chacun par jour de retard au profit de 1a SCI [K], pendant un délai de trois mois, passé un délai de deux mois à compter de la signification à parties du présent jugement,

- condamné in solidum M. [N] [T], Mme [Z] [V] et Mme [W] [B] à démolir l'extension en front de mer du second bâtiment réalisé entre 1993 et 1995 à l'arrière de l'édicule d'origine sur la parcelle BR n° [Cadastre 9]en limite sud, sous astreinte provisoire de 150 euros chacun par jour de retard au profit de la SCI [K], pendant un délai de trois mois, passé un délai de deux mois à compter de la signification à parties du présent jugement,

- débouté la SCI [K] de sa demande de nullité de la convention du 10 décembre 1950,

- débouté M. [N] [T], Mme [Z] [V] et Mme [W] [B] de leurs demandes reconventionnelles,

- condamné in solidum M. [N] [T], Mme [Z] [V] et Mme [W] [B] à payer à M. [L] [C], Mme [A] [G] épouse [C], M. [H] [C], M. [M] [C] et M. [X] [C], ensemble, une indemnité de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné in solidum M. [N] [T], Mme [Z] [V] et Mme [W] [B] à payer à la SCI [K] une indemnité de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement dans la limite de la défense faite à M. [N] [T], Mme [Z] [V] et Mme [W] [B] ainsi qu'à toute personne agissant de leur chef, de se tenir ou de circuler sur la terrasse aménagée au-dessus de l'édicule d'origine sur la parcelle BR n° [Cadastre 9] autrement que gour les nécessités de son entretien ou de sa destruction ainsi que de ses aménagements, de l'astreinte y afférente et de la totalité des condamnations prononcées au titre des frais irrépétibles et des dépens,

- condamné in solidum M. [N] [T], Mme [Z] [V] et Mme [W] [B] aux dépens, qui seront recouvrés ainsi qu'il est dit à l'article b99 du code de procédure civile.

Par déclaration électronique en date du 26 décembre 2019, enregistrée sous le n° RG 19/06798, les consorts [T] ont relevé appel de l'ensemble de cette décision sauf en ce qu'elle a débouté la SCI [K] de sa demande d'annulation de l'acte du 10 décembre 1950.

Les consorts [T], dans leurs dernières conclusions d'appelants en date du 10 juin 2022, demandent à la cour, de :

- ordonner la fixation pour plaider le présent dossier à la date qu'il plaira,

- confirmer le jugement en ce qu'il a constaté l'intervention volontaire, d'une part, de Mme [Z] [T] épouse [V] et Mme [W] [T] épouse [B] et, d'autre part, de M. [H] [C], M. [M] [C], M. [X] [C],

- déclarer la société SCI [K] irrecevable en sa demande tendant à voir annuler le droit de passage et de séjour stipulé dans l'acte sous seing privé du 10 décembre 1950 pour privation de jouissance,

- en tant que de besoin, confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société SCI [K] de sa demande tendant à voir annuler le droit de passage et de séjour stipulé dans l'acte sous seing privé du 10 décembre 1950,

- pour le surplus, réformer le jugement et, statuant à nouveau :

- juger que M. [N] [T], Mme [Z] [T] épouse [V] et Mme [W] [T] épouse [B] sont bien fondés à se prévaloir de l'existence d'une servitude de passage, accès et séjour le plus étendu grevant la bande de terrain et la cabine de bains édifiée sur celle-ci, et à opposer cette servitude à la société SCI [K],

A titre subsidiaire,

- juger que M. [N] [T], Mme [Z] [T] épouse [V] et Mme [W] [T] épouse [B] sont bien fondés à se prévaloir de l'existence d'un droit de réel sui generis conférant le bénéfice d'une jouissance spéciale perpétuelle consistant dans un droit de passage, accès et séjour le plus étendu grevant la bande de terrain et la cabine de bains édifiée sur celle-ci, et à opposer ce droit à la société SCI [K],

- juger que la vue dont se plaignent M. [L] [C], Mme [A] [G] épouse [C], M. [H] [C], M. [M] [C] et M. [X] [C] pour motiver leurs demandes contre M. [N] [T], Mme [Z] [T] épouse [V] et Mme [W] [T] épouse [B] résulte d'une servitude qui était acquise par prescription trentenaire à la date de ces demandes,

- débouter M. [L] [C], Mme [A] [G] épouse [C], M. [H] [C], M. [M] [C], M. [X] [C] et la société SCI [K] de leurs demandes,

- condamner in solidum M. [L] [C], Mme [A] [G] épouse [C], M. [H] [C], M. [M] [C], M. [X] [C] à supprimer le mur qu'ils ont édifié en limite séparative de leur parcelle, à l'extrémité ouest de celle-ci, et ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard courant à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

- condamner in solidum M. [L] [C], Mme [A] [G] épouse [C], M. [H] [C], M. [M] [C], M. [X] [C] à payer à M. [N] [T], Mme [Z] [T] épouse [V] et Mme [W] [T] épouse [B] la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice de jouissance qu'ils leur ont fait subir,

- condamner la société SCI [K] à reconstruire le mur tel qu'il préexistait au-dessus de la toiture-terrasse, côté nord (6,30 mètres de longueur sur 4,16 mètres de hauteur), et ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard courant à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

- condamner la société SCI [K] à payer à M. [N] [T], Mme [Z] [T] épouse [V] et Mme [W] [T] épouse [B] la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice de jouissance qu'elle leur a fait subir,

- condamner in solidum M. [L] [C], Mme [A] [G] épouse [C], M. [H] [C], M. [M] [C], M. [X] [C] et la société SCI [K] aux dépens de première instance et d'appel, ces derniers étant recouvrés directement par la SCP BOERNER & ASSOCIES, avocats à la Cour, pour ce qui la concerne, dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile,

-condamner in solidum M. [L] [C], Mme [A] [G] épouse [C], M. [H] [C], M. [M] [C], M. [X] [C] et la société SCI [K] à payer à M. [N] [T], Mme [Z] [T] épouse [V] et Mme [W] [T] épouse [B], sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 15 000 euros au titre des frais irrépétibles qu'ils ont exposés en première instance et la somme de 15 000 euros au titre des frais irrépétibles qu'ils ont exposés en cause d'appel.

Les consorts [C], dans leurs dernières conclusions d'intimés en date du 25 juin 2020, demandent à la cour, de :

- déclarer mal fondé l'appel interjeté par les consorts [T].

En conséquence,

- confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Bordeaux en toutes ses dispositions.

Y ajoutant,

- condamner les consorts [T] à payer aux consorts [C] une indemnité complémentaire de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La SCI [K], dans ses dernières conclusions d'intimée en date du 25 juin 2020, demande à la cour, au visa des articles 544, 637, 686, 1210, 1211, 2270 du code civil, de :

- confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Bordeaux en date du 19 novembre 2019 sauf en ce qu'il a débouté la SCI [K] de sa demande de nullité du droit résultant du titre du 10 décembre 1950 ;

- le réformer partiellement sur ce dernier point ;

- juger que les Consorts [T] ne bénéficient d'aucune servitude ni droit réel de jouissance spéciale sur la propriété de la SCI [K] ;

- annuler 'le droit de passage et de séjour' stipulé dans l'acte sous seing privé [S]/[T] du 10 décembre 1950 pour privation de jouissance de la SCI [K] si, par extraordinaire, il est qualifié de servitude.

- juger que le droit dont se prévalent les Consorts [T] sur la propriété de la SCI [K] est un droit personnel intuitu personne au bénéfice de [K] [T];

- juger que les présentes conclusions valent notification aux Consorts [T] d'un préavis raisonnable expirant le 31 décembre 2020 pour débarrasser les lieux, s'abstenir de toute présence et cesser d'utiliser, tant en ce qui les concerne eux-mêmes que toute personne autorisée par eux, l'allée d'accès et l'édicule d'origine litigieux existant sur la parcelle BR n°[Cadastre 9] appartenant à la concluante.

- prononcer sa résiliation judiciaire au motif de son caractère perpétuel;

- juger que M. [N] [T], Mme [Z] [T] épouse [V] et Mme [W] [T] épouse [B] ne disposent d'aucun titre les autorisant à aménager l'édicule d'origine existant sur la propriété de la SCI [K] en cabine de bains avec terrasse dotée d'un banc, caillebottis, table en béton, escalier et rambarde sur la parcelle cadastrée section BR n° [Cadastre 9] appartenant à la SCI [K] ;

- En conséquence, condamner in solidum M. [N] [T] Mme [Z] [T] épouse [V] et Mme [W] [T] épouse [B] à démolir la terrasse aménagée sur l'édicule d'origine propriété de la SCI [K], ainsi que tous éléments permettant d'y accéder, bancs, caillebottis, table en béton, escalier et rambarde aménagés sur la parcelle cadastrée section BR n° [Cadastre 9] sous astreinte de 200 euros par jour de retard passé le délai de 30 jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir;

- condamner in solidum les mêmes à démolir l'extension en front de mer et le second bâtiment réalisé entre 1993 et 1995 à l'arrière de Pédicule d'origine existant sous astreinte de 200 euros par jour de retard passé le délai de 30 jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir;

- débouter purement et simplement M. [N] [T], Mme [Z] [T] épouse [V] et Mme [W] [T] épouse [B] de toutes leurs demandes, fins et conclusions dirigées à l'encontre de la SCI [K] ;

- statuer ce que de droit sur les demandes des époux [C] ;

- condamner in solidum M. [N] [T], Mme [Z] [T] épouse [V] et Mme [W] [T] épouse [B] à verser a la SCI [K] la somme de 7500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- les condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 21 février 2023.

Pour une plus ample connaissance du litige et des prétentions et moyens des parties, il est fait expressément référence aux dernières conclusions et pièces régulièrement communiquées par les parties.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la nature et les droits conférés par l'acte sous seing privé du 10 décembre 1950

Le tribunal a considéré à titre liminaire qu'il n'était nullement établi que M. [K] [T] ait accepté la proposition formulée par M. [S], ancien propriétaire du fond de la SCI [K], dans la lettre qui lui avait adressée, le 5 avril 1950, laquelle prévoyait qu'à défaut de lui vendre le terrain litigieux, il s'engageait à lui concéder « le droit de passage le plus étendu qui comprendra ainsi le droit de stationner, circuler de même déposer tous objets qui pourraient vous appartenir et même le droit d'édifier des cabines bains ou garage à bateau » alors qu'aucun acte de vente n'était intervenu à sa suite, si bien qu'une telle lettre ne pouvait être constitutive de droits en faveur des consorts [T], que l'acte sous seing privé du 10 décembre 2010, dont la nature devait se déterminer davantage par sa substance que par les dénominations utilisées, était vierge de toute référence à un fonds dominant, élément nécessaire à la caractérisation d'une servitude, en l'absence de tout enclavement de celui-ci lequel n'était en outre pas riverain de celui appartenant à M. [S], si bien qu'il ne conférait qu'un droit personnel indépendamment de toute notion de fonds dominant, lequel était transmissible sans être subordonné à la propriété du [Adresse 4], que venait d'acheter M. [K] [T], et protégé puisque M. [S] s'interdisait d'attribuer un droit semblable à des tiers , que l'existence d'un tel titre précis et limité interdisait aux consorts [T] de prétendre à une prescription acquisitive sur le même bien, qu'un tel droit perpétuel n'était pas nul mais que chaque partie pouvait en poursuivre la résiliation, qu'il n'octroyait en outre à M [K] [T] et à ses ayants droit aucune autorisation de construire des parties nouvelles ou de transformer l'édicule existant.

Les consorts [T] critiquent le jugement déféré et soutiennent que leur titre caractérise un accord de volontés en vue de constituer une servitude conventionnelle laquelle n'était soumise à aucune règle de forme, qu'en outre, on ne peut remettre en cause le terme de « servitude » énoncé dans l'acte sous seing privé du 10 décembre 1950 au motif que les signataires de l'acte n'étaient pas juristes, et ce d'autant plus qu'un tel terme a été utilisé par les héritiers de M. [I] [S] lorsqu'ils ont vendu l'immeuble du [Adresse 5] à la SCI le Patio, laquelle reprendra le même terme quand elle revendra ce même immeuble à la SCI [K].

Les consorts [C] demandent la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société SCI [K] de sa demande de nullité de la convention du 10 décembre 1950, laquelle, dès lors qu'elle institue une servitude, ne contrevient pas, par définition, au principe de la prohibition des engagements perpétuels.

La SCI [K] forme un appel incident et demande à la cour d'appel de juger que le droit des appelants résultant du titre du 10 décembre 1950 est nul alors qu'en effet les consorts [T] ne peuvent bénéficier d'une servitude de passage, alors que leur fonds n'est pas contigu du sien, et n'est pas enclavé, et que le droit qui leur a été reconnu le 10 décembre 1950 la prive de la jouissance d'une partie de sa propriété et ce à titre perpétuel, état qui ne peut profiter qu'aux choses, que si le tribunal lui avait fait reproche de ne pas avoir entrepris une procédure en résiliation d'un tel droit, cela est chose faite puisque par ses premières écritures devant la cour d'appel elle a sollicité la résiliation de leurs droits, en leur accordant un délai qui expirait au 31 décembre 2020 pour débarrasser les lieux.

***

L'article 686 du code civil dispose : « Il est permis aux propriétaires d'établir sur leurs propriétés, ou en faveur de leurs propriétés, telles servitudes que bon leur semble, pourvu néanmoins que les services établis ne soient imposés ni à la personne, ni en faveur de la personne, mais seulement à un fonds et pour un fonds, et pourvu que ces services n'aient d'ailleurs rien de contraire à l'ordre public'.. »

En application de la loi, le droit conféré à M. [T] et à ses ayants droits ne peut être qualifié de servitude alors qu'une servitude même conventionnelle ne peut profiter qu'à un fonds et non à des personnes, et qu'en outre le fonds des appelants ne peut être qualifié de dominant alors qu'il n'est nullement enclavé.

Il s'agit ainsi d'un droit personnel et non d'un droit réel.

En conséquence, la reprise du terme de « servitude » dans les différents actes de vente du bien appartenant désormais à la SCI [K] ne saurait constituer un droit, alors qu'une erreur répétée ne constitue pas une vérité, ni ne crée davantage un droit.

L'acte sous seing privé du 10 décembre 1950, auquel il n'y a pas lieu d'y rattacher la lettre d'intention du 5 avril 1950, laquelle n'a créé aucun droit puisqu'elle n'a pas été ratifiée, et n'a pas connu de suites, a créé au profit de M. [K] [T], et de ses ayants droit, un triple droit de passer, d'accéder, et de séjourner sur la parcelle litigieuse, et ce à titre perpétuel puisqu'il n'a pas été prévu de limitation dans le temps.

Si la loi du 10 février 2016 a expressément prohibé les engagements perpétuels, elle a en définitive généralisé la jurisprudence antérieure établie sur le fondement de l'article 1780 du code civil qui permettait aux parties, en présence d'un engagement perpétuel, de résilier le contrat unilatéralement en respectant un délai raisonnable.

En conséquence, si la SCI [K] a sollicité la résiliation de la convention du 10 décembre 1950, ce qu'elle était en droit de demander, le délai de résiliation qu'elle avait fixé n'apparait pas raisonnable alors qu'en contemplation de la durée du doit d'usage des consorts [T], soit cinq décennies, il apparait raisonnable de mettre un terme à leurs droits dans un délai de prévenance plus long qui doit être fixé, en l'espèce à deux ans. En conséquence, au regard de la demande de résiliation de leur droit personnel perpétuel, par conclusions de la SCI [K] du 22 juin 2020, celui-ci sera résilié le 22 juin 2022 à minuit.

Sur les demandes de démolition des ouvrages édifiés par les consorts [T]

Le tribunal a fait droit à la demande de démolition de la SCI [K] tendant à voir les consorts [T] condamnés à démolir tout aménagement de la toiture terrasse ainsi que tous éléments permettant d'y accéder, ainsi que l'extension en front de mer de l'édicule et le second bâtiment réalisé entre 1993 et 1995 à l'arrière de l'édicule d'origine, aux motifs que la convention du 10 décembre 1950, 'à laquelle ne peut être rattaché le contenu plus large de la lettre d'intention du 5 avril 1950 non suivie d'effet', limiterait les droits de M. [T] à un droit de passage, d'accès et de séjour que 'la tolérance bienveillante manifestée par la famille [S] en raison d'évidents liens d'amitiés révélés par les différentes attestations et pièces produites ne peut davantage élargir', et que la convention précitée ne révèlerait aucune intention des parties contractantes d'y ajouter un droit de construire des parties nouvelles ou de transformer les existants.

Les appelants contestent une telle décision et font valoir que la lettre du 5 avril 1950 permet de saisir ce que recouvre l'expression 'le plus étendu' qui figure dans la convention du 10 décembre 1950 puisqu'elle mentionne que 'le droit de passage le plus étendu [...] comprendra ainsi le droit de stationner, circuler de même déposer tous objets qui pourraient vous appartenir et même le droit d'édifier des cabines de bains ou garage à bateau', qu'en outre les travaux de modification de la cabine de bains effectués par M. [N] [T] en 1993 l'ont été avec l'accord au moins tacite des héritiers de M. [I] [S] du temps qu'ils étaient propriétaires des lieux.

La SCI [K] demande la confirmation du jugement et précise que l'acte du 10 décembre 1950 ne confère aucun droit de construire ou d'aménager aux consorts [T].

***

Le seul titre qui fonde le droit des consorts [T] est celui du 10 décembre 1950, qui ne leur permettait pas d'agrandir ni même de modifier les constructions existantes.

Or, ainsi que le tribunal l'a justement relevé il résulte des pièces versées aux débats qu'à partir de 1993, soit depuis un temps non prescrit, l'édicule d'origine a été agrandi, et modifié, et la toiture de celui-ci aménagée en terrasse.

En conséquence, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a condamné les appelants à démolir la terrasse aménagée sur l'édicule d'origine ainsi que tous les éléments permettant d'y accéder, ainsi que l'extension en front de mer et le second bâtiment réalisé entre les années 1993 et 1995 à l'arrière de l'édicule d'origine, sous une astreinte de 150 euros par jour de retard au profit de la SCI [K], pendant un délai de trois mois, passé un délai de deux mois.

Sur la demande de suppression des vues sur le fonds des consorts [C]

Le tribunal a fait droit aux demandes des consorts [C], tendant à voir supprimer tout aménagement de la toiture terrasse située au-dessus de l'édicule d'origine et faire défense aux consorts [T], ainsi qu'à toute personne agissant de leur chef, de se tenir ou de circuler sur cette toiture-terrasse autrement que pour les nécessités de son entretien ou de sa destruction, au motif que, n'étant pas propriétaires de cette toiture terrasse, ces derniers ne pouvaient avoir obtenu, par prescription, une servitude de vue sur le terrain des premiers.

Les appelants exposent essentiellement que la vue dont se plaignent les consorts [C] existe depuis plus de trente ans à la date de l'assignation signifiée par ces derniers, pour avoir été créée, par M. [I] [S] au moment de la construction de la cabine de bains dotée d'une toiture terrasse accessible, et ce bien avant 1950. En effet, les plans de masse produits par la société SCI [K], datant du 5 août 1950 et de 1951 versés aux débats par cette dernière, font apparaître cette cabine de bains et en 1993, M. [D] [S] a établi des plans de l'état existant de la cabine de bains, qu'en outre l'utilisation de la toiture terrasse pour y séjourner conformément à sa destination depuis plus de trente ans à la date de l'assignation signifiée par les consorts [C] est établie, que de plus la vue résultant de la toiture terrasse accessible n'a pas cessé d'être exercée depuis la construction de celle-ci, continûment, publiquement, paisiblement et de manière non équivoque, par les consorts [T], ainsi que cela résulte des nombreuses attestations qu'ils ont versées au débat, que la circonstance que les appelants ne seraient pas propriétaires de la toiture terrasse ne leur interdirait pas de se prévaloir de la qualité de possesseur de cette dernière puisque, ainsi qu'il a été démontré précédemment, ils exercent sur elle un droit réel aux termes de la convention du 10 décembre 1950.

Les consorts [C] sollicitent la confirmation du jugement.

***

Aux termes de l'article 2229 ancien du code civil : « Pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire. »

Les consorts [T] ne disposant pas de titre de propriété sur le terrain litigieux et sur l'édicule qui y était édifié, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a jugé qu'ils ne pouvaient ainsi pas obtenir par prescription une servitude de vue sur le fonds des consorts [C], si bien qu'ils doivent supprimer tout aménagement sur la toiture terrasse et ne plus y stationner autrement que pour les nécessités de son entretien ou de sa destruction.

Sur les demandes des consorts [T] à l'encontre des consorts [C]

Le tribunal a rejeté la demande des consorts [T] tendant à voir condamner les consorts [C] sous astreinte à démolir le mur que ces derniers ont construit à l'extrémité ouest et en limite séparative de leur parcelle, aux motifs que les appelants ne pouvaient pas revendiquer le bénéfice d'une servitude de vue sur ladite parcelle, faute d'avoir pu l'acquérir par voie de prescription, à défaut d'être propriétaires de la cabine de bains, ni invoquer un abus de droit ou un trouble anormal de voisinage dans la mesure où ils auraient créé une vue en 2016 en faisant détruire l'extrémité de cette cabine de bains et où la construction du mur litigieux aurait seulement rétabli la situation antérieure.

Les consorts [T] soutiennent qu'ils n'ont pas effectué, en 2016, des travaux qui auraient abouti à la création d'une vue sur l'extrémité ouest de l'actuelle parcelle BR n° [Cadastre 1] à partir de la petite terrasse située à l'entrée de la cabine de bains côté plage, qu'ils ajoutent qu'ils sont en droit d'invoquer une servitude de vue, de par leur titre, duquel il résulte qu'ils sont titulaires d'un droit réel sur la cabine de bains, en ce compris la terrasse située devant celle-ci, et de poursuivre la démolition du mur édifié par les consorts [C] à la limite séparative comme portant atteinte à cette servitude de vue.

Les consorts [C] sollicitent la confirmation du jugement.

***

Ainsi que la cour d'appel l'a d'ores et déjà jugé, les appelants ne sont pas propriétaires de la parcelle de terrain et de l'édicule, objet de l'acte sous seing privé du 10 décembre 1950. Toutefois, jouissant d'un droit personnel sur l'usage de ces biens, ils sont en droit d'invoquer, ainsi que le premier juge l'a relevé, tout trouble anormal de voisinage qui porterait atteinte à cette jouissance.

Cependant, les consorts [T] ne démontrent pas en quoi le mur construit par les consorts [C] porterait atteinte à leur droit, alors que les pièces qu'ils communiquent sont relatives aux constructions qu'ils ont réalisées, et non au mur des consorts [C].

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté les appelants de leur demande de démolition du mur litigieux.

Sur les demandes des consorts [T] à l'encontre de la SCI [K]

Le tribunal a rejeté la demande reconventionnelle des consorts [T] tendant à voir condamner la SCI [K] à reconstruire le mur situé au-dessus de la toiture terrasse, côté nord, tel qu'il préexistait, aux motifs qu'ils ne disposent d'aucun droit de propriété ni même d'utilisation de la toiture terrasse et, dans cette mesure, ne peuvent valablement soutenir subir un préjudice lié à l'impossibilité de continuer à en jouir paisiblement.

Les consorts [T] soutiennent que par application de l'article 701 du code civil, s'il n'est pas titulaire d'un droit de propriété, le titulaire d'une servitude ou d'un droit réel conférant le bénéficie d'une jouissance spéciale, de nature conventionnelle, n'en est pas moins fondé à s'opposer aux atteintes portées à ses droits par son cocontractant, alors qu'en l'espèce, la suppression du muret par la SCI [K] a eu pour effet de troubler leur jouissance, de sorte qu'ils sont en droit d'obtenir la remise en état antérieur, et ainsi la condamnation de la SCI [K] sous astreinte à rétablir le mur considéré dans son état antérieur.

La SCI [K] demande la confirmation du jugement et relève qu'une servitude ne peut porter atteinte au droit de jouissance du propriétaire du fonds servant.

***

Le cour d'appel ayant jugé que les appelants ne disposaient d'aucun droit d'usage de la toiture de l'édicule situé sur la parcelle de terrain, objet de l'acte sous seing privé du 10 décembre 1950, ils ne peuvent fonder leur demande sur un droit d'usage de celle-ci.

En conséquence, le jugement déféré sera également confirmé en ce qu'il a débouté les consorts [T] de leur demande vis-à-vis de la SCI [K].

Sur les dépens et les frais non compris dans les dépens

Les consorts [T] succombant pour l'essentiel en leur appel seront condamnés in solidum aux dépens et à verser aux consorts [C], ensemble, d'une part et à la SCI [K] d'autre part la somme de 4000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, pour les frais irrépétibles qu'ils ont dû exposer en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement entrepris, y ajoutant :

Prononce la résiliation judiciaire de l'acte sous seing privé du 10 décembre 1950, avec effet au 22 juin 2022 à minuit ;

Condamne in solidum M. [N] [T], Mme [Z] [T] épouse [V] et Mme [W] [T] épouse [B] aux entiers dépens et à payer à la SCI [K], d'une part, et à M. [L] [C], Mme [A] [G] épouse [C], M. [H] [C], M. [X] [C], et M. [M] [C], ensemble, d'autre part la somme de 4000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

La présente décision a été signée par madame Paule POIREL, présidente, et madame Audrey COLLIN, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre civile
Numéro d'arrêt : 19/06798
Date de la décision : 25/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-25;19.06798 ?
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